Amelia Novak - Conceal, don't feel

Elle entend cette conversation. Cet échange muet signifiant une trouvaille importante dans le secteur ouest de la ville. Et Amelia sourit légèrement, avant de reprendre sa route comme si elle n’avait rien entendu. Personne ne l’avait vu, mais ils semblaient savoir ce qu’ils faisaient. Alors, elle allait rester tranquille et les laisser faire à leur tête pour le moment. Elle avait toujours été ainsi. Discrète. Secrète. Ce fantôme entre les murs d’un endroit donné, jamais bien loin, mais jamais remarquée non plus. Certains l'enviait pour cette capacité à se fondre dans le décor, mais Amelia savait que s’ils étaient passés par là, ils ne trouveraient pas que cette capacité était appréciable.

Archibald Novak.

Tout commence avec ce grand politicien, homme ambitieux qui voulait autrefois être à la tête de cette puissance qu’était les États-Unis d’Amérique. Ce grand politicien qui ne laissait rien lui échapper, déterminer à obtenir ce qu’il voulait et surtout… Qui n’acceptait aucun faux pas. Dans un mariage heureux avec Julia Novak, sa femme. Femme d’affaire accomplie, héritière de l’empire commercial basé sur la production de médicaments. Un fils, héritier problématique. Et finalement, Amelia. Mellie Novak, la plus jeune de la famille. Cette enfant miracle, née dix ans après son frère aîné. Amelia qui avait toujours dû marcher entre les lignes. Se tenir droite, lever la tête. Depuis son plus jeune âge, on lui apprend que le monde observe dans l’ombre. Ce qu’il ne savent pas, c’est qu’elle est l’ombre. Parce qu’on attend la perfection de cette enfant miracle. Parce qu’on s’attend à ce qu’elle agisse tel que demandé, la tête haute. Aucun faux pas permis, aucune émotion permise. Elle sourit, elle est polie. Elle est l’instrument de son père. Celui qui lui attire la sympathie du public quand ils voient l’homme près de son enfant, quand elle rit dans ses bras. Celle qui l’approche lentement de son objectif : la maison blanche. Un politicien ambitieux. Les médias à ses trousses. Et Mellie qui, depuis toujours, joue le jeu. Un sourire en public. Les vraies émotions dans l’ombre. Car aveuglés par leurs ambitions, les parents ne voient pas cette pression qu’ils imposent à leurs enfants.

Synonyme de cette double vie. Les médias, la presse, les hommes politiques. Tous connaissent Amelia Novak. Mellie, seule sa famille, seuls ses amis la connaissent. Mellie, c’est cette enfant optimiste, qui s'efforce de voir le meilleur en ce monde. C’est la curiosité incarnée, celle qui vit dans les ombres, qui reste en silence et écoute. Elle sait qu’elle ne peut pas faire de faux pas, alors elle cache ses erreurs, mais les erreurs de Mellie, on ne les lui reproche pas. C’est Amelia qui doit se tenir droite.

Elle se souvient des cris, de la dispute. Encore une fois, elle est dans l’ombre. Ses cheveux sombre ne se détachent pas assez contre le meuble en bois, pas assez pour dire qu’ils peuvent l'apercevoir. Alors que sa mère est bouleversée. Alors que son père fait les cents pas dans la cuisine, un mélange de frustration, de déception et de peine peint sur ses traits. Elle avait 6 ans. Son frère en avait 16. Et une sex tape avait été diffusée sur les réseaux sociaux. Là où ses amis le félicitaient pour ses exploits, son père le méprisait pour avoir ruiné sa carrière. La colère. À partir de ce moment, Amelia, qui avait toujours eu l’attention d’un de ses parents, tour à tour pendant que l’autre travaillait sur leur projet commun d’atteindre la maison blanche, se trouvait maintenant seule. Certes, elle vécut d'autres scandales à travers le temps, mais il s’agissait du premier qu’elle vivait. De celui qui allait marquer le reste de son avenir. Quelques semaines plus tard, ils partent en voyage familial, le temps que le scandale s'estompe, que la presse passe à un autre dossier et que le plan reprenne son envol.

Personne ne s’attendait à ce que leur séjour familial sur une île antillaise ne soit ponctuée par une violente tornade dont la trajectoire passa directement dans le village où les Novak avaient loué leur villa. Un carnage. Un désastre. Et, toujours dans l’ombre, longeant les murs, ses pieds nus écorchés par les décombres, Mellie vit le corps inerte de son aîné, dans les bras de leur mère hurlant au désespoir . Tout changea à partir de ce moment. Elle qui avait toujours dû jouer les enfants parfaites, dû jouer le plus grand rôle de sa vie : celui de l'enfant éprouvée qui savait qu’elle devait avancer. Pendant que sa mère s’effondrait. Pendant que son père s'ensevelissait sous le travail. Si elle avait toujours été l’ombre, un peu partout, curiosité insatiable qui ne s’estompait que par les conversations (parce que déjà, à six ans, elle comprenait qu’on ne lui disait rien), sa mère était devenue un fantôme. L’année suivante, ce fut les pensionnats, écoles privées et éducation au meilleur du possible. Elle ne revenait plus que quelques semaines par années. Même ses étés, elle les passait loin de ses parents. Mais au moins, elle était loin de la presse. Pas complètement débarrassée de tous les regards, mais moins oppressée. Amelia marchait toujours sur un fil, droit devant, à la hauteur de ce qu’on attendait qu’elle. Mais pour la première fois depuis longtemps, elle n’était plus totalement Amelia. Elle était Mellie, cette enfant souriante qui souhaitait simplement profiter de la vie.

Elle grandit. Au lycée, elle intégra l’équipe des cheerleaders de son école privée. Pas capitaine non, mais cette dernière était sa meilleure amie. Toujours dans l’ombre de quelqu’un, Mellie. Elle s’est reconstruite. Elle écrivait également dans le journal de l’école, sa présence dans l’ombre lui donnant accès aux potins les plus croustillants. Son enfance lui ayant appris à obtenir l’information qu’elle coulait. Elle était un caméléon, dans tous les groupes, sans avoir les représailles de qui que ce soit.  Elle était la seule, à l’école, à pouvoir en faire autant. Elle publie des articles sous un nom de plume. « M. Dove ». Les gens pensaient qu’il s’agissait d’un homme, elle savait que c’était pour « Mellie ». Et puis, personne ne soupçonnait l'assistante capitaine des Cheerleader d’être la source de ces articles. Elle s’était créer une vie. Une voie loin de ce qu’on attendait d’elle. Loin de ce monde parfait qu’elle se devait d’entretenir.

Mais tout rêve se doit de se terminer un jour. C’est ce que son père lui a toujours dit. Un rêve implique le réveil. Travailler pour un objectif implique de pouvoir le conserver. Pour Mellie, la fin du rêve fut la graduation. Elle s’était fait plusieurs amis, mais n’avait pas de groupe fixe. Elle avait plusieurs personnes qu’elle appréciait, mais personne qui n’allait rester à la fin des classes. Même la capitaine de l’équipe. Parce qu’elle était partout Mellie. Partout dans l’ombre, jamais réellement dans une relation. Le retour à Washington fut brutal. Car son père était toujours sur la scène politique. Et si elle avait fait quelques sourires et salué la caméra pendant les vacances, elle n’avait plus l’habitude de ce rythme de vie. 18 ans. Un autre départ. Un de plus à ajouter à la liste. Et quelques mois plus tard, elle quitte de nouveau la frénésie de Washington pour aller à Yale. Cursus général, mineur en littérature anglaise. Parce qu’elle aime écrire. Elle aime rêver. Et les histoires qu’on entend dans l’ombre sont les meilleures. Mais pour le moment, elle prend une pause de l’écriture pour se concentrer sur l’analyse des textes. Ses parents veulent qu’elle fasse la fac de droit. Elle hésite. Elle finira par le faire. Pour eux. Donnant entrevues aux côtés de son père, tâchant de redorer l’image de ce politicien qui tente d’accéder à un rêve impossible depuis déjà trop longtemps. Elle fait son cursus régulier. Puis entre en fac de droit. Elle se démarque par ses résultats scolaires, Mellie. Mais parce qu’elle sait que c’est ce qu’on attend d’elle. Elle n’aime pas le droit. Mais ça propulse la carrière de son père, alors elle persévère. Elle avait 24 ans quand elle quitta finalement Yale,avec son diplôme de droit. Et contre toute attente, elle se tourna vers le journalisme et la communication. Le Times accepte de la prendre. Elle travaille sur certains articles papiers, mais assiste aussi sur quelques reportages télévisés. Mellie commence à se faire un nom. Et elle calme la frustration de ses parents en leur disant qu’elle mettra ses connaissances et son expérience à profit quand viendra le temps de faire campagne. Ça fonctionne. Mais elle aurait aimé pouvoir faire quelque chose pour elle. Sauf qu’elle n’a pas tenu le rôle qu’on espérait, alors elle devait trouver une justification. Une bonne excuse. Sinon on l’aurait forcée à retourner dans le domaine du droit.  

Puis vint la pluie. Cette pluie affreuse qui changea le monde. Encore une fois placée dans l’ombre, Amelia avait été mise sur la touche. Et de la maison familiale, elle écouta l'entrevue donnée par son père, sa mère aux côtés de son mari. Elle était assise sur le canapée, seule dans le grand manoir familial, ayant laissé partir la femme de ménage pour la journée, quand la pluie c’est abattue. Elle vit en direct ses parents, ses collègues de travail, ses amis, périr sous la pluie. Comme elle avait vu le corps de son frère à six ans. Elle passa quelque temps seule à Washington, épluchant tous les journaux existant dans le pays, passant d’une chaîne de nouvelle à l’autre, tentant de contacter ses propres informateurs pour comprendre ce qui se passait. Les liens de la famille Novak avec la famille du Président de 2031 n'étaient pas suffisants. Alors, après plusieurs semaines, elle quitte Washington. Elle avait cependant gardé avec elle des talkie-walkie, dérobés sur les corps de deux gardes de la maison blanche. Un à sa ceinture, l’autre dans son sac. Des Talkies longue distance. On ne sait jamais quand ça peut être utile. Et les mains tremblantes, elle prend le pistolet d’un de ces hommes. Elle a bien vu, aux nouvelles, le temps que ça a duré, que c’était elle contre le monde. Elle cache cette arme dans son sac (idée idiote, elle le sait), espérant ne jamais avoir à l’utiliser. Aujourd’hui encore, ses mains tremblent quand elle pense à cette arme dans son sac.  

Elle voyageait d’un groupe à l’autre. Caméléon. Une ombre. Jamais à la même place, mais collectant des informations à droite et à gauche. Elle tentait de refaire un portrait de la situation. Mais le gouvernement les avait laissés tomber. Amelia n’était jamais loin d’un groupe, pas plus de quelques jours seule du moins, jusqu’au moment où elle croisa leur route.

La meute.

Le Wolfpack. Et de son air innocent, avec sa couleur naturelle et son envie d’aider, elle se joint au groupe. Quelques semaines de répit. Certes, ils étaient un groupe déjà soudé. Un groupe uni dans lequel elle avait du mal à se tailler une place. Mais ça restait plus sécuritaire que d’être seule. Quelques semaines de… Bonheur ? Assez pour dire qu’elle put subir le rituel initiatique du groupe. Le loup sur sa cheville en témoignait. Assez pour dire qu’elle les appréciait.  Avant que la tragédie frappe de nouveau. Car le Créateur, le chef de la meute, était soudainement mort d’un AVC. Et encore une fois, Amelia était restée dans l’ombre alors que l’homme mourait dans les bras de Charlotte. Il fallait qu’ils se réorganisent. Mellie ne laisse aucun détail derrière elle dans toute cette histoire. Les regards des gens, elle les voit. Le non-verbal, elle remarque. Mais elle reste silencieuse. Et le tournoi pour prendre la tête de la meute commença. Elle avait grandi dans le monde politique, dans le monde du pouvoir, pourtant, rien ne ressemblait à ce qu’elle voyait à cet instant. Incertaine, insécure. Elle regarde impuissante le groupe s’effondrer. De plus, elle ne sait pas vraiment quoi dire, elle les apprécie, mais elle se sent encore dans l’ombre, pas vraiment à sa place, pas vraiment elle-même. Mais c’est naturel, chez Mellie, on lui a toujours demandé de jouer un rôle, elle ne sait simplement pas quel est celui qu’on attend d’elle dans la meute.  

Changement de chef. L’alpha.

Alpha lui semble être une bonne personne. Le meilleur choix pour succéder au Créateur. Et Mellie y croit. Cela dure quelques semaines. Quelques semaines de répit. Elle qui espérait enfin un nouveau départ, un peu de stabilité et de sécurité dans ce monde. Ses espoirs furent renversés après quelques semaines. Elle en avait l’habitude, Mellie, ça avait été sa vie de se tenir dans l’ombre et de sourire en attendant la prochaine crise. Elle n’aurait jamais imaginé que cela se déroulerait ainsi.

Une attaque sur l’aquarium, sur l’endroit qui leur sert de camp. Trop tard. C’est ce que dit Bêta alors qu’il tente d’empêcher Charlie de retourner à l’intérieur. Le groupe qui éclate, se démantèle petit à petit, elle le sent. Elle a déjà vu les signes. Et telle une ombre, elle se faufile à l’intérieur de l’aquarium. Elle ne peut pas croire. Et personne dans ce groupe ne semble réellement se soucier de la petite Mellie, alors elle se déplace, lentement, et retourne dans l’aquarium. Elle le retrouve au sol, Lincoln, son chef, celui qui lui a permis de rester même après la mort du Créateur, un des seuls qui lui donne l’impression d’être acceptée dans ce groupe. Elle s’agenouille près du corps de leur chef et constate avec surprise qu’il est encore en vie. Protocole de survie. Son cerveau entre dans un état d’automatisme. Son père avait toujours eu peur de menaces variées et les contacts de la famille avec la maison blanche avaient permis à Mellie d’apprendre divers protocoles de sécurité, mais elle ne s’était pas non plus gênée pour observer - telle une ombre - les secouristes. D'observer Charlie quand l’un d’eux se blessait. Alors elle fait de son mieux, mais elle sait qu’elle ne pourra sans doute pas en faire assez. Elle doute de pouvoir réellement le sauver. Puis, ils doivent partir. Elle ne fait pas confiance à Bêta, elle craint son retour. Car le jeu politique lui a aussi appris à surveiller ses arrières. Alors elle soigne Lincoln comme elle peut et tente de le déplacer. Ils doivent quitter cet endroit.

Le choix du Refuge lui apparut comme une évidence. Parce qu’elle avait entendu des conversations, parce qu’elle se doutait que personne de la meute n’allait aller vers ce camp prônant la collaboration. Elle espérait y trouver de l’aide et possiblement un refuge (ironie des mots). Au moins le temps que Lincoln aille mieux et qu’ils puissent établir la prochaine étape. Mais ils s’attardent. Ils y sont bien. Elle n’est pas seule et elle peut mettre ses connaissances à contribution pour tenter d’aider d’autres âmes égarées comme elle à trouver le camp.

Pour la première fois depuis le lycée, elle n’a pas l’impression d’être Amelia Novak, héritière d’un empire pharmaceutique et fille de politicien. Non, elle n’est que Mellie. Et ça lui convient parfaitement.