You push me away // Samuel

Ça n’avait pas fait l’unanimité. Étonnement!
Malgré tout, sa décision était prise depuis le moment même que ses jambes ont flanchés sous la lecture de cette lettre. Certains lui hurlaient à la mission suicide. D’autres lui dictaient de ne pas sortir d’entre ces murs du stade, mais son myocarde lui intimait de tenter ce coup -qui pourrait lui être fatal-. Ces quelques mots couchés sur le papier froissé étaient le seul signe de vie qu’il a eu de la part de son meilleur ami depuis des semaines. Ce rendez-vous s’avérait être sa seule chance de croiser son chemin et le militaire se donnait le devoir de l’attraper et il s’ajoute une deuxième mission; celle de le ramener avec lui. Ou d’échanger sa place, peu lui importait ce qui l’attendait -ce qui adviendrait même de sa personne-. Tant que Samuel sortait de ce fichu camp.
L’ironie qui lui riait au visage!
Lui qui avait toujours mis de l’avant et couvrit de louanges ce camp dès lors que les deux hommes ont frôlé la ville de Malden. Après maintes confrontations, il avait cédé, Oliver. Il l’avait sans cesse regretté d’ailleurs. Jusqu’à maintenant. Ses phalanges blâmaient alors qu’il ajustait les ganses de son sac à dos. Son visage renfermé, un conflit interne germait, rôdait à travers ses veines.

Il arrive devant ce rempart qu’est la Colline. Il guette les soldats qui patrouillent. Cet uniforme que Oliver a exceptionnellement laissé derrière lui au Refuge. Il arbore une tenue des plus banales; jeans, chemise et manteau. De quoi se protéger également si jamais la météo se montrait sadique. Depuis que l’hiver a pointé le bout de son nez, les déplacements ne pouvaient plus se faire aussi aisément.
Le stresse monte. Exponentiellement. Lui qui avait évité de s’approcher de ce camp militaire, voilà qu’il traverse le seuil de l’entrée. On le questionne, il répond ferme, balançant un mensonge dans la volée et ça passe -à sa grande surprise qu’il camoufle sous ses airs stoïques-. Il se fait néanmoins contrôler, mais il s’était préparé en connaissance de cause, le militaire. Ils le laissent poursuivre sa route.

Sa main plonge dans la poche arrière de son pantalon. Le bout de ses doigts glisse sur le papier dépité. Il s’enfonce, zigzag à travers les membres de la Colline jusqu’à se rendre au point donné par le médecin après avoir erré un temps. Son palpitant s’emballe. Il tambourine dans sa cage thoracique, prêt à exploser. Sa respiration s’intensifie tandis que ses iris surplombent les alentours. L’incertitude le ronge au fils des secondes qui s’envolent dans le néant du temps d’une horloge infinie…
Ses oreilles captent des bruits de pas qui se rapprochent. Oliver se tourne aussitôt et un seul prénom perce le seuil de ses lèvres dans une fibre d’espoir.

— Samuel?

Il y a plusieurs j’ai réussi à voir quelqu’un du Refuge ici, à la Colline et j’ai saisi l’occasion. J’ai fais passé un mot à Oliver; pour lui faire savoir que je suis en vie. Mais étant donné que je suis toujours entouré de garde, je devais faire court, alors j’ai juste inscrit un lieu de rendez-vous. Et j’ai signe de mon surnom d’adolescent. Je ne savais pas s’il l’aurait, ni même s’il viendrait, enfin j’avais peu de doute que le fait qu’il serait là, mais je me devais d’essayer. Je sais très bien qu’il essaiera de me ramener avec lui, et qu’il s’énervera lorsqu’il comprendra que c’est impossible mais je prends le risque. Lui qui souhaitait venir ici lorsqu’on est arrivé, j’espère qu’il changera d’avis. Ce n’est pas que l’on est pas bien, mais certaines choses ne devraient pas exister. Au moins, il pourra me donner raison pour une fois, cette tête de mule.

Le matin même, j’ai vaqué à mes occupations et la veille, on m’a laissé ma liberté, dans le camp, même s’il y avait des endroits où je n’avais pas le droit d’aller comme le mini marché d’échange, ou encore proche des grilles. J’étais vêtu d’un jean basique, d’un sweat un peu trop grand et d’un manteau, qui me gardait au chaud au moins. Je marche un peu, ça me fait du bien de prendre l’air en réalité, parce que je n’ai pas eu beaucoup d’occasion de le faire. Mais depuis la veille je profite, dès que j’ai accompli mes tâches. Je suis stressé en réalité de le retrouver, surtout qu’avec mon œil au beurre noir il va dégoupiller. J’ai découvert l’endroit de notre rendez vous, le premier jour de mon arrivée ici, en essayant de m’enfuir. Je passerai les coups que j’ai pu recevoir et les douleurs que j’ai eu pendant les jours suivants. Je m’avance dans les couloirs entre les bâtiments plutôt calmes pour rejoindre le point de rendez vous.

Je réajuste la capuche du sweat sur ma tête, d’une main. Il fait froid et j’ai les oreilles sensibles. Je m’avance alors peu à peu et je fais sursauter la silhouette qui se trouve sur les lieux. Je souris en entendant mon prénom.  « Salut petit con. » Je me rapproche alors doucement de mon meilleur ami, et je viens passer mes bras autour de sa silhouette pour le serrer dans mes bras. Il m’a manqué malgré tout, je ne pourrais pas mentir là-dessus. Dire que je suis soulagé de le voir serait un euphémisme, je suis heureux. Même si je sais que ce sera de courte durée car le voir s’éloigner me fera du mal. Je pose la tête sur son épaule et je ferme les yeux en agrippant mes doigts à sa veste. Je recule ensuite légèrement mon visage pour le regarder et je murmure.  « Ça va ? »

Il n’avait pas trouvé de meilleures façons de lui adresser ses premiers mots, le médecin? Néanmoins, au timbre de voix, Oliver su qu’il s’agissait bien de lui. Il passe sous silence ses salutations discutables. Les bras de son meilleur ami surplombent son corps et le pressent. Sa mâchoire se serre, sa gorge se noue tandis qu’à son tour, le militaire étreint cet imbécile. Il le serre autant que son cœur se compresse dans sa poitrine. L’avoir contre sa personne, cette simple étreinte qui pourrait le faire flancher dans la foulée, mais il se le refuse. Pas tant qu’ils seront dans ce camp.
Son menton s’appose sur le crâne de Sam. Il peine à respirer. Il sait que le temps leur ait compté. Plus ils s'attardent, plus ils peuvent être repérés et leur chance de sortir devenir nulle. Pourtant, il ne parvient tout simplement pas à le lâcher. Mais c’est le médecin qui initie la distance. C’est à ce moment que Oliver détecte l’état pitoyable de l'œil. La pression sur ses dents augmentent au point que ces dernières menacent de se fissurer.

— Comment ça peut aller? Qu’est-ce qui t’es arrivé?

Il écarte volontairement sa réponse concernant sa propre personne. Il se fichait d’être épuisé à mort, de manquer de sommeil au point qu’il ne peut plus prendre la moindre décision viable -ses traits creux de son visage parlaient d’eux-mêmes-. Cependant, en aucun cas il souhaitait inquiéter son meilleur ami. C’est l’effet inverse qui se produit, ses doigts retirent la capuche qui lui bloque la vue avant de glisser délicatement le long du visage de Samuel.
Il l’observe les sourcils froncés. L'inquiétude se reflète à travers ses pralines azurés, mais une once de colère nuance son regard.

Si une envie émanait dans ses veines, son côté militaire reprend le dessus pour modérer les ardeurs. Son cerveau lui rappelle son but -et surtout que le compte à rebours a débuté à la seconde que ses pieds ont franchi la grille principale. Il scrute les alentours. Personne.
Il retire son manteau.

— Déshabille-toi.

Sa chemise subit le même sort. Le froid mord son épiderme mise à nu. La température basse n’a rien de confortable, mais il a vécu pire. La ceinture relâchée, il ne restait plus que ses pantalons glissant sur son sous-vêtement.

— Refile-moi tes vêtements et mets les miens. Si jamais on nous repère, ça te donnera une chance de plus.

Il savait qu’il jouait avec la roue de fortune dont peu de cases leur permettrait de s’en tirer indemne -ou pas d’ailleurs-. Néanmoins, il était prêt à jouer. L’important était que Samuel puisse retourner au Refuge et Oliver pouvait sacrifier sa propre personne pour que ça arrive.
Ils devront éviter d’emprunter l’entrée principale.

Je souris légèrement en voyant mon meilleur ami, et surtout sa mine renfrognée au surnom que je lui offre. Fidèle à lui-même. Je l’encercle malgré tout de mes bras, avec fermeté. Ma tête sur son épaule, je le laisse m’écraser de ses bras même si ça déclenche quelques petites douleurs sur mes muscles endoloris. Cette étreinte me fait beaucoup de bien en réalité. Visiblement je ne suis pas le seul à ressentir ce besoin. Je serre mes doigts sur son manteau, avant de doucement me reculer. Je regarde mon meilleur ami avec un petit sourire, et je le relâche finalement en totalité. Je vois, je sens son regard sur mon visage et je pince légèrement mes lèvres. Je sais évidemment ce qu’il est en train de penser.

Mon œil porte la trace de mon insubordination. Je l’ai un peu cherché et puis c’est moins pire qu’il y a quelques jours. Je le regarde lorsqu’il me questionne et je hausse les épaules.  « Je ne suis pas très fan des règles alors… J’ai un peu joué au con mais je l’ai amoché aussi. » Je le laisse retirer ma capuche, ce qui dévoile l’intégralité de mon visage. Si je suis fatigué, lui l’est encore plus avec ses cernes creusées. Cela m’attriste un peu de le voir dans cet état, lui aussi. Mais je me doute que ma disparition et ses expéditions jouent un rôle dans cet épuisement. Et connaissant la tête de mule qui se retrouve face à moi, il n’a pas dû dormir beaucoup ces derniers temps.

Je sais qu’il est habitué à manquer de sommeil par son ancien métier, tout comme moi avec le mien mais dans un monde comme celui-ci cela m’inquiète davantage. Surtout lorsqu’il part à l’extérieur. La fatigue provoque souvent un manque de concentration, et une seconde d’inattention dehors peut coûter cher. Il me sort de mes pensées lorsqu’il parle de nouveau et je le regarde.  « Quoi ? » Je le regarde retirer son blouson puis sa chemise. Je hausse un sourcil, celui qui ne me fait pas mal et je viens arrêter ses mains lorsqu’il arrive à son pantalon.  « Stop, arrête » Je rattache sa ceinture avant de récupérer sa chemise pour la lui remettre sur le dos. Ce n’est pas le moment qu’il attrape froid. Je secoue la tête avant de dire.  « Si tu dois te déshabiller ce sera juste parce que tu as envie de me faire l’amour, mais je n’échangerai pas mes vêtements avec toi Oliver, parce que je ne partirai pas. »

Je sais que ces mots vont déclencher une réaction en chaîne. Je me colle à lui, pour ne pas que sa chaleur corporelle s’en aille. Je le regarde droit dans les yeux avant de rajouter.  « Je ne partirai pas maintenant. Je ne mettrais personne en danger pour moi. Je ne suis pas si mal traité et tant que je ne fais chier personne on me laisse tranquille. » Je lui remets son blouson sur ses épaules, avant de doucement baisser mon regard sur mes doigts qui essaient de refermer sa chemise même s’ils sont gelés et que mes mains tremblent.

Il mentirait, le militaire, dès lors que son meilleur ami le libère de feindre l’indifférence. Un pincement au cœur le saisit -l’étreinte bien trop courte-. Le soldat aurait souhaité l’avoir prisonnier de ses bras encore quelques secondes. De s’imprégner de sa présence qui brillait par son absence au Refuge. Qui avait eu le don de hanter ses journées et chasser son sommeil dès la lumière nocturne surplombait la ville. Néanmoins, Oliver le laisse intimer une distance qui lui fait l’effet d’un couteau en pleine poitrine.
Cette distance qui lui offre la chance de l’observer et de déceler la blessure flagrante qui colore le visage du médecin captif. Il enchaîne avec des questions. Cherche à connaître ce qui a conduit à ce résultat et la réponse ne se fait pas attendre. Sa mâchoire se contracte.

— Mais qu’est-ce qui t’a passé par la tête?

Oh, il savait pertinemment l’ancien membre du corps armé américain que son imbécile préféré pouvait jouer à la perfection au petit con de service. Mais ici -à la Colline-. Quelle idée complètement tarée! Sa bouche entrouverte, le second commentaire restait coincé au fond de sa gorge. Il souhaitait tant se faire mettre un couteau sous le gosier? Il ne fallait nullement tenter de jouer au plus malin avec d’exs militaires, peu supporte ce comportement indiscipliné.
Et il devait se contenter chanceux de s’en être sorti avec si peu de dégât si en surenchère, il a riposté.

L’inquiétude le ronge, de ce qu’il constate ne fait que lui confirmer qu’il doit à tout prix le faire sortir d’ici par tous les moyens. Alors le compte à rebours s’enclenche. Il enchaîne. Oliver déloge ses vêtements en dictant à son meilleur ami d’en faire autant. De brouiller ainsi les pistes qu’ils laisseront derrière eux, mais on le somme d’arrêter dans la foulée. Le militaire relève la tête et plonge dans le regard bleuté de Sam. A-t-il une meilleure idée à lui proposer? Il n’était pas rare que le médecin présente un plan plus judicieux. Le plus jeune excelle plutôt dans l’exécution que l’élaboration. Formant un duo redoutable lorsqu’ils opéraient main dans la main.
Alors il suspend ses gestes. Laisse son meilleur ami réajuster sa ceinture, couvrir ses épaules.
Son myocarde s’emballe sans même qu’Oliver en fasse la moindre demande. Cette circonlocution -non, Samuel avait été bien trop cash-. Cet énoncé le déstabilise en réalité. Lui coupe l’usage de la parole un instant. Si ses joues se teintent, le soldat rejettera la faute sur les basses températures. Bordel, il était bien le seul à avoir cet effet sur lui. Et il aurait voulu entendre ces paroles dans d’autres circonstances et un flux de souvenir refait surface. Son esprit reste embrumer par les premiers propos, mais son cerveau finit par assimiler la seconde partie, le ramenant à la triste réalité.

— Pardon?

En aucun cas Oliver avait mal entendu. Mais l’incompréhension le gagne sans qu’il puisse comprendre la logique de cette décision qui lui échappait complètement malgré les éclaircissements que Samuel daignait lui accorder.

— Mais qu’est-ce que tu me racontes?

Il avait perdu la tête! Ce n’était pas possible autrement.

— Pas si mal traité? Tu t’es regardé dans un miroir récemment ou tu joues à l’aveugle volontairement?

Son ton durcissait à chaque mot qui franchissait ses lèvres. Il attrape les mains du médecin même si sa tâche restait inachevée.

— Je ne te laisserai pas derrière, Samuel James.

Aucune ouverture possible. Oliver était venu avec un objectif bien précis et l’échoué n’était pas une option.
Son cœur ne le supportera pas.

Je me sépare à contre cœur de cette étreinte mais j’ai peu de temps avant que l’on ne tente de me retrouver. Je sais que ça lui crève le cœur autant qu’à moi, je le sens lorsqu’il se force à me relâcher. Lui aussi semble fatigué et ça m’attriste de voir ça. Je sais que je dois probablement en être la cause. Mais ça lui permet d’entrevoir mon visage abîmé et je sens déjà monter la colère en lui. Je respire profondément, et je secoue la tête.  « Arrête un peu Oliver, tu sais très bien qu’il ne faut pas grand chose à des militaires pour s’énerver. » Je soupire légèrement en m’éloignant de lui quelques secondes et je m’appuie contre le mur. Il agit comme si j’étais anormal, alors que non, parfois je devais me battre avec mes décisions, et mes valeurs.

Je vois Oliver qui commence à se déshabiller et de ce que je comprends il veut qu’on échange nos vêtements. À cet instant j’ai envie de lui mettre des claques pour qu’il se réveille un peu. Je viens l’arrêter, autant par la parole que par les gestes. Je ne veux pas qu’il fasse ça et de toute manière je ne veux pas le faire moi même. Il ne connaît pas tous les enjeux de ce qu’il compte faire et je ne peux pas le permettre. Je viens doucement réajuster sa ceinture et le couvrir de son blouson. Je ne peux pas le laisser faire ça. Je viens me coller doucement à lui, pour qu’il garde la chaleur de son corps et qu’il n’attrape pas froid. Lorsqu’il s’exprime à nouveau, je le regarde droit dans les yeux. Je ne réponds pas à sa première question.

Cependant je secoue la tête, quand il commence à s’emporter. Il me tient les mains, et je me dégage doucement alors qu’il m’énerve.  « Écoute-toi Oliver, et grandis un peu. Je les laisserai pas faire de mal à mes proches, alors si je dois rester ici pour éviter que je perde quelqu’un je resterai ici. Arrête de faire ta tête de con et essaie de grandir un peu. » Je secoue la tête en frottant mes cheveux de mes mains.  « Évidemment qu’ils me font mal parce que je dépasse les bornes, ou parce que je colle le premier coup. »

Je m’éloigne en faisant quelques pas. J’ai besoin de mettre au clair mes idées en réalité, parce que je sais que je pourrais être mauvais.  « Va vraiment falloir que t’arrêtes de me traiter comme un enfant, et surtout de me contrôler. Tu veux quoi Oliver ? Que je revienne ? Et si je reviens, j’aurais le droit à quoi ? A ce que tu agisses comme un con avec moi ? Tu te rends compte comment tu agis avec moi ? » Je souffle pour calmer ma colère.

Ironie.
S’il sait que les militaires supportent très mal l’insubordination, pourquoi le fait-il tant exprès? Et surtout, pourquoi l’exerce-t-il aussi avec lui connaissant son passif? Il le lui reproche d’ailleurs. Après s’être fait arrêter dans sa précipitation puisque le sablier ne daignera jamais de cesser d’écouler les grains de sable pour suspendre et allonger les retrouvailles, il fronce les sourcils, Oliver, dubitatif. Il passe sous silence son incompréhension qui le ronge, mais il sait également que le médecin peut présenter de meilleurs plans. Un plan qui tarde à arriver -ou du moins, loin d’être celui qui devait s’appliquer-.
Dès que les mains de Sam s’écartent des siennes, son myocarde se tord avant de laisser une nouvelle plaie déborder de liquide rouge. Il le sent, l’a aperçu dans son regard bleuté.  Il redresse la tête, comme il le ferait en face d’un haut gradé de l’armée. Ses épaules droites, sa posture de soldat. Et son meilleur ami déverse ses paroles.

Il encaisse. Ne voit pas non plus l’intérêt de répliquer. Le médecin tâche déjà lui-même les emmerdes avec les gardes de ce camp. Assener la première offense ne va jamais l’aider entre ces barrières qui constituent la Colline.
En réalité, Oliver se questionne en ce qui concerne sa venue ici. Qu’est-ce que Samuel cherchait à l’attirer ici au final? À quoi servait tout ça si ce n’est que pour poignarder à répétition son palpitant déjà en hémorragie?
Ses pralines suivent la trajectoire de cette silhouette dont il étreignait tout à l’heure dans ses bras. Cette même silhouette qui projète maintenant tout son venin -et dont le militaire sait sans l’ombre d’un doute que tout finira par avoir raison de ses prochaines nuits, à chasser le sommeil sans qu’on lui accorde la moindre seconde de répit-.

— Oui je veux que tu reviennes, Samuel James, son timbre de voix laisse apercevoir une onze de supplication malgré la colère qui s’éveille. Qu’est-ce qui a de si étonnant dans ça? Tu crois que je m’amuse à venir mettre les pieds ici alors que si quelqu’un me reconnaît je risque d’y passer?

Sa posture se casse. Il imite son vis-à-vis, piétine les alentours.

— Comment j’agis avec toi? Je te demande rien qu’une chose et c’est de rentrer avec moi. Ou sans moi si je rends ta vie si infernale. Tout ce qui m’importe c’est que tu sois en sécurité. Si c’est d’agir comme un con avec toi pour ça, alors tu peux m’en faire le reproche autant que tu veux.

Ses yeux se lèvent vers le ciel. Il secoue la tête.
Il tourne les talons. Sans même qu’il l’ordonne, ses pas le ramène auprès du médecin. Il fait face une dernière fois à celui dont le militaire pouvait sacrifier sa propre vie pour lui. Son regard plongé dans le sien. Leurs iris faisant écho.

— Pourquoi m’avoir fait venir ici si tu ne veux pas partir? C’était quoi ton plan dans tout ça?

Car son myocarde le tuait à petit feu au fil des secondes volatilisées dans le néant du temps. Il sentait les larmes qui menaçaient de déborder, mais il refusait catégoriquement qu’une seule ne s’échappe et longe son visage.
Il avait l’impression que tout lui glissait d’entre les mains. Il ne comprenait pas où Sam souhaitait en venir. Il a tout fait pour lui. Oliver a toujours placé le médecin au top de ses priorités, à faire taire ses propres envies pour cette personne qui semblait maintenant lui reprocher tous ses faits et gestes.
Est-ce trop demander de vouloir sa sécurité? De toute évidence, oui.

La faculté de compréhension d’Oliver m’exaspère toujours autant. Parfois j’ai envie de le secouer, comme un prunier, et de l’aider à ouvrir les yeux, à se réveiller un peu. Il a ce don de m’énerver comme personne, et de frustrer. Je m’écarte de lui, à contre coeur, et je me mets à faire les cents pas sur un espace restreint. Ça m’aide à réfléchir et à me calmer. C’est ce que je faisais lorsque je me trouvais au bloc et qu’il fallait réfléchir très rapidement, avant de pénétrer le champ stérile.

Il prend sa posture de militaire, ce qui ne m’aide absolument pas à calmer la colère qui monte en moi. Je sais très bien qu’il en vient à se questionner sur sa venue si ce n’est pas pour me ramener, mais je ne peux pas rentrer, je ne peux pas mettre en danger ceux que j’aime, ceux que j’apprécie. Je ne suis pas mal traité ici, malgré la tête de mon visage tuméfié. Je cherche aussi les embrouilles pour me sentir vivant, parce que ce contact me permet aussi de rester sur le qui-vive et surtout de m’amuser. Je sais qu’ils ont ordre de ne pas me tuer ni même de me mettre hors jeu, alors ça m’amuse.

Je suis incapable de ne pas être légèrement acide avec mes paroles, il me rend en colère de faire comme si de rien était. Il veut que je revienne. Je secoue la tête en respirant profondément. Je fronce les sourcils en me tournant vers Oliver.  « Tu oses vraiment me demander ce qu’il y a d’étonnant ? Je sais pas si j’hallucine quand même. » Je parle calmement même si la colère est présente. Je n’avais pas dans l’optique de me disputer avec lui, et ça m’exaspère un peu que l’on en arrive là.

 « T’as vraiment rien compris, c’est dingue quand même. Je suis en sécurité ici, même si je me bagarre un peu. Si je pars d’ici avec toi aujourd’hui, en plus de me faire torturer, ils s’en prendront à toi, ils s’en prendront à Mya ou même Eva et Hanaë. Quand est-ce que tu vas allumer ton cerveau et réfléchir un peu ? Je suis en sécurité ici et tant que je suis en sécurité, mes amis et mes proches le sont aussi ! Alors oui tu agis comme un con ! » J’ai hausse le ton mais je ne peux pas m’en empêcher quand il fait l’autruche comme ça. Je frotte mon visage en piétinant le sol de mon pied. Il ne nous reste pas beaucoup de temps et on s’engueule. Et ça m’énerve encore plus.

Je rumine dans ma barbe. En réalité je suis un peu fatigué parce que mine de rien mes insomnies et mes cauchemars sont toujours présents, et que je me plonge quasiment à chaque fois dans le travail, pour oublier tout ce que mes rêves veulent me rappeler. Je regarde le militaire lorsqu’il se positionne face à moi. Je ne le quitte pas du regard, en réalité. Et il pose sa question. Je respire profondément alors que mon sang ne fait qu’un tour. Et d’une voix trop calme, mais forte je lâche un juron.  « Putain tu te fous de ma gueule ? »

Ça détonne.
Les chemins des deux hommes se croisent de nouveau enfin. Pourtant, le myocarde du militaire n’en est que davantage alourdi par la situation. Le désespoir qui lui agrippe les chevilles et qui l’entraîne dans les profondeurs ténébreuses. Il avait pourtant le sentiment qu’il pourra jouir de la présence de son meilleur ami à nouveau, néanmoins ça ne sera que ces quelques minutes que le médecin daigne lui offrir.
Fracassant son palpitant. L’émiettant de cette pression amère à chaque phrase, chaque mot, chaque son qui franchissent le seuil de ses lèvres. Et qu’ils atteignent les oreilles à l’intrus des lieux.

Une inspiration. C’est tout ce qu’il entame.
Il connait Samuel par cœur. Et ce geste, ce tic de parler avec un calme plat… Le proverbe lui colle merveilleusement bien à la peau. Celle du calme avant la tempête. Ce n’est qu’une question de déclic.
Oliver relève la tête. L’affronte sans même un soupçon de réticence. Ils ont deux visions, certes, mais jamais il ne refusera d’écouter ce que son cœur lui intime. Il l’a déjà trop réprimé. Sans compter qu’il ressent cette sensation de dernière chance -ou plutôt de derniers instants-.
S’il encaissait sans broncher, l’évocation de ses petites sœurs résonne en lui tel un électrochoc. Les sourcils froncés, il toise Samuel de son regard fermé.

— Il ne leur arrivera rien. Ils pourront faire ce qu’ils veulent de moi, mais jamais ils ne mettront la main sur elles.

Il s’en faisait le serment. Il s’en voulait déjà à mort que l’homme en face de sa personne y soit prisonnier. Et tout lui échappe d’entre les doigts malgré sa volonté de tout retenir. Le contrôle se tord tel un serpent et il se rend compte petit à petit que ses mains sont liées. Les portes qu’il croyait ouvertes se ferment pour ne jamais entrevoir une seule lueur de lumière.
Tout s’éteint.
Et pourtant, son palpitant tambourine encore au sein de sa cage thoracique. Dans un dernier élan.

C’est terminé.
Il le sait.
Son cerveau lui dicte.
Il doit faire son bout de chemin.

Néanmoins, il se fige un instant aux derniers mots prononcés par son meilleur ami. Rabats les paupières tandis que son myocarde refuse de s’apaiser, de le laisser en paix. La douleur est profonde tel un scalpel se plantant en plein centre de son cœur.
Ses talons exercent un cent quatre-vingts degrés. Il s’éloigne, mais fais demi-tour aussi rapidement qu’il a instauré la distance entre eux. Un de ses poings agrippe le col du médecin. La seconde main s’immisce sur la nuque. Ses lèvres rencontrent les siennes. Un frisson parcourt son échine. C’est un véritable feu d’artifice, mais il s’éteint dès qu’il rompt le contact. Il sent encore les traces chaudes, la forme des lèvres de Samuel sur les siennes.
Il finit par le relâcher.

— Tu n’as aucune idée d’à quel point je t’aime… souffle-t-il.

À peine une seconde s’écoule que Oliver tourne à nouveau les talons et emprunte le chemin du retour.
Seul.
Le cœur émietté dont il doute pouvoir recoller les morceaux à nouveau. Tout lui est incertain et la simple pensée de ne jamais le revoir vivant a le même effet qu’une balle traversant son crâne.
Mais il poursuit sa route. Tel l’esprit aussi vide qu’un rôdeur -seulement, il est toujours humain-. La larme longeant son visage l’en témoigne…

Aimer n’est pas le plus beau des cadeaux.