The more I know, the more I don't

Je tourne en rond depuis des heures. Je ne sais pas comment je peux avoir l'esprit tranquille, sincèrement, en sachant qu'il est encore dehors. Pire encore, le duo avec lui n'est pas rentré non plus. Jordan & Aurora pourraient au moins me changer les idées, si elles étaient là. Je me ronge les ongles, du coup, plongée dans mes souvenirs. Je me revois encore parler à mes parents décédés, la solitude me dévorant l'âme sans que je ne puisse vraiment me l'avouer. Je n'ose pas me fier à mes propres réflexions; ces pensées constantes qui me rappellent que je suis toujours toute seule, au fond. Je ne peux pas le perdre, pas lui. Alors je lance une balle contre le mur pour venir la rattraper encore et encore, me foutant bien de qui je peux déranger par la bande.

Le sommeil me guette presque quand le bruit du chaos vogue enfin jusqu'à mes oreilles. J'ouvre les yeux, mais je n'ai pas besoin de voir pour comprendre que l'équipe est de retour. Si Aurora et Jordan ne sont pas particulièrement en forme - c'est Noah qui m'inquiète le plus. On m'informe de ce qui est arrivé dans cette église de merde, et je ne peux que garder le silence. Je laisse les spécialistes s'occuper de lui et des filles, tandis que je me retire dans une bulle d'incompréhension et d'inquiétude, contre le mur de l'infirmerie. Je tremble de peur, pendant ce qui semble être l'éternité, avant qu'on me donne accès à mon père.

Sauf qu'il n'est pas là du tout. Son corps doit récupérer, j'imagine. C'est ce qu'on tente de me dire. Que je devrais le laisser se reposer. Je regarde le personnel soignant avec de gros yeux, ne souhaitant certainement pas leur manquer de respect - mais il est hors de question que je le laisse tout seul, alors qu'il tente de s'accrocher à la vie. Et ils découvrent rapidement que je ne blague pas, quand je commence à gueuler dès qu'ils tentent de me faire sortir. Je déplace une chaise près du lit, pour pouvoir me poser près de lui, venant prendre sa main dans la mienne. J'ai les larmes aux yeux, et le coeur en miettes. « Je - je suis là, papa. » Et je ne quitte son chevet ni pour manger, ni pour dormir, ni pour me doucher. Je refuse catégoriquement qu'il ne se réveille pas - pire encore, qu'il se réveille sans personne à ses côtés.  

On insiste, même, après la première journée que je passe clouée sur ma chaise. Ce n'est pas sain de rester là. Je devrais prioriser ma propre santé. Tous semblent me répéter les mêmes conneries. Sauf que je ne sais pas comment prendre soin de moi sans lui. Je fronce les sourcils en réfléchissant, me demandant finalement si sa présence dans ma vie me sauve vraiment. Parce que j'ai plutôt l'impression qu'il est ma faiblesse, là, tout de suite.

C'est après quarante-huit heures, je crois, qu'il commence à s'agiter. Je fais les cent pas, dans la petite chambre, nerveuse comme jamais. Il ose ne pas reprendre conscience, pourtant, venant anéantir l'espoir que j'ai de le retrouver. Bordel, je pensais vraiment que mon calvaire allait prendre fin. Je retourne donc me poser sur ma fidèle chaise, posant la tête à moitié sur le lit et à moitié sur sa jambe. Je suis exténuée, et bientôt, je peux sentir mes larmes qui mouille les draps. C'est à cet instant que je tombe enfin dans les bras de Morphée, abandonnant peut-être la réalité pour rêver à une vie moins cruelle - une vie où je ne dois pas me séparer de Noah.

Quand on revient au camp, qu’on l’aperçoit, droit devant nous. Je suis tellement soulagé. Entre ce qui s’est passé pour nous, et la fatigue qui nous tient à sa merci, c’était difficile d’arriver jusque là. Je tiens Jordan, j’ignore ma fatigue, j’ignore mes côtes. Il faut que l’on arrive à parcourir les derniers mètres. On parvient à l’entrée, et on se précipite vers nous et heureusement car honnêtement je savais que je n’allais pas tenir debout éternellement. On est emmenés à l’infirmerie tous les 3. Je me suis écroulé sur le chemin, à bout d’énergie. Je sais que l’on s’est occupé de moi, parce que malgré tout j’ai pu sentir chaque douleur que mon corps développe. Mais bien vite, je ne ressens plus grand chose.

Je ne sais pas du tout combien de temps je reste là, à dormir, mais je me réveille petit à petit. J’entends d’abord des sons sans les distinguer, puis peu à peu je comprends ce qui se passe autour de moi. La douleur s’éveille elle aussi, et je m’en serais passé. Mais ce que je ressens le plus c’est cette chaleur dans ma main. J’ouvre petit à petit les yeux et je souris légèrement en voyant Willow à moitié affalé sur le lit et mes jambes. Je viens doucement glisser mes doigts dans ses cheveux, et je caresse doucement son crâne.

Je bouge légèrement alors que je vois la jeune femme s’éveiller et je lui ouvre mes bras. Je l’attire dans mes bras sur le lit, et je la serre contre moi. Elle semble aller bien et je suis tellement rassuré de la voir. Je la serre dans mes bras et je reste immobile. Je caresse doucement le haut de son dos et son crâne.  « Comment vas-tu..? Tu n’as rien eu pendant le blizzard ? » J’ai eu si peur pour elle. Et de la voir indemne m’apaise énormément.  « Je suis désolé… »
Je regarde ma fille avec un sourire et je caresse doucement sa joue. Je n’aime pas la voir aussi triste et inquiète, même si c’est monnaie courante à présent. J’essaie de la protéger au maximum mais je faillis souvent à ma tache. Je me redresse doucement dans le lit, en posant une main sur mes côtes.  « Raconte-moi tout. Qu’est ce qui s’est passé ici ? » Je joue avec ses cheveux alors que je la regarde. Je sais que les journées vont être longues mais au moins j’en connais une qui va être heureuse de ne pas me voir partir, pendant quelques temps.

Je ne sais pas trop si je divague - si je rêve, même - quand j'ai l'impression de sentir ses doigts dans mes cheveux. J'ouvre les yeux d'un seul coup, le sommeil quittant immédiatement mes billes quand je me retourne vers lui. Je pourrais hurler de joie. Il est enfin réveillé. « Papa! » que je lâche sans même m'en rendre compte. Un sourire immense illumine mon visage, et je n'ai pas besoin d'attendre qu'il ouvre les bras pour me jeter sur lui. Je le serre contre moi, profitant de ce moment que j'attendais avec tellement d'impatience. Le simple fait de pouvoir entendre son coeur battre contre mon oreille est suffisant pour me rassurer, d'ailleurs. Je reste là un moment, figée par la peur qui s'envole doucement, au fur et à mesure que je réalise qu'il est bien là, et qu'il est en vie. Je me recule finalement, bien malgré moi, quand il me demande comment je vais.

« C'est plutôt moi qui devrait te poser cette question, non? » Enfin, je ne sais pas vraiment quoi lui répondre, en vrai. Et je ne sais pas mentir. Pas à lui, en tout cas. « Je - je vais bien, okay? J'étais inquiète, c'est tout. » Terrorisée serait probablement un mot plus approprié, dans la situation, mais je n'ai pas envie de lui avouer une telle chose. « J'étais bloquée à l'entrepôt. Le toit s'est effondré, on n'a pas eu le choix d'évacuer par des tunnels au sous-sol, et de passer par les anciens accès de l'aéroport pour se tirer. Javik était avec moi, les autres étaient des étrangers. J'ai dû aider une doc à marcher avec son tibia pété. C'était... dégueulasse. » que j'ose avouer en riant un tantinet. Et je parle trop vite, comme à mon habitude.

« Dix morts, suite à l'effondrement. » Je l'affirme du bout des lèvres, les yeux bas. « Mais je suis toujours en un seul morceau, rien de brisé. » que je précise ensuite, avant de l'entendre dire qu'il est désolé.

« Pourquoi tu t'excuses? Ce n'est pas comme si tu avais voulu te prendre autant de merde. » Je penche un peu la tête sur le côté, quand il caresse doucement mon visage. Son sourire couvre mal son malaise, mais je viens quand même poser les doigts sur les siens, comme pour nous soutenir tous les deux. Et quand il me demande de lui raconter ce qui est arrivé pendant son coma, je ne peux que lui sourire à mon tour. Non pas parce que les événements que je vais mentionner sont joyeux, au contraire, mais parce que je célèbre silencieusement sa survie à chaque seconde qui passe, dans mon crâne.

« Tu te souviens du trio qui avait disparu? On les a retrouvé. Contaminés. » Triste, certes, même si je suis assez grande pour ne plus être surprise par de tels événements. « J'ai aussi entendu que quelques types du camp étaient coincés sur un bateau à la dérive, pendant le pire de la tempête. Mais ils sont rentrés sans embrouilles. » Et j'ai l'impression d'hésiter, quand je reprends la parole.

« Tout le monde est un peu à cran, depuis le blizzard. Le marché a été attaqué, tout récemment. Bref. Les gens travaillent surtout sur le mur fragilisé du bâtiment central, en ce moment, et les choses semblent doucement rentrer dans l'ordre. Enfin, je crois. » que je lâche pour terminer mon rapport.

« T'es sûr que ça va? » Non parce que j'ai bien vu, à sa façon de bouger et de se tenir les côtes, qu'il souffre énormément. Et ça me brise l'âme de le voir en si piètre état.

« Raconte-moi, toi aussi. »

Je lâche un gémissement lorsque elle se jette dans les bras mais je me fiche d’avoir perdu de nouvelles côtes, je la serre fermement dans mes bras, enfin autant que la force de mon corps me laisse faire. Je pose mon visage contre ses cheveux, et je les caresse doucement d’une main. Je sais qu’elle a besoin de s’apaiser lorsque je m’aperçois que sa tête est posée sur mon torse, et je la laisse. Je suis d’autant plus rassure moi, de voir qu’elle n’a pas l’air blessé et qu’elle a l’air d’être en forme, malgré ce que j’ai pu lui faire vivre. Je la regarde lorsqu’elle se redresse et je lui fais mon plus beau sourire même s’il est faible et fatigué.

Elle commence déjà par éluder mes questions et je secoue la tête en levant les yeux au ciel. Je la laisse néanmoins commencer. Mon cœur se serre lorsque j’entends qu’elle était inquiète même si son visage trahit clairement sa peur, je ne le relève pas, je n’ai pas envie de remuer le couteau dans la plaie. Je viens doucement caresser sa joue. Peut être que le battement raté de mon cœur passe inaperçu avec la machine lorsqu’elle me raconte l’effondrement de l’entrepôt et le fait qu’elle ait été prise au piège dans cette zone encore inexplorée. Elle parle vite, comme à son habitude et elle a son humour aussi, signe que ça va, physiquement du moins. Je note malgré tout dans un coin de ma tête de remercier Javik d’avoir veillé sur elle. Je secoue la tête lorsqu’elle dit être en un seul morceau, et je lui réponds.  « Honnêtement ce soir c’est tout ce qui m’importe, que tu ailles bien. » Même si je pourrais être triste pour ces dix personnes, ma fille est vivante et à mes yeux c’est tout ce qui compte.

Je caresse doucement sa joue et je souffle un peu, comme pour me détendre. Lorsqu’elle me demande pourquoi je m’excuse, je secoue la tête légèrement.  « Je n’ai pas été très présent pour toi ces derniers temps et en prime, je t’ai fais peur, même si je sais que tu ne l’avouera pas parce que tu es comme moi. » Je fais référence à mes retrouvailles avec Aurora, mes inquiétudes auprès de Kate, celles par rapport à la Colline, mais aussi de notre propre camp et de mon rôle de chef adjoint. Je finis par changer de sujet malgré tout et je lui demande de me raconter ce qui s’est passé depuis le blizzard. Je me redresse en tenant mes côtes et je finis par récupérer sa main dans la mienne.

Je l’écoute me parler du trio disparu et visiblement il n’était pas très loin. Je pince mes lèvres lorsque j’entends qu’ils étaient contaminés. Je ne suis pas vraiment étonné de toute manière. Si ce n’est pas la maladie qui te tue, c’est ces saloperies de créatures.  « Au moins on sait où ils ont disparus.. » Je soupire légèrement car ce qui me perturbe c’est plutôt la raison leur disparition. Mais je le tais à Willow. Elle me raconte à peu près tout ce qui a pu se passer et je hoche la tête. Malgré tout, les choses semblent peu à peu rentrer dans l’ordre.
Lorsqu’elle me questionne à propos de mes grimaces, je souris légèrement en hochant la tête.  « Je dois avoir des côtés cassées mais ça va sinon. Enfin aussi bien qu’un mec mort pendant une minute. Fatigué mais je me sens bien. Promis. » Je savais que la question ne tarderait pas, qu’est ce qu’il avait pu se passer pour moi. Je soupire légèrement en secouant la tête.  « On a été coincés dans une église. Sauf qu’avec la fatigue de mon expédition j’ai vite été touché. Les côtes ont été cassées quand une des filles, Eva m’a réanimé. J’ai fais de l’hypothermie. » Je ne suis pas très doué pour éviter de faire peur, et d’embellir les choses. Je fais un peu de place à Willow pour qu’elle vienne contre moi.  « Je me sens mieux, promis. » Je tends mon petit doigt vers elle comme pour nos promesses.

Je reste là longtemps - trop longtemps, sûrement. Sa chaleur est depuis toujours un refuge pour moi; je tarde à le relâcher, trop inquiète de le voir s'endormir à nouveau, et cette fois à jamais. Son sourire est contagieux, je l'imite sans même m'en rendre compte en lui expliquant mes aventures probablement un peu trop risquées à son goût. Je le sais, parce que le son du moniteur cardiaque ne peut pas mentir, lui. Je le laisse quand même placer quelques mots, alors que ses doigts se posent à ma joue. Je l'observe sans vraiment l'entendre, toujours aussi stupéfaite d'avoir la chance de le retrouver. Le simple fait qu'il puisse être éveillé est aussi tout ce qui m'importe. Et pas que ce soir.

Sauf que mon sourire est un peu plus triste, quand il ose avouer qu'il n'est pas vraiment présent pour moi, dernièrement. Je ne peux même pas le nier, le pire. Je souffle pourtant du nez, amusée, quand papa affirme que je suis comme lui. Que je ne lui avouerai jamais à quel point j'ai eu peur. Il a raison. Mais je crois que je n'ai pas besoin de le dire pour qu'il le comprenne. Je viens m'éclaircir la gorge avant de répondre, tentant de jouer à l'adulte qui est en mesure de comprendre la réalité de la vie d'aujourd'hui - alors que c'est de la frime. « Je - je sais que t'es occupé, que tu as des responsabilités, ici. T'inquiète pas. » Sa main trouve la mienne, et je la serre brièvement comme pour appuyer mes paroles - pour lui prouver que je saurai être forte pour lui.

Enfin, je n'hésite pas à raconter tout le reste, lui offrant un résumé expéditif de ce qui a pu se passer pendant ses vacances forcées. Noah ne fait que soupirer un peu plus à chacun de mes mots, et je n'arrive pas à vraiment capter ce qui le dérange. Je ne le souligne pas, préférant de loin le laisser souffler un brin. Je veux qu'il m'explique ce qui lui est arrivé, de toute façon. Mais je regrette certainement ma question quand il me raconte qu'il est littéralement mort de froid. Je me fige, absente un moment. Je baisse les cils, l'impression que la pièce devient toute petite et virevolte autour de moi, l'espace de quelques secondes. Mon coeur ne peut que se tordre sous le poids de ses mots. J'imagine que je n'étais pas prête à ses aveux. La preuve; je n'arrive pas à prononcer le moindre mot.

Je lève les billes, n'empêche, quand je le vois grouiller pour me faire de la place. Je fixe son petit doigt qui se lève dans les airs. Un éclat de rire traverse la pièce, même si j'ai les yeux embués de larmes. Rapidement, mon auriculaire rencontre le sien, question de sceller cette promesse qu'il ose faire. Une partie de moi est rassurée par la chose, sachant très bien que le serment du petit doigt est un geste très sérieux, dans cette famille. Mais j'ai presque la nausée de savoir qu'il était coincé dans une stupide église, sans vie, ne serait-ce que pendant une minute.

Rapidement, je viens me blottir contre lui, du coup. Mes larmes mouillent un peu le tissu de son t-shirt, tandis que mon visage se colle à sa poitrine. Je suis à nouveau la gosse troublée qu'il a sauvé de l'armée, là, tout de suite. Cette même gosse qui a pu dormir paisiblement pour la première fois, cette nuit-là, parce qu'il était là. « Rappelle-moi de lui payer un verre, un de ces jours, à cette Eva. » que je lâche à la blague, sans pour autant m'éloigner de lui.

« Comment vont les femmes de ta vie, alors? Je n'ai pas eu la chance de les voir. » Bien sûr que non. J'étais ici, scotchée à son chevet. Sauf qu'il faut vraiment que je me change les idées, autrement, je vais sombrer. Il me doit bien ça. « Jordan, Kate - » Je marque une pause, incertaine, avant de foncer. « Aurora? » Comment ça, je ne sais jamais quand m'arrêter?

Je regarde Willow et je caresse doucement sa joue. Je suis tellement heureux de la revoir. J’ai jamais eu aussi peur de ne pas la retrouver. Je repense à notre rencontre, quand je l’ai trouvé, je me suis vu en elle. Je l’écoute attentivement, elle est si animée. Mon cœur rate peut être quelques battements parce que j’aurais préféré qu’elle n’ait pas à vivre tout ça, mais je suis aussi fier d’elle, tellement fier. Je suis heureuse qu’elle aille bien du moins physiquement. Je la serre contre moi et je souris, je lui souris.

Pourtant je sais qu’il faut que j’enchaîne sur une conversation peu plaisante. Mais il le faut parce que je n’ai plus envie d’avoir ça sur le cœur. Je la connais bien, elle ne dira jamais ce qu’il ne va pas. Je déteins un peu trop sur elle je crois, et ça ferait beaucoup rire mon meilleur ami s’il le savait. Et pourtant, comme moi, elle n’a pas besoin de parler, on le sait et on le sent l’un comme l’autre. Même si je sais qu’elle tente de jouer l’adulte avec ses paroles, je ne peux m’empêcher d’avoir mal. Je secoue la tête avant de murmurer.  « Tu es ma priorité Willow. Je l’ai juste oublié. » Je serre sa main dans la mienne, et je viens embrasser son front avec douceur, comme pour sceller la promesse de ne plus oublier. Plus jamais. Je regarde cette jeune femme, à mes côtés, fier d’elle et surtout si heureux de la retrouver. Je n’ai jamais cru au destin, et pourtant, depuis que celui-ci a mis Willow sur le mien, je me suis mis à y croire. Elle m’a sauvé même si elle n’en a aucune idée, mais elle m’a sauvé de moi-même.

Je l’écoute me raconter tout ce qui a pu se passer pendant ma perte de connaissance. Je sais que je soupire beaucoup et je vois à son petit sourcil haussé qu’elle ne comprend pas pourquoi, mais je n’ai pas envie de l’inquiéter. Je n’aime pas trop cette histoire et il va falloir que je me penche là-dessus quand cela ira mieux de mon côté.

Elle souhaite que je lui raconte ce que j’ai vécu, alors je ne lui cache rien. Je n’ai aucune envie de lui mentir même si je sais que ça lui fera mal. Je peux même voir à quel moment son cœur se brise et ça brise le mien un peu plus. Je la regarde toujours, avec toute mon attention. Je bouge légèrement en grimaçant pour lui faire un peu de place. Je lève mon petit doigt vers elle pour sceller la promesse que je lui fais. Je lui adresse un sourire, aussi réconfortant que possible. Je ne veux pas qu’elle se sente mal. C’est derrière moi à présent et je vais aller mieux. Je vais faire attention, même si cela me sera difficile de rester à rien faire.

Je la laisse s’installer contre moi et je la serre dans mes bras, en embrassant plusieurs fois son front et son crâne. Je caresse doucement son dos. Je joue doucement avec ses cheveux. Je lâche un petit rire lorsqu’elle me dit qu’elle paiera un verre à Eva.  « T’es trop jeune pour picoler. » Je la serre contre moi avec le peu de force que j’ai et je pose ma tête contre ses cheveux. Je ferme les yeux en profitant de cette étreinte. Elle m’a manqué. Beaucoup trop. Je m’en rends compte à cet instant. Lorsqu’elle me demande comment vont les femmes de ma vie je me raidis un peu. Je joue avec ses cheveux alors que je soupire légèrement.  « À vrai dire..? J’en ai aucune idée.. » Je n’ai eu aucune nouvelle depuis notre retour.  « Tu as sûrement dû avoir plus de chance que moi de les voir. »

Sa priorité. Je ne sais pas si Noah est en mesure de me voir flancher, quand il prononce le mot. Je fixe ma main dans la sienne, à la fois heureuse et terrifiée. Or, peu importe la place que j'ai dans sa vie, il sera pourtant toujours prêt à prendre des risques. Toujours vulnérable, d'une façon ou d'une autre. Je le réalise un peu plus à chaque fois qu'il ose mettre les pieds dehors. Je me demande si je ne devrais pas retourner d'où je viens, parfois. La solitude fait moins mal que de l'imaginer en train d'agoniser quelque part. Enfin. Je fais bien attention de ne pas le lui mentionner. Il ne me pardonnerait jamais.

Une fois que sa très sérieuse promesse est scellée et que je trouve le réconfort de sa poitrine, je ne résiste pas à son étreinte. J'absorbe tout, comme une éponge, gravant chacun de ses gestes dans mon crâne pour l'éternité. Pour les moments où je n'ai pas la force de continuer. Pour résister à l'envie de tout faire brûler sur mon chemin, quand il n'est pas là. Sauf qu'il me ramène un peu à la réalité, quand il ose répliquer que je suis trop jeune pour boire un verre. Il a raison, je sais. Mais je ne serais pas contre une petite picole pour m'aider à me détendre. C'est ce que les gens font, non?

« Un jour, je vais prendre un verre avec toi. À mon mariage, peut-être. » Je ne peux pas m'empêcher de rire doucement en le disant, jusqu'à ce que le son de ma voix vienne mourir contre ses vêtements. Je le serre un peu plus, me recroquevillant encore d'avantage pour profiter de sa chaleur. Mais le sujet que j'aborde ne l'enchante pas - de toute évidence. Je peux le sentir se raidir à ma question, et je lève la tête pour tenter de porter attention à ce qu'il pense. Comme si je pouvais lire en lui. Sauf que je n'arrive à rien. Je recule légèrement, du coup, tandis qu'il précise un petit détail. Il n'a pas la moindre idée de ce qui se passe avec le trio féminin qui tourne normalement autour de lui.

Je plisse les billes, réalisant que j'ai effectivement à peine vu les filles depuis le chaos à leur retour. Je ne suis pas certaine de ce que ça implique, et honnêtement, à voir sa réaction, je regrette un peu ma curiosité. Je me redresse, réfléchissant un instant.

« Qu'est-ce que t'as encore fait pour les fâcher, alors? » Parce qu'évidemment que c'est ma première supposition. Je ne rigole qu'à moitié, le pire. Il pense que je ne vois rien, que je suis trop jeune pour comprendre - mais je capte des détails en silence, la plupart du temps. Bref.

« Oh, d'ailleurs. » C'est l'heure des confessions, je crois. « Si jamais t'entends les parents de Shawn se plaindre à mon sujet... J'ai peut-être un peu attaqué le type - avec ma planche à roulettes. » Je vais être privée de sorties, je peux le sentir à des milles à la ronde. « Je voulais seulement défendre une amie. » que j'ajoute pour me justifier, espérant ne pas le faire vriller alors qu'il commence à peine à se remettre.

« Le mec est un gros con. » Comme la plupart des gens, finalement.