Porte 1 - 0 Sasha (alex)

Maintenant que j’avais terminé mon job de marraine la bonne fée, je n’avais plus qu'à trouver comment m’occuper pendant que mon père et Aaron… ahem, ce qu’ils feraient ne me regardait pas et pour être tout à fait sincère je n’avais pas envie d’y penser. Ça les regardait, j’estimais en avoir fait plus que ma part dans cette histoire. Nous étions partis de bonne heure et courir après Aaron m’avait pris un moment, alors le choix de ma prochaine activité était une évidence : il était temps d’aller me remplir la panse. Pas que j’ai besoin d’une excuse pour que mon estomac me traîne tôt ou tard vers la Taverne, peu importe le camp où je me trouvais. Mon estomac n’oubliait que rarement de me rappeler à l’ordre - il fallait vraiment que je sois happée par quelque chose de passionnant pour oublier d’aller manger un morceau, et loin de la Tanière et de ma machine à coudre, il y avait peu de chances que ça n’arrive.

Après avoir abandonné Aaron à ses recherches, j’avais donc regagné l’enceinte du stade, observant les lieux distraitement. Je ne connaissais pas le refuge. La seule fois où j’avais prévu d’y venir, le marché avait été annulé pour cause de double tremblement de terre, et je m’étais empressée de rentrer à la maison afin de m’assurer que mon père allait bien. Pas le temps, donc, d’y faire du tourisme, ou d’observer l’architecture des lieux avec beaucoup d’attention. Sur le chemin du retour, j’avais donc pris le temps d’observer la ferme et les animaux qui y paissaient tranquillement, longeant les champs de culture, avant de retrouver l’enceinte du stade où j’observais en chemin les allées et venues des survivants du camp. Je n’y connaissais personne, si ce n’est Matthew, le cuisto qui nous avait lâchement abandonnés pour venir rejoindre sa famille. Bon, je ne lui en voulais pas trop, il nous avait après tout laissés entre les mains expertes de Ran et de Susan, alors nous n’étions pas trop à plaindre.

Mes pas tranquilles m’avaient finalement menée à la Taverne. J’y étais déjà passée plus tôt dans la journée lorsque j’essayais de trouver Aaron, mais il semblait préférer les endroits plus isolés alors je n’avais guère pris le temps de m’y attarder. Le gros de la foule semblait s’être dissipé depuis, ne laissant que les derniers retardataires devant leurs assiettes. J’avais toutefois à peine posé mes fesses sur une chaise qu’une silhouette attira mon attention.

« Alex ? » m’interrogeai-je à voix basse. Il était passé en coup de vent avant de disparaître dans les cuisines, et je pourrais tout à fait m’être trompée… C’était impossible, après tout. Pas après tout ce temps. Pas aussi loin de Sacramento. Le destin était joueur, mais à ce point-là ? Les maths, ce n’était clairement pas mon truc, mais quelles étaient les probabilités pour qu’il soit vivant et que nos chemins se recroisent un jour ? Proches de zéro.

Et pourtant, je devais en avoir le cœur net.

Je me levai donc à nouveau de ma chaise, prête à aller mettre mon nez là où il n’avait rien à faire :  dans les cuisines. Une habitude, chez moi, vraiment. Ne pouvant le suivre par la porte derrière le comptoir, je quittais le réfectoire. Les cuisines devaient bien avoir une autre entrée. Quelques mètres plus loin, je me retrouvais face à une porte dont les petites fenêtres rondes laissaient apercevoir les coulisses de la Taverne. J’étais toutefois trop petite pour pouvoir y voir quoi que ce soit d’autre que le haut des meubles. C’était bien les cuisines, mais je ne pouvais m’assurer de l’identité des occupants sans pousser le battant. Était-il raisonnable de m’introduire dans les cuisines d’un camp où je ne vivais pas ? Pas que je sois gênée de quoi que ce soit, mais je n’avais pas vraiment envie de passer pour une voleuse de pâtes ou quelque chose du genre. J’étais venue en paix, pas pour finir enfermée parce que j’avais mis mon nez où il ne fallait pas.

Occupée à débattre avec moi-même, je ne prêtais pas attention au bruit de pas qui se rapprochaient. Ma rêverie fut alors violemment interrompue par la porte, qui vint me percuter en pleine face. Déséquilibrée, j’atteris sur les fesses, au pieds de celui qui venait de me coller la porte en pleine tête. « AOUCH !  » criai-je, y ajoutant quelques jurons pour faire bonne mesure, alors que je portais une main à mon visage endoloris par le choc.

Porte, un. Nez et popotin de Sasha, zéro.

Il pousse un soupir grognon tout en terminant de nettoyer le comptoir. Alex était généralement satisfait - voire soulagé - du progrès que Nina et lui avaient effectué dans le ménage de la cuisine, mais il fallait avouer que les pertes avaient étés  lourdes dans le matériel et encore à ce jour, ils avaient du mal à reprendre le dessus. Puis, certaines personnes avaient ce don de l’agacer et de croire que c’était un buffet tout inclus que de vivre au Refuge. Certes, les petits encas étaient normaux, mais le nombre de survivants qui venaient directement se servir dans les réserves du camp augmentaient de jour en jour. Il allait définitivement devoir passer le mot à la prochaine réunion où on lui demanderait son opinion, ou alors faire passer le messages aux responsables de la gestion du Refuge. L’hiver approche et le Refuge ne pouvait se permettre de voir toutes leurs provisions être dérobées par les leurs.

Comptoir nettoyé, Alex se dit qu’il pourrait tenter d’aller parler de ce souci à l’instant, au lieu d’attendre que le problème ne s’envenime. Parce que clairement, il avait ce sentiment étrange que s’il n’intervenait pas - alors qu’il détestait jouer à la police comme ça - la situation finirait par lui retomber sur le nez. Poussant un soupir, il laisse Erin en charge de la cuisine le temps de s’éclipser.

L’autre souci qu’il avait en tête, c’était bien les relations avec les autres camps. Les contacts étaient importants, certes, mais Alex avait cette petite crainte que si tous continuaient à entrer et sortir du Refuge comme s’il s’agissait d’un hôtel, là aussi, ils ne pourraient pas passer l’hiver. On l’avait bien averti que Aaron était revenu avec deux voyageurs. Deux voyageurs qui n’allaient pas s’installer. Ça le rendait de mauvaise humeur de savoir que les autres survivants étaient aussi ouverts à l’idée de partager des ressources limitées avec des gens qui ne leur donnaient rien en retour… Parce qu’en vrai, pourquoi ces gens étaient-ils là ? Qu’avaient-ils à apporter en échange ? Ça, personne ne lui avait dit. Contente-toi de les nourrir et tais-toi ! Cette situation le faisait vriller. Alex espérait que, s’il ne pouvait rien faire directement, il arriverait à rallier assez de gens à la cause de leur survie commune pour tenter d’imposer un changement. Ou alors il demanderait à Oliver de lui apporter littéralement TOUS les cadenas qui croiseraient sa route.

Perdu dans sa tête, il poussa la porte de la cuisine - celle menant directement dans le corridor - bien déterminé à faire changer les choses.  Mais il fut coupé dans son élan par la porte qui refusa de s’ouvrir. La voix qui s’éleva de derrière celle-ci lui était étrangement familière. Une fraction de seconde, il crut avoir heurté Nina, avant de réaliser que la pléthore de jurons qui s’élevait n’étaient pas prononcés avec la voix de son amie. Plus encore, son coeur rata un battement quand il réalisa pourquoi il avait déjà entendu cette voix.

Sasha ?

Doucement, histoire de ne pas la heurter de nouveau, il ouvrit la porte, mais esquissa un mouvement d’hésitation avant de la franchir. Et si ce n’était pas elle ? Son coeur aurait mal…

Pourtant, la frêle personne avec une masse de cheveux blonds assise au sol semblait réellement être Sasha. Cette petite sœur qu’il avait toujours souhaité avoir.  Sans se faire prier, Alex l’attrapa par les poignets pour la remettre sur ses pieds. Elle n’avait pas changé d’une miette.

C’est vraiment toi ? Tu vas bien ?  Qu’est-ce que tu fais ici ?

Il ne savait pas trop s’il était envahi par le soulagement ou l’inquiétude, mais une chose était certaine, il avait du mal à croire que c’était réel. Alors il attira la gamine - oui oui, pour lui elle était toujours une gamine - dans une étreinte afin de s’assurer qu’elle était bien réelle.

Nous avions traversé la ville sans encombre avec mon père. J’avais erré jusqu’à trouver le fameux Aaron, sans me retrouver au centre de la moindre catastrophe. Il en allait de même pour mon retour jusqu’à la Taverne. C’était presque un record, vraiment, mais chassez le naturel et il revient au galop. C’était presqu’ironique, vraiment, que dans tout ce périple, c’est le moment où j’avais décidé de mettre mon nez où il n’avait rien à faire, à laisser ma curiosité naturelle prendre le dessus, qui avait causé ma perte. Je devrais peut-être en tirer une leçon mais franchement, vous me connaissez, ça n’était pas près d’arriver… D’autant que ma curiosité n’allait pas tarder à être récompensée. Comme quoi, mon karma n’était peut-être pas si mauvais finalement, même s’il avait une manière assez particulière de récompenser mes bonnes actions…

Les fesses vissées au sol, une main plaquée devant mon visage dans une vaine tentative de soulager la douleur du choc, je jurais copieusement, en oubliant presque la raison pour laquelle je me trouvais dans ce couloir. Ce qui était probablement une simple hallucination, mais je n’aurais pas été moi si je n’avais pas pris la peine d’aller vérifier. Ma ribambelle de mots fleuris fut soudainement interrompue par… mon prénom ? Une voix que je ne connaissais que trop bien ? Si mes hallucinations se mettaient à parler, il allait vraiment falloir que je consulte…

Retirant ma main de mon visage endoloris, je vis d’abord une paire de chaussures, et remontais lentement jusqu’à découvrir un visage familier. « Alex ! » m’exclamai-je, oubliant aussi sec qu’il avait tenté de m’assomer quelques secondes plus tôt pour me remettre sur mes deux pieds, avec son aide. « Mon Dieu je savais que c’était toi ! J’en étais sûre ! Enfin, pas vraiment sûre, mais dans le doute je voulais vérifier et… » J’en aurais presque sautillé de joie, mais le moulin à paroles que j’étais fut encore une fois interrompu lorsqu’il m’attira dans ses bras pour me serrer contre lui et le sourire jusqu’aux oreilles, je ne me fis pas prier, jetant mes bras autour de lui. « J’allais mieux avant que tu me mettes une porte dans le nez, mais je m’en remettrai, » feignis-je de ronchonner. C’était le cadet de mes soucis. Honnêtement, j’en avais vu d’autres et la joie de le retrouver l’emportait sur le reste. « C’est moi qui devrais te demander ce que tu fais ici ! La Californie c’est pas vraiment la porte à côté, » commentai-je en me libérant de ses bras pour le regarder, des larmes de joie brillant dans mes yeux bleus. « C’est tellement bon de te voir… » Sur le papier, les Wright étaient seulement les gens qui avaient été responsables de moi de mes 12 à mes 18 ans… mais dans les faits, ils étaient bien plus que ça. Cela faisait bien longtemps que je considérais Alexander comme mon frère, quoi que puisse en dire l’administration. De toute façon, le monde s’était cassé la gueule alors l’administration, c’était un peu le cadet de nos soucis.