Cillian Murphy
La Colline
Rainfall
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Pauvreté - Mortalité infantile – Addiction – Abandon d’enfant, euthanasie
Identité
Âge: 43 ans
Date de naissance: 12 décembre 1991
Lieu de naissance: Bronxcare Health System – New York
Statut civil: Célibataire. Les sentiments amoureux ont toujours été d’une extrême complexité pour Jasper. Lui qui est capable d’expliquer le plus infime mécanisme du corps humain est bien en peine de comprendre les sentiments humains et leurs subtiles nuances. Il a aimé une fois, une seule fois. Et aura tout sacrifié pour des rêves de gloire et de réussite.
Orientation sexuelle: Jasper n’est pas certain que ses sentiments ne soient tournés que vers les femmes mais il s’intéresse si peu aux choses de l’amour, encore bien moins à tout vulgaire désir charnel, que cette question ne s’est jamais vraiment posée.
À Malden depuis: Jasper est arrivé à la Colline en
Novembre 2032 soit six mois après la première pluie.
Responsabilité: Aucune.
Métier: Médecin scientifique. Une double spécialité qu’il a exercé avec passion durant sept années. Aujourd’hui, c’est contraint et forcé qu’il met son excellence au service des recherches menées par la Colline. Une éthique enterrée et des méthodes plus semblables à de la barbarie qu’à de la science, il ne peut que serrer les dents et espérer trouver un remède pour au moins donner un sens à tout cela.
Caractère: Jasper est
intelligent. C’est très certainement le trait de caractère qui le définit le mieux. Depuis tout petit, ses formidables capacités cérébrales lui ont permis de se démarquer, ce qui, à l’époque, n’était pas forcément pour le mieux. Il n’est pas bon être un intellectuel dans les quartiers pauvres du Bronx.
Scientifique dans l’âme, Jasper est
rationnel. A chaque instant. Dans chaque situation. Il n’hésite pas à prendre les décisions qui s’imposent, quitte à blesser ou froisser son prochain. Mal à l’aise en société, il peine à comprendre la complexité des relations humaines et toutes ces simagrées l’ennuient profondément. Jasper ne perd pas de temps avec les courbettes et les ronds de jambes. Il dit les choses telles qu’elles sont, faisant peu cas de la sensibilité de son interlocuteur. Il était ainsi connu à l’hôpital. Brillant médecin, on venait régulièrement lui demander son avis pour des cas insolubles. En revanche, plus personne ne le laissait annoncer un diagnostic délicat. Et pourtant, ses patients étaient tout, pour Jasper.
La médecine a toujours été une évidence et le besoin de sauver ces innombrables malades fut le fil conducteur de sa vie. Pour la médecine, il repoussa la seule femme qu’il eut aimé. Pour la médecine, il se priva de la joie d’être père.
Si cette décision le hantera certainement jusqu’à la fin de ses jours, il reste persuadé que son choix fut le meilleur. Il était persuadé, à l’époque, de son incapacité à s’occuper d’un enfant. Il en est encore convaincu aujourd’hui. Lui qui, en matière de sciences, se targue d’être parmi les meilleurs, qui regarde ses pairs avec dédain et mépris, persuadé de sa toute-puissance, cache au fond de lui un manque de confiance presque paralysant en ses capacités humaines.
Que s'est-il passé pour toi le jour de la catastrophe? Quand Jasper se rendit à l’hôpital ce jour-là, il ignorait que c’était la dernière fois qu’il ferait le trajet entre son appartement et son lieu de travail. Il ignorait qu’il passerait les six prochains mois entre les murs familiers de l’Hôpital Johns Hopkins. Lorsqu’il leva la tête, entre deux consultations, vers le ciel pluvieux, il ignorait que la mort était en train de se répandre, il ignorait que, quelques heures plus tard, les plans d’urgence seraient déclenchés devant un afflux de patients présentant de multiples brûlures inexpliquées. Il ignorait que, de ces patients, il ne resterait rien, sinon des êtres inhumains faiseurs de mort.
Comment es-tu arrivé dans le camp choisi?C’est accompagné d'Ophélia qu’il quitta l’hôpital, dernier résistant d’un bastion devenu tombeau. Ils devaient rejoindre le Maine où l’attendait David, ancien collègue, binôme de longue date, seul et unique ami. C’est aux alentours de Malden qu’Ophélia fit une mauvaise chute. Une plaie qui ne guérit pas, une infection qui s’étend. Jasper avait beau être un médecin de renom, il ne pouvait rien sans les traitements adaptés. Un groupe de survivants lui indiquèrent la Colline. Il s’y rendit, persuadé de n’y rester que quelques jours, le temps de soigner l’infection. Force est de constater que ses plans ne se sont pas vraiment passés comme il le souhaitait.
Être pauvre, ça a toujours été la plus grande honte de Jasper. Son père était un modeste ouvrier qui travaillait depuis toujours à l’usine. Il aurait pu faire mieux, Edmond Black. C’est lui qui a transmis sa formidable intelligence à son fils. Malheureusement, Edmond n’a pas eu la possibilité de faire de longues études, lui qui a dû très jeune subvenir aux besoins d’une famille orpheline de père. Jasper s’est toujours promis qu’il ferait tout pour s’offrir un avenir meilleur.
L’enfance de Jasper fut loin d’être heureuse. Si ses parents lui offraient tout l’amour qu’ils possédaient, ils ne pouvaient rien faire contre le froid qui envahissait la chambre de Jasper en hiver, faute de pouvoir payer la facture de gaz. Ils ne pouvaient rien contre les Noël sans cadeaux, les repas sautés en fin de mois, les habits reprisés encore et encore. Et surtout, ils ne pouvaient pas offrir à Jasper une éducation à la hauteur de ses capacités. Gamin plus intelligent que la moyenne, il ne rentrait pas dans les standards des gosses du Bronx. A l’époque déjà, la relation à l’autre lui était compliqué et il devint très vite le gamin bizarre. Celui qui disait sans cesse des choses étranges, celui qui ne comprenaient pas les sous-entendus ou l’ironie. Par la force des choses, il devint le gamin sur lequel les autres s’amusaient à cogner. Jasper appris à courir vite et à bien se cacher, à défaut de savoir faire quelque chose de ses poings. Et, au fond de lui, la rage et la hargne grandissait. Pour ne pas sombrer, le gamin qu’il était se répétait sans cesse qu’il valait mieux que les autres, mieux que ces gosses qui lui tapaient dessus sans raison et que, un jour, il prouverait sa valeur au monde entier.
Les gens pauvres ont des problèmes que les gens riches n’imaginent même pas. Les gens pauvres doivent faire des choix impossibles, des choix que personne ne devrait avoir à faire. Manger ou se chauffer ? Remplacer ces chaussures trouées ou ce manteau élimé ? Laisser mourir son enfant ou vendre tout ce qu’on possédait pour payer ses soins ?
Jasper avait onze ans quand les médecins diagnostiquèrent une leucémie à sa jeune sœur. Sa seule chance était un traitement par chimiothérapie. Sauf que les Black n’avaient aucunement les moyens de payer ce traitement. Ils écumèrent les banques à la recherche d’un prêt. Toutes les portes se refermèrent sur leur maigre espoir. Les banquiers dans leurs costumes trois pièces leur rirent au nez. Ils ne trouvèrent aucune solution, contraints de voir leur enfant mourir sans rien pouvoir tenter. C’est à l’enterrement de Lily que Jasper se fit la promesse de devenir médecin un jour, et de soigner autant de patients qu’il le pourrait.
Il tint sa promesse. Ses formidables résultats lui permirent de décrocher une bourse à Harvard pour suivre un double cursus de médecin-chercheur. Enfin, il quittait l’environnement toxique du Bronx. Enfin, il était reconnu à sa juste valeur. Mais ce n’était pas suffisant pour Jasper. Il ne voulait pas seulement devenir médecin-chercheur, ce qui était déjà un exploit en soi, réservé à l’élite étudiante. Il voulait être le meilleur. Son mépris pour ses pairs, fermement chevillé au corps en guise de protection lorsqu’il vivait au Bronx, ne le quitta pas. Il se fit très vite une réputation au sein de l’université. Il était ce gars brillant, major de promo, d’une intelligence hors norme et d’un mépris à la hauteur de ses capacités cérébrales. Jasper se fichait pas mal de ce qu’on pouvait penser de lui. Ses facultés relationnelles ne s’étaient pas vraiment améliorées et il se sentait mieux dans sa solitude, entouré de livres scientifiques. Rares furent ceux qui percèrent sa coquille d’arrogance pour y découvrir ses fêlures et ses failles.
Elle y arriva, à force de persévérance. Hannah était étudiante en biologie. Là où la plupart le disait ennuyeux, hautain et maladroit, elle le trouvait intriguant, brillant et touchant. Avec elle, Jasper apprit l’amour, ce sentiment étrange et complexe auquel il n’avait jamais porté d’importance. Il l’aima. Alors même qu’il ignorait pouvoir s’abaisser à de tels sentiments, il l’aima. Et il adora ça. Leur idylle dura deux ans. Elle s’accommodait fort bien des ambitions démesurées de Jasper, de son addiction aux études, de son besoin de toujours rester le meilleur, de son arrogance et de ses innombrables maladresses sociales. Il la laissa entrer dans son intimité, approcher sa véritable nature. Il se livra à elle comme jamais il ne l’avait fait, comme jamais il ne le ferait plus.
« Jaz’ … je suis enceinte. »
Ils avaient vingt-quatre ans. Elle commençait à peine son doctorat de biologie, il restait onze ans d’études à Jasper avant de valider son double cursus.
C’était inenvisageable. Impossible. Il était persuadé qu’elle avorterait. Elle n’imagina même pas cette possibilité.
Alors, Jasper prit la pire décision de toute son existence. Il lui était impossible de poursuivre un cursus aussi exigeant en élevant un enfant. Impossible de conserver sa position en tête de classement. Il fallut choisir. Choisir entre un enfant à naître et une potentielle future carrière brillante. Choisir entre une vie à venir et des centaines à sauver. Jasper fit son choix. Il refusa de reconnaitre l’enfant. Terreur masquée derrière un égoïsme certain. Car au-delà de ses préoccupations de carrière, il y avait une autre raison qui avait poussé Jasper à prendre cette décision. Il était persuadé, intimement convaincu que jamais il ne pourrait aider un enfant à grandir et à évoluer dans ce monde qu’il ne comprenait pas, dans cette société qu’il ne maîtrisait pas. Paralysé par l’échec qui se profilait, il refusa l’obstacle.
Ainsi, son idylle avec Hannah se termina-t-elle. Ainsi, sa seule occasion de réellement prouver qu’il n’était pas qu’un misérable être méprisant et égocentrique s’envola.
S’il eut des regrets ? Chaque jour de sa vie. Il mit un an à recontacter Hannah. Terrassé par la honte, mortifié par sa décision, il lui écrivit une lettre, lui demandant la possibilité de voir sa fille ou, tout du moins, d’avoir de ses nouvelles de temps à autre.
« Jasper.
Avoir de tes nouvelles après tant de mois et de semaines de solitude et de peur me semble si incongru. Mon cœur ne trouve qu’un maigre réconfort à la lecture de tes regrets. Cette décision que tu as prise, celle d’abandonner ton enfant, ce n’est pas une décision sur laquelle il est possible de revenir. Sache qu’Ophélia a été reconnue par un autre que toi. Un véritable père. Elle n’a en aucun cas besoin de connaitre ton existence.
Vis ta vie, Jasper. Vis ta vie rêvée de grand médecin. J’espère que tu trouveras dans ta carrière ce bonheur que tu recherches tant.
Oublie moi. Oublie nous.
Adieu Jasper.
Hannah. »
La lettre était courte. Les mots étaient tranchants, douloureux. Définitifs.
Cette lettre, Jasper la gardera dans son portefeuille, comme un éternel rappel de son erreur la plus grande, de son sacrifice le plus important. Ainsi, il avait sacrifié une vie de famille et d’amour pour la médecine … A partir de cet instant, sa rage de réussir fut décuplée. Il n’y avait rien d’autre qui comptait, en vérité.
Un diplôme obtenu avec brio, il pouvait se satisfaire d’avoir écrasé chacun de ses camarades de classe … Ce qui n’avait aucune importance, aucun intérêt mis à part flatter un ego blessé. Il trouva rapidement un poste à l’hôpital de Baltimore.
Et sa vie continua de la même façon. Le médecin et le chercheur qu’il devenait était à l’image de l’étudiant qu’il avait été. Médecin excellent, on lui envoyait les cas qui semblaient insolubles. Chercheur pugnace, il fut à la tête d’avancées majeures dans le domaine de l’oncologie. Son arrogance déployée au vent en guise de mécanisme de défense, empêchant quiconque de s’approcher trop près de ses blessures, il était peu apprécié par ses pairs. Peu apprécié de ses patients également. Mais, finalement, il n’était pas payé à se faire aimer, mais à soigner. Et il le faisait brillamment. Sous l’apparence insensible qu’il brandissait comme une armure, il éprouvait une véritable empathie pour ses patient et mettait un point d’honneur à toujours prendre la meilleure décision pour chacun d’eux. Et ses échecs, même s’ils étaient rares, étaient chaque fois aussi difficiles à encaisser.
Et tout s’effondra.
Jasper avait suivi avec grand intérêt les travaux de l’I.S.S. En tant que chercheur reconnu en oncologie, il avait été approché par Bradley Enderson en personne pour faire partie de son équipe. Il avait décliné l’offre. Il refusait de quitter l’hôpital, de quitter ses patients. Pour autant, il avait grand espoir dans les recherches menées au-delà de l’atmosphère. Alors, il vécut l’effondrement du laboratoire comme une catastrophe personnelle.
Pour autant, ce n’était rien face à ce qui allait arriver.
Les premiers patients arrivèrent rapidement après le début de la pluie. Ils présentaient des brûlures étranges et inexpliquées. Jasper travaillait au service de cancérologie. Les urgences étaient déjà surchargées quand la rumeur parvint jusqu’à lui. Une épidémie étrange. Des dizaines et des dizaines de malades. Il fallut soulager les urgences, ouvrir les lits disponibles pour ces patients. Ce jour-là, les plans d’urgence furent déclenchés dans l’hôpital et Jasper ne rentra pas chez lui tant l’afflux de patients ne semblait pas vouloir cesser. Il fallait trouver de la place mais tous les hôpitaux de la région semblaient subir le même phénomène. Il se passa à peine vingt-quatre heures avant que la maladie ne commence à se déclencher. Personne ne parvenait à poser un diagnostic. Pas même Jasper.
Rapidement, les équipes médicales firent deux constats. La maladie était extrêmement contagieuse. Et terriblement mortelle.
On instaura des zones de quarantaine. On disait que la pluie était responsable de cette maladie. On disait que le laboratoire de l’I.S.S avait laissé échapper, dans son explosion, un virus qui se propageait à une vitesse terrifiante. Jasper entendait à peine tout cela. Il naviguait entre les quelques malades qui se trouvaient là avant la catastrophe et les patients contaminés par la pluie dont les symptômes ne correspondaient à rien de ce qu’il connaissait. Les soins, les tentatives de traitements, les morts, les heures de sommeil volées dans une salle de pause, les morts encore, les tentatives de traitements encore, la peur, l’impuissance. Jasper le méprisant. Jasper le hautain. Il apprenait l’humilité, violemment, douloureusement.
Ca ne pouvait pas être pire.
Et pourtant.
Le type était mort. Jasper avait constaté le décès. Arrêt cardiaque suite à une défaillance organique généralisée. Comme les autres. Le tracé sur le scope était plat. Il n’y avait aucun doute. Aucun. Jasper était peut-être épuisé, comme les autres, mais il était encore capable de reconnaitre un cadavre d’un patient vivant.
Il était en train de remplir le certificat de décès lorsque les hurlements retentirent.
Le mort n’était pas mort. Mais il ne ressemblait plus à un être humain. Ce jour-là, les capacités de Jasper à garder son sang-froid en toute circonstance et à se couper de toute émotion sauva surement de nombreuses vies. Il ne prit pas le temps de réfléchir ni d’analyser outre mesure. Ce qui se tenait devant lui n’était pas humain, pas naturel. C’était forcément une menace terrible à laquelle ils n’étaient pas prêts à faire face. Sous son commandement, l’équipe soignante parvint à isoler dans une aile de l’hôpital les quelques patients qui n’avaient pas encore été infectés par cet étrange virus.
Commença alors la résistance.
Rapidement, l’hôpital fut empli de ces êtres inhumains, provoquant une véritable hécatombe parmi les patients et les soignants. Les quelques survivants s’organisèrent. Il fallut rapatrier des vivres. Il fallut s’armer. Il fallut faire des choix de vie ou de mort. L’hôpital se transforma en bastion. Beaucoup de soignants quittèrent le navire, préférant affronter l’extérieur à la recherche de leurs proches. Quelques-uns restèrent. Jasper fut de ceux-là, appuyé par trois de ses collègues. Où aurait-il bien pu aller ? Personne ne l'attendait en dehors des murs de cet hôpital.
Et puis, les vivres s’amenuisèrent. Les stocks de médicaments aussi.
« Jasper, ouvre les yeux. Il n’y a plus le moindre espoir. »
Il ne restait plus qu’eux. Jasper, deux de ses collègues d’oncologie et David, celui qui fut son binôme depuis son entrée à l’hôpital, son seul ami, sa béquille. Ils abandonnaient. Ils avaient raison, sans doute. Mais Jasper refusait de l’entendre. Il refusait de faire ce qui devait être fait. Il avait encore des vivres. Il avait encore des traitements. Il y avait encore de l’espoir. Alors, ils quittèrent le navire et Jasper resta seul auprès de ses huit patients. Neuf survivants après presque six mois de lutte.
Il tint deux semaines, seul.
Il fut finalement rejoint par la dernière personne qu’il aurait pensé voir. Elle déboula à la tombée de la nuit. Epuisé, sur les nerfs, il faillit bien lui coller une balle dans la tête sans autre forme de procès.
« Je m’appelle Ophélia. Je suis la fille d’Hannah. Elle a dit … elle a dit que vous étiez un ami à elle et que vous pourriez m’aider. »
Fallait-il que le monde s’effondre pour que le destin accepte de lui pardonner ses erreurs ? Ses actes de bravoures depuis la première pluie avaient-ils fait office de rédemption ? Sa fille était là, face à lui, ignorant qui il était. Mais elle était là. Vivante. Sa mère l’avait envoyée à Jasper. Elle lui avait dit qu’il était la personne la mieux placée pour prendre soin d’elle. Bordel, elle avait eu tellement raison ! Les six derniers mois avaient changés Jasper. Si les évènements avaient brisés beaucoup de choses en lui, ils avaient aussi fragilisé sa carapace et laissé ressortir l’humanité dont il se défendait tant. Mais il n’aurait même pas eu besoin de ça. Dix sept ans qu’il se fustigeait de sa décision, qu’il refusait tout bonheur en espérant faire pénitence. Alors oui, personne n’aurait pu vouloir prendre soin d’Ophélia plus que lui. Personne.
Mais le destin est joueur et, dans ce contexte de mort, il ne pouvait pas simplement venir déposer bonheur et espoir. Quelques heures après l’arrivée d’Ophélia, un groupe de survivants pénétrèrent dans l’hôpital. Ils cherchaient des vivres et des médicaments. Armes à l’appui, ils pillèrent tout. Tout.
C’était terminé.
Jasper s’était attendu à cette éventualité. Pour autant, cela ne rendait pas les choses plus faciles. Six patients étaient encore en vie. Sans nourriture et sans médicaments, ils n’avaient plus aucune chance de survie. Ils allaient mourir là, c’était désormais une certitude. Mais il était hors de question de les laisser en pâture aux monstres qui rôdaient dehors. Il n’avait pas le choix. Lui qui avait fait médecine pour sauver des vies, il allait devoir en ôter six en une nuit.
Il avait gardé ce qu’il fallait pour endormir ses patients proprement, sans avoir besoin d’utiliser les précieuses munitions de son revolver, sans avoir besoin de les regarder souffrir. Simplement les endormir. Il leur devait bien cela.
Il entra dans la première chambre à la lueur de la lune. La patiente s’appelait Martha, elle souffrait d’un handicap moteur qui la clouait au lit. Elle disposait cependant de toutes ses capacités cognitives et eut simplement à poser le regard sur le visage de Jasper pour comprendre.
« Martha … on s’est fait braquer … ils ont tout pris. ». Une larme solitaire alla s’écraser au sol.
Martha n’exprima qu’une douceur déconcertante.
« Tu n’as pas à te justifier, Doc. Nous savions tous les deux que ce moment arriverait. Tu as déjà fait tant pour nous. »
Jasper réitéra son geste dans les cinq autres chambres, la mort dans l’âme. Pourtant, quand il retourna auprès d’Ophélia, il n’affichait qu’un masque dur, ferme et résigné.
« On part à l’aube. »
Et c’est ce qu’ils firent. Il quittèrent l’hôpital aux premières lueurs du jour et prirent la route du Maine où ils devaient retrouver David. Découvrir le monde extérieur fut particulièrement choquant pour Jasper. Il n’avait pas quitté l’hôpital depuis le début de la catastrophe. D’autres que lui s’étaient chargés des missions de ravitaillement.
Ils marchèrent pendant une dizaine de jours dans un climat étrange. Jasper restait sous le choc de l’euthanasie de ses patients et Ophélia semblait tout aussi perdue que lui. Elle avait été séparée de sa mère et ignorait si elle était encore en vie. Elle avait espéré la retrouver à Baltimore mais ses espoirs avaient été déçus. Ils parlaient peu, Ophélia était quelque peu impressionnée par cet homme dont elle ne savait que penser, cet ami de sa mère dont elle n’avait jamais entendu parler et qui, pourtant, devait être important pour que Hannah choisisse de se tourner vers lui pour assurer sa protection. Cet homme qui avait froidement assassiné ses propres patients sans qu’aucune émotion ne semble le traverser. Cet homme qui, pourtant, était resté près de ces patients depuis six mois.
C’est en voulant traverser une rivière qu’Ophélia fit une mauvaise chute. Une cheville foulée et une entaille plutôt profonde. Rien qui aurait dû inquiéter Jasper en temps normal. Mais les pilleurs ne lui avaient rien laissé, pas un désinfectant, pas un antibiotique. Il avait simplement réussi à sauver quelques bouteilles d’eau minérale qu’il avait bien dissimulées.
La plaie s’infecta rapidement et, au bout de quelques jours, l’état d’Ophélia devint très préoccupant. Jasper avait sacrifié ses ressources en eau potable pour tenter de nettoyer la plaie mais c’était bien inutile. La jeune fille était brulante de fièvre, elle peinait à tenir debout et la plaie présentait des signes d’infection avancée. Il leur fallait de l’aide, sans quoi elle mourrait d’une septicémie et lui de déshydratation. Il avait cessé de boire, gardant le peu d’eau qu’il lui restait pour Ophélia. Mais cela ne la sauverait pas.
Ils avaient croisés un groupe de survivants quelques jours auparavant qui leur avaient indiqué un camp de réfugiés à Malden. Il faisait nuit quand ils y arrivèrent enfin. Ophélia délirait à cause de la fièvre et Jasper était au bord du malaise. Ce furent des soldats qui leur tombèrent dessus. Sans douceur aucune, ils furent escortés au camp. La Colline. Enfin, ils allaient être secourus.
L’accueil ne fut pas celui qu’il avait imaginé. De toute évidence, la Colline n’appréciait pas la venue de nouveaux réfugiés. On confisqua les armes de Jasper qui était, de toute façon, trop faible pour tenter quoi que ce soit, et on pointa le canon d’un fusil sur sa tempe. Il voyait flou. Il sentait le sol se dérober sous ses pieds et son estomac se soulevait dès qu’il bougeait un membre. Il lui fallut toute sa concentration pour ne pas sombrer pendant l’interrogatoire qu’on lui fit subir. On vida ses poches. On trouva certainement sa carte professionnelle.
« Vous êtes médecin ? »
La voix de la personne qui l’interrogeait arrivait difficilement jusqu’à lui. Il tenta de protester, demanda qu’on s’occupe d’Ophélia mais la question fut répétée et le canon de l’arme se pressa un peu plus fort contre sa temps.
« Oui … Oui … médecin chercheur. Hôpital de Baltimore. »
Ce fut ce qui lui sauva la vie. Quand il se réveilla, il était installé dans un lit dans une infirmerie. On l’avait réhydraté et, à sa droite, Ophélia était étendue. Sa plaie était bandée et la fièvre semblait être tombée. Ils avaient survécu.
Jasper n’eut pas vraiment le temps de se remettre. Quelques minutes après son réveil, il était sommé de se lever pour rencontrer le chef du camp.
River Attano. Il ignorait, en voyant l’homme, que celui-ci deviendrait son pire ennemi.
Le deal était simple. La Colline avait dépensé des ressources en médicaments et en vivres pour sauver Jasper et Ophélia. Cela demandait une contrepartie. Ophélia avait encore besoin de soins alors, Jasper n’était pas vraiment en position de négocier quoi que ce soit. Il accepta donc de rester à la Colline pour renforcer l’équipe scientifique. Si Attano semblait vouloir le garder indéfiniment dans ses rangs, Jasper prévoyait déjà de quitter les lieux dès qu’Ophélia serait rétablie.
Ainsi donc, Jasper commença à travailler en tant que scientifique pour la Colline. L’objectif était de trouver un remède à ce virus. Un objectif somme toute louable. L’idée ne lui déplaisait pas jusqu’à ce qu’on lui annonce qu’un homme s’était porté volontaire pour servir de cobaye. Jasper était censé lui injecter un sérum qu’on lui présenta comme étant inoffensif. Double mensonge. Il lui suffit d’entrer dans la pièce pour voir l’homme se débattre et comprendre que son volontariat était tout à fait relatif. Il refusa catégoriquement d’injecter quoi que ce soit à cet homme contre sa volonté.
Il aurait bien dû se douter, que les choses ne seraient pas aussi simples.
Attano le convoqua sur le champ. Et cette fois-ci, les termes du contrat furent exposés très clairement. Jasper coopérait de manière inconditionnelle, en mettant de côté ses préoccupations éthiques et sentimentales. En échange, River promettait qu’Ophélia ne subirait aucun accident fâcheux.
« Le choix n’est guère compliqué, si vous tenez un tant soit peu à votre fille. »
Il avait bien accentué ce dernier mot. Ainsi, il savait. Jasper avait présenté Ophélia comme la fille d’une amie. Mais Attano savait. Sans doute avait-il trouvé la lettre dans les affaires de Jasper. Il avait donc une arme double. Outre la menace qui pesait sur la vie d’Ophélia, il pouvait aussi à tout moment prendre la décision de lui dire la vérité sur son père. Jasper était fait comme un rat.
Il courba l’échine, rongeant son frein, tentant de mettre ses convictions et ses principes sous le tapis. Il pouvait se féliciter de savoir si bien masquer ses sentiments. Personne n’aurait pu imaginer à quel point il se haïssait de faire ce qu’il faisait, à quel point les cobayes qu’il voyait défiler le hantaient dans ses cauchemars. Lui qui avait passé six mois à tenter de sauver des patients condamnés, il était désormais obligé de tuer et torturer des innocents. Car c’était bien tout ce qu’il faisait. Chaque sérum qu’on lui demandait d’injecter avaient des effets terribles et les cobayes finissaient tous par perdre la vie après des jours, des semaines de souffrance. Et c’était lui qui provoquait tout cela. Sans doute son dégoût de lui-même aurait pu le pousser à retourner l’une de ces seringues contre lui-même mais alors, qui aurait pris soin d’Ophélia ?