Jamais plus sans vous, jurez le moi ! - Léonor et Nassim

Ce qu’elle avait espéré de tout son être était enfin arrivé. Elle était enfin là. Léo. Elle était en vie. Elle l’avait retrouvé. Il était assez tard quand on lui avait appris la présence de sa sœur. Elle avait terminé son service du soir en l'occurrence, quasiment vers minuit. D’après ce que le patrouilleur ou le gardien lui avait dit, Léo et Nass étaient arrivés au campement vers 21h. Elle n’aurait le droit de la voir que le lendemain, pas avant. Malheureusement les règles étaient les mêmes pour tous. La patience de cette Ramos là était donc mise à rude épreuve sans doute autant que la Ramos enfermée à double tour. Les heures semblaient s’étirer inlassablement au lieu de se raccourcir sagement. C’était épuisant.

Après cette discussion qui l’avait totalement surexcité, Zira retourna sagement dans sa chambre, fixant la pièce vide. Mei était déjà là. Elle soupira à la fois soulagée de ne pas être totalement seule face à tout ce qui l'agitait actuellement. Elles ne parlèrent pas beaucoup, mais au moins Zira n'était pas seule. La nuit fut extrêmement longue… Elle ne s’était même pas allongée un instant, sans doute avait-elle somnolé quand elle était assise mais globalement ça avait été une belle nuit blanche. L’impatience semblait la tenir éveillée comme une dizaine de cafés bien corsés. Elle voulait la voir putain… Les regards lancés à sa montre furent extrêmement nombreux, mais ça ne changeait pas grand chose. Les secondes, minutes et heures ne passaient pas plus vite. Tout ça prenait trop de temps. Sur sa montre, tout juste 4h27 du matin. Encore 4h et quelques à attendre. Elle râla furieusement et pour la première fois de cette longue nuit, elle s’affala dans son lit. Longuement, elle fixa le plafond avant que le sommeil, ce traître, ne finisse par l’emporter.

Quand elle rouvrit les yeux soudainement, il était 9h42. Son cœur battait à tout rompre et elle remercia n’importe qui, n’importe quoi, de s’être réveillée. Un rapide coup d'oeil à Mei qui dormait encore, elle prit juste le temps d’enfiler un pull et sans attendre parti en courant comme la furie qu’elle pouvait être. Il n’y avait pas de temps à perdre, elle n’avait même pas pu lui préparer des gâteaux pour lui souhaiter la bienvenue. Elle s’était stupidement endormie…! Qu’est ce qu’elle s’en voulait.

Elle déboula devant l’isoloir comme une folle. Elle glissa et tomba sur les fesses en poussant un petit couinement. Les gardes la fixèrent un instant avant de se marrer. Les enfoirés. Elle les fusilla plutôt du regard et les insulta copieusement dans sa tête. Zira regarda à nouveau sa montre, 10h pile. L’homme qui était venu la chercher la veille, lui fit un signe de la main et Zira alla à sa rencontre sans hésiter. Ca se voyait qu’elle était crevée, mais il ne fit pas de remarque, au lieu de ça, il poussa un long soupir exaspéré.

- Elle te réclame depuis hier soir… Vite va la voir, elle commence à saouler tout le monde.

Ah ! Ca c’était bien sa sœur. Elle eut un petit rire, suivi d’un énorme sourire. Son cœur battait à tout rompre, elle se sentait comme fébrile de retrouver celle sans qui rien n’avait de sens. Le chemin pour aller aux isoloirs lui parut durer aussi longtemps que cette longue nuit blanche qu’elle avait passée. L’épuisement lui avait fait monter les larmes aux yeux sans même qu’elle le réalise. Le gardien, ou un truc du genre parce qu’en vrai elle ne savait ni son prénom ni exactement ce qu’il faisait, la fit pénétrer dans une salle, lui souffla un “Calme la” et referma la porte. Voilà. Elle y était. Le lieu était austère. Un peu comme un isoloir dans une prison en fait. Ça l'a fit frissonner. Un autre garde lui désigna un box et elle s’y précipita. Derrière la vitre : Léo et Nass. Elle posa ses mains sur la vitre immédiatement et se mit à pleurer sans attendre. Le soulagement, la joie, la peur, tout retombait en même temps. Des énormes sanglots la secouaient alors qu’elle fixait sa sœur et Nass derrière la vitre. Ils étaient en vie. Ils étaient là.  

- Léo, Nassounet… Je suis tellement contente ! Vous allez bien ?

Elle lança un regard derrière eux, pas de David. Tout comme de son côté, elle avait perdu Alie et Evan. Réaliser tout ça lui donna un coup au coeur. Et ça n’aida clairement pas à tarir ses larmes. Pour autant, elle n’était plus seule. Face à elle, sa famille. Et bientôt ils seraient ensemble.

@Leonor Ramos   &   @Nassim El-Moussaoui

Jamais plus sans vous, jurez le moi

  @Alzira Ramos @Nassim El-Moussaoui  

Si j’ai accepté de ne pas passer la nuit assise derrière la vitre du parloir, je m’y suis en revanche précipitée dès les premières lueurs de l’aube. L’attente a été interminable. Les heures se sont étirées paresseusement. Les minutes se sont allongées à n’en plus finir. Les secondes se sont égrenées avec une lenteur insolente.

Des mois, que j’attends ce moment.
Et ces quelques heures sont clairement pires que tout.

La porte s’ouvre, et mon cœur cesse de battre tout à fait, alors que ma respiration se bloque dans ma gorge et que tout mon être se paralyse dans les derniers instants de cette torture. Comme si le temps lui-même suspendait sa course. Et enfin je la vois. Et c’est comme si toutes les barrières s’effondraient en même temps.

Mon cœur reprend sa course effrénée et les larmes se mettent à couler sans même que je songe à les arrêter. Zira est là. Après des mois à la chercher, après des mois à espérer ces retrouvailles, nous y sommes enfin.

Mes mains se posent sur la vitre, à la hauteur de celles de Zira, s’y plaquant avec la même force que celle de l’espoir qui m’a maintenue debout durant ces longues semaines loin d’elle. Les mêmes mains qui se pressent de chaque côté de la vitre froide, frustrées de ne pouvoir se retrouver. Le même regard qui se répond. Les mêmes larmes qui baignent un visage aux traits identiques. Elle est enfin là. Ma sœur. Mon double. Ma moitié.

C’est elle qui parle en premier. Moi, j’en suis incapable. Les sanglots secouent mon corps, empêchant le moindre mot de franchir mes lèvres. Je crains de ne pas réussir à m’arrêter. De ne pas réussir à tarir ce flot d’émotions qui me submerge. Ces larmes que j’ai si souvent retenues, durant ces longs mois passés à l’extérieur. Parce que la vulnérabilité est synonyme de mort, là, au dehors. Et parce que je n’étais pas toute seule. Et que je ne voulais pas que Nass voit en moi une femme faible et pleurnicharde. Nous devions nous battre pour notre survie. Il avait besoin de pouvoir compter sur moi, comme j’ai pu compter sur lui à chaque instant.

Mais désormais, je me fiche bien d’afficher mes larmes.
Je me fiche bien de tout.
De tout, à part de Zira.

Je hoche la tête. Oui. Nous allons bien. Je vais bien. Et je sais que, maintenant que nous nous sommes enfin retrouvées, tout ira pour le mieux.

Je me force à prendre de grandes inspiration. J’ai des questions. Des tonnes de questions. Enfin, je parviens à reprendre suffisamment contenance pour articuler.

« Ca va. On va bien. Et toi, comment tu vas ? Est-ce que … est-ce que tu es bien traitée ici ? Tu es arrivée quand ? Et les autres … on nous a dit que tu es arrivée toute seule. Est-ce qu’ils sont … »

Mon cœur se serre. Un maigre espoir persiste encore. Peut-être ont-ils simplement été séparés. Peut-être sont-ils encore en vie, ailleurs, quelque part.
Je n’arrive pas à la lâcher du regard. Mes yeux scrutent chaque centimètre d’elle, cherchant des blessures quelconques, des signes de mal-être. J’ai besoin de savoir qu’elle va bien. J’ai besoin de la savoir en sécurité. Et j’en crève. J’en crève de ne pas pouvoir me jeter dans ses bras, la serrer contre moi, respirer son odeur.

De rage, de frustration, de peine, ma main s’abat violemment sur la vitre.

« Maldito vidro de merda ! »

Le type qui est censé nous surveiller passe la tête par la porte en m’ordonnant de me calmer. Je ne lui adresse pas un regard. Juste une insulte marmonnée à mi-voix en Portugais.

Nouvelle grande inspiration.
Ce n’est pas le moment de me laisser aller à la colère. Pas de moment de perdre le contrôle. Je n’ai aucune envie que nos retrouvailles soient écourtées.

Je pose mon front contre la vitre en soufflant :

« Je savais que t’étais vivante. J’en ai jamais douté. Jamais. »

Une certitude qui m’avait permis de tenir debout et de continuer à mettre un pied devant l’autre chaque jour.

Ils étaient là. Face à elle, bien en vie. Ils étaient enfin là. Ils avaient réussi à suivre le chemin de petits mots qu’elle avait semé sur son passage quand Alie et Evan étaient encore en vie, et même après. C’était totalement inespéré. Le destin leur avait souri de toutes ses dents. Ou plutôt lui avait souri, à elle. Eux, ensemble, avaient bien plus de chances de survie que Zira qui s’était retrouvée seule un moment. Elle mesurait sa chance d’être en vie. Et encore plus sa chance de les retrouver tous les deux. Ils étaient à nouveau trois, à défaut d’être six. Zira se força à mettre cette information de côté, elle voulait savourer leurs présences à eux à défaut de celle de leur groupe entier. Elle voulait savourer de voir le visage de sa sœur, à défaut de l’avoir dans ses bras. Elle voulait pouvoir sourire à ce crétin de Nass, qui lui avait tellement manqué aussi. Les voir derrière cette vitre, accentua le manque de Zira plus qu’autre chose. Elle aurait tellement aimé se blottir dans leurs bras. Mais tout cela serait pour plus tard, d’ici quelques heures ils seraient dehors après tout…

Les sanglots avaient tardé à arriver mais maintenant qu’ils étaient là, elle en était secouée. Les mains pressées contre la vitre comme pour réduire au maximum l’éloignement qui lui avait serré le cœur, elle pleurait à grande eau. Chacun gérait ses émotions du mieux qu’il pouvait. Elle tenta de se calmer à plusieurs reprises, retirant ses larmes pour effacer ses larmes rapidement pour regarder à nouveau sa sœur et Nass. Ils semblaient aller bien au moins. Mais ça ne la calma pas assez pour autant. Le flot d'émotions débordait et ne semblait pas vouloir se stopper. Elle ne répondit donc pas aux questions de sa soeur, incapable de parler. Ce fut le coup sur la vitre qui la sortit de ce cercle vicieux des larmes. Son cœur tambourinait, ayant été surprise. Zira tourna la tête vers le garde tout comme Nass, hochant juste la tête pour signifier que ça irait. Pas moyen qu’ils perdent du temps. Elle tourna la tête vers sa soeur et son ami à nouveau.

- Calma, Léo. Alcama-te, por favor.

Elle lui esquissa un sourire, pleurant toujours certes mais ce coup lui avait comme remis les idées en place. Elle s'effondrait plus tard. Pas maintenant. Elle avala sa salive, reniflant pas très gracieusement. Mais elle s’en foutait bien. Elle se rapprocha encore, comblant les quelques centimètres qui les séparaient encore. Ce que lui souffla sa sœur ensuite, lui réchauffa terriblement le cœur. Elle ferma les yeux un bref instant, submergée. Pouvait-elle en dire autant ? Surtout quand elle s’était retrouvée seule ? Qu’elle s’était retrouvée dans un profond désespoir ? Elle rouvrit les yeux et détailla attentivement sa jumelle, la regardant avec tout l’amour dont elle était capable. Puis ce fut Nass qui prit la parole et elle détourna un bref instant son regard de Léo pour le regarder, lui. Elle souriait toujours, parce qu’elle comprenait tellement. Elle secoua la tête négativement comme pour chasser les inquiétudes de son ami. Elle se racla la gorge, prenant sur elle pour être entendue.

- T’en fais pas grand chieur, moi même j’ai douté de moi un nombre incalculable de fois… Qui pouvait parier sur moi à part Léo ? Moi je ne l’aurai pas fait…

Elle regarda à nouveau les deux personnes derrière la vitre. Elle se doutait que Léo avait traîné Nass dans son sillage pour la retrouver. Son sourire se fit plus grand, elle voulait savourer qu’ils soient en vie et bien portants. L’une de ses mains se glissa aussitôt face à celle de Nass. Son regard tendre et plein d’amour passait de l’un à l’autre, prenant son temps. Ils étaient là. Un autre reniflement, les larmes coulaient toujours inlassablement.

- Je vais bien. Je suis arrivée il y a quelques semaines tout juste grâce à un membre de ce groupe. Je travaille en cuisine actuellement. Je me suis même fait une amie. Tout va bien pour moi, vraiment… Je suis si heureuse de vous voir. Vous m’avez tellement manqué…

Elle souriait toujours malgré les larmes qui coulaient encore et encore. Elle prit une longue inspiration, reniflant encore. Elle leur devait la vérité sur l’absence d’Alie et Evan. Comme elle demanderait sans doute où était David. Ils avaient survécu un moment ensemble, étaient devenus une sorte de famille. Ça allait être dur, elle le savait. Mais pour elle, tout devait être dit. Sa gorge se serrait malgré tout, elle avait tellement honte d’elle, d’avoir été aussi faible que ça.

- Après le séisme, on a survécu un moment avec Evan et Alie. On est resté ensemble plusieurs mois. Et… Et il y a eu ce jour, ou je les ai perdu tous les deux. On est tombé sur un groupe de ces trucs, je suis la seule qui à réussi à s’échapper. J’ai… Ils m’ont enfermé dans une pièce et sont partis dans un autre sens. J’étais enfermée… J’ai dû passer par les faux-plafonds pour quitter cette pièce. Et je… je suis tombé sur eux, sur leur corps. Je n’ai rien pu faire… Je suis désolée…

Les sanglots reprirent et elle baissa la tête. Depuis le début de tout ça, elle avait survécu uniquement grâce aux autres. Elle était faible, maladroite. Ce jour-là, elle l’avait réalisé. Elle avait pris comme un uppercut dans l’estomac. Ca l’avait terrassée pendant des heures, à tel point qu’elle était retournée dans la pièce pour s’effondrer. Et pendant un instant, elle s’était demandé si abandonner n’était pas la solution de facilité. Puis elle avait pensé à Léo, Nass, David. Ils étaient encore dehors. Elle s’était donc donné pour mission de les trouver eux à minima. Lentement la jeune femme releva la tête pour regarder les deux personnes qu’elle aimait plus que tout au monde. Cherchant du réconfort dans leurs regards, essayant de se raccrocher à ça de tout son être.

@Nassim El-Moussaoui & @Leonor Ramos

Jamais plus sans vous, jurez le moi

  @Alzira Ramos @Nassim El-Moussaoui  

La main de Nassim qui se posa sur son épaule permit à Leo de reprendre pied. Ravaler sa colère et sa frustration. Rester ancrée dans l’instant présent et ne pas se laisser submerger par ses émotions. L’incitation au calme prononcée par Zira dans leur langue maternelle fit redescendre la pression qui menaçait de la faire exploser. Qu’il était doux, d’entendre à nouveau cette langue. De l’entendre de la bouche de sa sœur.

Et puis, Nassim parla et Leo sentit son cœur se serrer en entendant la culpabilité dans ses mots. Cette culpabilité qu’elle avait tenté d’effacer, quelques heures auparavant. Elle avait lamentablement échoué, semblait-il. Il faudrait surement du temps à Nassim, pour s’en libérer. Il leur faudrait du temps à tous, pour guérir de leurs blessures intérieures. Si seulement ils y parvenaient réellement un jour. L’une de ses mains se détacha de la vitre pour se poser sur celle de Nass, toujours sur son épaule, dans une maigre tentative de réconfort.

Zira tenta à son tour de le rassurer, et Leo secoua la tête.

« Dis pas n’importe quoi, Zira, lança-t-elle, captant le regard de sa sœur. Tu es plus forte que tu le penses. »

Ces mots, elle les avait souvent prononcés. Avant même l’apocalypse. Parce qu’elle en était intimement convaincue. Et qu’elle ne supportait pas d’entendre Zira se dévaloriser de la sorte. Elles avaient des caractères différents, et Zira était certes moins combative, moins tête brûlée, moins déterminée. Mais elle avait des ressources en elle, même si elle n’arrivait pas à voir.

Elle semblait aller bien. Malgré les larmes qui baignaient ses joues - ces larmes que Leo aurait tant voulu pouvoir effacer de ses propres mains - un sourire sincère était apparu sur ses lèvres. Leo sentit son corps se détendre légèrement, alors que Zira évoquait son travail à la cuisine, cette amie qu’elle s’était faite. Elle avait l’air d’être bien traitée. Malheureusement, ce léger relâchement fut de courte durée. Zira continua à parler. Leur racontant comment elle avait été séparée des autres. Et le cœur de Leo se glaça. Sa main se crispa sur celle de Nassim, s’y accrochant avec force pour ne pas sombrer alors que son cœur semblait s’enfoncer dans un abîme.

A nouveau, les larmes glissèrent sur ses joues. Larmes silencieuses qu’elle était incapable de contrôler.

Jusqu’au dernier instant, elle avait gardé espoir. Jusqu’au dernier instant, elle avait imaginé tous les scénarios qui pouvaient expliquer la raison pour laquelle Zira était arrivée seule au camp. Tous, sauf celui-ci. Elle se l’était refusé.

Et pourtant, Alie et Evan étaient morts. Leo sentit un froid glacial la saisir soudainement. Et le désespoir qu’elle lisait dans les larmes de sa sœur lui semblait insupportable. Elle, de ce côté de la vitre, avait Nass à qui se raccrocher. Nass dont elle broyait la main sans même s’en rendre compte, enfonçant ses ongles dans sa peau. Parce qu’à nouveau, elle était à deux doigts de perdre pied.

Alie et Evan étaient morts. Ce qui signifiait que Zira avait erré seule. Combien de temps avait-elle dû survivre ainsi, livrée à elle-même ? C’était ce que Leo avait imaginé de pire, durant ces mois passés à la chercher. Ses entrailles semblaient se tordre dans son ventre alors que les larmes ne cessaient de couler. Elle avait eu Nass, à qui se raccrocher, durant ces longues semaines d’horreur. Zira n’avait eu personne. Comme elle n’avait personne pour la réconforter, derrière cette vitre.

Leo failli perdre le contrôle. Si elle cognait suffisamment fort, elle finirait par briser cette barrière qui l’empêchait de serrer sa sœur contre elle. Mais, si elle se laissait aller à cette pulsion, oh combien tentante, elle pouvait être sûre que ce serait la dernière chose qu’elle ferait dans l’enceinte de ce camp. Zira avait l’air bien ici. Hors de question de la priver de ce maigre équilibre à cause d’un accès de colère.

« Je suis désolée, Zira. Souffla-t-elle simplement, les mots peinant à quitter sa gorge serrée. Je suis tellement désolée que tu aies eu à vivre ça. Tu as passé combien de temps dehors, toute seule ? »

Elle n’était pas certaine d’être prête à entendre la réponse. Pas certaine de pouvoir le gérer. Ce fut à son tour, de goûter l’amertume de la culpabilité. Si seulement elle n’avait pas été si stupide, à vouloir à tout prix escalader des décombres instables. Alors, elle n’aurait pas été blessée, et surement auraient-ils réussi à retrouver le reste de leur groupe sans trop de difficulté. Au lieu de ça, elle avait voulu jouer à la plus maligne. Et à cause d’elle, Alie et Evan étaient morts. David aussi, très certainement. Et Zira avait vécu l’enfer, dans une solitude absolue.

Son corps s’affaissa légèrement sous le poids des remords.

« Je suis tellement désolée, si tu savais. Quand il y a eu le séisme, quand l’immeuble s’est effondré … j’ai absolument voulu passer par-dessus les gravats. Je voulais te retrouver. Je voulais être sure que tu allais bien. Sauf que je suis tombée et que je me suis blessée. Je ne m’en souviens même pas. Ce sont Nass et David qui m’ont sauvé la vie. »

Elle tourna son regard vers celui de ses sauveurs qui était encore en vie. Encore à ses côtés. Encore prêt à lui apporter tout le secours dont elle pouvait avoir besoin dans ce moment si difficile.

« Si je n’avais pas été si stupide, on aurait pu partir à votre recherche tous les trois. Mais David est parti, seul. Il n’est jamais revenu. Est-ce qu’il vous a trouvé ? Est-ce que vous l’avez vu ? »

Elle se doutait que non. Dans le cas contraire, Zira l’aurait surement déjà mentionné. Leo n’avait pas eu l’occasion de le remercier. Lorsqu’elle avait repris connaissance, David était déjà parti. Peut-être était-il même déjà mort. Elle devrait vivre avec cette idée. Avec cette culpabilité.

Était-elle vraiment forte ? Non, la perte de toutes les personnes qui comptaient pour elle l’avait mise à mal. D’abord Léo, Nass et David, ensuite Alie et Evan. Elle n’était pas forte. A vrai dire, elle ne savait pas vraiment comment elle avait réussi à survivre seule. Plusieurs semaines de solitude extrême, de peur, d’angoisse… Elle en faisait encore et toujours des cauchemars. Elle n’était pas forte, ou alors peut-être juste un tout petit peu.

L’annonce qu’elle le fit causa bien des dégâts, elle le percevait. Elle n'était pas bien avec ça. Elle revoyait que trop bien les deux corps de ses amis. Ils avaient lutté jusqu’au bout, ensemble. Quand elle les avait trouvés, elle… Non, repenser à tout ça la dégoûtait. Ils n’avaient pas eu une fin douce. Au loin, elle avait perçu leur hurlement sans pouvoir rien faire. Elle n’était en vie que grâce à leurs morts tragiques et ça, elle en porterait la culpabilité toute sa vie. Alors non, elle n’était pas assez forte. Zira savait qu’elle dépendait bien trop des autres et surtout de Léo. Elle conserva ses mains sur celles de sa jumelle et de son meilleur ami, comme un point d’ancrage pour ne pas se laisser glisser au sol ou hurler. Elle ne les quittait pas des yeux et elle fut dévastée de voir leur tristesse. Elle s’en voulait aussi pour ça, elle aurait tellement préféré leur apporter une bonne nouvelle. L’une de celle que l’on apprécie écouter. Tout ça n’avait rien d’agréable. Ils avaient perdu deux membres de leur famille recomposée.

Zira refusa de répondre à la première question de Léo. A quoi bon le lui dire ? C’était le genre d’information qui n’était pas essentielle à dire. Parce qu’elle savait parfaitement que ça risquait d’avoir un trop gros impact sur sa jumelle. Elle avait été seule. Elle avait en effet dû se débrouiller et elle en serait sans doute marquée à vie. Mais c’était fait. Ressasser le passé n’avait rien de bon. Les larmes continuaient à couler de son côté comme de l’autre de la vitre, comme si elle était devant un miroir. Ils étaient trois ébranlés par tout ça. C’était aussi la preuve de l’amour qui les unissait tous. A nouveau, elle essuya ses larmes et tenta de s’apaiser suffisamment pour parler.

- Ne t’excuse pas Léo. C’est fait… Nous avons de la chance d’être tous les trois en vie. Je mesure ma chance d’en plus vous retrouver...

Elle se rapprocha de la vitre et posa son front contre la surface froide. Elle aurait largement préféré être de l’autre côté avec eux. Elle enviait le fait qu’ils aient été deux, comme elle enviait le fait qu’il le soit toujours. Mais il était hors de question de culpabiliser qui que ce soit. Surtout pas eux. Au lieu de ça elle releva les yeux vers Nass et lui souffla un “Merci” silencieux. Elle lui était reconnaissante d’avoir été là pour sa sœur. Puis la question de David revint. C’était vrai qu’il n’était pas avec eux. Était-il en vie ? Elle l’espérait de tout son être. Elle fit non de la tête à la question. Ainsi il les avait cherché ? Quel idiot… Et en même temps quel courage. Il avait toujours été ainsi David. Celui sur lequel ils pouvaient tous compter. Mais il n’était pas là. Zira baissa un instant les yeux, espérant que peut-être il se trouvait à la Colline ou même au Refuge. Avec un peu d’espoir… Peut être… Ses yeux se relevèrent vers Nass quand il reprit la parole et elle eut un pincement au cœur de le sentir si triste et plein de regrets. Toutefois à aucun moment elle ne s’était attendu à cette annonce. Quoi ? Il l’aimait ? Quoi ? Elle le regarda, totalement interdite, figée par la nouvelle. C’était encore pire alors. C’était pas du tout la faute de Léo la mort ou la perte de leur amis… C’était la sienne.

Elle encaissa le tout, difficilement. Evan et Alie étaient morts en la protégeant. David avait disparu en partant à sa recherche. Elle n’avait rien de fort. Absolument rien. Lentement elle s’écarta de la vitre, n’osant plus les regarder. Réaliser à quel point on est faible et inutile était quelque chose de douloureux. Mais savoir que l’on était coupable de la mort de personne que l’on aimait et appréciait était bien pire. Zira avait la sensation que son coeur se déchirait. Elle n’entendait plus rien. Ses oreilles bourdonnaient, elle sentait même un vertige la prendre. Elle fit quelques pas en arrière et tomba à genoux au sol, fixant ce dernier sans dire un mot. Elle était pâle et avait envie de vomir. Un peu comme si elle venait de se prendre un uppercut. Dire qu’après avoir vu les corps de ses deux amis, elle était retournée se terrer dans la pièce où ils l’avaient enfermée, y restant plus d’une semaine. Une semaine à pleurer, se lamenter, désespérer. Une semaine ou elle s’était demandé si la mort n’aurait pas été plus douce. Elle avait de quoi passer à l’acte. Ca aussi, jamais elle ne le dirait à Léo, ni à Nass. Puis elle était sortie de sa cachette quand le calme s’était fait sentir. Elle avait même pris le temps de brûler les corps de ses amis comme dernier adieu. Et elle avait pris la route, continué à chercher. Un peu comme un zombie elle-même.

- A culpa é toda minha… Eu não sou forte. Sou um fardo.

Et elle devrait vivre avec ça. Là tout de suite, elle avait envie de fuir, de se cacher à nouveau. Mais elle ne pouvait pas faire ça. Là devant elle, sa dernière famille. Bordel qu’est-ce qu’elle avait peur de les regarder. Et s’ils lui donnaient raison ? Elle ne pourrait rien dire. Est-ce que Mei pensait aussi pareil ? Tout se mélangeait dans son esprit. Elle glissa ses mains dans ses cheveux et serra fort, essayant de se calmer. Tentant de contrôler la panique et l’angoisse qui l’envahissait.

- Ils sont morts parce que je n’étais pas assez forte… C’est ça la réalité…

@Leonor Ramos   &   @Nassim El-Moussaoui

Jamais plus sans vous, jurez le moi

  @Alzira Ramos @Nassim El-Moussaoui  

Lorsque Nass prononça ces mots, lorsqu’il parla de David, et des sentiments qu’il éprouvait pour Zira, Leo sentit une main glacée se poser sur son cœur. Elle ferma les yeux. Pourquoi ? Pourquoi avait-il fallu qu’il évoque tout cela ? Elle savait, Leo. Elle savait quel impact cela aurait sur sa soeur. Elle n’avait même pas besoin de rouvrir les yeux pour le deviner.

Lorsqu’elle la regarda à nouveau, Zira s’était éloignée de la vitre. Et, lorsqu’elle tomba à genoux, Leo sentit une nouvelle vague de colère se déverser dans son cœur. Elle lâcha la main de Nass, la plaquant à nouveau contre la vitre dans un mouvement brusque, approchant son visage si près qu’elle manqua de se cogner. Elle aurait tout donné, pour détruire ce morceau de verre glacé qui la séparait de Zira. Elle aurait tout donné, pour le faire éclater en mille petits morceaux. Pourtant, elle se força à prendre une grande inspiration. A faire refluer la frustration et la colère. A garder son sang-froid. Elle n’aiderait personne, en perdant le contrôle d’elle-même. Et surement pas Zira.

Zira dont les mots de désespoir lui transperçaient le cœur.

« Zira. Por favor Zira, volta aqui. »

Elle parvint à maîtriser le tremblement de sa voix. La pression sur la vitre permettait de canaliser celui de ses mains. Elle devait rester forte. Pour Zira. Zira qui était seule, derrière cette vitre. Zira qui allait repartir dans ce camp … toujours aussi seule. Alors elle n’avait pas le droit de flancher. Elle aurait tout le temps de s’effondrer après.

« S’il te plait Zira. Regarde-moi, je t’en prie. »

Elle croisa enfin le regard de Zira, et se força à ravaler ses propres larmes. A ne mettre dans ses yeux que l’amour infini qu’elle ressentait pour sa sœur, et toute la force qu’elle tentait de lui transmettre. Et pourtant … la souffrance que ressentait Zira irradiait jusqu’à son propre cœur, avec plus d’intensité encore que si cette douleur lui avait appartenu.

Zira se releva et s’avança à nouveau vers la vitre, et Leo lâcha un soupir de soulagement.  

« Rien de tout cela n’est de ta faute, Zira, tu m’entends. Absolument rien. Je pourrais te dire que si j’avais réfléchi un peu plus, si je ne m’étais pas précipitée, si je ne m’étais pas blessée inutilement, alors nous aurions pu nous retrouver beaucoup plus facilement et tout le monde serait probablement encore en vie. Mais les choses se sont passées telles qu’elles se sont passées. Tu ne peux pas prendre la responsabilité des choix d’Evan, d’Allie ou de David. »

Elle fit une pause. Prononcer leurs noms lui laissait un goût amer sur la langue. Et serrait son cœur. Elle ferma les yeux, ravalant les larmes qui menaçaient à nouveau de s’écouler.

Pas maintenant.

« David n’a certainement pas décidé d’aller te chercher parce qu’il te trouvait faible, ou parce qu’il imaginait que tu étais un fardeau. Il a été te chercher parce que tu comptais pour lui. Parce que, pendant ces mois passés à braver la mort tous ensemble, ta présence lui a donné de la force. Et si Allie et Evan ont choisi de risquer leur vie pour te protéger, c’est qu’ils savaient que tu t’en sortirais. Ils croyaient en toi. Et ils avaient raison. Regarde toi. Tu n’es pas faible. Tu as survécu toute seule dehors. Et tu as survécu à d’autres choses, avant ça. Souviens-toi de ce que tu as surmonté, à l’adolescence. Ça aussi, tu l’as fait toute seule. »

Elle n’avait pas évoqué les troubles alimentaires de Zira de manière explicite, parce qu’elle ne savait pas si Zira avait parlé de tout cela avec Nass et que, dans le cas contraire, ce n’était surement pas à elle de décider si sa sœur devait ou non se confier sur le sujet. Mais elle savait que Zira comprendrait l’allusion.

« Tu n’es peut-être pas la plus douée pour le combat, ou ce genre de chose. Elle afficha un maigre sourire affectueux. Mais il n’y a pas que ça. Il y a la force du cœur, de l’espoir. La résilience, l’optimisme. C’est tout aussi important. Peut-être même plus encore. »