Aurora Lane - Let me introduce you to my madness

Smells like teen spirit

Le temps est devenu l’ennemi de ma mémoire. De mon enfance, peu de souvenirs demeurent vivaces. Il y a ces choses que l’on n’oublie jamais et celles qui deviennent floues et s’effacent peu à peu. Leur voix, leur visage, tout se dilue, mais je ne pourrais jamais oublier tout l’amour que mes parents m’ont donné. J’avais tout pour bien commencer ma vie au sein de ce foyer. Tout laissait présager que c’était le début de ces belles histoires de familles heureuses et pendant 10 ans, ça l’a été. Dix années de jeunesse et d’insouciance qui auront basculé en quelques minutes à peine. Un banal accident domestique en plein milieu de la nuit et la maison partait en fumée avec nos vies et nos souvenirs. Les journaux ont titré un énième incendie malencontreux, dont les seuls survivants étaient deux enfants terrorisés qui s’étaient cachés dans un placard. Un cauchemar émouvant qui s’éteint à la dernière ligne, mais qui pour moi n’a jamais eu de fin. C’est toute ma famille qui a volé en éclat ce soir-là et je maudis le feu pour avoir laissé sa marque la plus tenace dans mon esprit, plutôt que tous les bons moments qui l’ont précédé.  

Aussi loin que je m’en souvienne, ça n’avait toujours été que nous. Pas de tante, de cousins, de grands-parents, personne pour s’occuper de deux enfants laissés pour compte. Alors mon frère et moi avons été placés au sein d’une famille d’accueil. Un couple aisé, aux valeurs bien arrêtées et à l’éducation stricte, bien loin de ce que j’avais connu. Nous comblions le vide de leur stérilité et eux comblaient notre absence de figures paternelles. Pour moi comme pour mon frère, l’intégration a été difficile. D’enfants traumatisés et abandonnés, nous sommes devenus turbulents, rebelles, colériques, sans cesse en train de défier l’autorité de ceux que l’on voyait comme nos geôliers. Dans cette famille composée et divisée, l’isolement nous tendait les bras et pour affronter l’absence et le reste du monde, on s’était créé notre propre bulle rien qu’à nous. XX était la seule famille qu’il me restait et le seul que je voulais à mes côtés. A partir de là, nous avons toujours tout partagé. Il avait été mon pilier et moi le sien, comme deux pièces d’un même ensemble, indissociables et complémentaires. Pendant notre adolescence, lui et moi passions le plus clair de notre temps loin de cette maison qui n’était pas vraiment la nôtre. Le seul endroit où l’on se sentait libre, c’était dehors. Mais même là, je n’en faisais qu’à ma tête. Intrépide et téméraire, j’étais capable de prendre tous les risques pour trouver cette adrénaline que j’aimais tant.

Let success make the noise

Trouver sa voie n’a rien d’une tâche facile. Comme tous les autres aspects de ma vie qu’ils s’attachaient à prédire et contrôler, c’était déjà tout trouvé pour nos parents adoptifs. Les dignes héritiers qu’ils avaient fait de nous se devaient d’être reconnaissants pour la chance qui leur avait été donnée, et le meilleur moyen de le montrer, c’était de rejoindre l’entreprise familiale. Seulement avec un vilain petit canard qui ne voulait pas entrer dans le rang, je ne leur ai pas facilité la tâche. J’ai tout de même intégré l’université sous leur pression, à la recherche d’une voix qui pourrait me plaire. Si pour certains, c’était une certitude évidente, pour moi c’était le flou le plus total. Je n’avais aucune idée de ce que je voulais être et j'avais espéré pouvoir trouver la réponse dans un amphithéâtre. Une erreur qui m’aura fait perdre deux ans avant que je décide d’y mettre un terme. Une décision qui est très mal passé auprès de mes tuteurs, mais qui aura signé mon émancipation totale.

Des petits boulots, j’en ai eu à la pelle pour payer le loyer et les factures. J’ai exploré, en quête d’une voie qui avait du sens, et ça m’aura pris quelques années avant de mettre la main dessus. Je me suis formée pour devenir répartiteur d’appels d’urgence et j’ai par la même occasion bouclé la boucle. De la victime au bout du fil, j’ai fini par devenir cette voix rassurante de l’autre côté du combiné. Même si tous les jours n’étaient pas roses, je n’avais jamais connu plus gratifiant que ce travail. J’avais le sentiment d’avoir trouvé un sens, de me rendre réellement utile et surtout, j’espérais que quelque part, mes parents me voyaient et étaient fiers. Si le reste de ma vie n’était qu’un immense bazar sans ordre ni règles, j’avais au moins cette stabilité là à laquelle m’accrocher.

Drug, sex and alcohol  

J’ai appris avec le temps qu’aucun des exutoires auxquels je m’adonne ne me sauveront de moi-même. Ils ne sont là que pour m’aider à fuir la réalité et à noyer ces pensées dissidentes qui luttent contre moi. Je ne connais que leur bruit, assez fort pour couvrir celui qui envahi mon esprit le temps d’une nuit. Il est ma façon de respirer, ce qui m’aide à survivre. La véritable paix m’est devenue étrangère. La seule qui me soit familière, c’est cette paix artificielle que j’avale ou que j’inhale. L’alcool, le sexe, la drogue, l’un sans les autres ou les trois ensembles, ça n’a jamais fait grande différence. Un poison reste un poison. Cumuler des vices n’a rien de glorieux mais je ne vis pas pour la gloire ou la validation des autres. Il y a eu ces périodes où je n’ai vécu que pour moi-même, cherchant à m’amuser dans les meilleurs jours et à oublier combien je suis brisée dans les pires. J’ai réussi à m’en détourner plusieurs fois, dans mes périodes les plus stables et les plus calmes. Ça durait le temps que ça durait, jusqu’à ce que le chaos revienne. Et il revient toujours.

Amore accanto a te lo morirò da re

A trop jouer avec le feu, on finit par se brûler, c’est ce qu’on dit non ? On le sait tous, mais à ce jeu-là, on participe quand même. Mon meilleur adversaire en la matière a toujours été Noah. De mon compagnon de jeu et de bêtises quand nous étions enfants, il est devenu ma énième tentation dénuée d’innocence. Une connexion qui n’a jamais porté de nom, qui se contentait d’exister. Ce feu j’ai fait plus que jouer avec, je l’ai aimé, et il m’a consumé. A quel moment ça a cessé d’être assez ? Je ne saurais le dire. Blâmons l’usure des années, des au revoir répétés, et des absences éventuellement définitives. La tare de ceux qui restent, de ceux qui aiment, et qui attendent le retour de leur militaire, en priant chaque jour pour que ce ne soit pas les pieds devant. Alors j’ai choisi de clôturer ce chapitre de ma vie, aussi dur que cela ait pu me coûter, et tourner la page.  

La forteresse que j’avais érigée autour de mon cœur a été bien difficile à percer après ça. Malgré tout, un homme s’y est risqué. Il a été d’un soutien sans faille pendant 2 ans. J’avais mon travail dans lequel je me sentais bien, quelqu’un à mes côtés qui tenait la solitude éloignée, et j’ai cru pendant un instant que mon chemin de vie empruntait enfin le bon sens. Jusqu’à ce 23 mai.

When the rain begins to fall

Une pluie sans arc en ciel. Pas de rayons de soleil pour chasser le gris ou de beau temps pour faire office de happy ending. Juste de la pluie et la mort. Ça aurait pu être moi, là dehors. La tête en l’air que je suis emportais rarement un parapluie. Ça aurait pu être moi, dans ces rues, exposée, sans abri, à la mercie du fléau qui nous est tombé dessus. Les appels ont inondé le service. Le chaos a envahi les lignes et c’est tout un monde qui a basculé. En quelques jours, la maladie a engendré des monstres et personne n’a rien pu faire pour empêcher ça. Du jour au lendemain, il faut faire appel à son instinct de survie, bien trop rouillé, pour espérer rester vivant un jour de plus. Il faut gérer le danger et garder son sang froid. Quelle douce utopie.

Les dernières nouvelles de mon frère datent de quelques jours après la pluie. Réquisitionné pour travailler auprès des malades qui affluaient en nombre, je n’ai pas été autorisée à le voir. Des conversations téléphoniques brèves et ce dernier message vocal où il me demande de fuir la ville. A partir de là, messages et appels sont restés sans réponse. La ville s’est au même moment transformée en film d’horreur à ciel ouvert. Mon compagnon m’a convaincu de nous enfuir pour rallier l’endroit plus sûr que mon frère m’avait laissé dans son message. Une fuite stoppée nette par un homme en uniforme. C’est un visage que je n’ai jamais oublié. Son arme tremblait avec lui, tant il était terrifié. La moindre âme pouvait être un danger. Et j’aurais pu le comprendre. J’aurais pu comprendre s’il n’avait pas tiré.

Ce jour-là, j’ai tout perdu. Je n’ai retrouvé que ma solitude, ma douleur, mon chaos. Cette meilleure version de moi-même qui avait pris possession de moi s’est envolée après ces événements. C’est la survivante qui a repris le contrôle.