nightmare very before christmas

Des odeurs, ça commence toujours par les odeurs. A la fois lointaine et familière elles viennent me chatouiller les narines dans mes songes, souffler sur les braises de ces souvenirs que mon esprit a pris soin d’éteindre. Je les connais, je le sais et pourtant une part de moi les refuses. C’est celles du tabac froid, de la sueur poissant l’alcool et de la colère mêlées a cette eau de Cologne trop musquée qui, au lieu de masqué le tout, rend ce mélange insupportable. Cette senteur, c’est lui. Après vient le son celui de ses bottes sur le parquet qui se rapprochent, les suppliques étouffées d’une femme, son rire avinée, sa voix mielleuse. Il arrive. Surement qu’a cette idée, je commence a m’agiter, oubliant ou je suis, qui je suis.

« non … non… »

Je ne suis plus que cette fillette terrifiée, n’ayant rien d’autre qu’un drap et le fol espoir que des yeux fermés suffiront pour ne pas être vue, pour être oubliée, pour qu’on la laisse tranquille. Un vœu pieux comme à chaque fois. Dès que je sens ses mains m’empoignant pour m’arracher a la chaleur de mes draps, j’ouvre la bouche, je veux crier, mais aucun son ne sort. Je ne vois pas son visage, pas plus que la femme qui est repoussée. Personne d’autre ne voudra m’aider, il est craint, trop et pas que par moi. Je me débats, je veux lui échapper. Ils se disputent. Il m’emmène. Je ne veux pas. Ce n’est qu’un murmure qui sort de mes lèvres assoupies alors que mes bras commencent a mollement brasser dans le vide, comme si cela pouvait empêcher la suite.

« Non… non… lâche moi… va t’en… maman… maman… je ne veux pas… »

Parce que la suite, je la connais. Je la vie encore et encore tellement de nuit. Je me raidis alors que je me sens plonger dans cette eau glacée. Impossible de me dégager de ces mains qui me maintienne sous la surface. Je retiens mon souffle, mais je suffoque vite alors que j’ai les poumons en feu. Si mon esprit est loin, perdu dans le piège de mes terreurs nocturnes, mon corps, lui, ne sait plus. Je me redresse sur mon matelas, les yeux grands ouverts, tous les muscle contracté les mains reviennent sur ma gorge alors que je cherche désespérément a respirer, persuader que je me noie. Je cherche cet air qui semble me manquer, convaincu que c’est de l’eau qui entre dans mes poumons, parfaitement inconsciente du bavard que je suis en train de mettre dans la nuit de ma malheureuse colocataire.

Toujours a moitié piégée entre ce cauchemar, vestige de trop d’horreur que mon inconscient peine a oublier, et cette réalité qu’il m’abime toujours un peu plus le cœur, je ne réalise même pas où je suis. Désorientée, je sursaute comme un animal apeuré en sentant une main sur mon visage, mon visage creusé par le manque de nourriture, l’épuisement et la peur se tourne vers la jeune femme qui me parle a coté de moi. Je reste a la regarder sans comprendre avant de regarder autour de nous, incapable de savoir ou je suis. Elle essaye de m’apaiser, et je suis difficilement ce qu’elle me dit, toussotant quand l’air semble accepter de revenir dans mes poumons. Je n’arrive pas a répondre a sa question de savoir si c’est mieux. Je sens mes vêtements me coller a la peau a cause de la transpiration et mon cœur qui s’affole alors que je suis comme essoufflée. Je ne comprends pas pourquoi.

Je reste un moment calme en apparence en essayant de remettre en place les pièces d’un puzzle qui viennent d’être éparpillées dans tous les sens. Ce n’est pas la première fois ou l’on tente de m’arracher a mes terreurs nocturnes, immédiatement, me vient en tête le nom de la personne qui a le plus été présente lors de ses « atterrissages » bien trop violents. C’est d’une toute petite voix presque enfantine, que je lui demande, anxieuse tout en cherchant des yeux celui qui manque.

« Aiden ? Il… il est ou Aiden ? »

Une part de moi sait. Il n’est pas là. Il ne le sera jamais plus. Petit a petit, cette réalité m’écrase et jette un épais rideau sur tout ce qui est venue me hanter pendant mon sommeil. Mes yeux piquent horriblement alors que je suis en train de revivre, une nouvelle fois, l’accablement de cette perte. Je tente de prendre une énorme respiration et un semblant de contrôle pendant que mon esprit finit d’assembler les pièces, me rappelant, douloureusement, qu’Ava n’est pas là, que le monde est devenu fou et que je viens surement de réveiller Jordan malgré moi.

« Je… je t’ai réveillée… ? Je… excuse-moi… je… j’ai parfois le sommeil un peu agité… »

Un euphémisme. Aiden avait appris a vivre avec, a apaiser les crises, a accepter que ne m’en souvienne pas au réveil, ou mon refus de vouloir creuser sur les raisons de ces cauchemars. Je m’assois dans le lit et serre mes genoux contre mon torse avant d’ajouter, avec un maigre sourire.

« Je ne suis pas sûre que tu ais fait une affaire en me permettant de rester avec toi. »

Puis mon visage affiche un nouveau sérieux qui prouve bien que je n’ai pas le cœur a l’humour.

« Je suis vraiment désolée. Tu veux que j’aille voir si je peux trouver de quoi boire pour me faire pardonner ? »


Je n’ose pas lui avouer que ca risque d’arriver encore et encore, de peur que celle qui a ramasser un chaton errant ne soit tenter de le remettre dans son caniveau.

Si j’ai un frémissement et me raidis quand je sens sa main sur mon genou, je me détends rapidement. Jordan n’est pas Silas, je ne risque rien ici. Je m’en veux de réagir ainsi, mais une part de moi restera surement, à jamais, dans l’appréhension de revivre les horreurs qui m’ont été imposée. En attendant, telle une petite fille, je me laisse faire quand Jordan m’éponge doucement le visage, étrangement touchée par sa prévenance.

Je l’écoute en silence, suivant de mon regard de bête apeurée ses déplacements avant d’accepter le verre d’eau qu’elle me tend. Je me sens si épuisée et si coupable. Quoiqu’elle en dise, je sais que je peux avoir un sommeil très agité et qu’elle serait surement mieux sans moi. Ma voix tient du murmure quand je lui dis, en baissant les yeux :

« Merci… »

Je prends le temps d’avaler de petites gorgées, offrant un contraste surement saisissant entre Jordan, si pleine de vie alors que je sens horriblement éteinte a coté d’elle. J’hoche la tête a ses conseils. Elle a raison, je suis trempée de sueur, mes draps valent a peine mieux. Je préfère ne pas imaginer le triste spectacle que j’ai dû lui donner alors que je me lève avec difficulté pour avancer d’un pas mal assuré vers le petit tas de vêtements soigneusement plié sur une chaise. C’est toute mes possessions : ce que les gens d’ici ont eu la générosité de me laisser.

Avec cette pudeur extrême qui était déjà la mienne avant, mais ne s’est pas arrangée depuis que Silas m’a appris a haïr mon corps, je lui tourne le dos pour me débarrasser de ce qui me sert de chemise de nuit avant d’enfiler un tee shirt bien trop grand pour moi. L’échancrure m’arrive aux épaules et le vêtement a au-dessus des genoux. Par reflexe, je veille à ce que mes cheveux cachent la marque au fer rouge qui trône sur mon omoplate depuis mon enfance et prie pour qu’elle ne voit pas les cicatrices des chaines ou des coups laissés par les bons samaritains. Je me fige a sa question une seconde. Depuis combien de temps ? En fait, depuis toujours. Puis, je reprends mon mouvement pour finir de me vêtir. Avec le peu de force qu’il me reste, j’essaye de poser ma voix pour lui proposer :

« Je ferais une lessive demain, si tu as du linges a me donner, n’hésite pas. »

Je me retourne pour aller vers mon lit et m’assoir en face d’elle. Est-ce que je lui dois une réponse ? Surement. Est-ce que je suis capable de lui en donner ? C’est moins sûr. Je me suis un peu reprise depuis ce réveil en fanfare. Même si je reste pale et les traits creux, j’arrive a lui offrir un triste sourire et ma voix est a nouveau normale quand je lui explique :

« Je suis vraiment désolée, je crois que ce qui s’est passé m’a… enfin… je ne suis pas certaine d’arriver à un jour dormir normalement. »

Je préfère ne pas creuser, c’est a la fois vrai et faux. J’étais déjà comme ca avant et si je ne me souviens pas de ce qui m’a mise dans cet état au fonds de mon cœur, j’ai la certitude que je ne pourrais jamais gouter a un semblant de repos avant d’avoir retrouver ma fille.

« Et toi, tu as toujours eu une relation compliquée avec le sommeil ? D’ailleurs, tu sais que je ne t’ai jamais demandé comment tu étais arrivée ici. »

Toujours répondre à une question avec des questions. Pour autant, sa réponse m’intéresse sincèrement, pas seulement parce que j’ai beaucoup de sympathie, surement trop au regard des rasons de ma présence ici, pour la jeune femme. J’ai loupé tellement de choses depuis les premières pluies, je n’arrive toujours pas a comprendre comment la civilisation a pu autant s’effondrer.

Je lui offre un maigre sourire à Jordan quand elle me dit qu’elle peut s’occuper de son linge alors que je sais déjà que je ne lui en laisserais pas le loisir. Surement qu’elle devra se faire a mes petites manies et si j’ai le malheur de trouver un fer a repasser, ca sera aussi sans plis qu’elle retrouvera ses vêtements pliés et rangés :

« Tu sais… ca ne me dérange pas… en fait, je trouve même ca presque apaisant de m’occuper des tâches ménagères. »

Je n’ai pas assez de recul pour me rendre compte que ces mois, réduite a la condition d’objet, privé de libre arbitre, sans plus aucun contrôle de mon existence, a exacerbé une maniaquerie presque compulsive. Surement ma façon a moi de reprendre la main sur ma vie alors que tout continue de m’échapper. Le regard que je porte sur Jordan, alors qu’elle m’assure a nouveau de sa protection, trahis surement le flot d’émotions qui m’envahit. La surprise, après tant de temps passé sans que personne ne se soucie de moi, la reconnaissance de me tendre la main comme elle le fait et la culpabilité d’être là pour de mauvaise raison. Ca aurait été si simple si Jordan n’était pas aussi attachante et bienveillante. Je tends mon petit doigt tremblant vers le siens pour sceller cette promesse alors qu’une larme perle a nouveau le long de ma joue.  

« Merci… merci pour tout Jordan… je… je ne sais pas ce que je ferais sans toi… »

C’est sincère. Je m’assois a coté d’elle alors qu’elle m’explique ses insomnies. Évidemment, des années consacrées a la médecine font que j’ai immédiatement un réflexe professionnel :

« Tu as été voir des médecins pour t’aider a trouver le sommeil ? Parfois des remèdes doux et des rituels peuvent aider tu sais ? »

Je ne lui adresse qu’un visage triste et un air compatissant quand elle s’arrête pour me dire qu’elle a commencé sa survie avec ses parents et s’arrête sans rien ajouter de plus. En même temps, il n’y a rien a ajouter. Elle est là, eux non… tout est dit.

« Je… je suis désolée pour toi. »

Le retour de question me met en fasse de ma réalité. Elle n’est guère reluisante. Je ramène mes genoux contre mon torse et fixe un point sur le sol comme si tous ces derniers mois passaient en boucle a cet endroit.

« Je… je suis ... enfin... j'etais... chirurgien…. J’étais a l’hôpital quand je me suis fait enlever par … par des horribles personnes… ils… ils m’ont gardé avec eux tout le temps…. »

Je suis incapable d’en dire plus. Ca ne sort pas parce que tout me ramène a Ava, toujours entre leur main et ca m’est insupportable au point que mes doigts se crispent la ou les fers ont déjà plus que mordue ma chair.

« Sans toi, je ne sais pas où je serais maintenant … »

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