Willow Teller-Evans - Against all odds

Je ne me souviens pas de tous les détails du début de ma vie. Parce que c'était un début chaotique, une arrivée dans le monde plus ou moins... différente, malgré la douce brise de l'été qui débutait. Je suis la fille d'une femme qui avait des problèmes de drogue. Je ne pense même pas que ma mère était au courant de l'identité de mon paternel. Mais je pense que de contacter les services sociaux pour ma prise en charge était la meilleure décision de sa vie. Or, tristement, je suis née en manque. Oh, si mon corps a très certainement enregistré la sensation, ma cervelle, elle, est relativement préservée de ce drame. Mais je devais rester à l'hôpital plus longtemps que les autres bébés, et j'avais besoin de rendez-vous médicaux fréquents, par la suite. Ce fardeau, en plus de la pénurie de familles d'accueil et d'assistants sociaux, ne fait pas de moi le bébé de l'année, si vous voyez ce que je veux dire. Je suis passée dans un tas de paires de bras, du coup, découvrant de nouveaux parents trop souvent, dès mon jeune âge. Enfin, j'ai finalement pu atterrir chez les Teller avant de rentrer à la petite école, effaçant toutes les craintes avec lesquelles je devais vivre avant eux. Je ne perds pas de temps à utiliser les mots qu'il faut, d'ailleurs; papa & maman. Parce qu'ils étaient dorénavant mes meilleurs copains.

Je n'ai manqué de rien, ou presque, à partir de cet instant-là. Je n'avais pas de frères, pas de soeurs - que des cousins qui venaient nous voir pour Noël et l'Action de grâce. J'étais soudainement la petite princesse que j'avais toujours voulu être, même si ma famille n'est pas riche. Ma nouvelle maman est enseignante, et mon père est plombier. Rien de plus simple que des gens honnêtes, finalement. Mon monde tourne autour d'eux, jusqu'à ce que je commence à m'ouvrir un brin. Je suis plutôt populaire, à l'école, et si je ne suis pas particulièrement intéressée par les cours, je suis capable de maintenir des notes de base.

Je fais de la danse, et parallèlement, de la planche à roulettes. Je sèche parfois les cours - non sans avoir droit à un discours à chaque fois. Mais je suis beaucoup trop précieuse, aux yeux de mes parents, pour vraiment me faire punir. Jamais ils n'oseraient me tenir tête trop longtemps. Je suis un peu bohème, à ce stade-ci de ma vie - je n'ai rien à faire des règles, des attentes. Je tente de trouver un sens à cette existence, un but - comme tous les gosses de mon âge. Et comme tous les gosses de mon âge, les premières crises arrivent, les réseaux sociaux deviennent ma façon de m'échapper. Je commence à développer un intérêt marqué pour la musique, et c'est à l'école qu'on remarque ma voix, d'ailleurs. Je pourrais me rendre loin, avec ça, semble-t-il. Même si j'imagine que je ne vais jamais le découvrir. De toute façon, je ne fais que perdre mon temps, ne sachant pas ce que je veux spécifiquement étudier, ni comment.

Or, c'est mon anniversaire - j'ai 17 ans. Je me casse le bras, tellement on fête comme des débiles. Et c'est avec ce plâtre que je regarde la pluie s'abattre dehors, quelques jours plus tard, à la fin des cours. Je ne sais pas si je réalise vraiment ce qui se passe. Mais quand je rentre, les choses semblent drôlement plus réelles. Au départ, je ne fais que râler. Je veux retrouver ma vie normale, avec une connexion internet et des copains au bout du fil. Mais maman tombe malade. Je suis intriguée par les brûlures à sa peau, sauf que c'est papa qui s'occupe d'elle. Il me rassure, en me disant que tout ira bien, mais je vois dans ses billes que rien ne va.

En attendant, mon père est appelé pour une intervention d’urgence. Une pompe lâche dans le voisinage, menaçant d’inonder nos rues. Je me doute aujourd'hui qu'il n'a pas eu le choix de bien mettre les mains dedans, pour sauver le quartier. Un peu moins d'une semaine plus tard, j'ai droit à un spectacle d'horreur, au bout du couloir du rez-de-chaussé. Ma mère convulse dans les bras de son mari, la gorge arrachée. Elle pisse le sang. Je me fige - je hurle, même, traversée par la panique et les sueurs froides - avant de courir jusqu'à ma chambre. Je ferme la porte derrière moi, poussant un meuble contre celle-ci, avant de me recroqueviller dans mon lit, sous les couvertures. Cette nuit-là, je demande au petit Jésus de faire arrêter les coups de mon père - sans succès.

Plusieurs mois s'écoulent, pourtant. Je dois me faire à l'idée que je suis toute seule, maintenant. Je n'ose parfois pas regarder dehors - du moins, pas au début. Sauf qu'il me faut sortir, à un moment. À chaque fois, j'ai l'impression de devoir m'envelopper dans du papier bulles. Et c'est presque le cas, soyons honnêtes. Et j'ai vite compris que la nourriture que ramenais à mes parents ne les intéressait pas du tout. Ils avaient plutôt envie de me croquer moi. La solitude me pèse, d'ailleurs, et à un moment, j'arrête de leur parler. Je déprime, désabusée et fatiguée. Cet état devient tristement normal, vicieusement. J'élimine toutes émotions, me retrouvant complètement vide, et d'autant plus isolée. Mais les sorties doivent se multiplier, si je veux survivre. Je bidouille un tas de trucs pour améliorer mon quotidien, mais chaque petite victoire ne m'amène qu'à des problèmes différents.

J'apprends à me méfier des vivants plus que des parasites, sans grande surprise. Je croise pourtant Noah, pour la première fois, quand il est en quête de vivres, près de chez moi. Je ne couvre pas beaucoup de terrain, contrairement à lui, et je décide de l'observer, à chaque fois qu'il visite le coin. Je suis persuadée qu'il note aussi ma présence, sauf qu'il me laisse tranquille. Il me laisse même des provisions, parfois, et je fais pareil, avec ce que je peux trouver. Nous ne savons rien l'un de l'autre, mais soudainement, il est ce pourquoi je me lève, le matin. Il chasse la solitude, et le désespoir. Ce pacte silencieux est probablement ce qui m'empêche de me passer la corde au cou, même. Cette entente est différente pour moi, surtout quand on déconne à notre façon, à travers quelques blagues idiotes - sans jamais se parler. La musique me manque, mais Noah semble remplir le silence dans ma tête. Tellement que je recommence à discuter avec mes parents, pour leur parler de lui.

N'empêche, j'ai vu trop de gens disparaître. Mes copains d'école décident de suivre l'armée, et me font toutes sortes de promesses en m'assurant qu'ils reviendraient, pour chanter la gloire des soldats. Ça n'arrive jamais, et quand c'est à mon tour de voir l'armée entrer chez moi, je ne peux que paniquer. Ils peuvent bien prétendre avoir la solution parfaite à ce monde réduit en cendres - moi, j'ai la trouille. Et c'est quand ils abattent mes parents que je prends les jambes à mon cou. Sauf qu'ils me rattrapent - et non sans faire preuve d'une violence à laquelle je ne m'attendais pas. Je suis en train de reprendre mes esprits, à plat ventre par terre, quand un détail attire mon attention, à travers les arbres.

Il est ici? Ça ne peut être que lui... Noah.

Il me libère des cordes à mes poignets, offre une diversion impressionnante aux soldats et se cache avec moi jusqu'à ce qu'ils abandonnent leurs recherches. Cette nuit-là, je dors paisiblement pour la première fois depuis longtemps. Mais les choses ne restent pas roses bien longtemps. Notre relation est confuse, et bancale, au mieux. Je réalise qu'il est brisé, et moi aussi. Nos personnalités ne s'entendent pas, la plupart du temps. Et par-dessus tout, j'ai toute la misère du monde à lui faire confiance. Je ne suis pas d'accord avec ses façons de faire non plus. Il semble agir comme si chaque personne que l'on rencontre est un enfoiré de la pire espèce. Pour Noah, le monde entier est un ennemi, et je ne compte plus les situations où je n'ai pas eu le choix de suivre ses ordres. Je peux bien râler, il me répète toujours que c'est le prix de la survie. Et quand je lui gueule mes états d'âme, il refuse de me laisser filer. Comme si je pouvais faire une telle chose, de toute façon.

Si je suis l'eau, il est certainement l'huile. Mais il me ramène à son camp. Je deviens le centre de ses priorités, soudainement, malgré ses difficultés à l'avouer. Et à travers nos péripéties dehors, je réalise que la vraie vie est bien différente de mes jeux vidéo. Impossible de recommencer quand ça foire. Alors j'adhère lentement à ses méthodes. Il est présent pour m'épauler à chacune de mes bourdes, et je lui ai sauvé la mise plus d'une fois à mon tour. Notre lien se tisse non sans une part d'ombre, mais plus le temps avance, et plus le doute s'envole. Il est un père pour moi - plus que ça encore. Je n'ai jamais eu le courage de le lui dire, certes - mais je suis capable de tout pour lui, et c'est ce qui me terrorise le plus.

But in the end, it's him and I.