When darkness takes control (( LIBRE ))

Quelle drôle d’idée que celle de donner congé aux gens. Comme s’ils pouvaient se permettre qu’elle ne soit pas à son poste pendant une journée entière. Pourtant - bien que frustrée d’avoir ainsi été mise sur la touche - Violet comprenait tout de même la décision de son supérieur. Elle était distraite. Elle était distraite et bien qu’ils n’avaient eu qu'à traiter des cas mineurs durant la matinée, si quelque chose de plus grave s’était présenté, elle n’aurait pas été assez réactive. Elle ne savait. Et c’était bien ce qui la fâchait le plus. On lui avait donné sa journée pour se remettre les idées en place, espérant qu’elle fasse mieux demain et Violet avait bien l’intention de s’assurer qu’elle serait apte à travailler dès le lever du soleil. Mais pour cela, elle devait faire taire tous ces tourments qui la hantaient la nuit. Ou du moins… Certains.

Car quand elle avait vu cette chevelure blonde au loin. Son sang s’était glacé. Elle ne pouvait pas l’affronter, pas de nouveau, pas maintenant. Ce démon qui hantait chacun de ses rêves. Cette personne qu’elle ne pouvait se résoudre à laisser dans le passé. Ô, il n’était pas le seul fantôme à qui la jeune médic avait affaire. Non, elle était hantée par bon nombres de pensées, guidées par bons nombres de personnes qui n'étaient pas présentes. Elle avait donc rebroussé chemin. Peut-être Ezra pourrait-il l’aider à calmer les tourments qui semblaient avoir pris possession de son être à cet instant. Elle se mit donc en quête de trouver l’homme. Mais celui-ci ne semblait être nulle part dans le vieil aéroport. Elle prit la direction du marché, son dernier espoir de croiser la route de l’homme, cet endroit qu’elle évitait autant que possible. Et ses craintes étaient justifiées, car au détour d’une allée, son regard se planta dans les prunelles azures d’Elias Fisker. Pour une seconde fois dans la journée, Violet sentit son sang se glacer à la vue du démon blond. Les traits du Danois se superposèrent à un visage bien plus connu, mais dont elle ne pouvait maintenant plus que rêver. Victor. Sa perte. La douleur qui s’éveille alors qu’elle n’avait jamais pensé à Victor en croisant la route d’Elias. Elle cligne des yeux à plusieurs reprises, sous le choc. Et Elias redevient lui-même. Mais c’était déjà trop pour elle. Hantée par cette image, Violet s’éclipse entre deux tables et quitte le marché le plus rapidement possible. Elle quitte la sécurité de la Tanière et s’enfonce dans les rues de Malden.

Malden…

Cette ville qu’elle connaît si bien sans la reconnaître. Elle y avait grandit, mais voilà qu’elle en reconnaissait à peine les rues. Ce paysage apocalyptique, les maisons abandonnées, des bâtiments placardés. Rien n’était pareil. Et plongée dans cette constatation, Violet échangea le fantôme de son ancien amour pour un autre. Un fantôme beaucoup plus réel, beaucoup plus proche. Un qui l’avait toujours suivie, sans jamais la hanter comme il se doit. Mais après plusieurs heures de marche, à tenter de se libérer l’esprit, ses pas l’avaient menés malgré elle devant cette maison beaucoup trop connue. Celle de son enfance.

Son coeur se serra et elle eut la nausée.

Un pas après l’autre, elle avança jusqu’à l’herbe beaucoup trop longue de la cour avant. Puis comme prise dans du béton, elle n’arrivait plus à faire un pas alors qu’une silhouette se dessinait sur le porche. Le fantôme de sa petite soeur. Était-elle seulement vivante ? Violet comprit à cet instant que si elle avait blâmer l’image d’Elias pour toutes ces nuits d’insomnie, il n’en était pas le seul responsable. Elle avait ses torts. Elle avait commis des erreurs, envers sa soeur. Ses jambes se dérobèrent sous elle et Violet se retrouva à genoux dans l’herbe. Les yeux rivés sur la maison en se demandant ce qui était arrivé à sa cadette.

Et elle n’entendit pas le tonnerre gronder.

Ezra s'éloigna de son poste de tireur, confiant la surveillance à un camarade pendant un moment. Le camp semblait plongé dans une quiétude inhabituelle depuis le matin, à l'exception de quelques silhouettes éloignées qui arpentaient les environs. Rien de notable n'avait perturbé la sécurité de l'endroit. Profitant de ce calme relatif, il décida de s'accorder une pause bien méritée.

Délaissant son fusil pour un instant, il se dirigea d'un pas décidé vers la cafétéria. Chaque pas résonnait dans le silence ambiant, comme s'il était le seul à troubler cette tranquillité apparente. Une fois à l'intérieur, il fut accueilli par l'odeur familière du café et des biscuits fraîchement préparés. Il s'octroya une petite collation, se servant généreusement un grand verre d'eau pour étancher sa soif.

Le mécanicien n'était pas un adepte du petit-déjeuner dès le réveil. Habituellement, il préférait accomplir son service matinal, ne prenant qu'une brève pause quelques heures plus tard pour se restaurer. C'était sa routine, une manière de maintenir son niveau de vigilance tout en répondant aux besoins de son corps.

Écoutant distraitement les conversations environnantes, Ezra prit le temps de savourer ses dix minutes de répit avant de retourner à son poste. Il étira ses membres endoloris par l'inactivité et ramassa son arme avec une détermination renouvelée. Jetant un regard circulaire aux alentours, quelque chose attira son attention au loin.

Une silhouette familière se dessinait à l'horizon. Ezra ajusta sa lunette de visée et reconnut immédiatement Violet, qui semblait s'éloigner seule. Une pointe d'inquiétude traversa son esprit.

« Préviens Garett pour le tour, je dois quitter mon poste », ordonna-t-il à son camarade. « Je lui filerai trois clopes en échange. »

Sans attendre de réponse, il se mit en mouvement, son esprit déjà en train de formuler un plan pour rejoindre Violet et s'assurer de sa sécurité.

Ezra rattrapa Violet sans chercher à l'aborder, se contentant de la suivre en silence à distance respectable. Il observait ses mouvements, notant sa détermination à se rendre quelque part. Il ne voulait pas l'interrompre, ni la dissuader de poursuivre son objectif. Son rôle était simplement de veiller sur elle, prêt à intervenir en cas de danger imminent.

Il savait que les rôdeurs ne représentaient pas la principale menace. Elle avait déjà survécu à leur menace, mais Ezra était bien conscient que dans ce monde post-apocalyptique, les survivants eux-mêmes étaient souvent plus dangereux que les morts-vivants. C'était pour cette raison qu'il restait vigilant, scrutant l'horizon à la recherche de tout signe de danger potentiel, prêt à agir pour protéger Violet si la nécessité se présentait.

Perdu dans une atmosphère de silence et de désolation, Ezra avait perdu tout repère temporel. Était-ce une trentaine de minutes ou une heure qu'ils avaient marché ainsi, suivant Violet à travers les rues dévastées ? L'incertitude flottait dans son esprit alors qu'il s'appuyait contre une vieille camionnette abandonnée, observant Violet s'effondrer à genoux sur la pelouse devant une maison délabrée.

Ezra ressentit un pincement d'inquiétude en la voyant ainsi. Qu'est-ce qui avait poussé son corps à flancher ainsi ? Cette maison devait avoir une signification particulière pour elle, peut-être un souvenir douloureux du passé.

Entendant le grondement menaçant du ciel, Ezra se hâta vers elle. Sans hésitation, il la souleva, sentant le poids de sa fatigue, et l'emmena sous le auvent de la maison pour se mettre à l'abri de la pluie qui menaçait de tomber.

Se positionnant devant elle, il chercha son regard pour la rassurer.

« Hey, c’est moi Ezra », déclara-t-il d'une voix ferme mais réconfortante. «Nous devrions rentrer à l’intérieur, ok ? La pluie risque de tomber d’une seconde à l’autre.» Dit-il en déposant un baiser sur son front et l’attirant dans une légère étreinte avant de pousser la porte et l’accompagner à l’intérieur. « Ça va ?»

Qui était-elle pour se plaindre ? Violet avait eu la chance, dès qu’elle avait remis les pieds à Malden, de retrouver son père. Une personne qu’elle croyait je plus jamais voir. Elle n’était plus complètement seule. Elle avait une partie de sa famille et pourtant, là, devant cette maison vide. Elle ne pouvait que se morfondre. Ce n’était pas elle. Elle n’était pas le genre de personne à s’apitoyer sur son sort. Violet entendait même, quelque part dans son esprit agité, la voix de Victor qui lui disait qu’elle avait de la chance, elle avait son père. Elle savait qu’elle devrait en être reconnaissante. Mais il y avait autre chose. Il y avait cette douleur qu’elle percevait dans son regard. Celle d’un homme qui avait perdu sa femme. Celle d’un père qui avait perdu une fille. Et à chaque fois qu’elle croisait son regard, Violet se sentait coupable. Coupable de ne pas avoir protéger sa cadette. Nina… Elle aurait dû tenter de la retrouver, mais sans nouvelle de la gamine, elle avait pris un autre chemin. Elle aurait dû aller directement à Yale, pour tenter de savoir si elle allait bien. Mais elle ne l’avait pas fait. Elle aurait dû la protéger. Et à chaque fois qu’elle croisait le regard de son paternel, Violet ne pouvait que se sentir coupable de ne pas avoir été à la hauteur. Il avait pourtant pris soin de leur apprendre à être là l’une pour l’autre. Et elle avait échoué… Elle n’avait pas été à la hauteur de son rôle d’aînée, elle n’avait pas été à la hauteur de la confiance qu’il avait placé en elle.

Nina.

Les images se superposaient. Les souvenirs prenant le dessus sur la réalité. Et à genoux dans l’herbe, elle entendait les rires, elle voyait les souvenirs. Ceux d’une famille heureuse. Elle revoyait les bons et les mauvais moments. Ils s’enchaînaient les uns après les autres, la forçant à vivre cette détresse qu’elle s’était empêchée de vivre depuis qu’elle avait croisé le regard de son père.

Elle senti quelqu’un l’agripper et son esprit mit quelques secondes à reprendre contact avec la réalité. L’instant suivant, Violet se débattait pour tenter de faire lâcher prise à cette personne inconnue. Mais lorsqu’elle réalisa qu’elle était sur le porche de sa propre maison, elle se figea, donnant le temps à l’homme d’attirer son attention.

« Ezra… » Elle cessa de se débattre. Violet senti cet état catatonique la reprendre et machinalement, elle entra dans la demeure alors que celui-ci la poussait dans cette direction. « Je…. Je ne peux pas être ici. » Sa voix s’étrangla. Elle n’avait pas le courage de lui expliquer. Mais même dans l’entrée, des souvenirs de leur vie dans cette maison étaient disposés. Un meuble près de la porte. Des photos disposées sur celui-ci, Une photo de famille. Une photo de Violet à la suite d’une victoire dans un tournoi de volley-ball. Une photo de Nina à son bal de graduation, auquel elle n’avait pas voulu aller mais Violet lui avait forcé la main. Lentement, elle tendit la main vers le cadre et le prit. « J’ai échoué Ezra… je l’ai laissée tomber. » Elle se tourna alors vers l’homme. Un des seuls en qui elle avait confiance dans ce monde délabré. Et elle senti toutes les émotions qu’elle avait refoulées depuis qu’elle était arrivé à la Tanière lentement refaire surface.