Plantée derrière le comptoir, la mine fermée, Nina observait les clients de la Taverne d’un regard quasi dédaigneux. Si cet endroit était l’un des rares qui, aujourd’hui, pouvait rappeler un semblant de normalité, se retrouver reléguée au rang de vulgaire tavernière était une sacré claque dans la tronche. Avant tout ce bazar, elle avait un avenir prometteur, et elle s’était donné du mal pour se le forger. Des heures de révisions afin de s’assurer les meilleurs résultats pour entrer à Yale. Les activités extra-scolaires, notamment le club de débat pour se forger un dossier en béton. Son rêve : le droit, une carrière de brillante avocate dans une grande métropole, pour commencer et pourquoi pas, monter les échelons du système judiciaire. Elle voyait grand, la petite Nina. Et voilà qu’elle se retrouvait serveuse… elle qui n’aimait pas particulièrement les bars - ou les gens d’ailleurs, ou alors à petite dose - c’était bien sa veine…
Car Nina, elle avait toujours eu ce côté solitaire, ne laissant que peu de gens se lier à elle. Ses amis, ils étaient triés sur le volet et la popularité était le cadet de ses soucis. Le choix de ses sports de prédilection en était la preuve. Là où son aînée avait choisi un sport d’équipe, c’est vers des disciplines individuelles que Nina s’était tournée. Elle s’était bien essayée au volley-ball, quand ses parents avaient essayé de la faire marcher sur les traces de sa sœur aînée, mais il avait vite été clair que les sports collectifs n’étaient pas faits pour elle. Elle avait d’abord jeté son dévolu sur la gymnastique, trouvant son bonheur dans l'extrême rigueur que demandait cette discipline, développant force, souplesse et agilité… Des qualités qui s’avérèrent utiles dans l’autre sport qu’elle choisit de pratiquer : l’escrime. Délaissant les divers agrès pour épées, sabres et fleurets, elle préféra s’épanouir dans l’adrénaline du combat en face à face et de la compétition. Une chance que la jeune Alvarez ait des parents prêts à les traîner, elle et sa sœur, de compétition en compétition même s’il fallait parfois faire des choix - ils ne pouvaient décemment pas être à deux endroits en même temps, ce qui n’avait de cesse de contrarier Nina lorsque les matches de sa soeur l’emportaient sur ses propres combats.
Ces rivalités enfantines qui n’empêchaient pas l’amour de régner dans la famille Alvarez. Car sa famille, Nina les aime même si elle ne le leur a pas assez dit quand elle en avait l’occasion, trop préoccupée par ses ambitions personnelles. Jeune, un brin carriériste, elle ne s’imaginait pas qu’un jour, le ciel leur tomberait sur la tête. Qu’un jour, elle se retrouverait totalement isolée d’eux, sans la moindre nouvelle. L’erreur de la jeunesse, probablement, elle qui n’avait qu’une hâte, quitter sa petite ville pour les couloirs d’une université de l’Ivy League. Après tout, sa soeur l’avait déjà abandonnée pour sa carrière, pourquoi devrait-elle se priver d’en faire autant ?
Soupirant, Nina resservit un homme déjà bien éméché avant de s’éloigner pour débarrasser quelques verres abandonnés par ci par là. Si ses parents la voyaient, ils lui diraient qu’il n’y avait pas de sous-métier. Que par les temps qui courraient, elle avait déjà bien de la chance d’avoir un endroit sécurisé où se réfugier, un emploi qui lui permettait de se procurer ce dont elle avait besoin. Ce n’était pas le bureau d’un procureur affluent, ou un cabinet prestigieux, mais c’était mieux que de vivre dehors, mais dire adieu à ses ambitions avait été très compliqué pour Nina. Elle était d’ailleurs à Yale quand la pluie s’était mise à tomber, deux années plus tôt. Occupée à réviser pour ses examens dans l’une des bibliothèques de cette prestigieuse université, la météo était le cadet de ses soucis.
Les mois suivants, elle les avait passés là-bas, à survivre parmi les autres étudiants qui avaient formé une sorte de communauté, survivant ensemble. Ils étaient jeunes, intelligents, et l’université leur offrait pas mal de ressources, assez de dortoirs pour se loger. Les premiers mois avaient été chaotiques, mais ils avaient fini par trouver une sorte d’équilibre précaire entre les diverses factions qui pensaient toutes, à tord ou à raison, pouvoir trouver des solutions à leurs divers problèmes, tout en espérant que les autorités finissent par reprendre le contrôle de la situation. L’ambition de Nina ne la quittant jamais, pas même pendant ce qui ressemblait à la fin du monde, elle s’était fait une petite place parmi le conseil d’étudiants chargé de prendre des décisions et si le manque de sa famille se faisait ressentir chaque jour, elle qui n’avait jamais passé autant de temps sans recevoir de nouvelles de leur part, la jeune Alvarez n’en laissait rien paraître.
Et pourtant, ils leur manquaient. Si elle pouvait revenir en arrière, changerait-elle son attitude face à eux ? Plus chaleureuse, moins froide, moins jalouse des succès de sa sœur, comme si la réussite de l’une empêchait celle de l’autre d’une quelconque manière ? Probablement pas, car pour cela elle devrait changer totalement qui elle était. Malgré tout, lorsque la situation commença à s’envenimer à l’université, Nina ne s’était pas posé de questions avant de prendre la route vers Malden. Des survivants de passage les avaient informés que des camps s’étaient construits là-bas. Peut-être y trouverait-elle sa famille. Peut-être pas. Quoi qu’il en soit, c’était chez elle, et c’est là-bas qu’elle irait, accompagnée de quelques autres étudiants qui souhaitaient eux aussi retrouver les leurs dans différents coins de Nouvelle Angleterre.
Leur périple fut long et semé d’embuches, de rôdeurs et autres voyageurs mal intentionnés, et ils perdirent quelques compagnons en cours de route - personne dont Nina ne soit assez proche pour en faire un drame, cela dit. Arrivée à destination, c’est vers la maison familiale qu’elle s’était dirigée. Si elle ne fut pas surprise de retrouver les lieux déserts, cela ne lui en brisa pas moins le coeur. Des pillards étaient évidemment passés par là, mais Nina y retrouva malgré tout quelques effets personnels qui, s’ils n’avaient que peu de valeur marchande, restaient des souvenirs. Par je ne sais quel miracle, elle avait aussi réussi à remettre la main sur un vieux téléphone satellite ayant appartenu à son père. Ce n’était pas grand chose, mais ce vieux boitier bourré d'électronique contenait aussi un peu d’espoir : celui de retrouver sa famille. Nina n’était pas connue pour son optimisme débordant, mais elle s’y accrochait comme à une bouée de sauvetage. Aujourd’hui encore, ce vieux téléphone demeurait enfermé dans la malle au pied de son lit. Jamais elle n’avait réussi à contacter qui que ce soit, mais l’avoir près d’elle avait quelque chose de rassurant, comme s’ils étaient encore un peu là. Parfois, elle le sortait de sa cachette et tentait d’appeler. Elle parlait à ses parents, à sa sœur, seule dans l’intimité de ce qui lui servait de chambre au refuge, leur confiant parfois des choses que jamais elle n'avait osé leur dire auparavant - qu’elle n’oserait jamais leur dire en face, sûrement. Ses espoirs vains, ses peurs, ses souvenirs les plus chers…
- Anecdotes:
Elle arrivait au terme de sa première année de droit lorsque la pluie est tombée - Son nom de famille, elle le tient de sa mère car chez les Alvarez, c’est le matriarcat qui prime. - Nina a toujours eu peu d’amis, mais lorsqu’elle offre sa confiance et son amitié, elle est d’une loyauté sans faille - Elle a eu un accident de voiture quand elle avait 13 ans avec ses parents et sa soeur. Elle en garde une cicatrice à la cuisse, en plus des diverses cicatrices récoltées en pratiquant l’escrime - Marquée par l’accident, elle n’a jamais passé son permis de conduire… Mais trop fière pour l’admettre, elle vous dira que c’est parce qu’elle n’en avait pas besoin. - Sa relation avec sa soeur a toujours été assez conflictuelle, du fait de leurs différences et du tempérament trop protecteur de Violet. Malgré tout, sa sœur lui manque, et Nina a mal vécu le départ de sa soeur. - Malgré son relatif égoïsme, Nina espérait que sa carrière d’avocat lui permettrait de se rendre utile, de changer les choses, au moins un petit peu. - Elle parle couramment l’espagnol, merci maman. - Elle peut être adorable quand elle veut, mais il faut savoir creuser sous la surface. Avec une pelleteuse. Ou un marteau piqueur. - Sa vie sentimentale a toujours été plus ou moins désertique. Entre ses études et le sport, elle ne s’accordait pas la moindre minute pour ce genre de futilités.