Stars don't shine they burn // Eva

Fatigué… Si épuisé, éreinté.
Le besoin de fermer les yeux. Plonger dans un sommeil. Besoin de dormir.

Il traine de la patte. Le stade à l’horizon, il se rapproche. Si au départ le bâtiment n’est pas plus gros qu’une petite fourmi, au fil du temps, l’édifice devient imposant. Il serre les dents à chaque pas. Son dos lui fait un mal de chien -son omoplate qu’il tente par tous les moyens de laisser au repos réveil la douleur à chaque secousse-. Peut-être que Hanaë pourra l’ausculter afin de s’assurer que ce n’est pas plus pire. De solidifier sa posture pour que son corps puisse se reconstruire. Mais avant, Oliver avait en tête une seconde intention. Mya. Il doit lui dire qu’il est là. Elle doit être inquiète comme jamais. La tempête l’a ralenti dans sa marche de retour et probablement que les pires scénarios ont déjà commencé à jouer dans l’esprit de la dernière Blackwood.
Alors qu’il lui avait promis de revenir -comme il l’avait toujours fait-. Cette même promesse dans une boucle perpétuelle.
Elle était la raison pour laquelle il retournait au Refuge. Elle… et Eva. Les jumelles -qui au final- restaient tout ce qu’il avait. Samuel avait refusé de le suivre, de s’éclipser de l’emprise de la Colline, prétextant qu’il ne souhaitait mettre personne en danger pour sa personne. L’ironie qui lui rit au visage. L’ancien soldat faisait partie des rangs armés américains. Sa vie consistait littéralement à mettre son existe sur la corde raide pour autrui. Mais son meilleur ami a préféré émietter son cœur et a laissé échapper les morceaux meurtris chutant sur le sol glacé.
Il lui en veut de l’avoir repoussé.
Il le déteste.
La haine en elle-même ne peut démontrer toute la colère qui coule dans ses veines.

Son poing frappe contre la porte métallique blindée. Il étouffe un hurlement de douleur qui résonne dans tous les os de son corps. La force d’impact porte ses fruits et on lui ouvre. Ses pieds franchissent le seuil de cette zone sécuritaire, pourtant le poids sur ses épaules l’écrase d’autant plus.
Il se hâte de questionner les patrouilleurs qu’ils croisent, mais tous le laissent sans réelle réponse; ils ignorent où se trouve Mya. Oliver commence sa recherche par la chambre des jumelles. S’il ne rencontre pas la plus jeune, peut-être découvrira-t-il l’aînée, mais sa chance s’envole dès qu’il se cogne le nez à un appartement vide. Il rebrousse le chemin et continue d’interroger chaque passant qui coupe sa route. Jusqu’à ce qu’une jeune femme daigne éclaircir sa lanterne. La stupeur s’empare des traits de son visage. Sans même la remercier, l’explorateur en chef se laisse tomber contre le mur du couloir. La douleur que son corps lui assène n’est rien face à la cruelle réalité qui s’impose devant lui.
Samuel s’est esquissé.
Mya n’est plus dans les parages.
Eva n’a pas donné de signe de vie depuis le blizzard.

Tout son monde s’écroule.
Il n’a plus rien.
Il ferme les yeux une fraction de seconde. Néanmoins c’est amplement suffisant pour le faire sombrer.

La vision trouble, Oliver parvient à déceler une voix lointaine. La lumière l’aveugle et ses paupières refusent de s’ouvrir à nouveau. La voix s’éclaircit quant à elle et le soldat arrive à reconnaître à qui elle appartient.
Il maugrée, mais son protégé le force à ne pas retomber prisonnier dans les bras de Morphée. Aucune idée combien d’heures la vie lui a accordées de repos, mais l’énergie manque toujours à l’appel. Il se relève et lorsque ses pralines azurées s’habituent à la luminosité, il se rend compte que sa personne est dans son lit. Dans sa chambre. Il n’a aucun souvenir d’y avoir mis les pieds pourtant… Mais Eliott ne lui octroie aucun répit. Les paroles de son acolyte a l’effet d’une boisson énergisante. Oliver ne demande aucune info supplémentaire qu’il se lève et se dirige vers le lieu de vie commun.

Eva est là!

Il doit le voir de ses propres yeux pour le croire. Il déambule tel un rôdeur à travers les couloirs jusqu’à débarquer à sa destination. Il balaie la salle jusqu’à ce que ses iris ciblent la silhouette de sa petite sœur.

— Eva!

Sa voix porte au point que plusieurs regards se posent sur lui, mais il en fait abstraction. Il s’élance vers elle. Ses bras enveloppent le corps frêle de la jeune demoiselle malgré le mouvement restreint de son épaule. Bordel. Elle est bien là. Mais une plainte échappée de sa petite sœur a raison de son étreinte.

— Tout va bien?

Je ne sais pas si j'ai déjà été aussi heureuse de revoir le stade. Je suis congelée par le froid, et même si je m'en tire mieux que mes copains de l'église, je n'ai probablement pas très bonne mine. À cause des mes conneries, évidemment. Je ne vais pas mentir; je peine à tenir sur mes deux jambes, mais je dois m'assurer de la sécurité de ma jumelle. C'est probablement mon inquiétude à son sujet qui me permet même d'avancer et de ne pas m'écrouler. Ça, et l'envie de coller mon poing à la figure de ce qui sert de grand frère. Je vais le ramener de force, s'il le faut - simplement pour pouvoir lui faire la leçon, comme celles qu'il aime tant donner à Aiden.

Mais rien ne se passe comme prévu, sur le chemin du retour. J'ai les mains enfoncés dans mes poches, pour les réchauffer. Mettre un pied devant l'autre est suffisant pour me voler toute mon énergie et ma concentration, et je réalise trop tard la présence de rôdeurs à ma droite. Je les attire dans un petit cabanon abandonné, puisqu'ils ne sont pas plus que quatre ou cinq. Quelque chose qui, en temps normal, serait facile à gérer, pour moi. Mais j'ai la tête ailleurs, je manque de sommeil, et le tourbillon de mes pensées affecte mon agilité habituelle. Alors que je suis en train de courir pour mettre de la distance entre le cabanon et moi, simple précaution - je trébuche sur la racine d'un arbre, à moitié cachée par la neige glacée laissée derrière par la tempête. Je ne peux m'empêcher de lâcher un cri de surprise - et de douleur, quand mon visage vient rencontrer le sol. À cause du dénivelé, je déboule jusqu'à ce qu'une paroi rocheuse arrête sèchement ma course, et une douleur vive me traverse le corps, au niveau de mes côtes.

Le souffle coupé, je relève le tissu qui couvre ma peau pour réaliser qu'une roche coupante est à moitié enfoncé dans ma chair déchirée. Bordel de merde. Ma poitrine se soulève à un rythme infernal, mais je n'ai pas le temps de m'attarder à la blessure que j'attire déjà d'autres curieux. Deux décharnés qui semblent heureux de rencontrer leur dîner. Ils sont trop près, et je dois ramper pour éviter le premier qui se jette à mes pieds. La roche coupe ma peau un peu plus, avant que je ne l'arrache de là, dans un grognement sourd. Je me relève tant bien que mal, dégomme le deuxième avec ma matraque et recommence à courir sans regarder derrière moi.

Je ne sais pas combien de temps il me faut pour finalement regagner le refuge, mais j'arrive enfin à destination, me posant hâtivement dans la salle commune sans avoir la force de me rendre à ma chambre. Le chaos qui règne autour est agaçant - c'est trop pour moi. Je ne capte pas pourquoi mon retour ici semble créer autant de désordre, mais je sais reconnaître la voix d'Oliver à travers les murmures confus. Le silence reprend ses droits, pendant un instant, tandis que tous les regards se tournent sur lui. Je lève les cils, soulagée comme je l'ai rarement été de le voir enfin en chair et en os.

« Oliver. » que je souffle tout bas alors que je le vois s'élancer vers moi.

« Mya - où est-elle, où est Mya? » que je demande sans arrêt, regardant tout autour sans pouvoir la trouver. La panique n'est pas loin, mais mon frère me serre dans ses bras - et si je tente de faire pareil, je ne suis capable que de gémir en grimaçant. Putain, j'avais oublié ma chute. Enfin, presque. Je pose lentement les doigts à mon ventre, puis à mes côtes, pour ensuite regarder le sang qui les recouvre. J'ai la tête qui tourne un brin quand je relève les billes sur Oliver. « Je - je crois que j'ai besoin de points de sutures. » C'est tout ce que je trouve à dire - et honnêtement, je ne sais pas comment je fais pour trouver la force de parler, et encore moins de garder les yeux ouverts.

C’était bien elle. Son propre prénom à travers le souffle quasi inaudible de sa petite sœur fait évaporer le moindre soupçon. Un poids se libère de sur ses épaules -du moins une infime partie-. Il ignore comment son corps parvient à se déplacer, mais il s’élance à elle pour l’étreindre dans ses bras. La sentir contre lui. À quand remontait la dernière fois qu’il l’avait serré dans ses bras ainsi? Sa mémoire lui faisait défaut et un pincement à son organe battant ordonne ses bras de se contraindre davantage -jusqu’à ce qu’une plainte y met fin-.
Il inspire, déglutit avec difficulté en s’apprêtant à éclairer la lanterne à Eva. Sa question répétée en boucle ne fait qu’accroître sa propre inquiétude de n’avoir aucune nouvelle de la plus jeune jumelle. L’évidence même que Eva se retrouvait dans la situation identique lui crevait le cœur. Si Mya ne le tenait pas au courant, sa sœur était la source de référence à laquelle on pouvait espérer retirer une information. Mais le néant engloutissait les deux de la fratrie.

Il n’a guère le temps de répondre que l’avant-dernière Blackwood attire son attention sur tout autre chose. En intimant une distance, ses pralines inquiètes suivent la main qui s’appose et longe le corps de la demoiselle. La vision d’horreur lui transmet un frisson qui parcourt toute l’échine. Tout ce liquide rouge qui teinte ses doigts. Depuis combien de temps elle perd son sang de la sorte? Comment fait-elle pour tenir encore sur ses jambes?
Il fige une fraction de seconde avant de demander à sa sœur de le talonner -afin de s’éloigner des regards indiscrets qui se multipliaient sur leur silhouette-. Il arpente les couloirs jusqu’à arriver aux portes numérotées. Près de la chambre des jumelles, néanmoins c’est dans celle affichant le chiffre 24 qu’il s’enfonce avec Eva. Il l’aide à s’asseoir sur son lit.

— Soulève ton chandail, laisse-moi voir ta blessure.

L’explorateur en chef préférait laisser sa sœur s’y atteler pour éviter d’effleurer la plaie ouverte. En attendant, il tire de sous le lit une trousse de premier soin qu’il avait planqué. Samuel lui avait dicté de la garder ici. Oliver s’obstinait parfois à fermer les yeux sur les lésions couvrant son corps à ses retours d’expédition. Les dissimulait pour éviter à se voir contraint de se rendre à l’infirmerie. Or, son meilleur ami -l’est-il encore d’ailleurs?- l’engueulait lorsqu’il se rendait compte de la supercherie. Alors le médecin avait outillé cette chambre de quelques trucs basiques pour que ce dernier puisse soigner l’entêté de service.
Cette boîte ne renfermait plus autant de fourniture médicale qu’avant, mais l’ancien soldat savait que des points de rapprochement y erraient encore. Il farfouille jusqu’à les trouver. Les déposes sur le drap. Il déniche la bouteille d’alcool. Elle est légère… un peu trop. Il prie pour qu’il reste quelques gouttes.
Le gaze entre les mains, il déverse le peu de liquide. Le tissu imbibé, il croise le regard bleuté de sa sœur.

— Ça va brûler…

Il avertit, même s’il a conscience qu’Eva s’y attend. Il l’applique sur la plaie. La réaction s’enchaîne et Oliver en profite pour nettoyer le sang qui s’échappe sous la contraction des muscles. Délaissant le morceau rougeâtre qui tombe au sol, il s’empare des points de rapprochement et les installe avec une délicatesse vacillante -mais il tente au mieux-. Il n’a pas les capacités de Samuel dans la matière et jure silencieusement que cet imbécile n’est pas ramené son cul ici. Ses sourcils froncent à cette pensée désagréable et qui lui broie le myocarde. Il chasse néanmoins du revers de la main pour se concentrer sur Eva. Elle était sa priorité à l’instant T.

— Ce n’est pas parfait, mais ça devrait aider ton sang à coaguler et à arrêter le saignement. Tente de ne pas solliciter trop cette partie.

Plus facile à dire qu’à faire, il en a conscience. Son regard se baisse sur ses mains tachées du sang de sa sœur. Une situation qu’il s’était toujours promis d’écarter. Il lui offre un chandail pour qu’elle puisse émettre une pression sur sa blessure et avoir quelque chose pour absorber le surplus de sang.

— Qu’est-ce qui t’est arrivé? Tu étais où?

L’inquiétude parsème sa voix, mais une once d’irritation s’immisce également.
Laver ses mains pouvait bien attendre. Il voulait d’abord comprendre la disparition de Eva au sein du Refuge et surtout la raison de cette blessure alarmante.

Je pense que je pourrais le frapper, si j'en avais la force. Non parce que je vois tout de suite qu'il est incapable de me répondre, par rapport à ma petite soeur. Et j'ai envie d'hurler. Il n'a pas la moindre idée d'où elle se trouve. Je plante mon regard dans le sien, enragée - mais surtout complètement désabusée. La détresse s'imprime sur mes traits, tandis que mon rythme cardiaque accélère à une vitesse folle. J'ai l'impression que vais tourner de l'oeil. Et si j'ai envie de retourner dehors illico pour m'assurer de retrouver Mya saine et sauve, je me doute qu'Oliver ne me laissera pas repartir si facilement, quand il pose les billes sur le sang à mes doigts.

Il ne me laisse pas le choix de le suivre non plus, m'entraînant dans les couloirs du stade jusqu'à une pièce dont je ne sais strictement rien. Je m'installe sur le lit - non sans son aide - avant d'obéir à sa demande. Mais j'ai besoin d'une minute. Une minute pour retenir les larmes, pour me concentrer. Pour ne pas céder aux scénarios les plus horribles dont j'ai déjà les images, dans mon crâne. Je lève lentement mon t-shirt, retenant ma respiration pour encaisser la douleur. Une partie de moi s'entête à ne pas lui montrer à quel point je galère - je ne sais pas si j'y arrive vraiment. Je me retourne vers lui, n'empêche, quand il a la gentillesse de m'avertir, avant de nettoyer la plaie.

Je me crispe aussitôt, saisissant le matelas de ma main libre pour tenter d'ignorer la douleur. C'est inutile - sans grande surprise. Quelques mèches de cheveux collent à mon front, d'ailleurs, tant mon corps lutte en silence. Je tourne la tête pour observer mon grand frère - ce que je fais rarement, je dois l'avouer. Mais je n'ai pas besoin de plus de quelques secondes pour comprendre qu'il ne va pas bien. Je fronce un peu les sourcils, me demandant si ce que je peux lire sur ses traits est aussi triste que je ne le pense.

Oh, je n'ai pas le temps de m'en préoccuper bien longtemps, pourtant - puisque ses vilaines pattes ne peuvent que me faire souffrir encore plus. Or, il termine enfin, me laissant reprendre mon souffle alors qu'il m'informe que ce n'est pas parfait, mais que ça devrait tenir. Par réflexe, j'essaie de regarder ma plaie - avant de réaliser que c'est complètement impossible.

« Merci, Ollie. » que je lâche tout bas, m'emparant de ce qu'il me donne pour venir faire pression contre la blessure, non sans une nouvelle grimace. Je tente de ne pas trop bouger - pour lui faire plaisir, jusqu'à ce qu'il parle à nouveau. Évidemment, je ne suis pas étonnée de sa question.

« J'étais en expédition, et j'ai réalisé trop tard que je ne pourrais pas rentrer, avec le blizzard. C'était un plan pour crever dehors. Je ne pouvais quand même pas prévoir un tel cocktail météo, okay? Je ne voulais inquiéter personne. » C'est la vérité, quoi, même si mes mots sont peut-être un peu tranchants. Parce qu'Oliver n'est pas en position pour me faire des reproches, si j'en crois ses propres décisions, dernièrement. « Je n'ai pas eu le choix de me réfugier dans une église, avec quelques autres étrangers, le temps que ça passe. » Et je ne lui mentionne certainement pas le prénom du type avec qui j'ai partagé une couverture pendant la nuit - des plans pour qu'il se fasse tuer par le militaire.

« C'est en rentrant que... » Je pointe mes côtes, vaguement. « Une chute stupide, vraiment; le terrain ne m'était pas familier. Je trébuche, donc, et je dégringole d'une petite falaise. La pointe d'une roche aiguisée s'enfonce dans ma chair, sauf que je dois aussi gérer deux infectés en même temps, alors - » Je m'arrête dans mon récit, soudainement.

Un truc percute, alors que je suis en plein milieu de mes explications. « Attends, je - » Je me relève sur mes coudes en levant les cils sur lui, malgré la tension désagréable sur ma plaie. Je n'ai pas la moindre goutte d'énergie pour le faire, mais il semble que la tête de pioche en moi refuse de s'assagir. « Je rêve, putain, tu - t'es en colère contre moi? C'est de la frustration, que je note dans tes mots, là? » Enfin, peu importe ce que c'est, il peut très certainement noter la mienne dans mon ton, maintenant.

Ce regard frôlant le meurtre, elle est loin d’être la première à le lui accorder. Leur frère lui en a déjà asservi des centaines avant même que Eva puisse l’imiter dans ses actions. La remarque surplombant ses lèvres, le sang coupe son élan. Ses priorités changent tout comme ses traits qui s’adoucissent. Il la traîne derrière lui jusqu’à sa chambre et s’affaire à cette blessure qu’il questionne un peu plus tard. Dans la foulée, il tente les premiers soins qu’il peine à offrir adéquatement. Panser, il sait faire, mais gérer une plaie ouverte, c’était la spécialité d’un autre qui brille par son absence.
La délicatesse lui manque par moment. Pourtant, il souhaite de tout faire à la perfection et rasséréner sa sœur par la même occasion. Il feint l’assurance -dans le seul but d’éviter que les larmes perlent sur le visage de la jeune Blackwood-. Son manque de sommeil, d’énergie… Les paroles d’un imbécile qui ne veulent pas lui accorder la seule seconde de répit. Il est à la limite de s’effondrer à nouveau. Il le sent. Ses mains tremblent par moment avant qu’il ne les contracte en poing pour cesser l’absence de stabilité. Il sait que s’il ose fermer les yeux plus qu’un battement de cil, il est foutu.
Mais Eva est là. A besoin qu’il ne joue pas le beau au bois dormant.

Il souffle une fois qu’il lui passe le chandail pour éviter qu’elle ne tache davantage ses vêtements. Un remerciement perse la chambre, pourtant le militaire ne peut s’en réjouir totalement. Il n’a pas ce sentiment de satisfaction. Même s’il est soulagé que sa petite sœur soit bien rentrée en vie, elle se retrouve avec une blessure inquiétante qui dépasse ses compétences. Son meilleur ami qui a refusé de revenir avec lui. Puis Mya qui est MIA.
Tout lui échappe.
Il reste percher sur ses genoux qui ne tarderont pas à exprimer des ecchymoses à la longue. Il relève son regard cerné. Sa tête se penche vers la droite un brin puis sa main vient replacer une mèche brune collée au front de sa sœur.
Puis la question fuse. Question qui déclenche le système de défense de Eva. Son sarcasme signature qu’il a entendu mainte fois, mais il l’écoute, sans l’interrompre. Même si les détails prédéterminés qu’elle lui donne le piquent. Elle a eu de la chance qu’elle soit tombée sur des individus qui auraient pu démontrer des atrocités à son égard. Mais ce n’est pas le point qui viendra le déranger le plus. Son manque de vigilance en compagnie d’infectés est ce qui a causé sa blessure. Ses sourcils se froncent, mais il n’aura vraisemblablement pas la fin de ce périple. C’est un reproche qu’elle lui balance dans la foulée -et en pleine gueule-.
Lui qui souhaitait qu’elle se repose avant de lui demander de l’accompagner les prochains jours pour retrouver Mya. Ce plan tombe à l’eau de toute évidence -devrait-il peut-être songé à en faire autant?-.

— C’est si étonnant que je m’inquiète pour ma sœur qui décide d’aller en exploration en solo en plein hiver? Il y a une raison pour laquelle nous sortons toujours minimum deux à l’extérieur, Eva.

Cet aspect primordial, Oliver lui a martelé le crâne avec ça dès qu’il a su que l’aînée des jumelles avait suscité son intérêt à s’impliquer dans les expéditions du camp. Et la seule raison pourquoi il l’a accepté dans son escouade était le respect de cette règle.
Mais comme leur frère, elle avait ce don si particulier d’en faire qu’à sa tête. De se laisser dicter par ses pulsions, de réagir sur le feu de l’action de ses émotions. Parfois, le militaire avait ce reflet de ses deux membres de sa fratrie qui miroite, se font écho sans cesse.
Il inspire, tente de reprendre ses esprits, mais il est à fleur de peau. Il n’a plus la carapace aussi solide. Ses murs s’effritent et menacent de s’effondrer. Il est à bout et Eva semble vouloir tirer davantage sur les cordes déjà fragilisées. Alors il prend un moment pour calmer la bouilloire qui fourmille dans ses veines. Il doit se glacer -comme il l’a toujours fait-. Il est le plus âgé. Se doit de rester solides sur ses jambes endoloris. De ne pas flancher. Pas devant elle. Jamais devant sa propre fratrie.

— D’autant plus dans l’état que tu remets les pieds au camp. Dieu merci tu as pu revenir ici avant de te vider de ton sang! La chance ne te soutirera pas éternellement. Imagine si j’avais à annoncer à Mya que tu ne reviendras jamais?

Il plante ses iris dans les siennes qui s’apparentent étroitement. Ses genoux toujours au sol à supporter son poids. Il ne s’est pas levé, ne souhaite pas la surplomber pour lui donner la sensation qu’il s’impose à elle physiquement -sans compter qu’il doit ménager son épaule qui le fait encore souffrir-.
Mais Eva était un pilier pour la dernière Blackwood. Sans elle, elle s’effondrerait. Alors si la jumelle qui le dard de son regard assassin refuse d’entériner que son grand frère puisse éprouver de l’inquiétude parsemer de colère puisqu’elle s’est aventurée seule dans les zones hostiles, que cette dernière l’accepte pour éviter un calvaire à sa plus jeune sœur. À celle qui a le plus grand besoin de stabilité dans ce monde chaotique.

Je l'observe remettre en place une mèche de mes cheveux, immobile - étonnée, surtout, de la douceur du geste. Je ne le quitte pas des yeux, examinant ses traits en devinant un peu la détresse qui l'habite. Et si je reproche normalement un tas de choses à Ollie, je n'ai pas la force de lui renvoyer quoi que ce soit à la gueule, à l'instant. Je sais qu'il fait tellement d'efforts pour nous soutenir, Mya & moi. J'ai tendance à l'oublier, peut-être. Sauf que je suis incapable d'ignorer son air irrité, et comme à chaque fois, son comportement semble me faire brûler de rage. Je me doute qu'il doit se faire violence pour ne pas me reprocher chaque détail de cette expédition, de toute façon. Rien n'est jamais assez bien pour Oliver - je devrais le savoir. Si seulement nous savions tous les deux tenir notre langue, peut-être que les choses pourraient être différentes. Enfin, mes reproches ne passent pas, et les critiques de sa part arrivent rapidement jusqu'à mes oreilles.

« Non, probablement pas. » J'imagine qu'il raison là-dessus. Je ne suis pas étonnée qu'il s'inquiète. Or, une partie de moi pense très certainement qu'il ne devrait pas se faire un tel sang d'encre pour moi. « Ça ne devait être qu'une sortie banale, je n'avais pas prévu que - » Je m'arrête, l'entendant déjà me dire que c'est justement pour les imprévus que l'on se prépare au pire. J'ai bien appris, pourtant. Je soupire, la douleur à ma plaie venant bloquer ma respiration, l'espace d'un moment. Il continue, soulignant mon état avant de parler de chance. Il ose parler de Mya, d'ailleurs - et de ce qui pourrait lui arriver si elle devait vivre dans un monde où je n'existe plus.

Mon regard se colle à nouveau sur lui - il sait très bien que d'évoquer ma jumelle est dangereux. Il veut me punir, sans aucun doute. « Je suis désolée, okay? » Je lève le bras de mon côté sain, agacée. Le ton est sec, certes, mais je n'ai pas la patience de le dire avec plus de tact. C'est sincère, le pire. « Tu pars toujours, toi aussi, en promettant de rentrer. Tu crois que j'imite qui, quand je fais ça? » Ma remarque est totalement légitime, nous le savons tous les deux.

« Mais tu dois arrêter de te rendre malade comme ça. Je suis une grande fille, maintenant. Et puis... je - je sais reconnaître quand ça ne va pas. J'ai du mal à croire que ce n'est que de l'inquiétude. » Je n'ai pas le choix de laisser tomber certaines de mes propres barrières, quand je prononce les derniers mots. Oh, je sais que je ressemble beaucoup à mon plus jeune frère, mais Oliver ne réalise peut-être pas que je suis aussi son portrait craché. Je peux voir ce qu'il tente de cacher si férocement - parce que je fais pareil. Je me redresse lentement sur le matelas, faisant de mon mieux pour faire taire cette douleur qui me donne envie d'hurler. Maintenant assise sur le bord du lit, je le regarde en silence, cette impression étrange dans les tripes. Je me demande ce qui est en train de le détruire, alors que je viens prendre son menton entre mes doigts, délicatement. Je croise ses billes, cherchant peut-être à confirmer ce que je redoute.

« Parle-moi, Ollie. Qu'est-ce qui se passe? » que je souffle tout bas, l'air triste. Je l'attire doucement, pour venir le serrer contre moi - du mieux que je le peux, dans la situation. Je le garde dans mes bras aussi longtemps que nécessaire, la main dans ses cheveux, jusqu'à ce que je puisse le sentir abandonner - ne serait-ce qu'un tantinet.

« Tu veux peut-être me parler de ta petite visite à la Colline? »

Elle l’admet, néanmoins. Elle lui accorde ce point qu’il ne pourra jamais changer. Elle aura beau le rassurer de toutes les manières imaginables, Oliver éprouvera toujours de l’inquiétude vis-à-vis de ses petites sœurs. Elles sont vivantes. Tout aussi longtemps qu’elles le soient, Oliver se battra pour que ça reste ainsi -même si c’est synonyme de s’engueuler avec celle qui lui tient tête-. Celle qui poursuit son excuse, mais que la seule réaction qu’elle suscite chez son grand frère est les sourcils froncés accompagnés de ses traits fermés. Il l’aperçoit dans ses pupilles qu’elle réalise la connerie qu’elle était en train de dire. Il lui souligne justement que dans ce monde, il ne faut jamais tenir pour acquis que rien n’arrivera. C’est une équation qui égalera à la récolte de la faucheuse -dans le meilleur des cas-.
Les suppositions sont bien jolies, mais l’ancien soldat cite l’état actuel de la situation. Il dicte des paroles dont il sait qu’Eva ne pourra ignorer, la mettra devant la possibilité d’un futur proche si elle continue qu’en faire à sa tête. Ça ne lui plaît pas, certes. Son regard fourmillant de colère s’y reflète à la perfection. Mais ça lui fait d’autant plus mal de les prononcer. Cependant, la réalité est cruelle -tel un  doux euphémisme-.

Elle s’excuse. Maladroitement, mais la sincérité bien présente.
Elle ne pouvait s’en tenir qu’à ça, la jumelle. La joute est perpétuelle, il en a toujours eu l’habitude. Seulement la teneur des propos le percute. La balle bien enfoncée dans sa chair qui n’a su avoir l'amabilité de perforer l’entièreté de sa personne.
Son regard s’abaisse un instant.

— J’ai toujours tenu mes promesses.

Cette promesse qui a prononcé pour la première fois lorsqu’il a annoncé qu’il s’engageait dans l’armée. Cette même promesse qu’il répétait à chaque déploiement, à chaque départ dont son retour demeurait incertain. C’est aussi de cette promesse qui est née cette tradition de lever ses pralines vers le ciel étoilé une fois la nuit tombée. Ses scintillements formant des constellations dont ils pouvaient partager la vue malgré les milliers de kilomètres qui les séparaient. Oliver savait que Mya s’y affairait à chaque occasion. Pour Eva, il préfère oser croire qu’elle le fait également.

— Et tu n’es pas obligée de m’imiter. J’ai un passif différent.

Il sait c’est quoi partir sans avoir la certitude de frôler le sol américain à nouveau. De quitter avec cette boule au ventre que c’est peut-être l’ultime fois qu’il verra ceux qui lui sont chers, de partager une dernière étreinte. Lorsqu’il quitte l’enceinte du stade, c’est cet exact sentiment qui lui agrippe les tripes. Si Eva ne l’a pas encore développé, il en remercie le ciel! Et en aucun cas, Oliver ne désire qu’elle en prenne connaissance de cette ombre qui peut rapidement les engouffrer.
Puis, le militaire s’attendait à ce qu’elle nie. Qu’elle s’oppose. Pourtant, c’est une autre tournure qui s’installe, qui le déstabilise l’espace de quelques secondes. Ce ton, il a entendu la voix de Mya pendant une fraction de seconde tandis que celle qui se redresse est bien Eva. Il le sait. À moins que l’aînée des jumelles souhaite jouer et mess up avec lui… Mais son organe battant devine que sa sœur lui ouvre les bras -mais qui lui confirme aussi que sa carapace est plus que fissurée, qu’elle tombe au point qu’il ne peut garder un air stoïque pour protéger les autres de ses propres doutes… pour se protéger lui-.
Il se laisse guider, ne peut échapper au regard bleuté qui miroite dans le sien. Ses genoux peinent à supporter encore son poids, mais reste immobile dans cette étreinte.
Ça a une vague sécurisante. Cette main qui s’entremêle avec ses mèches brunes comme leur mère faisait si bien pour les consoler, les rassurer. C'est sa sœur, il ne pourra jamais se sentir en danger entre ses bras. Alors pourquoi il a tant envie d'être dans ceux de l’absent? Eva est là. Présent pour lui. Pourquoi ses pensées divaguent vers le médecin? L'évocation de la Colline qui le ramène violemment vers cet imbécile qui a fait voler en éclat son myocarde.

Il se déteste.
Ses paupières se sont fermées. Ses muscles se relâchent.

— Il n'y a rien à dire, souffle-t-il à peine audible. Ce fut un échec lamentable.

Un échec qui le gruge, mais dont il ne peut avouer les conséquences à haute voix. Son visage s'enfonce au creux du cou de la Blackwood. Ses bras s’enroulent sans pression autour de la fine taille de Eva. Des larmes se pointent au bout de ses yeux, mais il les retient de justesse. Il ne peut pas se casser. Pas maintenant. C’est son rôle de grand frère de rester fort. De ne pas flancher. S’il échoue…
Il se sent partir. Ses paupières refusent de s’ouvrir à nouveau. Ses bras retombent sur le matelas de chaque côté des cuisses de sa jeune sœur.

— Désolé, Eva…

« Je sais. Toujours. » que je précise tout de suite, au sujet de ses promesses. Je me dépêche de le dire, d'ailleurs, comme si je regrettais un instant mes mots. Je n'ose pas prétendre connaître la difficulté de ses engagements, après tout. « Un passif différent, oui. » que je répète en frissonnant, quand Ollie évoque justement son rôle au sein de l'armée américaine. J'ai toujours su que son parcours au boulot n'était pas simple, mais ni lui ni moi n'avons jamais osé en discuter. Et si ce n'était pas de cette stupide épidémie, nous n'aurions jamais eu cette discussion.

Or, remuer le passé n'est pas mon activité préférée, depuis New-York. Et je compte bien garder ce secret pour moi encore longtemps. Je détourne les billes, subtilement. Ma lèvre tremble quand je tente de sourire pour faire diversion - je ne sais pas s'il note vraiment le moment dont j'ai besoin pour reprendre le dessus. « Oh, vous savez, l'imitation est la plus sincère forme de flatterie, sergent. » Bien sûr que je déconne. Comme si je pouvais me contenter d'imiter, moi, dans la vie. J'ose rire, lui servant un regard franchement honnête, cette fois. Je n'y peux rien, ça me manque de pouvoir simplement déconner avec lui. Tout est trop sérieux, et trop sévère, depuis la merde.

La discussion semble s'ouvrir légèrement, au moins. Oh, le progrès est lent, mais il est là. J'ai l'impression de retirer doucement les pelures d'une orange pour exposer ce qui se trouve à l'intérieur. Et je crois qu'il est surpris de la chose, comme si je le prenais en flagrant délit. Comme s'il venait de commettre un crime - celui d'être honnête avec moi. Il ne cède pourtant pas tout de suite à mon étreinte - je m'y attendais. Je ne le lâche pas, du coup. J'attends patiemment. Sans urgence, sans malaise. Je lui laisse du temps, c'est tout.

« Ce n'était pas un échec. Je sais que t'es rentré sans lui, mais au moins t'es rentré, toi. » que j'ose admettre en le gardant contre moi. Certes, je me doute que mes mots ne peuvent lui offrir que très peu de réconfort, mais je ne suis pas douée pour m'exprimer de la bonne façon. Sa respiration change, dans mon cou, alors que ses bras osent à peine m'entourer. Je me déchire d'entendre autant de noirceur dans sa voix. Et quand il affirme qu'il est désolé, je le serre tellement fort que je peux sentir ma plaie saigner à nouveau. Je la ferme, parce que j'ai les larmes aux yeux, et parce que la douleur physique n'est foutrement pas importante, comparée à ce qui se passe dans ma cervelle, à l'instant. Je l'oblige à rester avec moi, avant de venir le bercer légèrement.

« Désolé pour quoi, Ollie? Ce qui est fait est fait. Je ne savais pas que tout - que c'était difficile à ce point, je - » Je n'arrive pas vraiment à finir ma phrase. Si j'étais en colère au moment d'apprendre les raisons de ses petites escapades, je suis incapable de rester fâchée, pour une fois. Je dépose même un baiser sur le dessus de son crâne, complètement sur le cul de le voir dans un tel état pour la première fois de ma vie. Mes bras sont autour de lui - malgré la douleur. Il a besoin de sa fratrie, mais il a surtout besoin de Sam, là, tout de suite. Ça crève les yeux. « Il va peut-être finir par entendre raison. Peut-être même qu'un jour vous serez à la base d'une alliance pour nos camps respectifs, qu'est-ce qu'on en sait. » La positivisme sonne bizarre entre mes lèvres, je dois l'avouer. Je pose alors la joue sur sa tête, pensive.

« T'as le droit de t'effondrer, tu sais. » que je murmure en souhaitant le protéger de tout.

« Je n'imagine pas ce que tu dois traverser. Je - je suis là, okay? Même si - »

J'hésite. « Même si je sais que ce n'est pas toujours facile, entre nous deux. » Loin de là. Mais Oliver est plus important que nos conflits à la con.

« Mya va rentrer d'une minute à l'autre. Elle n'est pas toute seule, et elle est plus débrouillarde que tu ne le crois... Tes deux petites soeurs ne demandent qu'à t'épauler. »

Ils s’accordent. Mine de rien, il y a une once de bonheur qui germe dans son cœur lorsqu’elle précise qu’il n’avait jamais failli à cette promesse. Cette promesse qu’il se donne le devoir de tenir à jamais, jusqu’à ce qu’il ait une raison de l’honorer perpétuellement. L’une de ses raisons; celle qui se tient devant lui. Celle qui force un sourire, mais dont il ne dénote rien.
Les pralines du militaire se lèvent vers le ciel. Si dans les rangs au sein de l’armée américaine il était coutume que son grade soit mentionné à chaque fois qu’on lui adresse la parole, l’entendre souffler d’entre les lèvres de sa petite sœur l’exaspère. Il sait que c’est sa manière de détendre l’atmosphère -ou du moins de tenter-. Mais contrairement à Eva, Oliver ne peut se laisser aller. Il apprécie cependant d’observer ce sourire qui se dessine sur ses lippes.

Cette légèreté qui s’envole au loin.
Une bouffée d’air frais consumée.
Un instant trop court, mais surtout trop rare entre les deux Blackwood. Le militaire aurait souhaité l’étirer, surtout s’il avait vu venir la tournure qui le met au premier rang. Dont il se sent mettre à nu. Vulnérable.
Un sujet qui a l’effet d’une lame qui transperce son myocarde et que l’on retire le couteau pour laisser le liquide rougeâtre dégouline. Il ne peut nier que ça le détruit. Il laisse transparaître des brides des plus évidentes comme Eva les souligne. Un autre aspect qui lui prouve son inutilité et son incompétence de convaincre son propre meilleur ami à revenir avec lui. Auprès de lui…
Oliver accepte enfin cette étreinte délicate dans un dernier élan d’énergie enfouie. L’emprise de sa sœur se resserre tandis que la sienne devient absente. Mérite-t-il seulement cet amour qu’elle lui incombe en silence?

Elle ne le laisse pas rejoindre les bras de Morphée. Pourtant, ses yeux refusent tout de même de s’ouvrir. Ses paroles se nouent au fond de sa gorge tandis que Eva le questionne sur ses derniers propos. Il s’excuse pour les inquiétudes qu’il lui a imposées par son escapade suicidaire. Pour tous les reproches qu’il lui a répétés. Des responsabilités qui lui a transféré par ses absences réitérées. Son incapacité d’être un grand frère pouvant réunir sa fratrie. Il s’excuse pour tout. Mais surtout d’être inapte de s’abandonner à cent pour-cent.
Il étouffe un sanglot avant de ravaler sa peine. Les intentions sont louables. Il lui cède. Mais l’univers alternatif qu’elle présente, il le refuse catégoriquement.

— Ça n’arrivera jamais…

Jamais il n’acceptera à présent d’octroyer la moindre alliance à la Colline -même si Samuel l’en supplie-. Il n’y a que la haine qu’il peut éprouver envers ce camp à l’heure actuelle. Cette base militaire qui lui a arraché son meilleur ami et qui a endoctriné celui dont il était prêt à sacrifier sa propre vie pour ce médecin. Il y a encore énormément de détails et de fils conducteurs qui lui omettent pour comprendre les subtilités. Mais ce qui lui saute au visage est que Sam préfère rester cloîtré à la Colline.

— Je ne pourrai simplement pas.

La seule idée qu’il demeure à jamais là-bas lui broie l’organe battant au point de l’étouffer -autant littéralement que littérairement-. L’air lui manque et sa volonté vacille.
Sa main s’agrippe, tire sur le tissu dans le dos de sa petite sœur. Il inspire.

— Je ne peux pas.

La faiblesse crève les yeux. Pourtant il s’obstine à ne pas atteindre le fond. La prise sur le chandail de Eva est sa manière d’empêcher sa chute. Il n’arrive pas à se relever. Il reste, coller à la jumelle qui poursuit. Qui le rassure comme si leur rôle était inversé. Ses lèvres sont dans l’incapacité de démontrer la sérénité qui parvient à s’immiscer dans ses veines.

— Si elle ne rentre pas demain, j’irai la chercher.

Même s’il ignore s’il aura les forces pour se déplacer hors de ses murs blindés. Il est vidé. Il ne pourrait expliquer comment il arrive encore à tenir dans son poing le tissu dans le dos de sa sœur.

— Promets-moi que tu nous attendras ici, Eva. J’ai réellement besoin de mes deux petites sœurs qui ne demandent qu’à m’épauler.

Parce que sans elles, il se perdra dans cette forêt d’ombres et de ténèbres qui le guette. Qui n’attend qu’un moment d’égarement pour le guider dans une impasse.
Il relève la tête. Croise les iris larmoyants de la blessée. Le tissu tiré retrouve sa liberté. Son pouce effleure les pommettes et chasse les larmes.

— S’il te plait.

Je n'ai pas besoin de l'entendre parler pour comprendre que mes paroles lui font mal. Tellement mal qu'il est en train de s'écrouler. J'ai l'impression que ma poitrine s'ouvre en deux, sa douleur devenant la mienne, tandis que je soupire légèrement. Je ne sais pas quoi faire - et je n'aime pas ça du tout. Je panique de le voir se broyer le coeur de la sorte, dévastée par mon impuissance face à ce qui lui dévore l'âme. Mon petit frère ne va pas bien, et je n'ai rien vu. Rien vu jusqu'à aujourd'hui, après une dispute de plus à notre actif. Beau travail, Eva. Il précise que mes suppositions ne font aucun sens à ses yeux, d'ailleurs. J'en suis bien consciente, oui. J'affiche un sourire sans joie, comme par réflexe. Bien sûr que ça n'arrivera pas. Mais je dois rêver pour lui, là, tout de suite.

Sauf qu'il enchaîne, persiste et signe. Sa main se referme sur le tissu dans mon dos, alors qu'il parle. Et pour lui; impossible de s'effondrer. Pendant une fraction de secondes, j'ai l'impression de faire face à un miroir. Je ne peux que me voir en lui, une fois de plus. Entêté, obstiné à l'extrême, quand il est question d'un sujet aussi dangereux. Oh, je dois dire que je m'attendais à une réponse du genre, pourtant. Je demeure silencieuse, comprenant rapidement que d'argumenter avec lui est tout à fait inutile, présentement. J'ai envie de lui dire que de se tenir aussi près du gouffre ne peut qu'augmenter les risques qu'il tombe pour de bon, le pire. Mais je suis en train de perdre mes moyens, devant le tableau qui se dessine sous mes billes. Alors je reste là, à le soutenir, parce qu'il a besoin que je le fasse.

Il parle de Mya, de toute façon, affirmant qu'il partirait la chercher si elle ne rentre pas d'ici demain. Et il ne tarde pas à me demander de faire une promesse. Celle de rester ici, bien au chaud, pendant que ma jumelle est probablement en train de s'attirer des problèmes dehors. Je souffle longuement, ripostant aussitôt. « Ollie, tu ne peux pas me demander ça - » Je suis prête à faire valoir mon point, à lui répéter sa propre règle d'or; celle de ne jamais sortir tout seul. Mais sa main lâche enfin le tissu de ma veste, et je croise ses billes. Si c'est une tactique pour que je la ferme, ça fonctionne.

Je ferme brièvement les yeux, quand il passe le pouce sur mes traits pour essuyer mes larmes. Il supplie, rien de moins. Je l'observe pendant de longues secondes, avant de soupirer et de baisser les cils - non sans un brin de frustration que j'étouffe sans tarder. J'ai envie de le taper. Parce que je n'ai pas la force de refuser sa requête. Et parce que je refuse de laisser le sort de Mya dans les mains de quelqu'un d'autre que moi - même si on parle ici d'Ollie. Quelle belle merde. Je le tire vers moi, pour qu'il s'installe sur le lit, lui aussi. Je prends sa main dans la mienne, tandis que je pose le crâne à son épaule. Je jure tout bas à ma première tentative, mais j'arrive à me positionner pour réduire un peu la douleur à mes côtes. « Très bien, okay. Puisque tu le demandes si gentiment. » Nul besoin de mentionner que ça ne me plaît pas du tout. « Promis. » que je précise sans attendre - parce que je sais qu'il va l'exiger. Je grogne presque pour le dire, mais c'est mieux que rien, je suppose.

« Tu ne peux pas tout encaisser éternellement, tu sais. Te cacher sous tes responsabilités, ton titre, ou tes excuses. Faire comme si tu étais Dieu tout puissant. Tu ne peux pas gagner à ce jeu là, m'sieur Blackwood. Et à un moment, ça va te rattraper. » Je parle tout bas, et pourtant, j'ai l'impression de lui faire la leçon. Ce n'est pas mon intention - je tente simplement de le prévenir. De l'empêcher de faire les mêmes erreurs que moi. Les choses peuvent exploser, quand on réprime trop longtemps ce qui dérange. J'en sais quelque chose. Sauf que je m'éloigne du sujet, sûrement. Et je n'ai pas envie de semer le doute dans ses pensées déjà pêle-mêle. Je me décolle de sur lui, de toute façon.

« J'ai besoin d'un pansement, s'il-te-plaît. » que je souffle un peu distraitement, portant à nouveau la main à ma plaie dans un geste très peu confortable. Je tente de sourire, autant pour cacher ma douleur que pour me changer les idées. Alors je raconte un peu n'importe quoi.

« J'ai pas eu le choix de faire du massage cardiaque, à l'église. Tu peux croire ça? Le type était mort de froid - Noah, je crois. Et maintenant il est en vie, malgré tout. C'est débile, non? » Je marque une pause, prise par ce qui danse maladroitement dans ma tête.

« C'est débile d'être en vie une seconde, et la suivante... » Je relève les billes pour les planter dans les siennes.

« On est en vie, Ollie. C'est tout ce qui compte. » Et si je n'étais pas aussi affectée par ses états d'âme, je lui dirais même que Sam ne devrait pas être le centre de ses intérêts. Si le mec refuse de suivre son meilleur pote, c'est son problème à lui - pas celui d'Oliver. « On se concentre sur le présent, okay? Et on ramène notre petite soeur au camp. » que j'ajoute doucement. Peut-être que je devrais le rassurer, lui dire que Samuel finira par changer d'idée, que tout n'est pas sans espoir. Mais je n'ai pas la prétention de vouloir régler ce que je ne peux pas changer. Et je crois qu'il le sait.

Il se suspend. Ses doigts s’agrippent. Un aspect tangible qui permet d’éviter le déséquilibre inéluctable. Autant au sens littéraire que littéral.
Il lui doit tant à cet instant précis -à un point tel qu’elle ne pourrait le croire-. Certes, son état est lamentable, quasi impardonnable à ses yeux. Pitoyable. Pathétique. Sa force lui manque. Sa façade s’écroule. Et pourtant, elle ne le lâche pas. Elle reste, le soutient, lui lance la bouée de secours pour lui éviter la noyade. La tête hors de l’eau, il continue l’échange. Lui fait valoir que l’univers alternatif qu’elle propose n’est qu’une illusion. Il pense comprendre l’intention derrière ces paroles, mais l’imaginaire n’est guère au rendez-vous. Il sombre. Les ténèbres rôdent. Et la seule lumière qui perdure de le guider c’est cette étoile à ses côtés, qui l’étreint d’un amour fraternel indélébile.

Toutefois, les Blackwood sont dispersés. Le sujet effleuré, les devoirs accourent. Il est temps que le militaire reprenne son rôle, revêtit le treillis. Le soldat toque et la porte s’ouvre. La mission est claire et il la dicte à sa sœur. Lui indique ce qui se passera dès l’aube.
Ainsi une promesse en découle. Rien de figer encore, Eva le refuse. Oliver le sait qu’elle veut y mettre la main à la patte. Qu’elle souhaite tout autant que lui de s’affranchir de ce fardeau.
Jamais l’aîné l’en acceptera. Pas cette fois. Et cette obligation qu’il incombe à lui-même lui insuffle une dernière barre d’énergie. Ses iris croisent ses jumelles. Il s’attendait à ce que la tempête s’abatte, mais rien. Il chasse les larmes qui n’ont pas lieu d’être sur ce visage fin.

Le silence s’impose dans la pièce. Ni l’un ni l’autre n’ose le briser.
Le temps semble s’arrêter. En réalité, il peine à soutenir ce regard tourbillonnant. Il le ressent sans même que le moindre mot ne franchisse les lèvres de Eva. Un grondement sourd qui tarde à retentir. Les étincelles qui ne demandent qu’embraser les brindilles avant de consumer tout ce qui l’entoure.
Oliver s’y prépare, redoute l’impact explosif, mais c’est plutôt les mains de sa sœur qui l’intime de prendre place à ses côtés qui se manifestent. Elle l’invite sans qu’il n’ait l’option de refuser. Ses genoux l’en remercient -néanmoins son corps ne rate pas de témoigner l’épuisement total que le propriétaire ne cesse d’incomber à ce dernier-. La chaleur de la paume de Eva se fraie un chemin direct jusqu’à son palpitant éreinté. Dès qu’un poids se pose sur son épaule, il laisse sa tête s’y accoter. Son dos trouve repos contre le mur.
Ses paupières combattent pour rester ouvertes. Le ton de la jumelle pique, mais il ne réplique rien. Impossible pour elle de camoufler son agacement. Un aspect qui la définit, même si ça n’a jamais été une partie de plaisir pour eux deux. Puis elle scelle le pacte. Ses yeux se ferment et une légèreté se fait ressentir dans l’immédiat.

— Merci, souffle-t-il.

Elle n’a aucun plaisir à céder, mais il souhaitait tout de même à souligner qu’il apprécie.

Si le militaire croyait s’abandonner à Morphée, sa petite sœur préserve encore d’autres plans pour lui. Le retour est brutal -même si le laps de temps n’a été que quelques secondes-.
Oh, il a déjà perdu à ce jeu. Son myocarde meurtri lui rappelle à chaque battement depuis qu’il a tourné les talons et que son meilleur ami n’est plus dans son champ de vision.

— Je n’ai pas la prétention d’être Dieu tout puissant.

Il tente seulement de prendre sur lui. D’être celui qui attire les risques pour que la malchance ne s’acharne pas sur les autres. Pourtant, le karma semblait prendre un vilain plaisir à l’épargner et à s’abattre sur tout le monde sauf lui. Et il s’en veut de ne rien avoir vu venir pour Sam… De n’avoir pas été en mesure d’abriter les jumelles de la météo aux tendances sadiques.
Pourquoi avait-il tant l’impression de devenir plus un poids pour tous plutôt qu’une ancre sur lequel on peut compter?
Ses poumons se remplissent d’air qui reste prisonnier jusqu’à ce qu’il arrive à relâcher sans trembler. Ses doigts s’entremêlent à ceux de sa sœur, mais elle rompt le contact. Il retrouve la vue, Oliver, inquiet et empli d’incompréhension sur le moment.

— O-oui…

Dans un élan où il croyait ne plus rien avoir en charge d’énergie, il parvient à se hisser hors du lit pour s’affairer à la trousse laisser à l’abandon. Il écoute l’anecdote qu’on lui raconte. Une histoire improbable, mais dans le monde que l’on vit, est-ce si étonnant? Tout ce que l’on croise hors des camps serait digne des scénarios de films hollywoodiens avec des revirements inattendus et les ennuies qui vous collent toujours au cul.

— C’est qu’il avait quelque chose qui le retenait encore. Une personne qu’il ne pouvait pas laisser seule ou quelque chose qu’il n’avait pas encore réalisé.

Oliver n’avait pas fait le lien entre le dénommé Noah et son ancien camarade de combat dans les forces armées américaines. Le prénom n’était pas le premier réflexe au militaire pour interpeller ce dernier. Puis, Noah, un prénom qui a rencontré une bien trop grande popularité.
Tandis qu’il rapatrie tout le matériel dont il aura besoin pour le bandage, il relève la tête au moment de se mettre au travail. Le pansement, il s’y connait -bien mieux que recoudre de la chair-. Seulement, il se fige lorsque ses pralines bleutées croisent ceux de Eva.

Elle a raison. Parfaitement raison.
Il le sait. Simplement incapable de s’y résoudre. Sam hantera à jamais son esprit, et ce malgré tous les moyens du monde que l’on pourrait le lui marteler.
Son regard s’abaisse avant de se détourner vers le matériel qu’il a en main. Il ne peut lui promettre. Par contre, pour la seconde partie, il n’y avait aucun doute possible.

— Elle reviendra.

La conviction parsème son timbre de voix. Il n’en dérogera jamais.
Il se met à la tâche. Recouvre la blessure qui donne du fil à recoudre à la jumelle. Si jamais le saignement persiste, le gaze et le pansement l’absorberont. Il faudra garder un œil et le changer autant de fois que nécessaire pour éviter les infections. Il économise comme il peut le matériel médical -malgré l’envie de lui octroyer en totalité cette denrée rare-.

— Il y a aucun doute, qu’il rajoute en décalé. Autrement, tu pourras me tuer.

Il tente une touche d’humour -probablement… non complètement raté-. La fatigue l’empêche de calculer sa pensée. À peine il a le temps de débarrasser que son corps s’effondre. Sa tête trouve refuge sur les jambes de sa petite sœur. Ses paupières n’arrivent plus à riposter.

— Je suis désolé, Eva…

Ses paroles quasi inaudibles. Il souhaiterait en faire tellement plus. Pouvoir lui offrir une meilleure existence. Lui offrir une tranquillité d’esprit totale sans qu’elle n’ait à se soucier de l’absence et le manque de signe de vie de sa jumelle. Qu’elle n’ait pas à devoir se préoccuper de lui par-dessus tout. De son manque d’assurance inexcusable dont il fait preuve en ce moment.
Juste lui offrir mieux comme grand frère.
Il sent deux larmes lui échapper -tel que tout lui échappe-. Ces dernières coulent silencieusement le long de son visage sans qu’il n’ait la force de les chasser.

Si aujourd’hui il pleure…
Demain il repartira au combat.

« Je sais bien que tu n'oses pas prétendre être Dieu. » que je mentionne rapidement, avant de poursuivre. « Mais tu sembles avoir le même agenda que lui, parfois. Ce n'est pas raisonnable de porter tout ça tout seul. » Enfin. Je sais qu'il ne m'entendra que s'il le veut bien. Peut-être n'est-il pas prêt pour cette réalisation. Peut-être est-ce plus facile de gérer le tourbillon de l'épuisement que d'affronter la réalité de ce qui se trouve en lui. J'en sais quelque chose, après tout. Mais c'est quand je croise ses billes que je fronce les sourcils, toujours aussi démontée de voir autant de douleur dans le regard de mon frère. J'ai l'impression que chacun de mes gestes ne fait qu'enfoncer le couteau dans la plaie, du coup, et ça me dégoûte au plus haut point.

« Tu mérites mieux que ce que tu t'infliges, Ollie. » que je murmure doucement, plus pour moi que pour lui. Je me positionne alors pour faciliter son boulot, le laissant appliquer le pansement alors que je n'arrête pas de parler, visiblement. Son commentaire par rapport à l'histoire de Noah fait écho à la nôtre - à celle de notre famille. Impossible pour nous de partir sans se retourner, impossible d'abandonner. Je me retrouve dans ce qu'il dit, et je suis persuadée que lui aussi. Enfin. Il demeure ensuite silencieux, avant de promettre que Mya rentrera. J'ai un faible sourire, les yeux dans le vide. « Je sais. » Oh, je ne sais rien du tout. Mais je suis habituée de vivre dans cette angoisse désagréable - principalement à cause d'Ollie, ironiquement. Et depuis longtemps. Son ancien boulot est assez similaire à ses nouvelles responsabilités, finalement.

« J'ai l'habitude, t'inquiète. » que je lâche simplement, sans plus de précisions. Comme lui, je n'ose pas concevoir la vie sans ma jumelle. Mais quand il ajoute que j'ai l'autorisation de le tuer si quelque chose arrivait à Mya, je le fixe en penchant la tête sur le côté, non sans un soupir un brin découragé. « Mais oui, ça fait beaucoup de sens. » Comme ça, je vais pouvoir faire un double deuil. Brillant. Je sais qu'Oliver n'est pas sans fierté, que son sens du devoir est démesuré et illimité, mais de là à accepter sa propre mort en cas d'échec... Je ne savais pas que c'était autant la merde, dans son crâne. Enfin. Peut-être n'était-ce qu'une blague particulièrement sombre - dans ce cas, les talents de mon frère sont définitivement catastrophiques, quand il est question d'humour.

Sauf que son geste soudain me prend par surprise. Assez pour que je lève les mains dans les airs, ne sachant pas tout de suite quoi faire - et ne réalisant surtout pas qu'il est en train de perdre la carte, rien de moins. J'ai l'impression de sentir mon coeur éclater en un million de morceaux. Et quand j'entends ses mots étranglés, je laisse couler mes propres larmes sans même m'en soucier.

« Hey, hey - Shhhh - » que je souffle tout bas, posant une main rassurante dans ses cheveux, comme si j'avais peur de le briser en deux. « Pas besoin de t'excuser, Ollie. » Ma main glisse à son épaule, puis à son dos - comme ma mère avait l'habitude de le faire, quand un de ses enfants n'étaient pas bien. Je tente de l'apaiser, de le calmer - parce que j'ai l'impression de reconnaître cette rage qui brûle en lui - et qui est en train de le détruire. C'est cette même rage qui brûle aussi en moi, quand les bouleversements prennent trop de place dans ma cervelle. Que je n'arrive pas à m'en sortir, et que tout semble être un échec lamentable.

« Ça va aller, petit frère. Je sais que tu penses que tu dois tout gérer. Que tout ce qui foire est de ta faute. Mais c'est tout le contraire. C'est la vie qui foire et c'est toi qui, à chaque fois, résiste en continuant à te battre. » Je ne sais même pas s'il est toujours éveillé, mais je continue, comme si je tentais de prendre un peu de son fardeau sur mes épaules, là, tout de suite.

« Et c'est le plus bel exemple que tu peux donner à tes frères et soeurs. »