Guess I never dared to know myself

Un léger murmure musical enveloppait la pièce, faisant danser les notes dans l'atmosphère. Jordan était adossée au mur, assise à même le sol, ses genoux relevés contre sa poitrine. D'une main, elle maintenait fermement ses jambes repliées, tandis que l'autre agrippait une bouteille d'alcool qu'elle avait échangée au marché. Cette transaction avait coûté une petite fortune, mais elle avait ressenti le besoin impérieux de se la procurer. La bouteille, précieusement tenue, symbolisait un élixir tant convoité en ces temps troublés.

Une partie d'elle-même murmurait que consommer ce liquide ne résoudrait rien, tandis qu'une autre criait de toutes ses forces, lui intimant de lâcher prise, suggérant qu'une gorgée pourrait peut-être apaiser ses démons intérieurs, soulager ses tourments. Son regard restait fixé sur l'ambre captivant contenu dans la bouteille, une teinte qui évoquait de sombres souvenirs, des épisodes douloureux de son passé. Cette couleur avait hanté son enfance, étroitement liée à l'addiction de son père.

"Juste une goutte", chuchota-t-elle, un léger frisson parcourut son échine. Jordan n'avait jamais connu la dépendance, mais à cet instant, une curiosité mêlée d'appréhension la poussait à envisager cette expérience. Elle avait toujours été une âme libre, étrangère aux vices qui avaient assombri l'existence de son père. Pourtant, alors qu'elle tenait cette bouteille entre ses mains, elle se demandait si l'innocence de son passé resterait intacte après ce geste.

Fermant les yeux, elle déposa délicatement la bouteille à ses côtés, entrelaçant ses bras autour de ses jambes repliées, sa tête se nichant au creux de ses genoux. Une profonde inspiration tenta d'apaiser les tourments qui agitaient son être. Les paupières closes, elle resserra sa prise sur ses genoux. Les souvenirs tumultueux affluèrent, insistant pour revivre dans les recoins de son esprit.

Son cœur résonnait encore du moment où le souffle de Noah avait failli s'éteindre. Noah était bien plus qu'un simple ami, il était son roc, son confident, un lien fraternel qui transcendaient les liens du sang. Les images de ce moment où il avait frôlé la mort la hantaient inlassablement. La pensée de le perdre avait ravivé une douleur familière, une douleur qui résonnait avec la perte de Thomas qu’elle ne reverrait sans doute jamais.

Ces souvenirs douloureux étaient comme des vagues déferlantes, ramenant à la surface les fantômes de ses parents décédés, sa soif de vengeance, et la solitude étouffante qui l'enveloppait. Chaque fois qu'elle fermait les yeux, le poids du passé s'abattait sur elle, l'emprisonnant dans un tourbillon d'émotions indomptables. Dans cet instant de solitude, elle se sentait perdue, naufragée dans un océan de souvenirs tourmentés.

"Oh et puis merde", lâcha-t-elle, un mélange de résignation et de frustration dans sa voix, ses doigts se refermant autour de la bouteille qu'elle avait délaissée un instant plus tôt. D'un geste décidé, elle tourna le bouchon et porta le goulot à ses lèvres, s'abandonnant à la tentation de l'évasion éphémère qu'offrait cet alcool. Deux longues gorgées emplirent sa bouche avant que la brûlure ne la surprenne, lui arrachant une grimace convulsive et une série de toux incontrôlées. L'alcool en feu s'engouffra dans son œsophage, propageant une sensation de chaleur intense qui irradiait à travers chaque fibre de son être, mêlant l'ivresse du soulagement à l'agonie de la réalité.

Après une bonne trentaine de minutes, la bouteille gisait vide, abandonnée sur le sol, tandis que la blonde, désormais éméchée, se lançait dans une danse désordonnée au beau milieu de la pièce. Ses mouvements étaient libérés de toute contrainte, dépourvus de toute grâce, mais empreints d'une énergie effervescente. Par moments, un éclat de rire s'échappait de ses lèvres, témoignant des étincelles de joie fugaces qui illuminaient son esprit. Son équilibre vacillait par instants, mais elle se rattrapait avec une agilité maladroite, trouvant toujours de quoi s'amuser dans les recoins de la pièce.

Son regard, vitreux mais pétillant, errait çà et là, s'attardant sur les moindres détails qui l'entouraient. Chaque objet, chaque petit rien semblait revêtir une importance nouvelle, suscitant son admiration ou déclenchant un éclat de rire incontrôlable. Elle était dans un état d'ivresse joyeuse, totalement absorbée par le moment présent, insouciante des soucis qui pouvaient peser sur ses épaules. Vêtue d'un simple short et d'un débardeur, elle incarnait la légèreté et la spontanéité, se laissant emporter par la musique et le rythme de la nuit.

Un bruit vers la porte la fit se retourner, légèrement chancelante, tentant de discerner qui venait d'entrer. Ce n'était autre que Kate. La sœur de Noah, une présence parfois exaspérante mais ce soir, une aura particulière semblait l'envelopper.

"KatieKate !" s'exclama Jordan, son large sourire illuminant son visage alors qu'elle s'avançait vers elle pour saisir ses mains et l'entraîner au cœur de la pièce. "On danse ?" demanda-t-elle avec une énergie contagieuse, avant de trébucher légèrement et de se retrouver en appui contre le corps de la brune. Un éclat de rire s'échappa de ses lèvres. "Je suis maladroite... On a inversé les rôles !"

Inspire. Retiens ton souffle. Les yeux rivés sur l’objectif, rien ne la déconcentre.  La flèche file en émettant ce son si caractéristique de celui de la pointe qui fend l’air ambiant. Le son caractéristique du métal perçant, s’enfonçant dans la surface de bois. Figée maintenant dans cette surface jusqu’à ce que quelqu'un ne vienne la déloger. Comme figée dans le temps. Oh comme elle aimerait parfois pouvoir le faire dans sa vie. le temps de trouver la bonne solution.

Expire. Au moment même d’abaisser son arc. Les yeux toujours levés vers la cible. Elle entend encore le doux sifflement du projectile voyageait avec le vent. Sourire en coin. Chaque mouvement était fluide, comme une danse gracieuse maintes fois répétées. Chorégraphe dûment apprise à travers le temps, une dont les faux pas lui semblaient impossibles. Archère émérite, rater la cible ne lui avait jamais paru être une possibilité, encore moins depuis que des gens dépendent de cette capacité. Soulagement. les yeux rivés sur la cible, sur le projectile qui s’était immobilisé en plein cœur. Un poids qui se retire de ses épaules. Et alors que son corps se décrispe un peu, son esprit agité reprend le dessus.

Un regard dans le vide, elle avance comme une automate jusqu’à la flèche. Les doigts parcourent doucement la hampe, puis elle tire pour la déloger de la cible. L’esprit ailleurs. Elle y arrivait maintenant, alors pourquoi avait-elle si lamentablement échoué durant la journée ? Elle avait eu cette chance de croiser la route d’une biche, une qui aurait pu nourrir bien des familles de la Tanière, une qui aurait fait du bien aux coeurs meurtris suite à ce blizzard qui avait créé des pénuries dans le camp de survivants. Elle avait eu de l’espoir, celui d'apaiser quelques estomacs affamés.. Elle avait raté sa cible. Et maintenant, elle ne pouvait se retirer cette erreur de l’esprit. Elle n’avait pas manqué sa cible depuis des années maintenant. Et voilà qu’elle avait laissé tomber. Elle s’en voulait, car ce n’était pas un accident. Elle avait eu l’esprit ailleurs toute la journée et si, à cet instant, elle croulait sous la culpabilité, elle avait eu d’autres soucis pendant sa chasse. Si elle s’en voulait à présent, elle ne pouvait dire qu’elle ne comprenait pas ce qui c’était passé. Elle savait. esprit tourmenté. Concentration fugace qui l’avait fait manquer sa cible. Concentration fugace, car les pensées étaient tournées vers une toute autre situation. Noah. Ce frère qu’elle avait failli perdre de nouveau. Elle avait failli le perdre, sans même pouvoir être là pour lui. Et le pire dans cette histoire, c’est que Jordan semblait avait été plus proche de lui dans cette épreuve. Plus affectée par cette situation.

Remplacée. Katherine se sentait complètement perdue, remplacée par cette blonde qui soulevait une salves d’émotions contraires dans son esprit. Dans son corps. Dans sa vie. Noah qui avait été en danger. Elle se sentait coupable, inutile. Elle se sentait perdue, ne sachant ce qu’elle ferait sans ce frère qui avait toujours été là pour elle. Et l’esprit tourné vers lui, sa flèche n’avait pu atteindre la cible et elle était rentrée bredouille à la Tanière. Voilà maintenant que son esprit était tourmenté par deux situations. Deux volets d’un passé qu’elle ne pouvait pas changer. Et si elle avait tenté de se changer les idées en allait tirer - technique qui ne l’avait jamais laissé tomber auparavant -, elle n’y trouvait pas le confort qui s’y trouvait habituellement. Vu l'heure tardive, puisque ses pensées ne voulaient se taire, elle rangea flèche dans le carquois qu’elle avait récupéré à coup de quelques pièces ici et là. Elle n’allait pas laisser ces armes derrière. Elle rangea la flèche et, avec un soupir, quitta la zone d'entraînement.

Kate hésita, erra un peu dans les longs couloirs, sachant qu’elle ne trouverait pas le sommeil. Elle avait également entendu cette rumeur, celle de Jordan qui avait fait des achats étranges au marché. Des achats qui ne lui ressemblaient pas. Kate avait tenté de ne pas écouter ces ragots, mais quand cela concernait cette autre femme, elle avait du mal à ne pas tendre l’oreille. Elle ne connaissait pas Jordan depuis longtemps, mais assez pour savoir qu’elle était une combattante hors pair, qu’elle était une femme de confiance, de savoir qu’elle l’avait - en quelque sorte - auprès de Noah. Mitigée, Kate ne savait toujours pas ce qu’elle pensait de cette femme, car une montagne russe d’émotiosn la secouait à chaque fois. Divisée entre l’admiration, la jalousie et… Elle ne saurait dire ce qui était prédominant dans ce kaléidoscope sentimental.

Après un moment, Kate se décida à rentrer à la chambre, un peu par inquiétude face aux rumeurs qu’elle avait entendues, un peu parce qu’elle ne savait pas quoi faire d’autre. Une partie d’elle se refusait à accepter que c’était réellement parce qu’elle s’inquiétait en raison de bruitsde-couloirs qui lui semblaient complètement insensés. Elle avait toujours aimé avoir les potins, mais là, la situation lui semblait totalement différente.
Kate pousse doucement la porte, accueillie dans la chambre par le son léger de la musique. Une dont elle n'identifiait pas encore la source. son regard se pose sur cette silhouette qui se tourne vers elle et qui lui sourit. Et la brunette sent son coeur manquer un battement, alors que le sourire de l’autre jeune femme la transporte dans un autre monde. Il le lui faut cependant qu’une seconde pour remarquer que ce sourire ne lui semble pas habituel. Elle avait déjà ses doutes quand elle avait vu cette dryade lancée dans un ballet envoûtant. Si Kate avait été absorbée par la vision de sa colocataire au moment d'ouvrir la porte - ne se préoccupant pas des mouvements saccadés de celle-ci, l’idée même de la voir danser lui était suffisante - elle se voyait complètement prise de court par la situation.

« Jordan ? » La voix incrédule, elle ne sait pas comment réagir. En temps normal, elle n'aurait absolument pas accepté ce surnom, mais pour une raison qui lui échappait, cette fois-ci ne lui dérangeait pas. Le côté amical que démontre la blonde à cet instant lui semble également  agréable. Elle la suivit vers le centre de la pièce, surprise de cette invitation, mais se laissa emporter par l’énergie de la blonde et par ce sentiment inconnu qui semblait avoir pris possession de son corps. Kate affiche un sourire en coin « Qu’est-ce qui me vaut cet honneur ? » demanda-t’elle en riant. La seconde suivante, Jordan tombait dans ses bras - ou plutôt perdait pied et se retenait sur elle pour ne pas tomber, ce qui revenait au même pour Kate - et la brunette ne put retenir un rire étouffé. « Je crois quand même qu’on peut faire un bon duo, tu ne penses pas ? » Son coeur battait la chamade, Kate n’avait jamais vu Jordan dans cet état. Et elle n’arrivait pas à identifier cette chaleur intense qu’elle ressentait au creux de son ventre.

Malheureusement, inviter Kate à danser n'était pas exactement un geste d'honneur dans les circonstances actuelles. Jordan, emportée par une ivresse profonde, naviguait dans un état où la rationalité avait depuis longtemps jeté l'ancre. Sa condition était largement attribuable à une inexpérience notable en matière d'alcool, un héritage indirect du passé tumultueux de son père. Certes, elle s'autorisait une bière occasionnelle, un indulgence modeste, mais se tenait à bonne distance de tout ce qui pouvait altérer son esprit plus gravement. Or, ce soir marquait sa première véritable confrontation avec l'ivresse, un baptême de feu dans le monde impitoyable de l'alcool qui l'avait laissée totalement désarmée, incapable de gérer les implications de sa proposition à la brune, ou même de se tenir debout sans tituber.

Jordan, releva délicatement la tête pour plonger son regard dans celui de Kate, dont les cheveux bruns tombaient en cascade autour de son visage, encadrant ses traits délicats. La différence de taille entre elles était d'autant plus prononcée que Jordan, pieds nus, se trouvait en désavantage notable par rapport à Kate, dont la stature était de naturelle plus élancée et rehaussée par ses chaussures. Malgré cela, Jordan se tenait fermement, s'accrochant aux hanches de Kate pour éviter de vaciller davantage, cherchant dans cette étreinte une ancre qui lui permettrait de garder une certaine contenance.

Kate irradiait d'une beauté magnétique, et les nombreux grains de beauté qui parsemaient son visage attiraient l'attention de Jordan, lui conférant un charme particulier qui captivait la blonde. Son regard glissa sur les lèvres de Kate avant de se perdre dans le profond océan de ses yeux noisette. Jordan se demanda alors si c'était par respect pour Noah qu'elle n'avait jamais franchi le pas, ou si c'était simplement parce que quelque chose chez Kate l'exaspérait. Pourtant, en cet instant, toute exaspération semblait s'évanouir, laissant place à une fascination et à une question qui demeurait sans réponse.

"On pourrait faire un bon duo oui...", confirma Jordan d'une voix légèrement taquine, un sourire malicieux étirant ses lèvres.

Alors qu'elle accompagnait ses paroles d'un geste tendre, sa main venant caresser doucement la joue de Kate et son pouce se dirigeant vers sa lèvre inférieur, mais Jordan ressentit les effets de l'alcool lui titiller les sens, une variable qu'elle n'avait pas prise en compte dans l'équation de cette soirée. Bien sûr, il y avait l'euphorie de l'instant, le sentiment de lâcher prise, mais à présent, des nausées commençaient à faire surface, insidieuses et dérangeantes.

Dans un geste brusque, elle repoussa Kate, son visage se contractant en une grimace de douleur alors qu'elle posait une main sur son ventre. Une sensation de malaise grandissante l'envahissait, accompagnée d'une envie pressante de vomir. Cependant, une panique sourde s'empara d'elle à l'idée d'affronter l’une de ses phobies, une peur irrationnelle qui la poussait à lutter contre le besoin urgent de soulager son estomac. Son regard, empreint d'une détresse mêlée de détermination, cherchait désespérément une issue à cette situation embarrassante.

Jordan recula en titubant, ses pas incertains la conduisant vers son lit. Lorsqu'elle sentit ses mollets heurter l'armature en fer du cadre, un frisson d'inconfort parcourut son corps. S'efforçant de garder son équilibre précaire, elle s'assit sur le bord du lit avec une hâte maladroite. Ses doigts se crispèrent sur le matelas, s'accrochant désespérément comme pour trouver un point d'ancrage dans cette tourmente interne. Elle savait qu'elle devait rester concentrée, détourner son esprit de l'inévitable, se concentrer sur autre chose pour traverser cette phase désagréable. Chaque pensée, chaque souffle, était une bataille dans cette lutte contre son propre corps.

Jordan Lewis. Généralement appelée JJ par les membres de la Tanière. JJ. Kate ne savait même pas d’où venait ce surnom et pourtant. Pourtant cette femme avait le don de lui faire perdre contact avec la réalité. Le don d’attiser sa curiosité. Elle appréciait sa compagnie, même sans en avoir de raisons. Si au départ, elle avait voulu connaitre Jordan car elle était devenue la meilleure amie de Noah - Et que Kate étant un peu jalouse, elle voulait savoir avec qui traînait son frère - elle avait fini par réellement vouloir connaitre la blonde lorsqu’elle avait réalisé qu’elle allait rester dans leurs vies, que l’amitié qu’elle avait avec Noah était plus forte que ce que la brunette avait cru au départ.

Puis était arrivé le moment où elle avait emménagé avec la blonde. Au départ, elle était heureuse de pouvoir enfin arriver à lui parler, Jordan ne semblait pas bien ouverte à discuter avec elle. Kate n’appréciait d’ailleurs pas vraiment cette distance que la blonde avait établies entre elles, mais c’était devenue comme un jeu. Un auquel elle avait appris à apprécier jouer. Jordan était un mystère qu’elle avait encore à découvrir.

Cependant, l'étincelle de malice qu’elle percevait dans ces prunelles azures lui était inconnue. Une situation des plus inhabituelle, mais Kate se laissa guider dans la danse avec un petit sourire en coin. Scrutant dans le regard éteint de Jordan, elle comprit alors. La jeune femme était ivre. Elle n’était pas dans son état habituel, ce qui expliquait non seulement ce chaleureux accueil, mais toute cette situation. Cependant, le contact de la main de Jordan sur la sienne avait créer un choc à travers tout le corps de l’archère. Elle avait senti cette chaleur dans son ventre et ne pouvait détacher son regard de la meilleure amie de son frère. Pourquoi ? Elle n’arrivait pas à ce l’expliquer, mais elle lui sourit. Et quand Jordan s'agrippa à elle, Kate passa un bras autour de la taille de la blonde pour tenter de lui offrir un soutien supplémentaire.  Et le temps sembla s’arrêter, l’espace d’un instant. Kate sourit à la confirmation de Jordan. Un bon duo oui. Toutes deux ne savaient pas danser - ou du moins, Jordan ne savait pas danser dans cet état et Kate savait avoir deux pieds gauches dans ces situations - l’ironie de cette situation lui tira un nouveau sourire. Elle observa un instant le visage de sa colocataire qui, malgré son air éméché, était toujours aussi radiant. Un mélange de douceur et de détermination. Des traits délicats, d’une beauté singulière. Un visage honnête dans cet état instable.

Kate retint son souffle alors que la main de Jordan se posa sur son visage. Elle ressentait un frisson partout où la blonde touchait sa peau et anticipait le moment ou le pouce de celle-ci se poserait sur ses lèvres. Car elle devinait que c’était le chemin qu’avait entrepris la main de Jordan. C’était mal. Elle n’était pas dans son état normal. Mais Kate était paralysée par ce tourbillon d’émotions inconnues, jusqu'au moment où le visage de la blonde se transforma en un rictus de douleur.

« Jordan ? » La voix inquiète de Kate brisa le silence de cet instant, mais sa colocataire reculait rapidement vers son lit. Complètement prise au dépourvu, Kate fit un pas dans la direction de la blonde pour tenter de l’aider. Bien qu’elle ne savait pas comment elle allait s’y prendre. « Jordan, ça va ? Qu’est-ce qui se passe ? » En approchant, son pied heurta la bouteille vide, attirant son attention. Une bouteille d’alcool fort. Pas une canette de bière. Pas un de ces cocktails pré-faits. Non, une bouteille d’alcool fort… Complètement vide. « Oh Jordan… »Kate soupira, mais s’approcha de Jordan, posant une mais qui se voulait rassurante sur le genou de celle-ci. « Je vais aller chercher de l’eau, d’accord ? ça va aider. » Elle attendait simplement un mouvement pour bouger, Une confirmation que si elle allait chercher cette petite solution, bien que ça ne serait sans doute pas assez, tout irait bien. Et elle avait peur, Kate, qu’il n’arrive quelque chose si elle s’éloignait.

Jordan entendait Kate prononcer son prénom à plusieurs reprises, mais elle ne parvenait pas à réagir. Son esprit était entièrement absorbé par les tourments de son estomac et les vagues de nausées qui menaçaient de la submerger. Les battements de son cœur résonnaient dans ses tempes, tandis qu'elle luttait désespérément pour garder le contrôle et empêcher les vomissements de surgir. Les mots de Kate semblaient lointains, comme étouffés par le tumulte intérieur qui la consumait. Chaque fibre de son être était tendue dans une bataille silencieuse contre l'envie irrépressible de céder au tiraillement qui la tourmentait.

Pendant toute la durée de sa grippe, elle avait lutté avec acharnement, mais chaque frisson, chaque douleur, lui rappelait ce moment terrifiant sous le blizzard. C'était le moment où Noah avait frôlé la mort. Pourquoi cette pensée revenait-elle maintenant, alors qu'elle avait essayé de chasser toutes les tensions de son esprit ne serait-ce qu'un instant, en se laissant emporter par les effets de l'alcool ? Les souvenirs de cette nuit glaciale étaient aussi percutants que le froid mordant qui avait enveloppé leur corps alors qu'ils luttaient pour leur survie. Leur épreuve avait laissé des cicatrices invisibles, des ombres qui semblaient la poursuivre jusque dans les moments les plus simples de sa vie quotidienne.

Cela semblait aider son père à l'époque, pourtant, se noyait-il aussi profondément dans l'alcool pour étouffer ses propres souffrances intérieures ? Cette question tournait dans son esprit alors qu'elle se remémorait les nuits où elle le voyait s'enfoncer dans les méandres sombres de la dépendance. Il trouvait refuge dans les bouteilles comme si elles étaient les seuls remparts contre les démons qui le tourmentaient. Mais derrière ses yeux vitreux et sa démarche chancelante, y avait-il une souffrance aussi grande que celle qu'elle ressentait actuellement ? Ou peut-être même plus grande ? Elle se demandait si, tout comme elle, il avait essayé de masquer ses douleurs sous un voile d'alcool, espérant que l'ivresse pourrait les faire disparaître, ne serait-ce que pour un instant.

Quand Kate proposa de partir lui chercher un verre d'eau, Jordan attrapa son poignet instinctivement. Pourquoi avait-elle fait ça ? Elle ne pouvait pas le dire avec certitude. Peut-être était-ce parce qu'elle avait désespérément besoin d'une présence, d'un ancrage, de quelqu'un sur qui se soutenir dans ce moment de détresse. Le simple contact physique semblait lui offrir un semblant de stabilité dans le tourbillon chaotique de ses émotions et de ses maux physiques. Dans cette atmosphère oppressante, où chaque mouvement pouvait déclencher une nouvelle vague de nausées, elle avait besoin de sentir une connexion tangible, une présence réelle pour la rassurer, même momentanément.

Calmant sa respiration, Jordan se concentra intensément, sentant peu à peu les nausées commencer à s'atténuer. Elle savait que le simple fait de rester immobile, de ne pas faire de grands gestes, pouvait apaiser son métabolisme perturbé. Chaque inspiration lente et régulière devenait un acte de contrôle sur son propre corps, un moyen de calmer les tumultes intérieurs qui menaçaient de la submerger. Dans ce moment de vulnérabilité, elle trouvait un semblant de pouvoir dans sa capacité à réguler sa respiration, à apaiser les tempêtes qui grondaient dans son estomac.

La blonde lâcha un soupir qui ressemblait à un mélange étrange de sanglot et de rire, révélant les contradictions tumultueuses qui agitaient son esprit. Incapable de contenir l'afflux d'émotions, qu'elles soient positives ou négatives, Jordan se sentait comme prise dans un tourbillon incontrôlable.
Elle relâcha doucement le poignet de Kate, sentant une pointe de honte s'insinuer dans son être. Elle passa ses deux mains sur son visage, comme pour chasser les tourments qui s'y insinuaient. Dans ce geste, il y avait un désir presque instinctif de dissimuler ses émotions, de retrouver un semblant de contrôle sur elle-même. Mais derrière ce voile de gêne et de frustration, il y avait aussi une vulnérabilité palpable, un aveu silencieux de besoin et de réconfort.

Chaque jour, elle faisait tout pour éloigner Kate. Elle la trouvait exaspérante, avec ses manières enfantines et sa jovialité débordante, mais au fond d'elle-même, elle savait que ces sentiments étaient bien plus complexes. Kate lui faisait ressentir des émotions qu'elle ne parvenait pas à expliquer, des émotions qu'elle ne voulait pas affronter ni même reconnaître. C'était comme si la présence de Kate faisait surgir en elle des sentiments enfouis depuis longtemps, des sentiments qu'elle avait soigneusement dissimulés derrière une façade de froideur et de retenue et pourtant ce soir, elle la voulait à ses côtés.

"Je suis désolée," lâcha-t-elle, les mots pesant lourdement dans l'atmosphère chargée d'émotions. Ce simple mot de regret était destiné à Kate, mais il s'étendait bien au-delà de leur échange présent. C'était un aveu de culpabilité pour son comportement passé, pour la honte de n'avoir pas pu être là pour Noah, quand il avait le plus besoin d'elle. C'était également un cri silencieux de remords pour les actes qu'elle avait commis, pour avoir dû prendre la vie de trois personnes pour venger ses parents, sans savoir si ces personnes avaient elles-mêmes une famille qui les pleurait. Et au-delà de tout cela, c'était un poignant regret de ne pas avoir son frère Thomas à ses côtés dans ces moments de tourmente, de ne pas avoir sa présence réconfortante pour la soutenir dans les épreuves qu'elle affrontait seule.

Jordan se mordit l'intérieur de la joue avec force, sentant la douleur physique lui offrir un bref répit à la brûlure de ses émotions qui menaçaient de submerger son être. Sa gorge serrée, elle lutta avec acharnement pour retenir les larmes qui menaçaient de jaillir, refusant de céder à la vulnérabilité qui la consumait de l'intérieur. Chaque fibre de son être tremblait sous le poids de ses tourments, mais elle tint bon, déterminée à garder le contrôle, du moins en apparence.

Elle hésitait à quitter la pièce, Kate. Car Jordan n’avait vraiment pas l’air dans un état normal. La brunette avait eu à gérer plusieurs beuveries que ses amis avaient fait en grandissant. Elle avait elle-même abusé des bonnes choses  à plusieurs reprises - et elle n’en était pas fière - mais cette fois, ça lui paraissait différent. Elle n’était pas la personne la plus proche de Jordan, mais cette jeune femme l’avait toujours intriguée. Toutefois, malgré la distance, elle commençait à s,inquiéter. Et s’il arrivait quelque chose ? Noah ne lui pardonnerait jamais ! Et elle tente de rester calme, Kate, malgré la peur qui augmente peu à peu, prenant lentement le contrôle de ses réactions. La main de Jordan sur son poignet est une réponse claire. Elle ne bouge pas d’ici. Et Kate ne s’oppose pas à cette demande, même si ça ne lui semble pas être le meilleur moyen, mais elle ne s'oppose pas à cette demande silencieuse de Jordan. Celle de ne pas rester seule.

Elle était convaincue qu’un verre d’eau n’effacerait pas tous les problèmes de Jordan, mais pourrait au moins aider à calmer la situation. Kate lance un regard hésitant en direction de la bouteille vide. À partir de quel moment peut-on faire une overdose d’alcool ? Elle laisse échapper malgré elle un petit rire nerveux. C’est ça manière de relâcher la pression, de tenter de calmer ses propres nerfs alors qu’elle réalise qu’elle ne sait pas comment gérer la situation. Elle pourrait appeler à l’aide ? Noah saurait sans doute quoi faire. Car si elle avait vu des gens crouler sous les effets de l’alcool, jamais Kate n’avait été assez lucide pour comprendre tous les effets d’une telle crise. Puis, il y avait définitivement quelque chose de psychique derrière tout ça. Comme toutes les fois où elle avait vu sa mère - qui était en réalité sa tante - s’enfiler quelques verres pour tenter d’oublier les exccymoses qui couvraient ses bras. Noah saurait quoi faire, mais elle ne peut pas aller le chercher.

Alors doucement, elle repousse une mèche de cheveux qui collait au front de Jordan. Elle ne la quitte pas des yeux, espérant que le tout se calmerait rapidement. « Hey, ça va aller… Tu n’es pas seule. » La voix tremble un peu. Kate soupire intérieurement, elle n’avait jamais été la meilleure pour gérer ce genre de situation et elle le réalisait à présent. Cependant, la brune recula, une expression d’incrédulité sur le visage, alors qu’elle n’était pas certaine si sa colocataire s’était mise à rire ou à pleurer. Clairement, il y avait des émotions à accepter ici. Clairement, elle ne devrait pas être là, ce n’était pas à elle d’être là. Pourtant, elle avait tellement tenté d'établir un contact avec Jordan Lewis. Serait-elle hypocrite de rester pour avoir cette chance, alors que l'entraîneure faisait tout pour l’éloigner d’elle ?  

L’emprise autour de son poignet s'affaiblit, jusqu’à la libérer et puisque Jordan semblait avoir repris le dessus, Kate - qui était jusqu’alors à genoux auprès de la blonde - bascula vers l’arrière et s'assit sur le sol. Relevant un peu les genoux, elle accota ses avant-bras sur ceux-ci et attendit. Parce qu’elle était mal à l’aise. Parce qu’elle ne savait pas quoi dire. Mais parce que la demande avait été claire, elle ne quittera pas. Pas avant qu’on ne lui ait clairement, verbalement et expressément, demandé. Quelque chose la poussait à vouloir rester aussi, une besoin intrinsèque de s’assurer que Jordan allait bien. Alors elle attendit. Elle attendit que la blonde se sente prête à reprendre la parole. Et le regarde Kate ne quitta jamais la silhouette de la jeune femme. Jordan était une énigme. Une énigme fascinante, un mélange de force et d’une vulnérabilité que Kate n’avait jamais vu avant cette soirée, Une vulnérabilité qu’elle ne soupçonnait pas, tellement l’esprit vif et la détermination de Jordan avaient toujours attiré son attention. Elle observa les traits honteux de la jeune femme, en se demandant pourquoi une telle honte. Il arrivait à tout le monde de tomber, d’avoir besoin d’une présence, de commettre des erreurs. Il n’y avait pas de mal à cela. Kate découvrait à présent que le mystère qui entourait Jordan J. Lewis était encore plus grande que ce qu’elle avait imaginé. Et voilà qu’elle se sentait indéniablement et inexplicablement attirée vers ce mystère, cette force magnétique que représentait cette femme, dans son mélange de détermination et de profondeur inavouée.

Réalisant soudainement la teneur de ses pensées, Kate écarquilla les yeux et secoua la tête. ELle reprit rapidement contact avec la réalité et porta son regard sur le mur à sa droite, cherchant à éviter le regard de Jordan. Mais les paroles de la blonde firent en sorte que Kate posa à nouveau son regard sur celle-ci.

« Tu n’as pas à t’excuser. » Ça arrive à tout le monde. Mais Kate semblait rester inconsciente du propos sous-jacents. Car là où les paroles de Jordan avaient beaucoup de profondeur, Kate restait aveugle à cette perspective. Elle n’était que dans le moment présent. Et dans cette ignorance la plus totale, elle vit cependant Jordan se briser un peu plus. « Tu…. Tu veux en parler ? » Maladresse. Maladresse qui émanait toutefois d’une intention louable, celle d’aider cette femme qui l’intriguait tant.

Entendre Kate lui dire qu'elle n'était pas seule, n'était pas un mensonge. Elle avait Noah, Aurora, Olivia... une armée d'amis prêts à la soutenir. Pourtant, malgré cet entourage, elle se sentait isolée, comme si un vide béant dévorait son âme. Ses émotions, au lieu de s'apaiser, semblaient se battre en duel, se percutant violemment dans les méandres de son esprit tourmenté. La décision impulsive de noyer ses démons dans l'alcool avait été une erreur monumentale. Elle réalisait maintenant qu'elle n'avait aucun contrôle sur ses émotions déchaînées.

Une envie irrépressible la submergeait : pleurer à chaudes larmes, hurler sa détresse à la face du monde, ou même se frapper pour tenter de réveiller ses sens engourdis. Tout ce qu'elle désirait, c'était que ses pensées tumultueuses fassent une pause, juste un instant, pour lui permettre de respirer à nouveau. Elle aspirait à un répit, même fugace, dans ce tourbillon émotionnel qui menaçait de l'engloutir tout entière.

Kate s'était assise devant elle par terre, une présence silencieuse empreinte de sollicitude. Jordan, troublée, se demandait pourquoi elle restait là, pourquoi elle prenait soin d'elle malgré tout. Les échanges entre elles étaient rares, limités à l'essentiel. Jordan se tenait souvent sur la défensive, sa froideur dissimulant mal ses craintes intérieures. La brune avait cette capacité troublante de la déstabiliser, de lui faire perdre ses repères habituels, de lui faire ressentir des émotions qu'elle n'avait jamais vraiment éprouvées pour qui que ce soit. Cette réalisation la terrifiait, ébranlant les fondations de ses certitudes, lui ouvrant des abîmes de vulnérabilité qu'elle s'était toujours efforcée de dissimuler.

"J'ai... Je... voulais juste oublier, ne serait-ce qu'un instant ?" souffla-t-elle finalement, sa voix à peine audible, comme si chaque mot lui coûtait un effort surhumain.

Son regard, empreint d'une détresse manifeste, s'était posé sur la bouteille vide étendue sur le sol, sa vision légèrement floue, comme si un voile s'était déposé devant ses yeux. Un soupir tremblant s'échappa de ses lèvres sans qu'elle ne puisse le retenir, une exhalation chargée du poids de ses tourments intérieurs. Un frisson parcourut son corps, même si la température de la pièce n'était pas des plus élevées. Dans son accoutrement, elle n'avait rien pour se réchauffer, mais étrangement, elle ne ressentait pas le froid. L'alcool continuait de brûler dans ses veines, un feu intérieur qui lui procurait une chaleur trompeuse.

"Je regrette tellement de choses..." murmura-t-elle, sa voix empreinte de remords et de tristesse. Les mots semblaient s'échapper de sa bouche chargés du poids des souvenirs et des décisions regrettées qui pesaient lourdement sur son esprit. "Que parfois j'ai l'impression de me noyer, d'étouffer" ajouta-t-elle d'une voix à peine audible, comme si avouer cette sensation d'asphyxie lui coûtait une part de son âme déjà tourmentée.

"Tu as failli perdre ton frère parce que je n'étais pas à la hauteur...Puis j'ai tellement de sang sur les mains," avoua-t-elle d'une voix brisée, les mots lourds de culpabilité. Chaque syllabe semblait être accompagnée du poids de ses erreurs passées, une charge insupportable qu'elle portait comme un fardeau inévitable.

Son regard se porta instinctivement sur ses mains, comme si elle cherchait à balayer ses propres paroles. D'un geste nerveux, elle se les frotta, comme pour tenter de chasser les souvenirs douloureux qui semblaient s'y accrocher obstinément.
"Et jamais je ne retrouverai mon petit frère…" articula-t-elle entre deux hoquets, sa voix étranglée par l'émotion. Les mots résonnaient dans la pièce, chargés d'une tristesse profonde et d'un désespoir palpable.

Jordan, submergée par l'angoisse, déposa ses deux mains sur son visage pour se cacher du monde. Ses larmes chaudes s'écoulaient entre ses doigts, s'écrasant dans ses paumes comme des gouttes de pluie sur un sol aride. La douleur était si intense qu'elle avait l'impression que son cœur allait se briser en mille morceaux. Elle sentait en elle une montée irrépressible, un besoin primal de laisser échapper toute cette souffrance refoulée. Elle voulait hurler jusqu'à ce que sa voix se brise, jusqu'à ce que le poids de son chagrin s'envole avec chaque cri déchirant.

Quand elle regarde dans les yeux de Jordan, Kate croit remarquer cette lueur discrète. Celle qui lui prouve que ses mots ont bel et bien atteint ce mystère qu’est Jordan Lewis. Mais elle hésite, car elle est également consciente qu’il s’agit potentiellement de son imagination. Que la volonté qu’elle possède à l’idée que ses mots puissent aider la blonde ne lui joue des tours. Mais elle s’accroche à ce mince espoir, à celui que Jordan est attentive à ce qu’elle lui dit. Elle n’avait jamais vu la blonde dans un tel état, c'en était déstabilisant. Mais la demande avait été claire, Kate ne pouvait quitter la pièce, ni pour de l’eau (qui lui semblait toujours être une bonne idée), ni pour de l’aide. Noah saurait sans doute mieux comment gérer la situation, après tout Jordan était son amie. Mais non, il avait fallu que ce soit Kate. Dans toute sa maladresse. Dans toute sa confusion par rapport à Jordan.

Elle ne dit rien, Kate. Elle lui laisse le temps de digérer la situation. Elle invite Jordan à parler, mais ne poussera pas plus. Elle ne veut pas profiter de la faiblesse de la blonde pour obtenir des informations, elle ne veut pas être pressant ou insistante, mais cette détresse lui fait peur. Elle n’imaginait pas tant de noirceur, tant de douleur. Mais encore une fois, Jordan avait toujours été une force mystérieuse à ses yeux. Insaisissable. Elle découvrait peu à peu ce qui se dessinait derrière le masque. Kate avait déjà fait face à des moments de ce genre, une présence avait toujours été la bienvenue, même celle de ses pires ennemis. Elle ne considérait pas Jordan comme une ennemie, loin de là - une jalousie dû au fait que Noah l'avait remplacée par une autre, peut-être bien, mais une ennemie, ça non - et elle ne voulait pas que quelqu’un se sente seul par sa faute. La froideur de Jordan lui avait toujours paru comme un défi. Si son frère appréciait cette femme, Kate allait apprendre à la connaitre aussi. Une énigme à résoudre. La brunette prenait alors conscience qu’il ne s’agissait que de la pointe de l’iceberg.

Et elle attend. La main posée sur le genou de Jordan, après que celle-ci ait relâché son poignet. Signe de sa présence, de son écoute si elle le désirait. Mais elle n’insiste pas. Et puis, la brunette se dit que si Jordan arrivait à s’endormir, cela ferait passer l’alcool plus rapidement, ce pourrait être le mieux dans cette situation. Mais elle attend, sans trop savoir quoi dire.

Elle fronce les sourcils alors que la blonde commence à parler. Elle ne s’attendait pas à une confession, même si elle avait proposé. Oublier ? Kate força un sourire désolée. Elle comprenait. Ô comme elle comprenait, même sans en connaître les raisons exactes, l’envie d’oublier.Kate pressa doucement le genou de la femme, signe de sa compassion. Elle cherche ses mots. « Tu veux dire.. le passé ? » Bien entendu le passé ! Elle ne voulait certainement pas oublié un avenir inconnu. Mais la question était plutôt de savoir si c’était récent - le camp, le blizzard, la vie à la Tanière -, ou si Jordan faisait face à des démons plus anciens. Le frisson qui parcourt Lewis ne lui échappe pas et Kate se relève une seconde pour aller prendre une couverture de son côté de la pièce. Elle la pose alors sur les épaules de Jordan et reprend place sur le sol, attendant la suite de cette conversation.

Elle ne sait que répondre à toutes ces confessions. Kate est déchirée à l’intérieur, elle voudrait tant trouver les bons mots, mais la situation lui échappe complètement. Elle ne connait rien du passé de Jordan, il est donc difficile pour elle de comprendre la portée de ses mots, mais elle retient une situation en particulier, une qu’elle connaît. Elle soupire légèrement. « J’étais morte de peur quand j'ai su pour Noah…. Mais c’est un grand garçon, il connaissait les risques. » Elle offre un sourire triste. Elle aurait été dévastée de le perdre, Kate, elle le sait, mais une tempête n’est la faute de personne.

Cette fois, elle avait cependant l'impression que ses mots heurtaient un mur. Qu’ils ne passaient pas la barrière des pensées de la blonde qui continuait à parler.  « Tu as un frère ? ». La surprise marque ses traits, l’espèce d’un instant. Kate bougea, pour se mettre à genoux, et posa les mains sur celles de Jordan. « Jordan… Ton frère, il est comment ? » Parles-moi de lui, expliques-moi ? « Parce que de mon point de vue, il est sans doute débrouillard comme toi ! Vous êtes tous deux de vrais combattants, non ? Je suis certaine qu’il s’en est sorti. » Elle lui offre un nouveau sourire, cette fois bien déterminé. « On le retrouvera ensemble, t’inquiète pas ! » Ce n’était que des mots, des mots cherchant à apaiser une peine causée par l’alcool. Kate doutait même que Jordan ne soit en mesure de se souvenir de cette conversation le lendemain. Mais elle comptait bien tenir cette promesse.

Jordan ne voulait pas simplement oublier; elle aspirait à ce que son esprit lui offre un répit, un moment où elle pourrait enfin respirer, dormir sans être assaillie par le tumulte incessant de ses pensées. Ses erreurs, ses doutes, son passé douloureux lui tournaient en boucle dans la tête, comme une danse épuisante qu'elle ne parvenait pas à interrompre. Elle désirait ardemment une pause dans ce flot incessant, une pause pour vivre, pour respirer. Pourtant, à mesure qu'elle avançait, cette liberté semblait de plus en plus hors de portée.

Cependant, Jordan avait trouvé une nouvelle famille, de nouveaux liens qui la rattachaient au présent. Des personnes pour qui elle se souciait profondément. Parfois, elle se reprochait même d'avoir commencé à faire le deuil de son frère. Chaque instant où elle laissait s'effacer l'espoir de le revoir, de sentir à nouveau sa présence réconfortante.

"Les regrets, mes fautes ?" s'exclama-t-elle, plongeant son regard brillant dans celui de Kate qui se tenait en face d'elle. Un frisson d'émotion parcourut sa voix alors qu'elle prononçait ces mots, comme si chaque syllabe était chargée du poids de ses tourments passés.

Son regard déclina, une lueur de tristesse voilant brièvement ses yeux, tandis qu'elle sentait la main de Kate se retirer de son genou. Elle suivit le geste de la brune qui s'éloignait pour chercher une couverture, puis revint vers elle pour la déposer sur ses épaules. Attrapant les bords de la couverture, elle l'enroula autour d'elle avec reconnaissance, ses gestes empreints de la chaleur d'une tendre gratitude. “Merci”

L'alcool libérait sa langue, faisait jaillir des confessions qu'elle avait tenté de garder enfouies depuis son arrivée ici. Personne ne connaissait son passé, son désir de vengeance, même si pour certains, son geste semblait justifié. Pour elle, ce n'était pas le cas. Elle regrettait amèrement ses actes. Trois vies éteintes par sa main, trois hommes qui peut-être étaient attendus ailleurs, par leur femme, leur enfant.

La blonde laissa échapper un rire sarcastique. Noah était un grand garçon, certes, mais il était aussi un idiot fini, une drama queen de première. Pourtant, malgré tout, elle regrettait de ne pas lui avoir rendu visite lorsqu'il était éveillé dans son lit d'hôpital. Elle avait préféré passer pendant qu'il dormait, la peur lui nouant l'estomac. Elle ne savait pas quoi dire, quoi faire. Les regrets pesaient sur elle, comme le fardeau d'une occasion manquée, d'une connexion perdue.

"Je... je n'ai pas réussi à lui rendre visite quand il était éveillé. C'était trop difficile, et je sais qu'il m'en voudra toujours...", murmura-t-elle d'une voix chargée d'émotion. "Je n'ai pas su être là pour Willow, ni pour toi... J'aurais dû être capable de gérer, mais je suis épuisée de tout."

Depuis son enfance, elle avait endossé toutes les responsabilités, protégeant son frère et sa mère des ravages causés par son père alcoolique. Elle travaillait après l'école pour contribuer financièrement, prenant sur ses épaules un fardeau trop lourd pour son jeune âge. Son engagement dans le domaine de l'aide à la famille était teinté d'une passion dévorante, mais aussi d'une incapacité à laisser qui que ce soit l'aider en retour, pas même son propre frère. Elle aspirait à paraître forte, à garder les épaules droites, mais la fatigue et le poids de ses responsabilités commençaient à la submerger.

Quand la brune aborda le sujet de son frère, évoquant avec assurance la perspective de le retrouver, alors que cela était impossible car il se trouvait à des milliers de kilomètres, Jordan ressentit une douleur poignante et une colère dévorante. Kate n'y était pour rien, bien sûr ; elle tentait simplement de la réconforter. Mais cette affirmation lui avait infligé une blessure plus profonde que tout ce qu'elle aurait pu imaginer.

Jordan balaya la main de Kate d'un geste brusque du revers de sa main et se leva d'un mouvement vif, faisant glisser la couverture de ses épaules. "Tais-toi !" lança-t-elle d'une voix chargée d'émotion, mêlant colère et douleur. Son visage était baigné de larmes alors qu'elle prononçait ces mots avec une intensité bouleversante. "Je t'interdis de parler de lui. Jamais je ne pourrai le retrouver !" Sa voix tremblait d'une émotion palpable, teintée de désespoir et de résignation.

La blonde se pencha pour attraper le col de la brune, mais dans son geste précipité, elle perdit l'équilibre et tomba à genoux, ses jambes refusant soudainement de la soutenir.

Son poing serré dans le tissu, elle fixait Kate avec une intensité brûlante. "Comment ? Comment pouvons-nous le retrouver ensemble ? Dis-moi ? Il est en France, à Paris, à l'autre bout du monde." Sa voix tremblait d'une frustration impuissante

"En plus, pourquoi ferais-tu ça pour moi ? On n'est même pas amies !" cracha-t-elle, ses mots empreints de ressentiment. Mais bientôt, la réalisation de la cruauté de sa phrase la frappa de plein fouet. Kate n'était pas obligée de lui prêter assistance, ni même de rester à ses côtés, et pourtant, elle était là, essayant de la soutenir. Relâchant sa prise, sa main retomba sur le genou de la brune. "Désolée," murmura-t-elle, sa voix empreinte de remords et de reconnaissance. “Kate… Je suis désolée, je ne le pensais pas... ” Jordan avait resserré sa prise sur son genou comme pour accompagner ses paroles, exprimant ainsi son repentir sincère.