I've got you brother

Jordan n'en avait pas cru ses oreilles, quand on lui avait annoncé qu'elle avait un message au relais. Elle se demandait bien qui pouvait lui envoyer un message. La jeune femme n'avait jamais vraiment pris le temps de dire à qui que ce soit qu'elle partait pour un week-end chez ses parents à Malden. Elle était secrète, ne racontait jamais son passé et sa vie dans cette ville. Alors quand on lui annonça que quelqu'un tentait de rentrer en contact avec elle, elle était surprise.

Son cœur tambourinait contre sa poitrine alors qu'elle s'approchait du relais, sa curiosité piquée à vif. Qui pouvait bien chercher à la contacter ? Les possibilités tournoyaient dans son esprit comme des feuilles emportées par le vent d'automne. Était-ce un ami d'enfance qu'elle avait perdu de vue depuis des années ? Ou peut-être un ancien collègue de travail qui avait retrouvé sa trace ? Ou même quelque chose de plus mystérieux, une affaire non résolue de son passé qui venait la hanter ?

Les questions se bousculaient alors qu'elle ouvrait le message. Ses doigts tremblaient légèrement, mêlant l'excitation à une pointe d'appréhension. Le message s'afficha enfin devant elle.

La découverte du message de son frère fut comme un coup de tonnerre dans le ciel sombre de son existence. Depuis un an, elle avait survécu dans ce monde post-apocalyptique, se battant chaque jour pour rester en vie, pour ne pas sombrer dans le désespoir qui menaçait de l'engloutir. Mais jamais elle n'avait imaginé qu'il était si près, si proche d'elle, dans ce même pays, cette même ville ravagé par la maladie et le chaos.

Les mots de son frère résonnaient en elle comme un écho de son propre chagrin, de sa propre douleur. Elle se revoyait, un an auparavant, se cachant de la pluie toxique qui transformait les gens en créatures affamées de chair humaine, fuyant les hordes de morts-vivants qui peuplaient désormais les rues.. Elle se rappelait le désespoir qui lui nouait la gorge alors qu'elle chassait sans relâche les tueurs de ses parents, les yeux emplis de larmes et le cœur brisé par la perte de tout ce qu'elle avait connu, tout ce qu'elle avait aimé.

Elle se rappelait la douleur de la séparation, l'angoisse de l'inconnu, la certitude poignante qu'elle ne reverrait jamais son frère, sa famille, sa vie d'avant. Chaque souvenir était comme un coup de poignard dans son cœur déjà meurtri par les événements qui avaient bouleversé sa vie à jamais.

Pourtant, malgré la douleur insupportable, malgré la peur qui la tétanisait, il y avait toujours une lueur d'espoir qui brillait au fond de son être. Une conviction profonde qu'elle ne devait pas abandonner, qu'elle devait continuer à se battre, non seulement pour sa survie, mais aussi pour retrouver son frère, son dernier lien avec son passé, avec sa famille.

Maintenant, alors qu'elle lisait ses mots empreints de tristesse et de désespoir, elle sentait son cœur se briser en mille morceaux. Son frère lui manquait terriblement, tout comme elle lui manquait. Ils étaient les seuls restants de leur famille, les seuls témoins de leur passé commun désormais disparu.


Les larmes perlaient sur son visage alors qu'elle relisait une fois de plus les mots déchirants de son frère. Le chagrin et la douleur semblaient emplir chaque lettre, chaque ligne de son message. Elle savait qu'elle devait lui répondre, lui donner un signe de vie, un rayon d'espoir dans l'obscurité de leur réalité. Respirant profondément pour calmer les tremblements de ses doigts, elle écrivit un nouveau message à son frère, lui proposant un rendez-vous. Ils s'étaient mis d'accord pour se retrouver au parc d'attraction de Malden, un endroit qui représentait à la fois la joie et l'innocence de leur enfance. Situé non loin de la colline, ce parc avait été leur refuge pendant des années, un lieu où ils avaient ri, joué et créé des souvenirs inoubliables. Jordan avait insisté pour faire le plus long du chemin, pour affronter les dangers du monde extérieur afin de retrouver son frère. Elle était prête à tout pour le revoir, pour partager ne serait-ce qu'un instant de bonheur avec lui.

Jordan avait préparé des affaires au cas où, sachant que le temps pouvait être imprévisible, surtout dans ce monde ravagé par l'épidémie. Elle se souvenait encore du blizzard impitoyable qui les avait surpris lorsqu'ils étaient bloqués dans la maison de Dieu, leur abri temporaire. Cette expérience avait été un réveil brutal, une leçon sur l'importance de l'organisation et de la préparation dans un environnement aussi hostile. Attraper une grippe sévère à cette occasion, et presque perdre son meilleur ami, avait été un rappel poignant de la fragilité de leur existence dans ce nouveau monde.

Depuis cet épisode traumatisant, Jordan avait pris les devants. Elle avait soigneusement planifié ses déplacements, sélectionnant avec soin le matériel nécessaire à sa survie et à celle de son frère. Des provisions de nourriture et d'eau, des vêtements chauds et imperméables, des outils de survie et des premiers secours étaient soigneusement rangés dans son sac à dos.

Jordan avait appris que dans ce monde en ruines, la moindre erreur pouvait être fatale. Chaque sortie était une mission dangereuse, une lutte contre les éléments déchaînés et les horreurs qui rôdaient dans les ténèbres. Mais avec une planification minutieuse et une détermination inébranlable, elle était prête à affronter tous les défis qui se dressaient sur son chemin.

Alors qu'elle vérifiait une dernière fois son équipement, Jordan sentit une vague de confiance l'envahir. Elle savait que le chemin vers le parc d'attraction de Malden serait semé d'embûches, mais elle était prête à tout pour retrouver son frère.

La blonde avait pris soin de préparer son sac quand Kate n'était pas dans la pièce. Elle savait que si son amie découvrait ses préparatifs, elle insisterait pour l'accompagner, voire pire, elle en parlerait à Noah. Jordan ne voulait pas être responsable de la sécurité de quelqu'un d'autre, même si elle savait que Noah voudrait sûrement l'accompagner. Elle avait donc évité les deux Evans autant que possible et avait décidé de partir seule, ne laissant derrière elle qu'une note concise expliquant son départ précipité.

Se glissant silencieusement hors de sa chambre, Jordan avait emprunté une moto pour le chemin. La sensation du vent fouettant son visage et le ronronnement du moteur sous elle lui procurait un sentiment de liberté.

Le paysage défilait rapidement autour d'elle, les ruines de la ville témoignant de la destruction causée par l'épidémie. Mais malgré le chaos qui l'entourait, Jordan se sentait étrangement calme, concentrée sur son objectif de retrouver son frère, coûte que coûte. Elle savait que la route serait dangereuse, que chaque tournant pourrait révéler une nouvelle menace, mais elle était prête à tout pour le retrouver.

Alors qu'elle filait à travers les décombres, son esprit était rempli de détermination et d'anticipation. Elle était prête à affronter l'avenir avec courage et résolution, prête à tout pour retrouver son frère et retrouver un peu de paix dans ce monde ravagé par la catastrophe. Et avec chaque kilomètre parcouru, elle se rapprochait un peu plus de son destin, un peu plus près de retrouver celui qu'elle aimait plus que tout au monde.

Arrivant à destination, elle coupa le moteur de la moto et observa les environs. Le parc d'attraction ne ressemblait plus à grand-chose, ses attractions autrefois joyeuses désormais réduites à des carcasses métalliques rouillées. Un pincement au cœur la saisit alors qu'elle se remémorait les souvenirs heureux qu'elle avait vécus ici avec son frère. Mais elle chassa rapidement ces pensées de sa tête. Ce n'était pas le moment de s'attarder sur le passé, elle devait se concentrer sur la mission qui l'attendait : rejoindre Thomas.

Descendant de la moto, elle la cacha habilement dans un endroit à l'abri des regards, la recouvrant d'une bâche trouvée parmi les débris. Son arme bien en main, elle avança en silence à travers les décombres du parc, chaque pas résonnant comme un écho dans le silence oppressant qui régnait désormais ici.

Guidée par ses souvenirs et son instinct, elle se dirigea vers l'endroit où se trouvaient autrefois leurs manèges favoris. Les ruines environnantes semblaient imprégner l'atmosphère d'une aura de désolation, mais Jordan se concentra sur sa mission, la détermination brûlant dans ses veines.

Il était là, dos à elle, sa silhouette familière se dessinant contre le décor délabré du parc d'attraction. Jordan le reconnaissait instantanément, elle aurait reconnu cette silhouette parmi des milliers. C'était lui, elle en était certaine, Thomas, son frère. Pour un instant, elle trouva la situation irréelle. Comment pouvait-il être là, devant elle, alors qu'il était censé être à l'autre bout du monde ? Son cœur se serra douloureusement dans sa poitrine, sa gorge semblait se resserrer, et les larmes menaçaient de brouiller sa vue.

Un mélange d'émotions contradictoires l'envahissait alors qu'elle restait là, immobile, incapable de faire un geste. La surprise, l'espoir, la peur, tout se mélangeait dans son esprit tourmenté. Elle avait tant rêvé de ce moment, de retrouver son frère, de le serrer dans ses bras et de sentir à nouveau sa présence réconfortante à ses côtés. Et maintenant qu'il était là, si près d'elle, elle ne savait plus quoi faire, comment réagir.

“Thomas ?”

Vous avez reçu un message.
Vivre un rêve au cœur d’un enfer.

D’abord surpris d’avoir reçu un message dans ce nouveau monde, il n’avait pas eu besoin de se poser la question quant à l’identité de la personne voulant le contacter.
Il savait.
Il l’avait ressenti aussitôt, au plus profond de son être.
Il n’y avait qu’une seule possibilité, qu’un seul choix ; qu’une seule issue possible.
C’était obligatoire elle.
Jordan. Sa sœur. Son double.

Dans les instants suivants l’annonce du message, Thomas s’était rendu en vitesse au relais, dans le seul espoir d’avoir un signe ; LE signe qu’il avait attendu si longtemps.
Perdre espoir ? Non, jamais. Ce n’était pas dans sa nature. Au fond de lui, Lewis n’avait jamais abandonné l’idée de retrouver Jordan, de croire qu’elle était encore vivante. Mais, avec le temps, il avait commencé à perdre cette lueur qui brillait au fond de lui. Cependant, la découverte du message fût une délivrance pour l’homme qui, éclata en sanglots quand il prit conscience que Jordan était vivante, comme dans ses rêves.

Une année. Une si longue année. Depuis tout ce temps, JJ était là, à proximité. Il avait également pris conscience dans le message de Jordan qu’elle avait très mal vécue cette situation… L’espace d’un instant, il fut pris d’une grande culpabilité. A travers l’écran et à travers ces mots, Thomas n’avait qu’une envie : rassurer sa grande sœur et lui montrer qu’il est bien vivant. Mais pour cela, il devait encore attendre. Attendre un autre message. Attendre un rendez-vous : au parc de Malden, non loin de la Colline. JJ avait assisté pour faire la plus grande partie du chemin.

La veille, Thomas n’avait pas réussi à dormir, bien trop pressé à l’idée de retrouver son dernier pilier de sa vie. Dans sa tête, il s’était créer plusieurs scénarios. Mais d’un revers de la main, il balaya ces derniers, car il savait que de toute façon, aucun d’entre eux n’allaient être la réalité.

Thomas n’avait pas réussi à fermer l’œil de la nuit. Et pour la première fois depuis très longtemps, il était l’un des premiers à être debout au sein de la Colline. Thomas avait été discret quant aux faits qu’il allait rejoindre sa sœur. En réalité, il n’y avait que Baja à qui il avait dit la vérité. Avec discrétion, il s’était faufilé hors du camp. Le soleil à peine levé que Lewis était déjà sur le chemin du rendez-vous. L’estomac noué. Le cœur serré. Il avançait, pas à pas, vers un lieu qu’il connaissait bien et qui lui rappeler des souvenirs. Des bons. Des moins bons. A fleur de peau, Thomas n’était vraiment pas bien dans ses baskets. Mélange entre excitation, mais également anxiété quant à revoir sa sœur…

C’est étrange, car le moment qu’il attend depuis si longtemps et aussi le moment qu’il redoute le plus depuis ses dernières soixante-douze heures.

Durant le chemin menant au parc, Thomas repensait aux mots qu’il avait lu : ce message si poignant, si touchant, de sa sœur en plein désarroi, dans une profonde tristesse. Ils avaient vécu le même cauchemar d’être l’un sans l’autre. Alors, avait-elle ressenti la même douleur que lui durant tous ces mois ? Evidemment. Rien qu’à cette idée, le jeune homme avait les poings serrés. L’émotion avait laissé place à une haine profonde. Thomas n’a jamais apprécié l’injustice. Et pour le coup, c’était le mot qui définissait parfaitement la situation. L’espace d’un instant, il se demanda le parcours que sa sœur avait fait pour arriver là où elle était, par où était-elle passée pour être aujourd’hui ici, à lui répondre. Ici, à quelques kilomètres. Ici, à quelques minutes.

Le parc. Cet endroit qui lui faisait ressortir beaucoup de choses. Peut-être un peu trop. Il afficha un léger sourire quand il le traversa. Thomas avait bonne mémoire, et il se souvenait ô combien ils appréciaient se retrouver ici ; leur havre de paix. Mais aujourd’hui, c’était plutôt leur lieu de retrouvaille. L’endroit où Thomas allait revivre, car sans aucun doute, c’est au moment ou il a découvert le corps de ses parents dans leur maison familiale que sa première vie s’est arrêtée. Ce jour-là, il n’avait pas trouvé le corps de Jordan… mais avec les évènements tragiques entourant la ville, il savait qu’il y avait très peu de chances que sa sœur soit vivante.

Le manège préféré de JJ. Le passé laisse place au présent.
Le sourire aux lèvres, Thomas pose son sac, puis caresse doucement la structure, comme pour s’imprégner à nouveau des lieux. Il prend une grande bouffée d’air avant de prendre du recul et de contempler l’endroit de leur enfance. Puis, il lance un regard sur le sol. Pour l’occasion, il s’était habillé de sa meilleur tenue, sous les conseils de Baja. Thomas avait opté pour du beige, que ce soit pour le t-shirt ou le pantalon. Un ton clair pour un jour qu’il n’oubliera jamais ; qu’ils n’oublieront jamais. Il ne le sait pas encore, mais le moment est venu.

L’irréel devient réel. Le rêve, une réalité. Ses prières exaucées.
Perdus dans un enfer, mais ensemble. C’est ce que les Lewis allaient vivre.
ici et maintenant.

Une voix fragile vient interrompre ses pensées. SA voix. Il l’aurait reconnue parmi un milliard. Instantanément, sa gorge se serre. Il avale difficilement sa salive. Immobile pour le moment, il n’ose pas bouger par peur que ce moment tant rêve ne soit… qu’un énième rêve. Alors, il ne bouge pas.

Cependant, dans sa tête, c’est l’effervescence. Son cerveau est en ébullition. Il se pince fortement les lèvres, pour ne pas craquer, car il le sait, revoir sa sœur aura raison de lui, c’est inévitable. Sa mémoire lui remémore quelques souvenirs. Papa. Maman. Bien qu’ils ne soient pas présents physiquement avec eux, Thomas sait qu’ils regardent avec fierté et émotion les retrouvailles de leurs enfants.

Depuis le début de l’apocalypse, ils ont changé, dans tous les domaines. Peut-être qu’ils ne vont pas réussir à apprécier le moment. Peut-être qu’ils ne vont pas pouvoir agir comme ils le voudraient, car depuis tout ce temps, les mécanismes de défense sont bien trop présents. Peut-être que… Et puis merde, Thomas n’en peut plus. A l’intérieur de son corps, ses veines explosent. Peu importe ce qui pourrait arriver, rien ne l’empêchera de profiter de ce moment… inoubliable.

Alors, il décide de faire le geste… qui change leur destin.
Il se retourne.

La connexion se fait immédiatement.
L’émotion est à son comble pour le jeune Lewis.
L’air lui manque. Il suffoque intérieurement quand il croise le regard de sa sœur…
Elle est là. En un seul morceau. Vivante. Sans séquelle. Il n’y croit pas. Pourtant, JJ est là. Ses yeux n’arrivent plus à se poser ailleurs que dans les siens.
C’en est trop.
Il craque.

Il en tremble presque. Ses jambes sont en coton. Son cœur bât si fort qu’il pourrait sortir de son corps. Ses yeux deviennent humides. Il essaye de se retenir, mais il n’y arrive pas. Une larme coule sur son visage. Puis une seconde. Il se mord la lèvre inférieure, puis lance un regard vers le ciel.

Elle comprend.
Pas besoin de dire les choses. Elle sait.
Ils sont là, eux aussi, avec eux. L’absence de leur présence.

« J'ai tellement cru que... » bégaye-t-il, entre deux sanglots.

Le destin dit que deux âmes qui s’aiment se retrouvent toujours. Peu importe le temps. Peu importe le moment. Peu importe le lieu. Elles se retrouvent. Alors, Il fait le premier pas en direction de sa sœur pour une nouvelle destinée ; une nouvelle vie.

Jordan sentit son cœur battre la chamade alors qu'elle demeurait immobile, pétrifiée devant cette silhouette familière qui lui tournait le dos. C'était lui, celui dont elle avait tant rêvé, mais comment diable pouvait-il se tenir là, juste devant elle, alors qu'il était censé être à des milliers de kilomètres d'ici ? Elle sentit un frisson lui parcourir l'échine, se demandant par quel miracle il avait pu se retrouver là, en Amérique. Depuis combien de temps était-il ici ? Des questions tourbillonnaient dans son esprit, des interrogations qui jailliraient sûrement de ses lèvres bientôt. Mais pour l'instant, elle ne pouvait que rester là, attendant avec impatience la confirmation que c'était bien lui. Même si elle savait au fond d'elle-même qu'elle ne se trompait pas, il y avait toujours cette petite voix insidieuse qui lui murmurait que le cerveau humain était capable de jouer de mauvais tours.

Lorsqu'il pivota pour lui faire face, le monde sembla s'arrêter un instant pour Jordan. Son souffle se figea dans sa poitrine, captif d'un tourbillon d'émotions intenses. La joie, la peur, la colère, la tristesse se mélangeaient en un tumulte indescriptible. Son petit frère, lui, semblait partager ce même tourbillon d'émotions. Comme figés par une force invisible, ses pieds semblaient enracinés dans le sol, réticente à franchir ne serait-ce qu'un pas de plus. Peut-être avait-elle peur que tout cela ne soit qu'un mirage, un songe éphémère.

Mais Jordan se donna mentalement un coup de pied aux fesses, comme elle avait toujours su le faire. C'était à elle de prendre l'initiative, elle était l'aînée après tout. Alors, malgré le tremblement de ses jambes qui menaçait de la faire vaciller à chaque instant, elle se lança vers son frère. Elle enveloppa son corps de ses bras, comme pour s'assurer qu'il était bien réel. Son visage se nicha dans le creux de son cou, absorbant sa chaleur, son odeur familière. C'était bien lui.

Jordan se recula brusquement, un besoin impérieux de s'assurer que son frère était vraiment là, indemne. Ses doigts tremblants parcoururent son corps, effleurant chaque parcelle de sa silhouette familière, comme pour vérifier qu'il n'avait rien. Une fois convaincue qu'il était physiquement intact, elle posa ses mains sur ses joues, relevant son visage pour mieux l'observer.

Ses yeux balayèrent chaque trait, chaque expression, comme si elle voulait graver cette image dans sa mémoire pour l'éternité. Elle remarqua les petites marques sur son visage, témoins du temps qui avait passé depuis leur dernière rencontre et des situations qu’il avait du vivre depuis le début de cette merde. Ses doigts caressèrent tendrement sa peau, comme pour s'assurer qu'il était bien réel.

"Tho..." commença-t-elle à articuler pour l'appeler par son prénom, mais l'émotion lui noua la gorge, étouffant ses mots. Plus elle demeurait à ses côtés, plus la réalisation la frappait de plein fouet. Elle l'avait retrouvé. Son frère, son unique, son tout. Les larmes lui montèrent aux yeux, témoins silencieux de la profondeur de ses sentiments.

Elle relâcha doucement sa prise sur le visage de son frère et se laissa tomber à nouveau dans ses bras, cherchant à s'enraciner dans cette étreinte réconfortante. Dans cet instant, elle ne voulait rien d'autre que d'être là, blottie contre lui, comme si le temps pouvait se figer et les laisser ainsi pour l'éternité. Elle aurait voulu rester là, dans ses bras, pendant des heures, des jours, jusqu'à ce que chaque seconde de leur séparation soit effacée, noyée dans cette étreinte fraternelle.
"Tu m'as manqué," murmura-t-elle entre deux sanglots, les mots se frayant un chemin à travers l'émotion qui étreignait son cœur. Chaque syllabe était chargée d'une tendresse infinie, d'une nostalgie douloureuse pour les moments perdus.

"Je t'aime tellement," souffla-t-elle, les mots porteurs de tout l'amour qu'elle avait gardé en elle pendant leur séparation.

Thomas pouvait voir dans le regard de sa sœur à quel point elle était déboussolée par la situation. Profiter de l’instant présent. C’était ce qu’ils devaient faire. En tous cas, c’était ce que le jeune Lewis voulait faire en retrouvant sa sœur. Elle était là, à quelques mètres de lui. Sans un mot, pour le moment. Sans un geste, mais avec tellement de sentiments et d’émotions dans le regard, Thomas avait rêver de ce moment, chaque nuit.

Le rêve en plein cauchemar.
Ici. Maintenant. Il peut se passer n’importe quoi autour de Thomas qu’il n’y ferait pas attention. Là, la seule chose qui l’intéresse, c’est sa sœur. Le regard plongé dans le sien, il constate en elle une multitude d’émotions qui s’associent les unes aux autres. Thomas, lui, réagit de façon différente, car depuis que la connexion des Lewis s’est établie, tous les sentiments négatifs du jeune homme disparaissent, laissant place qu’à une vague de positivité, d’amour et de tendresse.

Pour le moment, Thomas se demande si ce qu’il vit/voit est bien réel. Mais très rapidement, quand Jordan se lance dans ses bras, Thomas comprend que ce n’est pas un rêve. La blonde s’imprègne de son frère un maximum alors que le garçon, lui, reste immobile. Le temps s’arrête.

Sa vie reprend. Il finit par la serrer dans ses bras. A cet instant, il se rend compte que tout ça est bien réel. Dans son esprit, tout s’accélère. Une multitude d’images défilent dans sa tête, toutes ses émotions s’entremêlent pour donner un résultat final inédit. Mélange entre mélancolie, espoir, amour, excitation, émotion, force et faiblesse. Il y a beaucoup trop de choses qui arrivent en même temps. Ce moment est intense pour Thomas qui, réalise enfin. Sa sœur est vivante. Sa sœur est là, dans ses bras. Alors, il la respire de plein poumon ! Ses sens sont en effervescences !

Ses bras enlacent le corps de Jordan comme pour la protéger de l’extérieur, et de leur créer un petit cocon à l’intérieur. Ses narines retrouvent l’odeur corporelle de sa sœur qui lui manquée tant. La chaleur de son corps réchauffe son cœur. Et il adore ça.

Pour bien, il voudrait que le récit de cette aventure s’arrête ici. Happy ending, frère et sœur se retrouvent. Fin de l’histoire.

Mais non, Thomas sait que cet instant n’est que la fin d’un tome d’une grande histoire ; de leur histoire ! JJ est la première à se reculer, mais Thomas garde le contact avec sa sœur, physiquement et visuellement. Ils s’assurent mutuellement qu’ils vont bien, qu’ils sont indemnes. Puis, JJ pose ses mains les joues de son frère, puis lui relève la tête.

Les yeux dans les yeux.
Les larmes qui coulent l’une face à l’autre.

Jordan peut voir dans les yeux profonds de Thomas une peine immense, mélangé d’un amour inconditionnel. Le temps et cet univers ont fait grandir/vieillir un peu plus vite le corps et l’esprit, c’est ce qu’ils constatent ensemble.

Ensemble.
Ils sont ensemble.
A cette simple idée, le sourire de Thomas s’affiche. Ce sourire que Jordan aimait tant autrement. Il réapparait. Lui qui avait disparu depuis deux longues années. Quand Jordan essaye de l’appeler par son prénom, l’émotion est trop grande. Elle n’y arrive pas. Alors, par reflexe, pour surtout parce qu’il relâche la pression, Thomas rigole… tout en lâchant sa petite larme.

« Tu es tellement belle… » lâche-t-il, avant de venir lui donner un bisou sur la joue. « Tu m’as tellement manqué… Je ne t’abandonnerai plus jamais. » enchaîne-t-il, avant de lui essuyer l’une de ses nombreuses larmes.

JJ retombe dans les bras de son frère. Cette fois-ci, cette étreinte n’est pas là pour réaliser, non, elle est là juste pour se réconforter, pour réchauffer l’âme ; par plaisir. Délicatement, Thomas vient caresser les cheveux de sa sœur avec sa main. Doucement, il lui fait comprendre qu’à présent, il sera là, pour toujours. Ils ne seront plus séparés.

« Je t’aime tout autant, ma sœur. » murmura-t-il, pour lui répondre.

Cet instant n’appartient qu’à eux. Ils le savent.
Alors, ils prennent tout le temps du monde pour en profiter. Cela fait si longtemps… Cette aventure depuis le premier jour fût si difficile. Chacun de son côté, ils sont passés par des moments tragiques, horrible et insupportables.

Sans l’un. Sans l’autre.
Sans elle.
Sans lui.

Aujourd’hui, tout s’arrête.
Ils sont de nouveau ensemble.

Thomas recule doucement, juste pour contempler son double. Il sourit à nouveau, ce qui fait sourire aussi sa sœur. Il prend une grande respiration, puis souffle aussi fort qu’il peut comme pour faire évacuer toute la tension qu’il peut avoir en lui. Il fixe Jordan.

« Maintenant, je sais pourquoi j’ai réussi à survivre jusqu’à ce jour. ; juste pour voir ce beau sourire qui s’affiche sur ton visage. »

Les Lewis sont réunis.
Le rêve de Thomas s’est réalisé. Alors, il regarde le ciel, puis remercie quiconque se trouve aux commandes de cet univers. Aujourd’hui, il s’agit sûrement du plus beau jour de sa (deuxième) vie. Il lance un regard à sa sœur, puis la dévisage.

« Tu as un look plutôt bad-girl comme ça, j’aime bien. » conclut-il, de façon taquine, pour détendre l’atmosphère et entamer avec délicatesse une discussion.

Dans la vie, il faut toujours garder espoir, car on ne sait pas de quoi sera fait demain. Et quand on désire quelque chose, il ne faut jamais arrêter d’y croire. Jamais. Car les miracles existent. Les Lewis en sont la preuve.

Jordan voulait rester blotti dans les bras réconfortants de son frère, son cœur battant au rythme régulier de son souffle. Elle sentait la chaleur de son corps contre le sien, un rempart contre la froideur de la réalité. Elle avait peur de rêver, redoutait de se réveiller et de contempler le plafond austère de sa chambre, avec ses milliers de craquelures qui semblaient se moquer d'elle, témoins silencieux de ses heures d’insomnies. Elle pouvait presque dessiner les motifs des fissures du plafond par cœur, parfois, au milieu de la nuit, elle percevait les ronflements assoupis de sa colocataire. Sa colocataire, qu'elle avait maladroitement repoussée lorsqu'elle lui avait tendu la main pour l'aider à retrouver son chemin dans ce chaos.

Les regrets l'assaillaient, mais dans les bras de Thomas, elle trouvait un réconfort temporaire. Elle s'imprégnait de son odeur familière, du rythme apaisant de son cœur contre son oreille, et elle se sentait en sécurité. Les larmes coulaient silencieusement sur ses joues, mêlant le bonheur et la peur dans un flot tumultueux d'émotions. Malgré la terreur omniprésente de leur situation, elle savait que c'était le plus beau jour de sa vie, toutes circonstances confondues. Rien ne pouvait évincer ce sentiment, pas même les ravages de l'apocalypse qui les entouraient.

Sentant son frère se reculer, Jordan releva légèrement la tête, ses yeux rencontrant les siens dans l'obscurité qui enveloppait leur refuge. Un sourire en coin étira ses lèvres alors qu'elle entendait sa phrase. Ce n'était certes pas le moment le plus glamour de leur existence, le visage rempli de larmes et le nez coulant de morve, mais ils s'étaient vus dans des états bien pires lorsqu'ils étaient plus jeunes.

Elle passa son avant-bras sous son nez pour essuyer le léger filet de mucus qui traînait, et elle ne put s'empêcher de rire doucement. Puis, avec une fausse indignation, elle tapa légèrement du poing dans le ventre de son frère quand il annonça qu'elle avait un look de bad-girl. Il n'avait pas tort, l'apocalypse les avait changés, les avait endurcis, et elle portait désormais cette aura de résilience, de détermination à survivre à tout prix.

Son frère aussi avait évolué, son visage enfantin s'était métamorphosé en une expression plus sérieuse, plus adulte. Ils étaient tous les deux des témoins vivants des ravages du temps, des épreuves qu'ils avaient traversées ensemble. Et malgré tout, dans ce moment d'intimité fraternelle, ils retrouvaient un peu de la complicité qui avait toujours lié leur lien indéfectible.

"Et toi, regarde-toi," dit Jordan d'un ton teinté d'amertume, ses yeux scrutant le corps robuste de son frère avec une certaine fierté mêlée de regret, "même plus besoin de ta sœur pour te protéger..." Elle marqua une pause, laissant ses mots suspendus dans l'air chargé d'émotion. Ses iris reflétaient le poids des années, des épreuves qu'ils avaient traversées, des rôles qu'ils avaient dû endosser trop tôt. "J'aurais tellement aimé être à tes côtés dès le départ de cette merde." Un soupir s'échappa de ses lèvres alors qu'elle repensait aux moments perdus, aux instants où elle aurait voulu être là pour lui, à chaque pas de cette terrible épopée qu'ils avaient dû affronter chacun de leur côté.

"Comment ? Je veux dire, tu étais en France, puis, te voilà à Malden, j'ai manqué un épisode..." la blonde secoua légèrement la tête, essayant de comprendre les intrications de l'histoire mouvementée de son frère. Mais elle savait que les événements récents avaient été loin d'être simples. "Puis tu as dû..." elle laissa sa phrase en suspens, consciente des horreurs qu'il avait probablement dû affronter.

Il avait dû se rendre à la maison familiale pour la chercher, un voyage empreint de crainte et d'appréhension. Il était sans doute tombé sur le cadavre de leurs parents, gisant dans une scène macabre qui hantait encore ses pensées. L'image de leur ancien foyer transformé en tombeau silencieux.

"Je suis désolé pour papa et maman..." Les mots de Jordan résonnaient dans le silence pesant du parc, chargés de tristesse et de remords. Elle baissa les yeux, incapable de soutenir le regard de son frère, la douleur de leur perte pesant lourdement sur ses épaules.

Ce moment, Thomas l’avait vécu des dizaines de fois, mais à chaque fois, c’était toujours la même chose. Il ouvrait les yeux. Un rêve, ce n’était qu’un rêve. Pourtant, là, il n’était pas en train de vivre un évènement à l’intérieur de son subconscient. Non, c’est la réalité vraie. Ils sont là, en plein milieu d’un parc qui pourrait renfermer de grands dangers, en train de s’enlacer, profiter, apprécier, et partager leur retrouvaille l’un envers l’autre.

A cet instant, rien ne pouvait toucher Thomas. Peu importe qui, quoi, comment, pourquoi, il ne bougerait pas de cet endroit avant un très long moment. Certes, JJ n’était pas sur son meilleur profil, mais pour son frère, elle était belle… si belle, et surtout, si vivante. Lui, qui avait eu énormément de pensées négatives concernant sa sœur. Il n’aurait jamais cru qu’un jour, il aurait pu la revoir comme ça, dans son état normal, bien qu’elle avait changé, bien que le temps l’avait changé, bien que l’apocalypse l’avait changé. Au fond de lui, Thomas savait que Jordan était toujours la même, simplement différente. Tout comme lui.

Toujours un peu blagueur, ils retrouvaient déjà un peu de leur complicité d’antan. Ils avaient changé, c’était indéniable, mais au fond, les automatismes d’une vie reprennent très vite l’avantage. « Effectivement, il faut croire que si je suis encore en vie aujourd’hui, c’est que je ne me suis pas trop mal démerdé jusqu’à maintenant. Cela t’étonne ? » demanda-t-il, le sourire aux lèvres, presque fière de cette prouesse.
Dans le regard de sa sœur, il pouvait voir, comme depuis tout à l’heure, une double expression. « Mais tu sais très bien que j’aurais toujours besoin de toi. » confia-t-il, avant de lui pincer légèrement l’une de ses joues avec amusement.

« Je sais. Moi aussi. Mais bon, on ne peut pas repartir en arrière malheureusement… J’aurais voulu que la fin du monde prenne rendez-vous, comme ça, j’aurais pu m’organiser pour venir à la maison une semaine avant. Tout aurait été plus simple… si différent. » A son tour, Thomas marque une pause et s’imagine les choses d’une façon différente. Et si, ils auraient été ensemble dès le début ? Leurs parents ne seraient pas morts. Le problème, c’est qu’avec des si, on refait le Monde. Thomas le sait, alors il soupire un bon coup avant de reprendre son sourire légendaire.

« Je voulais faire la surprise à la famille, en revenant à la maison… Il faut croire que je n’ai pas eu le bon timing. » ironisa-t-il, avant de regarder vers le sol. Car s’il demande à JJ de ne pas culpabiliser, c’est exactement ce qu’il fait de son côté.

Le tombeau familial.
Oui, Thomas s’en souvient encore.
Il s’en souviendra toute sa vie, pour toujours.
Ce fût, pour lui, le pire moment de sa vie. La découverte des corps de ses parents dans une scène si macabre. Les images qu’il garde en tête resteront gravés en lui à jamais.

Jordan s’excuse pour papa et maman. Rien qu’en entendant ces deux mots, Thomas serre la mâchoire pour éviter de craquer de nouveau. Et surtout, il ne veut pas le faire devant JJ qui, il l’a bien compris, en a lourd sur la conscience. Alors, Il respire profondément. « Moi aussi, Jordan. Je suis désolé. »

Le jeune homme voit à quel point sa sœur est mal. D’un geste de sa main, il attrape le menton de la blonde pour lui relever la tête, avant de poser son front contre le sien.  « Ne culpabilise pas, ma sœur. Pas maintenant. Pas dans ce monde. Pas comme ça. Ils n’auraient pas voulu de ça. Tu n’es fautive de rien. » chuchota-t-il, avant de lui donner un baiser sur le front.

« Alors, dis-moi. Je veux tout savoir. Comment se passe ta nouvelle vie ? Tu es à la Tanière, c’est ça ? Tu fais quoi là-bas ? Tout se passe bien ? » demanda-t-il, rempli de curiosité et d’envie de tout rattraper en un instant.

Thomas recule, puis regarde aux alentours, car même si ses retrouvailles sont belles, il ne faut pas oublier dans quel monde ils évoluent. Vigilant, Lewis fait un léger tour d’horizon. Pour le moment, il n’y a aucun danger. « Tu es venu seule ? » demanda-t-il. « C’est quoi les plans ? »

La main posée sur son menton, Jordan fut obligée de redresser la tête pour plonger à nouveau ses yeux dans ceux de son frère. Pourquoi s'excusait-il ? Comment pouvait-elle ne pas se sentir coupable de la mort de ses parents et, surtout, du geste qu'elle avait eu face à ceux qui les avaient abattus lâchement ? En le voyant s'approcher, elle ferma les yeux un instant pour savourer la chaleur du baiser qu'il venait de déposer sur son front. Cela apaisa ses pensées pendant une fraction de seconde, mais les jours de traque revenaient sans cesse, sa vendetta, sa vengeance, là où elle avait retiré la vie de trois hommes de sang-froid. Certains comprenaient son geste et lui donnaient raison, mais pour elle, elle ne valait pas mieux qu'eux. Elle était policière, elle aurait dû réagir autrement. Pourtant, la haine et la colère accumulées durant toute une vie avaient pris le dessus. Malgré tout, elle n'arrivait pas à se le pardonner. Elle devait apprendre à vivre avec, à vivre avec le sang sur ses mains.

Le souvenir de cette nuit revenait sans cesse, comme une ombre pesante sur son âme. Les cris, les coups de feu, le silence assourdissant qui avait suivi... Elle revoyait chaque détail avec une précision douloureuse. Ses parents, étendus là, sans vie, et ces hommes, froids et cruels, qui riaient encore de leur acte abominable. La rage avait embrasé son cœur, et dans un élan de désespoir, elle avait décidé de faire justice elle-même. Mais cette justice avait un prix, celui de son innocence, de son humanité.

Jordan savait que son frère cherchait à la réconforter, à alléger son fardeau, mais rien ne pouvait effacer les images, rien ne pouvait laver le sang de ses mains. Chaque nuit, elle revivait ce moment, chaque jour, elle portait ce poids. Elle devait continuer, pour ses parents, pour elle-même, pour ceux qui comptaient sur elle. Mais au fond, elle se demandait si elle parviendrait un jour à trouver la paix, à se pardonner.

"Je suis fautive de beaucoup, Thomas... Je ne suis plus cette sœur innocente, je ne suis plus cette femme forte. Je ne suis que l'ombre de moi-même," murmura Jordan, la voix tremblante. Son regard, autrefois vif et déterminé, était désormais voilé par la douleur et le remords.

"Ma nouvelle vie est faite de cauchemars incessants, de manque de sommeil, je suis fatiguée. Heureusement, j'ai rencontré des gens bien, j'ai tissé des liens forts avec certains membres de la tanière. Je suis professeur de combat, on va dire que ça se passe bien, mais aujourd'hui, c'est le meilleur jour de ma vie, de cette nouvelle vie," dit-elle, la voix tremblante d'émotion. Elle venait de le retrouver, après un an de survie, après chaque jour à perdre espoir de le revoir un jour. Il était là, face à elle, en chair et en os.

"Et toi ?" demanda Jordan en suivant le regard de son frère, observant l'horizon pour écarter tout danger. Elle se sentait fière de lui. Il était devenu un homme, un survivant.

"Je suis venue seule," dit-elle en prenant une profonde inspiration. "Les plans ?"

Elle sentit son cœur battre plus fort alors qu'elle formulait sa proposition, espérant de tout cœur que sa réponse serait positive. "Si je te demandais de me rejoindre à la tanière ?" demanda-t-elle, sa voix emplie d'espoir.

Jordan regarda attentivement les traits de son frère, guettant sa réaction. Elle savait que la décision n'était pas simple, peut être que lui aussi avait tissé des liens forts à la Colline.

Les yeux dans les yeux. Malgré le temps qui passe, leur connexion est toujours la même. Jordan n’a pas besoin d’ouvrir la bouche pour que son frère comprenne ce qu’elle veut dire, ce qu’elle pense, ce qu’elle veut. Depuis leur enfance, ils ont toujours fonctionné comme ça, et même l’apocalypse n’aura jamais raison d’eux. Ils se connaissent par cœur… bien que, les choses ne sont pas totalement comme avant. L’innocence n’est plus présente. La positivité laisse place à un spectre de rancœur et de désespoir. La confiance n’existe plus. Seule l’amour est encore là, dans les pupilles de Thomas, de Jordan. Et bien qu’ils soient dans un univers morbide, le jeune homme garde le sourire, car pour lui, aujourd’hui, c’est le jour le plus beau de sa vie ; de sa nouvelle vie.

« Je sais ô combien c’est difficile d’évoluer dans un monde comme celui-là. Parfois, souvent, tout le temps, nous sommes obligés de faire des choix… qui auront forcément des conséquences. Tu n’es pas fautive ma sœur, tu as fait ce qui te semblait juste. »

Certes, Thomas veut réconforter sa sœur, mais il dit également la vérité, car dans ce nouveau monde, il n’y a jamais rien de facile. Toutes les décisions, tous les choix, même ceux les plus faciles, sont délicats. « Je ne suis plus non plus le même qu’avant tu sais… » avoue-t-il, avant de soupirer. Les choses sont différentes, malgré lui, malgré elle, malgré eux. Mais maintenant qu’ils se sont retrouvés, ils vont devoir faire avec.

Dans sa voix, JJ tremble. C’est à ce moment-là que Thomas comprend vraiment l’ampleur des dégâts. Il comprend que sa sœur vit un enfer depuis le début. Alors, il vient la serre contre lui, parce que c’est plus fort que lui. Il n’y arrive pas. Il n’arrive pas à laisser sa moitié souffrir sous ses yeux sans qu’il puisse agir. Dans cette étreinte, il serre fort, pour lui montrer que maintenant, il est là. Pour lui faire comprendre que maintenant, elle peut relâcher la pression, en tous cas, un minimum. « Maintenant, tout ira bien. Fais-moi confiance sœurette. » chuchote-t-il, optimiste, avec le sourire.

Cauchemars incessants. Manque de sommeil. Fatigue. Jordan lui révèle qu’elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. « J’aurais voulu que les choses se passent différemment… » lâche-t-il. Il soupire, car il le sait, ce n’est pas parce qu’ils se sont retrouvés que toutes ces choses vont s’effacer en un claquement de doigt. Leurs parents sont morts. Que ce soit Thomas, ou Jordan, ils ont vu. Mais, une question brûle les lèvres du jeune homme. Il hésite, puis se lance : « Ce jour-là, il s’est passé quoi… ? J’ai besoin de savoir ? » demande-t-il, timidement, car il sait que ce n’est pas forcément le moment, ni l’endroit.

Jordan lui parle de sa vie à la Tanière. Il l’écoute, attentif, puis lâche quelques sourires. Sa sœur semble avoir trouvé, malgré tout, réussi à se construire son petit monde. De plus, elle a réussi à tisser des liens importants avec d’autres personnes. C’est une bonne chose. Et même si la Tanière n’a pas une bonne réputation d’un point de vue externe, Thomas se rend compte que, finalement, ce groupe n’a pas l’air si dangereux que ça, sinon, sa sœur ne serait pas là-bas. « Je suis content si tu as réussi à trouver un petit équilibre là-bas… Moi ? C’est un peu pareil, je suis plutôt bien à la Colline. J’ai un rôle et un travail qui me plaît. Avec le temps, j’ai réussi à construire des liens avec certaines personnes. Ce n’était pas facile, mais bon… Il faut bien avancer, car dorénavant, dans ce monde de merde, soit tu marches, soit tu meurs. »

Thomas hausse les épaules. Il fixe Jordan, puis sourit quand elle dit que c’est le plus beau jour de sa vie. Frère et sœur partagent exactement la même sensation, le même sentiment. JJ lui dit qu’elle est venue seule. Et cela n’étonne pas son frère, car il avait opté pour le même choix. Il n’avait pas voulu ébruiter la nouvelle, et surtout, il n’avait pas voulu prendre de risque quant à faire venir à ses côtés quelqu’un d’autre pouvant faire, potentiellement, du mal à Jordan. Hors de question.

Les plans. La suite des évènements. Maintenant qu’ils étaient ensemble, qu’allaient-ils faire ? C’était la question que Thomas s’était posé tout au long de son chemin pour venir jusqu’au parc. « J’sais pas. Maintenant qu’on est ensemble, on fait quoi, en fait ? » demande-t-il, l’air interrogateur. Mais immédiatement, sa sœur lui demande de la rejoindre à la Tanière. Ah. Oh. Forcément. Il aurait dû s’en douter. « Je ne sais pas. Je ne suis pas certain que je puisse partir de la Colline aussi facilement. Ils comptent sur moi. Et puis… Il y a Baja. » explique-t-il. Baja. La fameuse. Timidement, Thomas pose son regard sur sa sœur. Elle comprend que, ce n’est pas maintenant qu’elle va le ramener à sa Tanière. Le jeune homme soupire, car c’est un vrai dilemme. Une torture. Alors qu’il vient de retrouver sa sœur, il pense déjà que bientôt, il va devoir la quitter, mais pour combien de temps ? Non, impossible de la laisser repartir, maintenant qu’elle est près de lui. Alors, il rétorque à son tour, comme pour lui redonner la balle : « Et si, moi, je te demandais de rejoindre la Colline ? » demande-t-il.

La douleur de se séparer n'est rien face à la joie de se retrouver ?

La présence réconfortante de Thomas enveloppait Jordan d'un calme qu'elle n'avait pas ressenti depuis longtemps. La chaleur de son étreinte, la sécurité de ses bras lui donnaient envie de s'y blottir pour l'éternité. Son petit frère lui avait tellement manqué. Pendant toutes ces années, elle avait toujours fait preuve de force pour lui, portant le fardeau des épreuves qu'ils avaient traversées ensemble sans jamais flancher. Maintenant, dans ce moment de répit, elle se permettait de relâcher cette tension accumulée, sachant qu'il ne la jugerait jamais pour laisser couler ses larmes.

Jordan s'agrippa aux vêtements de Thomas, son visage niché dans le creux de son cou. Pour la première fois depuis longtemps, elle sentait le poids de son âme s'alléger, comme si une pierre qu'elle avait portée trop longtemps venait de s'effriter. Leurs souffles synchronisés, elle se détacha doucement de l'étreinte de son frère. "J'aurais aimé aussi..." murmura-t-elle, la voix tremblante de souvenirs douloureux. Pourtant, la question suivante de Thomas la frappa comme un coup de poing dans l'estomac. Cette demande rouvrit les blessures de ce jour maudit, ressuscitant l'horreur de ce qu'elle avait dû endurer et les décisions cruelles qu'elle avait prises quelques jours plus tard.

Il avait le droit de savoir, bien sûr, mais comment pourrait-elle tout lui dire ? Comment pourrait-elle lui avouer qu'elle avait abattu de sang-froid les trois hommes qui avaient assassiné leurs parents ? Jordan frissonna à cette pensée. Elle redoutait de voir la lueur dans les yeux de Thomas changer, de se transformer en quelque chose de méfiant ou, pire, de peur. Elle ne pourrait pas supporter que son frère la voie comme un monstre. Alors, comme elle l'avait fait tant de fois auparavant, elle esquiverait cette partie sombre de son récit, se contentant de relater les faits concernant leurs parents.

"Le premier jour, les parents ont été touchés par la pluie. Ils rentraient de chez les Wright après un dîner. J'ai essayé de les accompagner jusqu'au bout. Ils m'avaient fait promettre..." Sa voix se brisa un instant, une boule amère se formant dans sa gorge alors qu'elle tentait de reprendre son souffle. "Ils m'avaient fait promettre de mettre fin à leur vie avant qu'ils ne... ne se transforment en ces choses." Jordan s'arrêta un moment pour rassembler son courage, ses yeux fixés sur le sol. Elle se souvenait encore du poids de cette promesse, de l'angoisse de savoir qu'elle devrait la tenir. "J'étais sortie pour récupérer des vivres. Quand je suis revenue, trois hommes sortaient de la maison, les bras chargés d'objets. J'ai attendu qu'ils s'éloignent et... c'est là que j'ai découvert..." Sa voix se réduisit à un murmure alors que ses yeux se remplissaient de larmes. "J'ai découvert qu'ils étaient morts, abattus comme de vulgaires animaux... Je suis désolée, Thomas..." Elle serra la main de son frère, ses doigts tremblant légèrement. "Je n'ai rien pu faire." En réalité, elle avait fait bien plus, mais le prix à payer était une tache indélébile sur son âme, une ombre qui la suivait à chaque instant.

Le changement de sujet vers leur vie dans leurs camps respectifs la fit sourire. Ce sourire s'élargit encore lorsqu'elle entendit la mention d'une femme nommée Baja. Elle tapota doucement l'épaule de son frère avec un air taquin. "Oh, alors mon frère a enfin trouvé sa princesse, hein ?" plaisanta-t-elle, son cœur léger à cette pensée. Elle était sincèrement heureuse pour lui et curieuse de rencontrer cette femme qui semblait avoir trouvé une place spéciale dans la vie de Thomas. "Comme quoi, on peut trouver son âme sœur même au milieu de l'apocalypse." Mais pour elle, l'idée de trouver quelqu'un semblait lointaine et presque impossible. Comment pouvait-elle aimer quelqu'un d'autre alors qu'elle peinait à s'aimer elle-même ?

La question de Thomas sur leur avenir maintenant qu'ils s'étaient retrouvés et sa suggestion de rejoindre la colline effacèrent son sourire. Elle savait qu'elle ne pouvait pas accepter cette offre. Elle ne se sentait pas en phase avec les principes et l'environnement de ce camp. Elle ne voulait pas non plus trahir Noah et Cailean, avec qui elle avait noué des liens profonds. "Je ne peux pas accepter cette offre... Je t'aime plus que tout, mais je comprends que tu ne veuilles pas rejoindre la Tanière, et je ne t'en voudrais jamais pour ça. Nous avons chacun nos responsabilités, nos liens. Mais maintenant que je sais où tu es, je viendrai te rendre visite aussi souvent que possible." Elle déposa un baiser tendre sur la joue de son frère, reculant avec un sourire et un sourcil arqué. "Alors, dis-moi, comment est cette Baja ?"

Ensemble, ils sont invincibles.
Pourtant, les Lewis avaient vécu beaucoup d’horreurs depuis leurs tendres enfances. Et encore plus depuis le début de l’apocalypse. Jamais l’un avec l’autre depuis plus d’un an. Aujourd’hui, ils se retrouvaient pour ne plus jamais se perdre. Non, plus jamais. D’un petit frère fragile et docile, Jordan avait retrouvé un grand frère fort et indépendant. Ses bras autour d’elle, Thomas prenait son rôle à cœur. Il savait que sa sœur avait besoin de lui, qu’elle avait besoin de ça ; un peu de douceur, d’affection, et surtout, de lâcher-prise. Elle pouvait pleurer autant de larmes qu’elle voulait, elle pouvait même crier, hurler, peu importe, son frère serait là. Pour toujours et à jamais. C’était ce qu’il essayait de lui faire comprendre à travers cette étreinte d’amour et de tendresse à son égard.

Maladroitement, sûrement, Thomas lui avait demandé des réponses aux questions qu’il se posait depuis le premier jour de cet enfer. Lui, il n’avait eu que le résultat d’un tableau sinistre. Lui, il n’avait pas eu écho de tous les chapitres de ce récit sanglant, de cette histoire tragique des Lewis. Lui, n’était au courant que de la fin, sans y connaître les tenants et les aboutissants. Il savait que cette question allait ouvrir à nouveau certaines blessures, il avait besoin d’avoir des réponses. Une fois cela fait,
Les Lewis pourraient, ensemble, enterrés ces évènements pour toujours.

Avec attention, Thomas écoute sa sœur avec émotion. La gorge serrée, il essaye d’imaginer chaque scène qu’elle raconte. Cela lui fait du mal, mais c’est nécessaire pour lui de visualiser les choses. Le récit est lourd, et il comprend que sa sœur le porte encore aujourd’hui sur son dos. Au fond de lui, il espérait entendre quelque chose de plus… sobre. Mais non, c’était tout le contraire. Le visage du jeune homme se décomposait au fur et à mesure que sa sœur lui racontait l’histoire. Mélange entre une profonde tristesse et une rage intense, Thomas avait la sensation d’être un boxeur en plein combat en train de prendre des uppercuts en pleine gueule. « Ce n’est pas possible… Pas comme ça… Ils n’auraient jamais fait de mal à personne… » murmura-t-il. « Pourquoi tu ne m’as pas appelé avant tout ça ? […] Et ces trois hommes, ils ne t’ont pas fait de mal ? » ajouta-t-il, par curiosité. « Cela devait être tellement difficile de tenir cette promesse… »

Thomas serra la main de sa sœur. Ensemble, ils étaient ensemble à présent. C’était ce qu’il essayait de retenir. Pourtant, son imagination était en ébullition. Il retraçait exactement tout le récit que JJ venait de lui dire. Et il ne peut s’empêcher de se demander si les choses auraient été différentes s’il avait été présent… Bien sûr que non, cela n’aurait absolument rien changé.

Jordan tremble. Thomas soupire. Une larme coule sur sa joue, puis il affiche tout de même un léger sourire. « Ce n’est pas de ta faute ma sœur. Je crois que si tu aurais été présente avec papa et maman, tu aurais fini exactement de la même manière… et je ne pourrais pas te serrer dans mes bras aujourd’hui. » admet-il, en acquiesçant de la tête. Ce qu’il dit est dur, mais réel. Ses parents sont morts, c’est un fait, mais sa sœur est encore vivante, elle. « Et je n’étais pas là pour t’épauler… » dit-il, d’une voix faible. « Cela devait être si difficile… J’ai vu la même scène, à quelques jours d’intervalles… » Ce jour-là, Thomas s’en rappellera à jamais. Lui qui venait faire une surprise à sa famille en revenant à Malden. Dès son atterrissage, l’apocalypse avait frappé à sa porte. Aider par Hanaë Stanford, il avait réussi à sortir de l’aéroport afin de rejoindre la maison, mais c’était déjà trop tard. Il était arrivé trop tard. Il n’y avait croisé que du sang et des larmes. Souvenir douloureux.

Sujet différent, puisqu’ils parlent du présent. Jordan retrouve le sourire quand Thomas évoque Baja. Taquine, Thomas retrouve un peu de sa sœur. Il sourit à son tour. « Tu noteras la prouesse de ton frangin ; il lui aura fallu d’une apocalypse pour qu’il trouve sa princesse, comme tu dis. » Le jeune homme rigole légèrement, amusé par son propre commentaire. « Et toi, alors ? Il n’y pas de prince ou de princesse dans ta vie ? » demanda-t-il, en retour.

Partir de la Colline, et aller à la Tanière.
Partir de la Tanière, pour aller à la Colline.
La question était simple, mais les réponses n’étaient pas les bonnes, ni d’un côté, ni de l’autre. « Je comprends… » dit-il, sans vraiment le penser. « Nous avons des responsabilités, et je pense qu’on ne peut pas quitter un groupe dans lequel on se sent bien. Jamais, je voudrais que tu quittes un endroit ou tu te sens bien, ou tu as trouvé un équilibre. Mais, du coup, on vient de se retrouver, et on va se quitter ? Comme ça, et revenir à notre routine, à notre quotidien, avec cette peur qu’il arrive quelque chose à l’autre ? » rajoute-t-il, d’une voix un peu plus grave. Au fond, il respectait et comprenait le choix de sa sœur, puisqu’il choisissait exactement le même. Pourtant, son âme de petit frère aurait voulu entendre autre chose ; une réponse positive. « Nous aurons toujours la radio du relai pour communiquer, mais bon… Pour être honnête avec toi, en toute sincérité, je ne sais pas combien de temps je tiendrais, comme ça, loin de toi. »

Thomas savait pertinemment que sa sœur n’allait pas changer d’avis, mais il avait besoin de lui dire son ressenti, de lui faire comprendre que, sur le long terme, ça ne sera pas envisageable pour lui. Heureusement que la Colline et la Tanière ne sont pas si loin l’un de l’autre, et que le relai sera là pour qu’ils puissent interagir et se donner des nouvelles.

Puis, Jordan lui dépose un baiser avant de sourire, voulant en savoir plus sur Baja. « Baja. Elle est… différente. J’ai hâte que tu puisses la rencontrer. » Non, vraiment pas. Si tu savais. « Tu sais, je n’arrive toujours pas à croire ce qui se passe entre nous. Il y a une alchimie que je n’ai jamais ressenti ailleurs, que je n’ai jamais eu avec aucune autre. Entre elle et moi, c’est si spécial que je peine à y croire. Je ne comprends pas qu’on puisse vivre une idylle pareille dans un monde comme ça. Elle est si douce, si attendrissante, si attachante. » conclut-il, les étoiles dans les yeux.
Et bientôt, des lames de sang dans le cœur.

Jordan sentait un rire monter en elle, mais ce n'était pas le genre de rire qu'on associe à la joie. Non, c'était un rire sombre, empli de la noirceur de ses actions passées, de ce crime qu'elle avait commis. En la regardant, Thomas, son frère, ne pouvait deviner l'ampleur du poids qu'elle portait sur ses épaules. S'il avait été témoin de ses réactions, s'il avait vu le sang qui avait coulé par ses mains, il aurait été terrifié. Ce jour-là, s'il avait été là, elle ne serait pas morte. Peut-être serait-elle restée gravement blessée, mais sa rage aurait été bien plus dévastatrice, plus vicieuse qu'une balle entre les deux yeux. Elle se serait transformée en une créature assoiffée de vengeance. Dans un sens, c'était presque une bénédiction que les choses se soient passées autrement. Même si son acte avait été lâche, il ne laissait aucune cicatrice visible, aucun témoignage de la violence du combat qu'elle aurait pu mener.

Avec un geste délicat, Jordan posa sa main sur l'avant-bras de son frère, puis glissa doucement sa main dans la sienne. “Ne sois pas si dur avec toi-même, Thomas,” murmura-t-elle avec une douceur empreinte de tristesse. “Tu ne pouvais pas savoir. Ce n'est pas à toi de me protéger. Je suis ta grande sœur.” Un sourire fragile étira ses lèvres. “Ce rôle-là, tu ne me l’enlèveras pas, même si tu es devenu un homme solide.” Elle ponctua ses paroles d’un léger coup de poing sur l'un de ses pectoraux. “Oui, c'était difficile, mais avec le temps, les choses deviennent plus supportables. Et te voir ici, devant moi, qu'est-ce que je pourrais demander de plus ?” Sa voix se fit plus douce, plus sincère. Pour elle, Thomas était tout. Elle avait rêvé de ce moment tant de fois, jamais elle n'aurait cru possible de le toucher à nouveau, de croiser son regard, de voir son sourire resplendissant.

Jordan croisa les bras et éclata d'un rire sincère. “Quelle belle prouesse, en effet,” dit-elle en souriant. “Je suis vraiment heureuse pour toi.” Elle le pensait profondément. Thomas méritait d'être heureux, et savoir qu'il s'épanouissait la remplissait de fierté. Il découvrait la beauté de l'amour, alors qu'elle, de son côté, essayait de l'éviter à tout prix. Mais cela devenait de plus en plus difficile à cause d'une certaine brune. En secouant la tête, elle haussa les épaules : “Non, pas de princesse pour moi... Je ne pense pas être capable de gérer une relation. Je n'y suis jamais arrivée, même avant que tout cela n'arrive...” La peur de s'attacher la paralysait. La vie était bien trop incertaine, et l'idée de perdre la personne qu'elle aimerait la terrifiait. Elle redoutait la manière dont elle pourrait réagir à un tel chagrin.

S'avançant vers son frère, Jordan détacha ses bras et reprit la parole. “Ne sois pas triste, Thomas. Un peu de distance entre nous, ce n'est pas une mauvaise chose, non ?” Un sourire taquin se dessina sur ses lèvres. “Si nous étions toujours collés l'un à l'autre comme avant, je ne pense pas que Baja apprécierait, pas vrai ?” dit-elle en riant légèrement. Leur lien était si fort, si fusionnel, que cela pourrait devenir un obstacle pour les autres. “Et puis, nous ne sommes pas si éloignés que ça. Il y a toujours moyen de se voir, et je pourrais peut-être passer quelques jours à la Colline.” Elle posa une main douce sur la joue de son frère, caressant tendrement sa pommette. “Allez, tu t'en sortiras sans moi. Mais attention, si j'apprends que tu prends des risques insensés en expédition, je te jure que je viendrai te chercher pour te ramener de force à la tanière. Et j’emmènerai Baja avec nous, comme ça tu n'auras aucune excuse pour repartir là-bas,” ajouta-t-elle avec un sourire complice, mais le fond de vérité dans ses paroles était clair : elle aurait aimé rester près de lui, mais elle savait que ce n'était pas possible.

Lorsqu'il commença à lui parler de ce qu'il ressentait pour Baja, Jordan ne put s'empêcher de sourire tendrement. Voir son frère amoureux était une vision réconfortante, et elle trouvait cela adorable. Mais une ombre traversa son regard quand elle réalisa combien ses propres sentiments pour Kate résonnaient avec ceux que Thomas décrivait. Elle chassa rapidement cette pensée, refusant de s’y attarder. Non, ce n'était sûrement pas la même chose.

“Tu es tombé bien fort…” dit-elle avec une légère note de moquerie dans la voix. “J'ai hâte de la rencontrer,” ajouta-t-elle avec sincérité. “Ça me fait vraiment plaisir de savoir que tu as trouvé l'amour dans ce chaos.” Son cœur se serra à l'idée que lui, au moins, avait trouvé un refuge dans la tempête.

Facile. C’est si facile de croire qu’on aurait pu faire autrement. Dans la vie, chacun fait des choix qui amènent à des conséquences, plus ou moins importantes. Se mettre à la place de l’autre, c’est impossible, car les réactions divergent. Et pourtant, la plupart des gens essayent de jauger la façon dont ils auraient géré les choses, à leur façon, sans prendre en compte tous les paramètres. Thomas connaissait bien sa sœur… d’avant, car celle d’aujourd’hui n’est plus la même, en partie à cause de ce qui s’est passé dans la maison familiale. Ce jour-là, cette tragédie avait changé les choses pour toujours.

Conscient du nouveau monde, Thomas savait que rien n’avait été facile, autant pour l’un que pour l’autre. Le jeune homme semblait être dur avec lui-même, et c’est avec tendresse et délicatesse que Jordan lui faisait comprendre qu’il ne devait pas se poser des questions comme celles-ci. « Je sais. Mais c’est difficile de me dire que, j’aurais pu changer la donne… Tu es peut-être ma grande sœur, mais je suis ton frère. Peu importe si je suis plus jeune. Papa n’est plus là pour te protéger, alors c’est à moi de le faire. » Et il avait raison, de son point de vue. Si papa Lewis avait été présent, c’est lui qui aurait prit soin de ses enfants. Thomas observe les gestes de sa sœur avant de remonter son regard dans le sien. Un léger coup de point sur l’un des pectoraux de son frère accompagné d’un sourire fragile. Thomas hoche la tête. « Je n’ai pas l’intention de t’enlever ce rôle. » chuchote-t-il, avec émotion. Il sourit à son tour ; le sourire que JJ adore. « Je ne sais pas. Je crois que d’avoir retrouver l’autre, c’est le plus beau cadeau… Si je pouvais, j’effacerais tout ça… » conclut-il.

Entendre sa sœur qui éclate de rire de façon sincère, c’était ça, son plus beau cadeau. Thomas afficha un léger sourire, amusé de la situation. Malgré la tragédie, ils retrouvaient automatiquement leur connexion. Et sincèrement, cela faisait plaisir. « Je ne sais pas où cela va mener… Mais c’est déjà un bon début… Enfin, j’crois, car je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée d’aimer dans ce monde. Cela te donne l’opportunité d’être faible. » lança-t-il, en soupirant. Jordan n’avait donc pas de princesse. Avec attention, Thomas écouta sa sœur parler de sa situation. Il haussa les épaules. Il est vrai qu’elle n’avait pas attendu d’être aux portes de l’apocalypse pour avoir des difficultés dans les relations humaines, et surtout, amoureuses. « Cela pourrait te faire du bien… qu’on prenne soin de toi. Ne te sous-estime jamais, pour rien au monde. Tu es capable de tout, ma sœur. » lâcha-t-il, avec sincérité.

A peine qu'ils se retrouvent, qu’ils vont devoir se séparés à nouveau. JJ prenait les devants et elle essayait de faire comprendre à son petit frère que ce n’était pas une mauvaise chose qu’ils ne soient pas tout le temps ensemble. Elle mentionna Baja. Pour le moment, Thomas resta silencieux, car il ne partageait pas vraiment l’avis de sa sœur. La main sur sa joue. « Je ne sais pas si je vais réussir à gérer la séparation… Baja ou non, peu importe, tu seras toujours la plus importante dans ma vie. Je sais que c’est différent, car nous savons que l’autre est en vie, mais je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il pourrait se passer la même chose qu’avec papa et maman… Je ne veux pas être absent s’il t’arrive quelque chose, car je ne le supporterai pas. » admet-il, en fermant les yeux pour apprécier un peu plus le geste tendre de sa sœurette. Ils sont si beaux, si fusionnels, si authentiques. « Pour le moment, ce n’est pas possible, mais je ferai en sorte qu’on se voit le plus régulièrement possible… […] J’avoue que je n’ai pas un très bon souvenir de la Tanière, mais il n’y a que les idiots qui ne changent pas d’avis. » En disant ça, il faisait comprendre à Jordan qu’il pourrait, lui aussi, dans un temps limité, faire un petit crochet vers son camp.

En parlant de Baja, Thomas faisait écho à la situation de sa sœur avec Kate. Ils n’étaient pas frère et sœur pour rien. Si différents, et pourtant, si semblables. Il sourit légèrement, puis hausse les épaules. « Je ne sais pas si je suis tombé. J’crois. Mais je n’ai pas envie de gâcher les choses. Je sais que la vie d’aujourd’hui ne ressemble pas à celle d’hier, mais l’amour reste le même. Et je pense que nous avons tous droit à une seconde chance ; nous méritons tous le bonheur d’aimer et d’être aimé. Même toi, ma sœur. » dit-il, en venant prendre Jordan dans ses bras, car il sait ô combien elle ferme toutes les vannes de ses sentiments pour ne pas souffrir à nouveau. Pas besoin de mots pour qu’il comprenne sa façon de penser. « Prends soin de toi… » chuchote-t-il, avant de la serrer encore plus fort.

« Dis-moi. Par hasard, tu aurais une photo… ? Cela pourrait m'aider quand j'ai un coup de mou. » demande-t-il, avant de regarder autour de lui. L’endroit où ils sont est calme, mais sait-on jamais, le risque zéro n’existe pas. Il ne le sait pas encore, mais cette photo de famille si chère à ses yeux va être le déclencheur d’une tempête sans retour ; de sa propre destruction.

Thomas aurait sans doute pu changer la donne, il aurait pu l’empêcher de sombrer dans ses démons, de céder à la vengeance et de tuer de sang-froid trois hommes. Il aurait été là pour l’arrêter, là pour la calmer, là pour lui offrir un soutien inébranlable dans ses moments de détresse. Peut-être aurait-il pu apaiser la tempête intérieure qui la ravageait, lui montrer un autre chemin, une autre issue. Mais cela ne servait à rien d’y penser. On ne pouvait pas effacer le passé, on ne pouvait que vivre avec. Jordan porterait cette action sur sa conscience toute sa vie, cette part sombre de son âme la rongeant à n’importe quelle heure de la journée, que ce soit dans la solitude de la nuit ou au milieu de l’agitation du jour. Chaque regard dans le miroir, chaque silence assourdissant, rappellerait à Jordan les ténèbres qu'elle avait embrassées, les visages des hommes qu'elle avait effacés.

Son frère qualifiait l'amour de faiblesse, et Jordan n'était pas d'accord. Ok, elle n'avait jamais laissé personne voler son cœur, mais elle ne considérait pas l'amour comme une faiblesse, loin de là. Elle voyait l'amour comme une force immense, une source de courage et de résilience. Pour elle, l'amour pouvait être un phare dans les ténèbres, une ancre dans la tempête. Certes, elle n'avait jamais ouvert son cœur à quelqu'un, peut-être par peur ou par prudence, mais elle croyait fermement que l'amour, le vrai, avait le pouvoir de transformer les âmes et d'unir les cœurs. Elle pensait à toutes les grandes histoires de dévouement et de sacrifice qui avaient été motivées par l'amour. Non, l'amour n'était pas une faiblesse, c'était une puissance que peu savaient manier, mais ceux qui le faisaient, en tiraient une force incommensurable.

"Je ne suis pas d’accord, l’amour donne espoir, l’amour rend fort..." dit-elle sincèrement. Même si leur amour n’était que fraternel, elle avait continué de vivre dans cette apocalypse dans l’espoir de le revoir un jour. Et maintenant, il était là, face à elle, réel et tangible. Chaque jour passé à lutter, à survivre, avait été nourri par cet amour, cette force qui la poussait à avancer malgré tout. L'amour fraternel avait été sa lumière dans l'obscurité, son moteur quand tout semblait perdu. À cet instant, en voyant son frère devant elle, elle réalisa à quel point cet amour avait façonné son courage et maintenu son esprit intact à travers les épreuves les plus sombres. “Je suis resté en vie pour ce moment.” dit-elle sincèrement

Elle savait que cela lui ferait du bien si elle se laissait aller, mais elle avait peur d’assombrir l’âme de celle qui faisait battre son cœur. Comment aimer un monstre ? Comment se laisser aimer quand on se détestait ? La peur la paralysait, l'empêchant de s'ouvrir complètement à l'autre. Chaque nuit, elle se demandait si elle mériterait vraiment cet amour, si elle n'allait pas finir par détruire ce qu'elle touchait. Les souvenirs de ses erreurs passées, des horreurs qu'elle avait commises, revenaient la hanter sans cesse, comme un poison qui se distillait lentement dans son esprit. Elle voyait dans les yeux de Kate une pureté, une innocence qu'elle craignait de ternir. Comment expliquer ses cauchemars, ses nuits sans sommeil ? Elle avait construit des murs autour de son cœur, des fortifications pour se protéger, mais aussi pour protéger celle qu'elle aimait. Pourtant, malgré ses doutes et ses craintes, une partie d'elle espérait secrètement que l'amour serait assez fort pour percer ces barrières, pour guérir ses blessures et lui montrer qu'elle pouvait être aimée, même avec ses failles.

“Ce n’est pas si simple.” murmura-t-elle, puis fit un sourire forcé pour éviter que son frère lui pose de question sur ce qu'elle voulait sous-entendre.

Thomas était l’homme le plus important de sa vie, mais il lui était impossible de quitter le camp de la Tanière. Elle savait que la Colline ne serait pas le lieu pour elle. Elle en avait entendu beaucoup trop d'horreurs, qui résonnaient encore dans son esprit. Le climat militaire de la Colline, malgré le fait qu’elle soit une ancienne flic, ne lui conviendrait pas. Elle se souvenait de l'époque où l'uniforme lui donnait un sens de devoir et de justice, mais les expériences passées avaient érodé cette conviction. La rigidité, les ordres sans question, la hiérarchie implacable - tout cela l'oppressait maintenant, bien plus qu'avant.

La Tanière, avec ses règles certes imparfaites mais humaines, offrait une liberté qu'elle ne trouvait nulle part ailleurs. Ici, elle pouvait se reconstruire à son rythme, sans les regards scrutateurs et les jugements hâtifs. Elle avait bâti des liens, trouvé un semblant de paix dans ce chaos. Le départ signifiait abandonner ces fragments de stabilité, ces personnes qui comptaient sur elle.

"Tu es passé à la Tanière ?" demanda Jordan, complètement prise au dépourvu. Son frère était venu là-bas pendant qu’elle s’y trouvait ? L'idée la stupéfiait, éveillant en elle un tourbillon d'émotions contradictoires. "Au début ? Récemment ?" ajouta-t-elle, son esprit tournant à toute vitesse. Le destin les avait-il fait se croiser sans qu’ils ne sachent l’un et l’autre qu’ils étaient proches ?

Jordan sentit une bouffée de chaleur et de froid la traverser simultanément. Si proches, et pourtant si loin l'un de l'autre, leurs chemins avaient presque convergé sans qu'ils ne le sachent. Avait-il parlé à ses amis ? Vu les lieux qu'elle fréquentait chaque jour ? Se tenait-il à quelques pas d'elle sans qu'elle ne le sache, alors qu'elle luttait pour préserver un semblant de normalité dans ce chaos ?

"Tu aurais pu... nous aurions pu..." balbutia-t-elle “Le destin a quand même un certain sens de l'humour…”

Soupirant, elle se voyait comme un miroir à l’explication de Thomas concernant le fait qu’il était tombé amoureux de Baja, tout comme elle était tombée amoureuse de Kate. Mais elle savait qu’il serait plus courageux pour faire le premier pas, qu’elle n’aurait sans doute pas la force de le faire. Thomas n'hésiterait sans doute pas à saisir l'amour qui se présentait à lui, tandis qu'elle, paralysée par ses propres démons, restait en retrait.

Bien sûr, elle avait le droit d’être aimée, mais serait-ce une bonne chose pour cette personne ? Les doutes la rongeaient. Serait-elle capable d'apporter à Kate le bonheur qu'elle méritait, ou ne ferait-elle que lui transmettre ses propres tourments ? Jordan se sentait comme un poids, une âme tourmentée dont les ombres pourraient dévorer la lumière de Kate. Chaque moment passé avec elle était un combat intérieur, un mélange de désir ardent et de peur dévastatrice.

Jordan se laissa aller dans les bras de son frère et ferma les yeux, savourant la chaleur et la réconfortante familiarité de ce moment qu’elle avait tant espéré. Les années de séparation semblaient se dissoudre dans cet étreinte, lui offrant un répit précieux.

Puis, à sa demande de photo, elle recula doucement et hocha la tête avec un sourire, ravie de partager ce souvenir. "Oui, bien sûr !" répondit-elle avec une vivacité retrouvée. Elle retira son sac de son dos, se mit à genoux sur le sol terreux, et ouvrit la fermeture avant pour en sortir un petit portefeuille usé.

Se relevant, elle déplia soigneusement la photo qu'elle avait tirée de l'intérieur. C’était une image précieuse, celle d'un dîner de Noël, le premier où leur père était sobre depuis huit mois. Sur la photo, la famille entière arborait un sourire sincère, capturant un instant de bonheur rare. Ils portaient les affreux pulls en laine typiques de cette période, des pulls ornés de motifs festifs qui semblaient presque rire avec eux. Sur la table, des emballages de cadeaux éparpillés et les restes d’un repas copieux complétaient le tableau de cette soirée mémorable.

"Tient..." dit-elle en tendant la photo, son sourire empreint d'une tendresse nostalgique. "Elle est un peu pliée, je suis désolée, mais j’ai essayé d’en prendre soin." Sa voix se brisa légèrement, chargée d’émotions, tandis qu'elle observait son frère examiner le souvenir partagé.

“Je me souviens de cette soirée comme si c’était hier,” ajouta-t-elle avec un léger rire, les yeux brillants de souvenirs. Cela paraissait si lointain, presque irréel dans le contexte de leur réalité actuelle. Les détails de cette nuit-là semblaient surgir comme un écho du passé, et elle sentait encore la chaleur des rires et l'éclat des décorations, contrastant fortement avec la dureté des jours présents.

Elle se remémorait les éclats de voix, les gestes amicaux et la chaleur du repas partagé, les moments simples mais précieux qui les avaient unis. Les souvenirs étaient à la fois réconfortants et douloureux, rappelant une époque où tout semblait plus facile, avant que la vie ne les sépare et les force à naviguer à travers tant d’épreuves.

Et si.
Avec des si, on peut refaire le Monde. Avec des peut-être, également. Malheureusement, que ce soit Thomas ou Jordan, ils allaient devoir vivre avec leurs démons communs et individuels. Car, même s’ils ont la même histoire et la même douleur intense, ils ont tout de même des différences. Ils ont vécu, chacun de leur côté, des épreuves qu’ils ne pourront jamais oublier. Alors, bien sûr, ils pourraient en reparler toute la nuit, mais rien ne changera. Ils pourraient se poser une multitude de questions, mais rien ne changera. Tout est déjà écrit à l’encre indélébile. Si, tout cela fait partie du passé, les évènements hantent leur présent, et feront d’eux des personnes différentes de ce qu’ils auraient pu/dû être dans le futur.

L’amour ; le sentiment le plus puissant qui existe. Si, Thomas avait une version erronée de la définition de l’amour, sa sœur, elle, avait des pensées opposées à lui. Pour elle, être capable d’aimer avait pour signification le courage et la résilience. Jordan croyait dur comme fer en l’amour… qu’elle n’avait jamais vraiment pratiqué. L’amour réunit les cœurs et les âmes. Thomas le sait, mais par expérience, il sait également qu’aimer peut-être néfaste, car si certaines fois, c’est bénéfique pour autrui, ce n’est pas toujours le cas. Aimer, c’est se dévoiler. Se dévoiler, c’est se mettre à nu devant l’autre. Partager, se confier, c’est donner à l’autre les clefs pour qu’il puisse, un jour, s’il le veut, venir te faire du mal exactement là où il ne faut pas ; nos faiblesses. Ainsi, l’amour peut te rendre autant vulnérable qu’invincible.

« Sauf que l’espoir est un leurre… Il nous fait croire en quelque chose qui, au final, n’existe pas. » rétorque-t-il immédiatement avant de revenir sur ses paroles. « J’sais bien que tu as raison dans le fond, car c’est grâce à mon amour pour toi que j’ai survécu jusqu’à présent, et grâce à l’espoir de te retrouver… » avoue-t-il, avant de prendre une grande inspiration. Dans le regard de son frère, Jordan peut voir à quel point Thomas semble perdu dans ses émotions. JJ aussi, dans tout ça, avait survécu dans l’espoir de vivre ce moment. Entre amusement et tristesse, Thomas affiche un léger sourire, puis secoue la tête. Les paroles de sa sœur font échos dans l’âme de Thomas. « Merci de me dire ça… mais tu sais, c’est exactement pareil pour moi. » murmure-t-il, avant de plonger son regard dans celui de JJ.

Jordan pouvait se laisser aller, sans avoir peur du jugement de son frère. Et même s’il n’était pas au courant des évènements qu’elle avait fait, sans nul doute que Thomas ne lâcherait jamais son âme-sœur. Non, jamais. JAMAIS. La discussion se poursuit, et Jordan réussi à esquiver les questions déplaisantes. « Je sais bien… Si tout était simple, je ne crois pas que nous en serions là, autant toi que moi. Le nouveau monde a fait de nous… de nouvelle personne. » dit-il, avant de sourire avec légèreté. Thomas connaissait par cœur sa sœur, et il voyait ô combien elle était marquée de l’apocalypse, autant physiquement que mentalement. Elle était différente. Elle avait changé. Comme lui. Comme tout le monde.

La Colline n’est pas un camp fait pour Jordan.
La Tanière n’est pas un camp fait pour Thomas.
Ils avaient chacun leurs arguments. Et quand bien même Thomas aurait voulu faire l’égoïste pour avoir sa sœur près de lui au sein de la Colline, il respectait/comprenait les choix et la vision de sa sœur, car ils étaient dans la même position. Au sein de leur camp, ils avaient créé des liens respectifs qu’ils ne pouvaient pas abandonner. Avec le temps, ils avaient trouvé une stabilité nécessaire pour évoluer dans ce Monde maudit.

« Oui, je suis venu à la Tanière. C’était, il y a déjà un petit temps. J’étais parti pour faire du troc, car nous avions besoin de pièces électroniques pour mes créations et pour le camp en lui-même. Je n’y suis pas resté très longtemps, mais je me souviens que l’ambiance était… spéciale. » explique-t-il, en lui épargnant les détails. Il secoue la tête, car maintenant qu’il connait la vérité sur l’existence de sa sœur, il se dit que, peut-être, ils se sont croisés. Un acte manqué. « Ne m’en parle pas… Au final, je crois que le destin est une putain de connerie… » ironise-t-il.

Après cette étreinte remplie de tendresse, d’amour et de mélancolie, les deux Lexis s’échangent la photo que Thomas avait demandé à Jordan. « Merci… Je savais que je pouvais compter sur toi. » dit-il, en prenant la photo. Il la regarde, affiche un léger sourire, puis se met à rire. « Ce noël était le meilleur. Je me souviens encore de ses vieux pulls moches que maman voulait à tout prix mettre pour les fêtes. Je me rappelle de tout comme si c’était hier. Nous avions passé toute la nuit à faire des jeux de société. Que dire de papa, c’était sa première fois en étant sobre ; un moment unique. Nous avions l’air heureux sur cette photo… Elle vaut vraiment de l’or… » conclut-il, les larmes aux yeux, car même si cette photo évoque de bons souvenirs, forcément, la mélancolie refait surface. Souvenir partagé. Il respire un peu plus fort. Ils semblent avoir creuser l’abcès familial. Maintenant qu’ils se sont retrouvés, ils vont pouvoir (et devoir) aller de l’avant, qu’importe la façon. Contrairement à avant, les choses ont changé, car ils se sont retrouvés. Dorénavant, ils sont ensemble.

Avec soin, Thomas replie la photo sur les mêmes pliures déjà établies, puis l’enfile dans sa poche arrière de jeans. Il regarde autour de lui, puis repose son regard sur l’être le plus important de sa vie. « Alors, c’est maintenant que ça se passe ? Qu’on doit se quitter… ? Je n’ai pas besoin de te le dire, car tu le sais déjà, mais… je n’ai pas envie de ça, je n’ai pas envie de partir, pas envie que tu t’en ailles. Je sais bien que tu es en vie, ça change tout par rapport à avant, mais cela n’empêche pas le manque de toi. Jordan, je t’aime. Tu ne sais pas à quel point… » Instinctivement, il avance d’un pas vers JJ pour lui donner un baiser sur le front, puis lui caresse avec douceur sa joue. Pour lui, Jordan est si précieuse qu’il prend soin d’elle comme si c’était un diamant brut. « Je ne veux plus faire de promesse, mais… On se revoit vite, hein ? Si tu as besoin de quoique ce soit, n’hésite pas, il y a la tour radio. Qu’importe le moment. De jour. De nuit. Peu importe, je serai là. Ne l’oublie jamais, sœurette. »

Jordan éclata de rire lorsque son frère, d’un ton moqueur, déclara que le destin n’était qu’une putain de connerie. Elle hocha la tête, amusée par sa désinvolture. Il n’avait pas tort, après tout. Leurs chemins s’étaient déjà croisés à plusieurs reprises sans qu’ils ne se retrouvent véritablement. Ils auraient pu se recroiser bien plus tôt, mais peu importait maintenant, car ils étaient enfin ensemble. Et cela, pour Jordan, était tout ce qui comptait.

Elle sentit un profond soulagement l'envahir, comme si un poids immense avait été ôté de sa poitrine. Son petit frère, son « bébé » comme elle l’appelait affectueusement, se tenait là, vivant et en bonne santé. Le voir sain et sauf après tout ce qu’ils avaient traversé était une bénédiction à laquelle elle n’osait plus croire. Un large sourire s’étira sur son visage, éclairant ses traits fatigués. La personne la plus précieuse à ses yeux était devant elle, en chair et en os, et cela lui donnait l’impression de renaître, de retrouver un souffle qu’elle pensait perdu à jamais.

En cet instant, le monde autour d'elle s’effaça presque. Le danger qui rôdait en permanence – ces rôdeurs aux yeux vitreux qui traquaient sans relâche ou les survivants mal intentionnés qui guettaient la moindre faiblesse – semblait soudain si lointain, comme une ombre floue à la périphérie de sa conscience. Pendant quelques secondes, elle se permit de relâcher sa vigilance, flottant dans cette bulle de bonheur et de sérénité. Elle avait l’impression de marcher sur un petit nuage, comme si tout ce qu’ils avaient enduré n’avait été qu’un cauchemar évanescent.

Mais dans un coin de son esprit, la réalité refit surface, tapie dans l’ombre, prête à resurgir à tout moment. Chaque craquement, chaque bruit suspect lui rappelait que cette accalmie n'était qu'une illusion fragile.

Elle se colla contre lui, laissant sa joue reposer sur son épaule. Son souffle s’apaisa, et ensemble, ils contemplaient la photo devant eux, empreinte de souvenirs que le temps n’avait pas effacés.

Un sourire mélancolique étira les lèvres de Jordan tandis qu’elle plongeait dans une vague de nostalgie. Le silence entre eux était lourd, mais empreint de tendresse. Lorsque son frère se mit à parler, elle écouta attentivement, capturant chaque mot comme si cela pouvait les ramener, ne serait-ce qu’un instant, à l'époque où tout était plus simple, plus lumineux. Elle laissa échapper un petit rire, mi-amusé, mi-ému, en entendant sa remarque.

« Je ne vais pas te mentir, j'adorais ses pulls moches aussi. Franchement, qu’est-ce qu’un Noël sans ça ? » Elle leva les yeux vers lui, partageant ce moment complice, puis ses pensées dérivèrent, ramenant des souvenirs plus doux mais teintés d’amertume. « Moi aussi, je m'en souviens comme si c'était hier... » Sa voix se fit plus douce, presque brisée par l'émotion. « Maman... quelle sacrée mauvaise perdante ! » ajouta-t-elle, un éclat de rire dans la gorge, se remémorant ces interminables nuits de jeux de société, où leur mère, avec une détermination enfantine, tentait sans cesse de tricher, sous les regards amusés de toute la famille.

Mais rapidement, le rire s’estompa, remplacé par un poids sur sa poitrine. La réalité de leur perte lui revint en pleine figure, plus brutale que jamais. Son sourire s’effaça, et son regard se fit lointain. « Je donnerais n’importe quoi pour revenir à cet instant… » murmura-t-elle d’une voix tremblante, les yeux fixés sur la photo, comme si elle espérait que les visages de leurs parents puissent en sortir et prendre vie une dernière fois. Elle inspira profondément, essayant de contenir la tristesse qui menaçait de la submerger. « Toi, moi, maman, papa... sans toute cette merde. »

Sa gorge se noua, et elle sentit des larmes brûler au bord de ses yeux, mais elle les refoula, refusant de se laisser submerger. « Pouvoir les tenir dans mes bras… juste une fois encore... » Sa voix s'éteignit, presque inaudible. Elle serra un peu plus fort le bras de son frère, comme si le simple fait de l'avoir près d'elle pouvait apaiser le vide immense laissé par leur absence.

Jordan recula lentement, laissant Thomas glisser la photo précieusement dans la poche arrière de son jean. Ce simple geste marquait la fin de leur court moment ensemble, et l’idée que c’était l’heure de se séparer pesait lourd sur ses épaules. Ils devaient retourner chacun dans leur camp respectif, là où leurs responsabilités les attendaient, mais le cœur de Jordan criait silencieusement pour prolonger cet instant. Elle aurait voulu que le temps s’arrête, qu’ils puissent rester là, à l’abri de tout, loin du danger constant qui planait au-dehors. Mais la réalité ne leur offrait pas ce luxe. Le monde était devenu trop incertain, trop hostile pour permettre de telles pauses.

Elle sentait son cœur se serrer, chaque battement résonnant douloureusement dans sa poitrine à l’idée de devoir repartir sans lui. Mais comme toujours, elle se força à rester forte, à masquer cette douleur derrière un visage serein. Pour lui. Pour Thomas. Elle avait toujours été son roc, et elle se devait de continuer à l’être, même si tout en elle hurlait de rester.

Lorsque les lèvres de son frère effleurèrent son front, un doux frisson la traversa, apportant avec lui une chaleur rassurante. Elle ferma les yeux, savourant cette tendresse familière, un sourire léger illuminant son visage fatigué. Ce simple baiser lui rappelait combien ils avaient besoin l’un de l’autre, même dans ce monde dévasté.

« Je t’aime aussi, Thomas, » murmura-t-elle, la voix un peu rauque d’émotion. Elle rouvrit les yeux, cherchant les siens pour ancrer ses paroles dans la profondeur de son regard. « Tu es mon petit frère. La personne la plus importante de ma vie. » Sa voix trembla légèrement à cette déclaration, mais elle reprit contenance rapidement. « Moi non plus, je ne veux pas partir, mais on n’a pas le choix. Des gens comptent sur nous, là-bas, dans nos camps. » Elle esquissa un sourire, faible mais sincère, comme pour alléger l’atmosphère. « Mais on se revoit vite, oui. Je te le promets. »

Les mots résonnèrent comme une promesse aussi bien pour elle-même que pour lui, un fil d’espoir auquel elle s'accrocha fermement. Elle se rapprocha ensuite, incapable de résister à l’envie de le serrer contre elle une dernière fois. Son étreinte fut longue, silencieuse, empreinte de cette urgence de capturer le moindre fragment de chaleur avant de devoir repartir dans le froid du monde extérieur. Quand elle se recula finalement, elle chercha encore une fois ses yeux, voulant y graver ce moment.

« Et n’oublie pas, hein, j’attends des updates sur cette histoire d’amour, » lança-t-elle avec une légère malice dans la voix, essayant d’alléger la gravité du moment. Elle lui adressa un clin d'œil, un sourire taquin, cherchant à faire durer un peu plus la légèreté. Mais l’instant s’étiolait, et elle savait qu’il était temps.

Jordan prit une grande inspiration et fit le premier pas pour s’éloigner. Chaque pas semblait plus lourd que le précédent, comme si le sol lui-même cherchait à la retenir. Elle lutta contre l’envie presque irrésistible de se retourner. Elle savait que si elle le faisait, si elle jetait ne serait-ce qu’un coup d'œil en arrière, elle céderait. Elle retournerait auprès de lui, incapable de le quitter. Alors elle continua d'avancer, fixant l’horizon, laissant derrière elle son frère et une partie de son cœur.