Charlotte Duncan - would've, could've, should've

Charlie n’avait que peu de temps pour elle depuis qu’ils étaient arrivés à la Colline. Ou qu’elle aille, Beta et Omicron semblaient toujours dans le coin. Elle savait que tout ça partait d’un bon sentiment. Ces dernières semaines avaient été pour le moins compliquées - ils n’imaginaient même pas à quel point - et ils voulaient probablement veiller sur elle. S’assurer qu’elle tenait le coup. Mais Charlie était une femme pudique. Orgueilleuse, peut-être, aussi. Craquer en public ? S’effondrer devant tout le monde ? Très peu pour elle. Hormis Béta et Omicron, elle ne connaissait personne ici. Ils n’étaient que des connaissances, croisées lorsque la meute de nomades qu’ils formaient encore il y a peu venait faire du troc avec les habitants du camp. Montrer une once de faiblesse en dehors de la solitude de la chambre qui lui avait été attribuée ? Hors de question, ou en tout cas elle faisait tout son possible pour l’éviter. Se cachait derrière un masque aussi impassible que possible, une froideur qui ne lui était pas forcément naturelle, elle qui était d’ordinaire plutôt avenante. D’après Beta et Omicron, il fallait qu’elle remonte la pente, et vite. Ils ne pouvaient pas se permettre d’être vulnérables dans un monde pareil. Peut-être avaient-ils raison. Quoi qu’il en soit, c’était plus facile à dire qu’à faire…

Charlie s’installa sur son lit, s’adossant au mur avant de se prendre la tête entre les mains. Des larmes silencieuses avaient commencé à couler à peine la porte de sa chambre refermée derrière elle. La vérité, c’est que malgré tous ses efforts, elle avait bien de la peine à tenir le coup. Ces derniers mois, ces dernières semaines avaient été un enfer sans nom. L’apocalypse… Elle pouvait gérer. Elle avait appris à le faire, en tout cas. Charlie était quelqu’un de solide, et son métier de paramedic, puis de pompier, lui avaient appris à garder son sang-froid. Elle devait protéger sa sœur, la seule famille qu’il lui restait. Un père décédé alors qu’elle avait 12 ans, une mère et un beau-père partis en vacances au bout du monde… C’était elles contre le reste du monde.

Ça l’était, en tout cas, jusqu’à la meute. Les sœurs Duncan les avaient rencontrés quelque part dans la campagne de l’état de New York et après des débuts hésitants, elles avaient fini par rejoindre leurs rangs. L’union fait la force, paraît-il, et pendant les mois qui suivirent, leur petit groupe de survivants a su le prouver.

Et puis il y avait eu lui. Grand, blond, un regard bleu à tomber… Il aurait fait craquer n’importe quelle femme, mais Charlie n’avait jamais été femme à se laisser apprivoiser aisément. Des hommes charmants, elle en croisait à chacune de ses gardes à la caserne, et elle n’avait jamais cédé à leurs avances. Pas question de mélanger sa vie professionnelle et sa vie personnelle, elle qui avait déjà eu bien assez de mal à se faire prendre au sérieux dans un milieu dominé par la gent masculine. Elle avait eu des histoires par le passé, comme tout le monde. Plus ou moins longues, plus ou moins sérieuses, des sentiments plus ou moins intenses et des histoires d’un soir. Mais elle n’avait jamais su trouver chaussure à son pied. Jusqu’à Link. D’un geste presque mécanique, Charlie attrapa le Polaroid rangé précieusement dans l’une des poches de son sac à dos. Une blague stupide faite au bon moment et Charlie avait éclaté de rire pile alors que Lincoln prenait la photo. L’image était un peu floue, loin des photos composées au millimètre qu’on postait autrefois sur les réseaux sociaux. Ils avaient bien essayé d’en reprendre une autre, mais l’appareil était vide. Peu importait. Celle-ci était parfaite. Spontanée, naturelle, à n’en juger que par cette photo, on aurait même presque pu ignorer que le monde était doucement en train de s’écrouler. De lui, il ne lui restait plus que cette photo, l’anneau qui ornait son doigt, et un t-shirt qu’elle avait retrouvé dans son sac, sûrement rangé là par erreur en quittant leur dernier campement.

Tout avait commencé à déraper quand le Créateur de leur groupe de survivant était mort brutalement d’un AVC. Charlie avait été appelée sur les lieux aussitôt, mais elle n’était pas médecin. Ses années de carrière en tant que paramédic, puis pompier, lui donnaient des connaissances en médecine d’urgence, mais elle n’avait ni les capacités ni les moyens techniques de gérer ce genre de cas. Elle n’avait rien pu faire. Sans leader, la meute avait dû se réorganiser. Pas une seule fois elle n’avait songé se proposer, préférant soutenir Link, qu’elle pensait être le meilleur candidat. Charlie ne se sentait pas une âme de leader, préférant observer depuis le banc de touche - cette position offrait bien souvent un point de vue bien plus large que celui des joueurs se trouvant au milieu du terrain. Elle avait de toute façon ses propres soucis à gérer. En effet, pendant que d’autres se disputaient le poste de chef et le meilleur moyen de prolonger la survie de leur petit groupe, Charlie, elle, était plus préoccupée par la vie qui était en train de grandir en elle. Elle n’en avait parlé qu’à sa sœur, ne trouvant jamais le bon moment pour aborder le sujet avec Link. Enceinte… En pleine fin du monde. Charlie avait enterré l’idée de fonder une famille dès que la pluie avait commencé à tomber. Amener un bébé dans ce monde serait de la folie. Elle était terrifiée… et pourtant, elle se surprenait parfois à se projeter dans l’avenir pour la première fois depuis le début de ce merdier, à penser à ce que pourrait être leur vie avec ce petit bout d’eux deux…

D’un revers de la main, Charlie essuya les larmes qui baignaient ses joues. Geste vain, car elles furent bientôt remplacées par de nouvelles. Elle avait tout perdu.

Son bébé, d’abord. Lincoln n’en avait jamais rien su. A quoi bon lui en parler ? Avec le tournoi  pour prendre la tête de la meute, il avait d’autres choses à penser qu’un futur avorté.

Lincoln, ensuite. Béta affirmait n’avoir rien pu faire, et Charlie n’avait aucune raison de douter de sa parole. Il était déjà trop tard, ils n’auraient rien pu faire. Ces mots n’avaient pas empêché Charlie de tenter de se précipiter à l’intérieur de l’aquarium - elle devait faire quelque chose, n’importe quoi. Elle ne pouvait pas le laisser à la merci des rôdeurs. Mais ils l’avaient rattrapée, trainée loin du bâtiment à présent infesté de ces saloperies tandis qu’elle hurlait le nom de Link à s’en briser la voix.

Même sa sœur… Après l’attaque de l’aquarium, elle avait choisi de partir avec Delta. Elle lui avait bien proposé de les suivre, mais quand Béta avait jugé qu’elle serait plus en sécurité avec lui et Omicron, Charlie n’avait pas protesté, ni même participé aux débats qui avaient fini de faire éclater ce qu’il restait de la meute. Plongée dans le désespoir, elle était bien incapable de protéger sa soeur. Delta ferait ça mieux qu’elle. Quant à elle.. elle aurait préféré qu’ils la laissent rentrer dans l’aquarium. Tant pis pour les rôdeurs. La mort, l’oubli lui paraissaient un sort bien plus doux que la douleur qu’elle ressentait à présent, et qui ne la quittait plus depuis.

Béta et Omicron avaient choisi la Colline, et elle avait suivi. Ca n’aurait pas été son choix premier, mais ça lui était égal, dans le fond. Après les formalités qui avaient suivi leur arrivée et leur installation dans leurs nouveaux quartiers, elle s’était portée volontaire pour rejoindre les explorateurs. Quitter l’austérité de la base lui ferait du bien et dans le fond, elle espérait qu’une expédition la mènerait vers l’aquarium. L’idée d’avoir laissé le corps de Link là bas la rendait malade - pas de funérailles, pas d’au-revoirs - mais ce n’était rien comparé à celle qu’il ait pu lui aussi devenir un rôdeur… Cette simple pensée lui retournait l’estomac.

Sa photo toujours entre les mains, Charlie se laissa glisser sur le côté pour aller poser sa tête sur l’oreiller. Elle avait presque fini par tomber de sommeil quand on toqua à sa porte. Pas de réponse de sa part, ce qui n’empêcha pas son visiteur de rentrer. Elle n’eut même pas à regarder vers la porte pour savoir qu’il s’agissait de Béta mais sans trop savoir pourquoi, elle prit soin de cacher sa photo sous son oreiller. Hey… Je t’ai ramené de quoi manger, dit-il en venant s’installer sur le bord de son lit. Charlie aurait préféré qu’il ne s’invite pas de la sorte, mais sous ses manières un peu rustres, elle savait qu’il essayait seulement de prendre soin de la femme de son meilleur ami. Ou en tout cas, c’est ce qu’elle pensait. Elle était loin d’imaginer les trahisons qui s’étaient tramées dans son dos. Loin de se douter qu’ils avaient laissé Linc pour mort, et encore moins qu’il était vivant, quelque part. Beta n’avait aucune raison de lui mentir.

QUICK FACTS

Spoiler: