Joan Reyes - Plume filante.

01. Si j’ai grandi en tant qu’enfant unique jusqu’à mes onze ans, une seconde petite fille est venue embellir notre quotidien. Je suis donc l’aînée de deux enfants. J’ai grandi dans une famille plutôt classique, un père enseignant de sport et une mère dans l’événementiel. Dire que mes parents ont toujours filé le parfait amour serait un mensonge. Néanmoins, malgré les hauts et les bas de leur relation, ils sont toujours restés un couple soudé. Trouvant toujours un terrain d’entente, ma mère était ce petit rayon de soleil qui chasse d’un simple rire tous les nuages. Mon père, quant à lui était un bon vivant, qui motivait les troupes autant que faire se peut. Mais ce doux climat familial, enclin à des beaux souvenirs a fini par s’obscurcir. J’avais treize ans, ma cadette en avait deux lorsque notre mère est tombée malade. Mon père est resté à ses côtés autant qu’il l’a pu, malheureusement, l’amour et le soutien n’ont pas été suffisants et le mal qui la rongeait l’a emportée un an plus tard. Terminée de voir la fierté sur son doux visage lorsque le mariage qu'elle avait préparé pendant de longs mois était un véritable conte de fées. Son rire contagieux ne viendrait plus illuminer la maison familiale.

02. Le silence gagnait peu à peu le domicile familial. Mon père à essayer, mais plus les mois passait plus son silence devenait pesant. Sombrant peu à peu dans l’alcoolisme, il n’aura fallu qu’un an pour qu’il perde son emploi et une année de plus pour que l’alerte soit donnée aux services sociaux par des proches de la famille réalisant parfaitement que mon père n’était pas en état de s’occuper de deux enfants, dont une en bas âge. De par son jeune âge, ma petite sœur a placé en famille d’accueil rapidement. De mon côté, j’ai été, dans un premier temps, placé en foyer. Le lourd silence qui pesait dans la maison laissait place à un climat de tension, de détresse et de brutalité.

03. Perdue, c’est probablement ce qui me qualifiait le plus lorsque j’avais seize ans. En pleine adolescence, ma construction avait été chamboulée. Tous mes repères m’avaient été enlevés et je devais faire face au monde, seule. Discrète, j’ai rapidement compris que je n’avais pas le caractère pour survivre dans ce genre d’endroit où chaque enfant réagit et tente de survivre face à la vie à sa manière. Je n’ai pas pu voir ma sœur pendant des mois, quant à mon père, je l’ai attendu. J’ai passé des heures à attendre dans cette petite salle froide de visite. Mais pour des raisons, hors de ma portée, à cet âge-là, mon père ne passait jamais le seuil de la porte. Je me sentais plus seule que jamais et les heures qui, autrefois, avaient été si douces et heureuses, devenaient petit à petit, de lointains souvenirs.

04. C’est à cette période que j’ai forgée cette carapace qui me donne l’air renfermée et discrète. Ce qui n’empêchait cependant pas mon naturel bienveillant à se manifester à la moindre occasion. Me comportant avec les plus jeunes du foyer comme une grande sœur protectrice malgré tout. Avec du recul, je me serais peut-être aperçue que j’essayais certainement, via ce genre de comportement, de combler le manque de ma propre petite sœur avec laquelle les rencontres étaient rares et encadrées. Puis, à l’aube de mes dix-sept ans, j’ai finalement moi aussi été placée en famille d’accueil. Mon père ne sortant toujours pas des ténèbres dans lesquelles il s’était engouffré. C’est également à ce moment de ma vie que j’ai compris que mon père n’en sortirait peut-être jamais. Le peu d’espoir qui me restait partait au fur et à mesure en fumée. Et je dois l’admettre, je me suis découvert un caractère rancunier que je ne me connaissais pas. La crise d’adolescence n’aidant sûrement pas, j’en voulais à mon père de nous faire subir ça. Sans même avoir la totalité des informations, je lui en voulais de ne pas se battre, de ne pas prendre en compte notre souffrance. Après tout, nous aussi nous avions perdu maman, comme nous étions en train de le perdre lui. À moins que nous l’ayons déjà perdu ? L’espoir brillait finalement peut-être encore un peu au fond de mon âme. J’ai rêvé des millions de fois d’avoir une baguette magique, de pouvoir réparer mes proches, mais aussi tous ces gosses autour de moi que la vie avait écorchée à vif.

05. Je m’étais fait une raison, ce qui aurait du être une situation de transition ne l’était plus. L’idée même de retrouver ma propre famille ne m’effleurait même plus l’esprit. J’ai donc rejoins la famille et le domicile qui était destiné à devenir les miens jusqu’à ce que je sois en âge de me débrouiller seule. À la tête de cette famille, un ancien militaire et sa femme qui avait toujours accueilli des enfants de tout âge placés pour diverses raisons. Rapidement, l’éducation stricte et dure que l’on essayait de m’imposer ne me plaisait pas. Et pourtant, là encore, j’ai compris assez vite que j’allais devoir courber l’échine, prendre sur moi, le temps de devenir indépendante. Alors je me suis pliée aux règles, aux exigences, me jurant de partir dès que l’occasion se présenterait pour voler de mes propres ailes. Même si durant cette période, je n’ai pu m’empêcher quelques soupirs nonchalants, j’ai fait ce qui me semblait le plus judicieux, m’imposant de travailler encore et encore pour réussir à entrevoir une porte de sortie. Évidemment, il y avait un certain nombre de points positifs ici. Notamment, celui de pouvoir voir ma petite sœur plus régulièrement, malheureusement, elle avait grandi sans moi et, de fait, nos relations n’étaient pas non plus celles que j’espérais. Est-ce que j’en voulais toujours à mon père ? Certainement. Pourtant, je n’avais qu’une idée en tête : réparer notre famille.

06. Demoiselle qui s’est enfermée dans le travail pour ne pas se laisser submergée. J’étais considérée comme une élève studieuse et dont l’avenir n’inquiétant pas le corps enseignant. Je ne faisais pas vraiment partie des filles populaires, j’étais plus cette gamine qui sourit à tout le monde et qui tendait la main même aux élèves les plus étonnants. J’avais dû grandir vite et j’avais souvent l’impression d’être un peu en décalage avec les adolescents de mon âge. Je n'avais pas les mêmes envies, pas les mêmes centres d'intérêts, pas les mêmes objectifs et, encore moins, les mêmes règles à respecter. Là ou les autres flirtaient avec les limites, je ne pouvais me permettre aucun écart. J'avais l'impression d'avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Celle qui pourrait me renvoyer d'où je venais, celle qui pourrait, à tout instant, m'éloigner à nouveau du semblant de famille qui me restait : ma cadette. Ce qui, me poussait un peu plus à me réfugier dans le travail. J’étais de ces gosses qui ne font pas de vague, mais dont la bienveillance les pousses à essayer de sauver tout le monde. Un comportement qui, un jour ou l’autre pouvait vous brûler les ailes.

07. Puis, j’ai repris contact avec mon père. C’est à cet instant que j’ai pris ma décision, celle de devenir infirmière. De pouvoir tendre la main à des personnes qui, comme lui, avaient besoin de soins. Je n’avais pas l’ambition de devenir médecin. Je voulais simplement être une béquille, un tremplin et voir les autres allez mieux ou, dans le pire des cas, les accompagner au mieux jusqu’au bout. Revoir mon père n’avait rien de facile. La dépression et l’alcoolisme avaient fait des ravages. Ses traits fatigués me faisaient mal au cœur, pourtant, ça ne suffisait pas à calmer cette rancune grandissante d’année en année. Alors, oui, les retrouvailles avec mon père n'ont pas été aussi belles que celles que j’avais imaginé dans mon enfance. Elles n’avaient pas, non plus, été une partie de plaisir. Mais j’avais besoin de lui dire tout ce qui avait pesé sur mes épaules pendant trop de temps. Ça ne m’a pas empêché de lui tendre cette brochure d’un centre spécialisé dans l’addiction dont il souffrait, ni même de lui dire que je serais là, à ses côtés. Mais ça n’aura pas suffi, mon père ne s’est jamais soigné et à fini par s’évanouir dans la nature.

08. J’ai continué ma vie, prenant sur moi, le temps nécessaire, cette éducation militaire qui m'insupportait. Puis, j’ai pu prendre mon envol. Rejoignant sans grande difficulté l’école que je convoitais tant. Mon dossier scolaire aidant, j’ai bénéficié d’une bourse et rejoins un petit groupe d'étudiants pour une colocation. Trois, pour être exact. Nous étions quatre à cohabiter et une nouvelle vie s’offrait à moi. C’est dans cette même colocation que j’ai connue mon premier petit ami. Deux ans, c’est le temps qu’aura duré notre histoire, avant que la vie n’en décide autrement. Je l’ai perdu brutalement, dans un incendie alors qu’il était chez un ami. Une perte qui a laissé des traces et qui m’a poussé à me renfermer davantage quant à ma vie personnelle, tentant ainsi de ne plus m’attacher. De ne plus souffrir. Je continuais à prendre des nouvelles de ma sœur, autant que possible, mais je n’aurais jamais réussi à construire la relation que j’espérais avec elle.

09. Alors la vie à continuée et plus seule que jamais, je me suis encore et toujours raccrochée au travail. Donnant toute mon énergie pour les patients des différents services dans lesquels j’ai pu travailler. Je n’avais qu’un but : aider ces gens, rendre leur quotidien un peu meilleur. Investissant tout mon temps à cet objectif, je me refusais la vie sociale comme on l’entend. Évidemment, j’avais des amis fidèles, des sorties prévues, des anniversaires à fêter, mais je m’étais également forgé cette carapace qui me poussait à apprécier ma solitude. Jusqu’à ce jour où la pluie battante a changé le monde. Ma solitude me manque parfois, mais je sais que dans ces conditions l’union fait la force et, plus que jamais, je m’accroche à mon objectif de toujours : aider les autres du mieux que je le peux.