i throw wishes into the night and wait for the stars to catch them // Mya

Ses heures de sommeil envolées, il ne dormait déjà quasi plus, Oliver…
De quoi qui inquiétait sa petite sœur. Il ne pouvait le cacher, surtout qu’il devenait influençable dès qu’il ne se reposait pas assez. Il avait dû passer le flambeau à Eliott pour gérer les expéditions. Impossible pour lui de fermer l’œil. De trouver son chemin jusqu’aux bras de Morphée pour s’y bercer tandis que son meilleur ami avait disparu du jour au lendemain sans que personne ne puisse attester les événements. Et jamais Sam n’aurait quitté sans l’en avoir avisé avant. Et si l’idée folle de partir à sa recherche lui avait traversé l’esprit à maintes reprises, il n’avait aucun point de départ. La ville morte était grande, trop grande. Il avait bien cette maison des grands-parents du médecin, mais Oliver avait déjà rendu visite à cette demeure… à chaque fois, seule sa voix résonnait entre les murs.
Puis il y a eu ce message qui s’est glissé sous sa porte. Ce bout de papier qu’il déplie et ses iris bleutés se posent sur les mots rédigés à la main. Son cœur manque un battement. Il se demande comment son corps fait pour le maintenir droit sur ses jambes. Il reconnait l’écriture; il s’agit bien de celui de Samuel James. Si ce premier élément le perturbe, ce n’est rien vis-à-vis de sa lecture. Il peine à déglutir, il a la sensation que tout se noue dans sa gorge.
Evans avait donc raison? Du moins, ça vient confirmer ses paroles que le militaire avait toujours pris avec un soupçon interrogatif de remise en question.
Ses forces l’abandonnent à la relecture. Ses genoux réceptionnent sa chute, mais la douleur n’égale pas celle qui ressent à l’intérieur. Sa main se faufile à travers ses mèches brunes, ses options se limitent qu’à une seule; celui de s’y rendre. D’honorer la demande.

Une autre nuit à chasser le sommeil sans parvenir à l’attraper. Dès que sa tête se repose sur l’oreiller, il le savait que c’était peine perdue. Ces mêmes phrases qui se répètent en boucle dans son esprit le maintiennent réveillé. Il y avait un hic; il ne pouvait pas partir sans au moins avertir certaines personnes, dont les jumelles Blackwood. Il aura bien Eliott et ensuite le chef. Mais lorsque le stade commence à s’animer, il rend visite à Mya. Il se poste dans le cadre de la porte tandis qu’elle enseigne aux mômes. Un partage de connaissance essentiel -même si le système de l’éducation n’était plus comme celui d’autrefois-. Elle se débrouille à merveille, la dernière de la famille, merveilleusement bien.
La session s’achève et il se fraie un chemin jusqu’à sa petite sœur. Il lui fait une demande qui la réjouit; celle de prendre un moment avec lui une fois que la lune éclairera le ciel pour y observer brindilles scintillantes de la voie lactée. De profiter d’un instant de repos que tous deux puissent s’octroyer en même temps pour s’y adonner à cette tradition qui leur a toujours permis de se connecter malgré les kilomètres les séparant. Mais Oliver ajouta un élément à sa requête; celui d’emmener aussi le violoncelle sans égard pour les cordes en piteux état. Si les notes n’étaient pas autant mélodieuse de ce que la maestro l’avait habitué, entendre Mya jouer restait libérateur pour l’ancien membre du corps armée américaine. Et elle était la seule à avoir cet effet sur Oliver.

Il peine à passer au travers des heures subsistantes jusqu’à ce que Mya le rejoigne dans les gradins du stade, éloigné du centre et des chambres. Il lui fait signe de prendre place à ses côtés avant de lever son regard vers le ciel étoilé. Il lui lance à la volée de repérer la constellation d’Orion et de lui indiquer. Ils avaient de la chance qu’il soit dégagé puisque le reste de la semaine, la vue était obstruée par les nuages.
Oliver sent néanmoins la pression fléchir. Il devra lui dire. Lui annoncer qu’il part l’espace de quelques jours à la Colline. Il ignore comment elle le prendra. Elle l’en dissuadera en premier lieu, c’est une évidence même, malgré qu’elle tente de le convaincre qu’il s’agit peut-être d’un piège, le militaire embrassera le risque que ça implique. Cet espoir qui persiste à brûler au fond de son cœur… celui de revoir Sam. De s’assurer qu’il va bien. De pouvoir le ramener avec lui ou encore d’échanger leur place pour que son meilleur ami puisse être libre. Oui, il n’hésiterait pas à se sacrifier pour le savoir en sécurité ensuite.
Mais avant de mettre au courant Mya, Oliver souhaitait partager un moment privilégié avec elle. Profiter de plonger dans les vieilles habitudes de discuter de tout et de rien en guettant les étoiles filantes -chose qui remonte à bien trop longtemps la dernière fois qu’ils y sont adonnés-. Se perdre dans l’enchaînement de notes qui aura le don de lui faire tout oublier. Et seulement après tout ça, après avoir échangé des sourires, des fous rires, il lui dira.

Elle observe les yeux émerveillés des gamins devant elle. Jamais elle n’aurait arrivé à croire que ce serait sa vie. Celle d’enseigner. Elle avait toujours été du genre à divertir, mais dans le silence. Cachée derrière la protection que lui apportait la musique. Cachée derrière le mur invisible que délimitait la scène. Celui de sa zone de confort, ce seul endroit où elle-même transportée dans un autre univers par les notes qui s’envolaient. Maintenant, c’était différent. Car on dépendait d’elle. Elle divertissait les enfants, mais en ce sens qu’elle devait s’assurer de garder leur attention, pour mieux leur apprendre comment survivre en ce monde. Elle était fière de pouvoir les aider ainsi. Elle était fière de voir les regards émerveillés devant une autre découverte, de pouvoir les rassurer comme on l’avait rassurée tant de fois, de voir leur joie quand ils réussissent l'exercice de survie qu’elle leur avait donné.  

Mya ne manqua pas de remarquer cette silhouette prenant place dans le cadre de porte. Un sourire en coin étire ses lèvres, mais elle ne se laisse pas déconcentrer. Elle continue la leçon. Les explications sont claires, les mots sont justes. Elle cherche à faire simple, pour s’assurer d’être bien comprise. Elle cherche à faire court aussi, parce qu'une trop longue explication laisse rapidement place à la confusion. les questions fusent, les anecdotes également. Les enfants partagent ce qu’ils ont entendu, ce qu’ils savent sur la question. Et Mya, avec un grand sourire aux lèvres, complète leurs pensées, donne les informations qu’elle possède qui permet aux enfants de voir l’image d’ensemble. Elle tente de ne pas trop en faire. Parce qu’ils n’ont pas l’image d’ensemble. Ils n’ont pas le même point de vue qu’elle face à toute cette tragédie. Elle ne peut leur en vouloir, c’est simplement que leur développement d’enfants ne leur permet pas de percevoir les choses de la même manière. C’est une amie, étudiante en psychologie, qui lui avait un jour partager cette information sur les perceptions des enfants. Une discussion fort intéressante qu’elle n’avait, à l’époque, jamais pensé avoir à mettre en pratique.

Elle termine ses explications. Les enfants repartent. La journée tirait à sa fin, mais elle était fière du chemin accompli pendant ces heures illuminées. Elle se retourne alors lentement. La présence de son aîné n’était pas passée inaperçue. Elle pose les mains sur ses hanches. Le dévisage avec un sourire espiègle alors qu’il se fraie un chemin jusqu’à elle. Sourire qui ne sert qu’à cacher l’inquiétude qui s’empare de son coeur. Il a une mine affreuse. Mais elle n’est pas dupe, Mya, elle sait qu’Oliver cherche le sommeil depuis quelque temps. Elle le connaît assez pour deviner sa souffrance. D’autant plus qu’elle aussi s’inquiète, l’absence de Samuel pèse lourd. Il a une mine affreuse, mais elle ne veut pas lui dire qu’elle s’inquiète. Parce qu’il se sentirait coupable d’en être la cause. Elle le sait, elle le connaît. C’est aussi la raison pour laquelle elle se doute qu’il connaît déjà ses états d’âmes, mais il est plus simple - pour cette fois- de laisser planer le non-dit. L’invitation ne fait qu’ajouter à la joie que ressent Mya. Proposition des plus agréables. Doux souvenirs d’enfance que celui de passer une soirée sous les étoiles. Elle pense, l’espace d’une seconde, lui proposer qu’Eva se joigne à eux, tradition familiale à perdurer. Mais la demande d’apporter le violoncelle la coupe dans son élan. Elle accepte avec joie, mais du moment où Oliver quitte la pièce, elle laisse le doute prendre le dessus. Cette demande n’est pas anodine, elle le sait bien. Elle le sent.

Les heures passent. La nuit tombe. Et vient le moment d’aller rejoindre son frère. Tant mieux s’ils sont seuls, elle pourra le questionner et sait qu’elle aura plus de réponses ainsi que si sa jumelle était avec eux. Les doigts glissent sur le bois. L’instrument est usé, mais en meilleur état qu’elle ne l’aurait espéré dans une telle apocalypse. Le seul problème restent les cordes qui, malgré le fait qu’elles étaient toujours attachées à l'instrument, le son qu’elle arrivait à en tirer n’était pas tout à fait juste. Doux. Agréable. Mais pas complètement sur la note. Si elle est agacée par ce son dissonant, elle sait que la majorité des gens ne le remarquent même pas. Elle transporte minutieusement le volumineux instrument jusqu’au point de rencontre. Elle sourit alors qu’il lui demande de prendre place près de lui d’un signe de la main. Elle s’assoit et pose le violoncelle en position stable non loin. À peine eut-elle le temps de poser l’instrument qu’il lui demande une constellation. Elle Laisse échapper un rire léger et se met à la tâche. Les étoiles sont faciles à repérer. La ceinture. Quatre membres. Deux pour la tête. L’arc. Alors qu’elle pointe les étoiles, fière de se souvenir de cette première constellation quil lui avait apprise, son doigt s’attardant un instant sur Sirius. Sirus, cette étoile sur laquelle elle posait toujours les yeux lorsqu’elle pensait à Oliver.

Tu as l’air en forme… Je suis soulagée.

Elle se tourne alors vers lui. Heureuse de le voir sourire. Heureuse de voir qu’il va bien. Ne sachant qu’une épée de Damoclès était suspendue au-dessus de leurs têtes.

Ce geste pourtant si simple, mais tant contagieux à la fois. Oliver ne peut s’empêcher d’étirer à son tour les lippes tandis que sa petite sœur enchaîne comme une pro les explications auprès des gamins hauts comme trois pommes. Elle a une prestance magique et elle s’en sort à merveille dans ce rôle d’enseignante qu’elle a accepté au sein du camp. Il patiente, le militaire, jusqu’à ce que le cours touche à sa fin. L’homme s’écarte pour laisser passer les bouts de choux ayant de l’énergie à dépenser maintenant avant de franchir le seuil de la porte.
Il lève les mains au ciel dans un geste d’innocence lorsque Mya lui adresse un regard espiègle. Geste qui est sensé apporter une légèreté dans son approche, mais ses espoirs sont minimes. Il ne peut cacher ses cernes qui se creusent sous ses pupilles qui peinent à rester ouvertes plus de quelques secondes. Ce n’est un secret pour personne; il ne dort plus et ses jugements en pâtissent considérablement. Si dans ses meilleurs moments, il sait discerner les bonnes actions à poser, à trancher sur les décisions épineuses, le voilà qu’il hésitait et dont son opinion s’altérait par la moindre voix qui se porte à son oreille. Il s’est éloigné de ses obligations pour éviter de commettre des erreurs irréversibles. Donc s’il peut les prévenir, le militaire, il préfère se retirer, même si ça n’aide pas sa cause personnelle.
Puis il l’entrevoit à travers les pupilles aux couleurs de l’océan. Si le silence s’impose, aucun des deux n’est dupe et pourtant, chacun sait qu’il vaut mieux ne rien souligner. Oliver n’est pas celui qui parle d’emblée. Mya est celle qui parvient à l’accompagner dans cette voix, mais il apprécie qu’elle s’abstienne cette fois. Elle a conscience de son piteux état rien qu’en apposant ses iris sur son âme meurtrie par une absence dont l’explorateur ignore comment gérer. Les circonstances auront bientôt raison de sa santé mentale -bien qu’un bout de papier froissé est venu tout bouleverser-. Il a déniché un but -suicidaire, mais un but tout de même-. Mais avant de s’en affranchir, il se devait de s’assurer que les jumelles seront en sécurité. Eva, plus farouche, serait en mesure de mettre des bâtons dans ses roues. Peut-être était-ce égoïste de sa part d’aller plutôt vers la dernière de la fratrie pour annoncer son départ imminent? Certainement. Il l’assumera à son retour. Mais avant, il propose à l’enseignante de perdurer la tradition des Blackwood.

Ils se retrouvent, sous la lumière des étoiles qui osent parsemer d’espoir leurs contemplateurs d’infortune. Une activité trop peu exercée. Cependant, il se leurre quelque peu, Oliver, de rattraper ce temps perdu, loin des siens pendant ses années au sein des rangs armées américaines.
Avant de lui demander de chasser à coup de notes mélodieuses toutes les inquiétudes qui le rongent depuis des semaines, il plonge dans les constellations tête première. Elle s’y prête, Mya, accepte le jeu balancé afin d’avoir un instant -aussi court soit-il- de moments agréables et de créer des nouveaux souvenirs auquel il pourra s’accrocher lorsque ses pas le mèneront ailleurs. La musicienne les enchaîne avec brio, lui dictant toute ces amas d’étoiles formant des formes plus ou moins concrètes à travers la voie céleste. Une carte dont sa petite sœur possède tous les secrets.
Ses lèvres constituant un sourire indéniable, mais atténuer par la pénombre s’estompent en une fraction de seconde. Il respire, tente de gagner quelques fragments de temps qui lui échappe déjà des mains. Il croise son regard, mais détourne pour relever ses propres yeux vers les points scintillants.

— Tu n’es pas obligée de faire semblant, Mya.

Tant bien qu’il apprécie les efforts, tant mal qu’il assume ce voile d’inquiétude qui plane tout autour de sa petite sœur. Il a ouvert la brèche, mais il sait qu’il est trop fragile pour réellement entamer cette conversation cet instant. Ses barrières, plus qu’effritées, menacent de s’effondrer. Une vulnérabilité dont il se refuse, mais qui persiste et dont il craint les répercussions.
Si ses lippes se tendent dans un geste forcé, son soupir vient trahir le mauvais augure qui finira tôt ou tard par s’écrouler sur eux. Il fait mine de s’étirer avant de se laisser tomber sur les estrades du stade. Allongé, il ferme les yeux un instant.

— Joue-moi un morceau…

Son timbre de voix frôle la supplication. Elle est la seule à avoir cet effet libérateur sur sa personne. Et il en a terriblement besoin à ce moment même. Il n’est pas dupe au point de croire que Morphée l’accueillera dans ses bras, mais pour l’espace d’une mélodie, s’il peut simplement oublier ce qui l’attend… Oublier l’angoisse grandissante tel un démon prêt à le dévorer tout rond.
Puis il se fait la promesse de libérer Mya de ses questionnements qu’elle garde sous silence depuis plusieurs jours. C’est seulement après qu’il se sentira assez d’attaque pour assumer le rôle de l’idiot suicidaire et du mouton noir.

Elle avait passé le reste de la journée rongée par l’inquiétude. Elle ne savait pas pourquoi Oliver voulait la voir. Et si c’était simplement pour passer du temps ensemble, elle en serait soulagée. Mais le visage décomposé de son frère attisait tout de même son inquiétude. Elle. Elle seule. Pas Eva. Pas Elliot. Avait-il besoin de parler ? Sans doute. Allait-il le faire ? Elle en doutait. Mya avait donc passé le reste de la journée rongée par l’inquiétude. Et quand, au souper, Eva lui avait demandé pourquoi elle était autant perdue dans ses pensées, Mya avait prétexté qu’elle avait des soucis avec les cours pour les gamins. Rien de bien grave, qu’elle réfléchissait. Elle avait donc fait diverger le sujet en parlant de la dernière expédition de sa jumelle. Elle s’en voulait de lui mentir, mais si Oliver voulait lui parler, elle préférait savoir de quoi il en retournait avant de tout raconter à Eva. Le regard de cette dernière lui confirma qu’elle ne la croyait pas un instant, mais Mya fut reconnaissance que sa soeur ne pose pas plus de questions. Le comportement d’Oliver avait clairement marqué une tentative d’espoir, de légèreté, mais elle n’y avait pas cru, pas plus que sa soeur ne la croyait présentement. Visiblement, tout allait bien dans cette famille… Les non-dits qui avaient prit place entre eux durant leur rencontre de l’après-midi n’avait pas aidé à calmer ses peurs.

Elle l’avait rejoint un peu après le coucher du soleil. Il lui avait demandé de trouver la constellation d’Orion et - comme lorsqu’elle était enfant, à San Francisco - elle ne se fait pas prier. Elle hésite un instant, à lui demander de trouver la constellation du Taureau, celle qui berce Oliver depuis l’enfance, cette de la date d’anniversaire de l’homme. Mais elle garde le silence, les yeux posés sur Sirius. L’étoile qui, pour une raison qui lui échappe encore, est celle qu’elle regarde quand elle pense à lui.

Elle tourne la tête vers lui. Les prunelles de l’homme tournées vers les étoiles. Elle sent son coeur se serré. Il à l’air mal en point, il a raison. Mais elle laisse tout de même échapper un sourire affectueux, un de ceux qu’elle garde pour tenter de mettre un peu de lumière dans la vie de son frère.

« Je ne fais pas semblant, pas complètement… Je m’attendais à pire. » Elle marque une pause, quelques secondes de calme. Et elle pose doucement une main sur l’épaule de son aîné, les prunelles émeraudes de la jeune fille brillant d’incompréhension et d’inquiétude.

« Tu veux en parler ? »

Aucune obligation. Une demande. Laisse-moi t’aider ! Une prière muette face à cette situation qui la rend impuissante. Elle ne se souvient pas l’avoir déjà vu aussi fragile. Le départ de Sam l’aurait donc affecté à ce point ? Ou y avait-il autre chose ?

La demande ne la prend pas par surprise, après tout il lui avait demandé d’apporter l’instrument. Mya se déplace donc pour positionner le violoncelle. Elle fait doucement sonner les cordes, ajustant les clés pour avoir un son le plus près possible de l’exactitude. Les cordes sont en mauvais état, les notes ne seront pas parfaite, mais elle ne prend pas la peine de le lui dire. Il sait déjà. Après tout ce temps à tenter de lui trouver des cordes, il sait. Et elle ne peut qu’être reconnaissante pour l’occasion qu’il lui a donné de pouvoir jouer de nouveau. Les fausses notes leur rappelleront sans doute les débuts de la jeune fille, quelque part en Californie, où elle apprenait encore comment faire chanter les cordes.

Elle ne dit pas un mot, mais elle sait ce qu’elle va jouer. D’instinct, guidée par l’émotion du moment, les premières notes de la pièce Jupiter, de Gustav Holst, s’élèvent dans le stade. Jupiter. Planète dominante de leur système solaire. L’allusion à la planète résonnant avec les étoiles qui allaient toujours les lier. Elle leva un instant les yeux au ciel, tout en jouant, se demandant si l’astre était visible en cette soirée. Une boucle, deux répétitions de la pièce, simplement pour faire durer le moment.

Et quand elle posa l’archet, elle questionna Oliver du regard. Qu’est-ce qui se passe ?

Les échanges marquent une pointe de légèreté. Retrouver l’amas de points scintillants dans le ciel formant les constellations remontaient à de nombreuses années déjà -pourtant, Oliver a l’impression qu’il s’agissait d’hier la première fois que le jeune garçon initiait cette pratique à la dernière des Blackwood-. Autant l’un que l’autre se prête au jeu, se défiant afin de repérer la demande dans cette voie céleste. Les lèvres de l’explorateur s’élargissent lorsque Mya prononce sa requête. Ses iris bleutés balaient le ciel illuminé à la recherche d’une étoile en particulier; Aldébaran. Sa luminosité est plus grande que la majorité qui parsème sa vision. Une fois repérée, la constellation se dessine sous ses yeux. Les dix points lumineux dont il trace les lignes du bout de son doigt et qui indiquent par la même occasion à Mya l’emplacement.
Pour s’assurer qu’elle a bien suivi, il détourne son regard, croisant celui de la jumelle. Malgré le temps qu’il partage, il est impossible de tout voiler. Le militaire voit à travers le sourire que Mya lui offre. L’inquiétude transperce cette action qui a pourtant le don de doper l’être humain d’endorphine.

— Défini « pire ».

Il s’en doutait, mais préférait sonder sa petite sœur que de prendre les rênes de la conversation et risquer d’empirer la situation.
Parce que le pire reste à venir.

Ses paupières s’abattent. Le contact de cette main douce lui fend le cœur. Sa main qui voguait à travers les étoiles se pose sur la sienne. Il devra lui dire. C’est pour cette raison précis qu’il l’ait convié à chasser ce qu’ils ne peuvent attraper.
Ce qui résume parfaitement son existence bien plus qu’il ne souhaite se l’avouer, Oliver.
Mais avant de joncher la falaise qui se dessine à ses pieds, il fait une dernière requête à Mya. Le sentiment d’égoïsme l’envahit… En fait, il l’est. Il ne cesse de demander à sa sœur de perdurer dans ses sollicitations et elle le fait sans même rouspéter, ni même exiger quoique ce soit en retour. Un véritable soleil au sein de cette famille.
Néanmoins, il se promet de tout lui dire dès lors que les notes mélodieuses qui envoûte les estrades du stade. Même si ce n’est pas aussi beau que dans ses souvenirs, c’est un luxe inestimable pour lui dans cette nouvelle ère. Il farfouille et continue de le faire afin que Mya puisse jouir à nouveau des notes justes, mais des fils de cello ne s’avèrent plus aussi commun qu’avant.
Cette minute et quarante-cinq secondes précisément passe à la vitesse de la lumière. Si plus aucune note ne résonne, la musique persiste dans son esprit. Un courant d’apaisement qui adoucit les traits de son visage lui insuffle un havre de paix intérieure -qui ne dure pas, mais qui a eu le don de lui faire oublier tout ce qui pèse sur ses épaules-. Vraiment, son esprit lui incombe de réitérer l’expérience. Il lui intime de lui octroyer une nouvelle fois cette tranquillité déconcertante.
De lâcher prise pour une fois dans sa vie.

Ses yeux s’ouvrent. Ses pralines rencontrent les siennes.
Il se redresse. Face à face avec la dernière des Blackwood. Elle devait se douter. Peut-être pas au point de s’engouffrer dans une mission suicide, mais à chaque départ difficile ou lorsque sa vie vacillait -sans qu’il en dénote les détails-, il lui demandait toujours de lui jouer un morceau. Il ne pouvait pas multiplier les occasions comme lorsqu’ils étaient plus jeunes. Dans ces temps où peu de chose les tracassait, ils pouvaient embrasser ces moments avec légèreté.
Et il s’en veut, Oliver, de ne pas pouvoir lui offrir cet environnement sans que ça ne soit accompagné d’inquiétude et d’incertitude.

— Dès l’aube, je pars à la Colline, dit-il sans détour. J’ai reçu un mémo de Samuel. Il veut que je le rencontre là-bas.

Ces constellations. Celles qu’elle avait apprises par coeur depuis tant d’années. Ce point de repère qui ne la laissera jamais tomber. Mais ce qu’elle préférait de toutes ces étoiles, c’était de les voir briller dans les yeux d’Oliver. Quand ils étaient plus jeunes et qu’il lui apprenait à les reconnaître, ou alors maintenant, alors qu’elle pouvait percevoir un certain apaisement à travers les étoiles qui se reflétaient dans les yeux de son aîné. Elle se laisse doucement bercer par les souvenirs de leur enfance, par ces moments de douceur qui lui paraissent à la fois si loin et à portée de main. Pour peu, elle oublierait le monde qui les entoure, la situation qui les étreint à chaque seconde, pour revivre ces moments du passé. Ceux où l'innocence berçait encore ses pas.

Son regard croise celui d’Oliver. Celui où elle lit l’incertitude, la peur. Elle avait bien remarqué que son aîné s’était assombri dans les derniers jours. Elle soupçonnait le manque de sommeil. Elle devinait le manque de sommeil. Il ne pouvait pas lui mentir. Et quand il lui demande de s’expliquer, elle hausse les épaules d’un air désinvolte et offre un sourire moqueur. Elle ne sait pas vraiment comment lui expliquer, elle ne sait pas comment verbaliser ce qu’elle constate dans le regard de son aîné, mais elle a l’impression qu’il a fait un bout de réflexion, il semble plus… posé… que la veille. Et si ses traits marquent toujours le manque de sommeil et les tourments, elle ressent un certain… Apaisement. Mais Mya ne sait comment expliquer à son frère qu’elle peut si facilement lire sa personne. Elle cherche ses mots, elle sait - cependant - qu’il ne laissera pas tomber le morceau. Alors elle détourne le regard et pose à nouveau les yeux vers le ciel.

« Comme si… Tu avais trouvé un oasis de répit. Je ne sais pas, je m’attendais à une tempête, mais tu semble calme. » Elle n’insiste cependant pas. Et quand il lui demande de jouer un morceau, elle ne se fait pas prier. Elle adore jouer, voilà longtemps qu’elle ne s'était pas réellement perdue dans la musique. Complètement. Qu’elle n’avait pas laissé son âme s'envoler avec la musique. Elle joue ce morceau qui lui a toujours fait penser à Oliver, celui qu’elle jouait à chaque fois qu’elle se sentait loin de lui, la symphonie des planètes s’agençant parfaitement à leur voyage dans les étoiles. À la dernière note, elle la laisse s’étirer, voler dans les airs. Elle ferme les yeux pour profiter du moment et en ouvrant les yeux, elle voit qu’Oliver avait fait la même chose. Et le regard qui passe sur son aîné, alors qu’elle se demande ce qui le tourmente autant. Elle aimerait pouvoir lire dans ses pensées, mais cette fois, elle est complètement perdue. Elle devine une tempête intérieure, mais n’arrive pas à en identifier la cause. Elle sait qu’il rassemble son courage, mais pour quoi exactement ? Elle ne dit cependant rien. Un simple sourire. C’est sa façon de lui dire qu’elle est là, qu’elle écoute.

Et les mots tombent.

Mya écarquille les yeux. Elle n’en croit pas un mot. Ou plutôt, elle croit chacun des mots, mais ne veut pas croire que c’est réel. Égoïste. Oui, assurément. « Mais… mais… » Elle laisse une larme couler sur sa joue et prend une grande inspiration pour tenter de se calmer. « Oli… Je veux pas que tu partes… Tu... Tu peux pas nous abandonner.» Comment pouvait-il être certain que s’était Samuel ? Pourquoi les abandonner ? Mais malgré sa faible protestation, Mya devinait au regard d’Oliver que la décision était prise. Et qu’il serait en mesure de la convaincre…