Food is the ingredient that binds us together || Feat Sasha & Naomi

Le temps défile mais elle ne s’en rend pas compte, étant plongée dans la préparation de sa classe. Quelque chose dont elle prend plaisir à faire malgré les temps difficiles. Mais elle s’est toujours donnée à fond dans son travail, voulant faire au mieux pour les enfants qu’elle avait devant elle. Elle aime les voir s’améliorer et prendre confiance en eux dans leur travail. Ici, elle se perd beaucoup dans sa classe, ayant la sensation d’être utile et cela lui permet de ne pas penser à Tyler. Heureusement, elle a Abby qui est là pour lui changer les idées quand il le faut. Et elle doit dire qu’elle l’aime beaucoup sa Abby et qu’elle lui doit beaucoup.

Elle finit par lever le regard quand son ventre se met alors à grogner. Observant l’heure, elle se dépêche alors de ranger ses affaires afin d’aller chercher un repas avant que tout ferme. Et elle ne se voit pas aller se coucher avec le ventre vide. Gourmande comme elle est, ne pas manger est un sacrilège.

Finissant de ranger ses affaires, elle se rend jusqu’au lieu de vie et au restaurant. Il y a encore quelques personnes d’installées et elle soupire doucement. Une autre jeune femme arrive et cela me ravie de savoir que je ne suis pas la seule retardataire.

- Bonsoir et désolée pour le retard.

Prenant une place au comptoir, elle écoute alors ce que le chef a préparé pour ce soir et elle en salive déjà en entendant tout ce qui est préparé.

- Ça sera poulet avec des pommes de frites pour moi. Ça semble super bon en tout cas, j’en ai déjà l’eau à la bouche.

Son ventre grogne à nouveau, confirmant ses dires, ce qui la fait rire doucement.

Quand il s’agissait de ma concentration, il n’y avait pas vraiment de juste milieu : soit j’avais le niveau de distraction d’un bébé labrador au milieu d’un champ de papillons, soit j’étais si concentrée que plus rien autour n’avait d’importance. Ce jour-là, la deuxième option s’appliquait. Moi, mes croquis, du tissus et ma machine à coudre, avions été bien occupés et la journée avait filé à toute vitesse. Ni les aiguilles, que j’avais irrémédiablement réussi à me planter dans les doigts - chose si fréquente que je n’y prêtais plus attention - ni mon ventre qui grognait n’avait réussi à m’extraire de ma concentration. Ce n’est que lorsque la lumière au dehors était devenue trop faible pour me permettre de voir ce que je faisais que j’avais réalisé à quel point le temps était passé. levant le nez pour jeter un coup d’oeil par la fenêtre, j’avais réalisé que le soleil était en train de se coucher et mon estomac profita de cette brève pause pour me rappeler à l’ordre : je n’avais quasiment rien mangé de la journée. Un coup d’oeil à la pendule accrochée au mur me confirma que si je ne voulais pas me coucher le ventre vide, il fallait que je bouge, et vite !

Laissant en plan mon oeuvre, qui avait encore besoin de quelques finitions avant que j’en sois satisfaite, j’avais rapidement enfilé une paire de chaussures et pris la direction de ce qui, à une époque, avait été l’un des restaurants de l’aéroport, priant pour que les lieux ne soient pas encore fermés. S’ils l’étaient… Eh bien, je n’étais pas opposée à l’idée de devoir forcer une serrure. C’était une solution de dernier recours car vu mes talents de cuisinière, mieux valait que quelqu’un d’autre se charge de la préparation.

Par chance, les lumières étaient toujours allumées lorsque j’arrivais d’un pas pressé au restaurant de la Tanière. Je n’étais pas la seule retardataire puisqu’une autre demoiselle, que j’identifiais comme Naomi, l’amie d’Abby, arrivait-elle aussi. D’autres traînaient encore après leur repas et le cuisinier était toujours là. Au moins, je ne serais pas la seule à le retenir ici - même si ce n’est pas ça qui m’aurait empêchée de venir glaner à manger. « Mon sauveur ! » m’exclamai-je en me perchant sur l’un des tabourets du comptoir. Si je n’avais pas fait attention au fait que mon ventre avait crié famine toute la journée, maintenant que je n’étais plus affairée sur mes travaux, je ne pensais plus qu’au creux qui tordait mon estomac.

Après que le cuistot nous ait annoncé le menu, Naomi fit preuve de plus de retenue que moi et opta pour le poulet et les pommes de terres frites. Moi ? « Je peux avoir un peu des deux ? » demandai-je avec mon air le plus angélique, en ayant déjà l’eau à la bouche. Des pâtes et des pommes de terres ? Pourquoi pas. Pas le temps de débattre avec mon indécision, de toute façon. « J’avoue que j’ai eu peur que ça soit déjà fermé, j’ai pas vu la journée passer. Désolée si je contribue à te faire faire des heures sup’, » m’excusai-je en le voyant s’affairer pour nous servir. « T’es l’amie d’Abby, c’est ça ? » demandai-je, pour confirmer mes doutes. J’avais un peu bu ce soir là, il n’était pas impossible que mes souvenirs ne soient pas les plus clairs. Tout en papotant, j’attrapai un pichet d’eau et rempli mon verre, et celui de ma comparse retardataire.

Se dépêchant de rejoindre la cuisine avant que celle-ci ne ferme et qu’elle n’ait pas le temps de manger, elle remarque alors qu’elle n’est pas la seule à arriver tard, ce qui la rassure légèrement. Et le chef cuistot semble être toujours là également, ce qui la fait soupirer doucement. Prenant place sur un tabouret, elle écoute alors les plats qui sont proposés et rit légèrement en entendant l’autre fille dire qu’il est un sauveur. Elle ne peut être d’accord avec elle. Lui donnant alors sa commande, elle rit davantage en l’entendant dire qu’elle prendra un peu des deux, si c’est possible.

- Je veux bien un peu des deux également si cela ne dérange pas.

Manger elle adore ça. N’osant pas demander auparavant, elle ne serait pas contre l’idée d’avoir un peu des deux dans son assiette. L’homme nous annonce qu’il va alors préparer leurs repas et la jeune femme qui se trouve à ses côtés lui sourit avant de lui demande si elle est une amie d’Abby.

- Oui c’est ça effectivement. Tu es une amie d’Abby aussi c’est ça ?

Elle l’avait déjà croisé à la Tanière auparavant, mais elles n’avaient jamais pris le temps de vraiment discuter ensemble. Ça sera peut-être l’occasion d’apprendre à se connaître davantage.

- Et tu t’appelles ? Moi c’est Naomi. Et comment s’appelle notre super chef cuistot qui est prêt à aider deux jeunes femmes en détresse pour manger ?

Elle rit doucement avant de commencer à manger son repas. Ça faisait du bien et ça calme les gargouillis de son estomac qui se faisaient de plus en plus présent.

Mes talents en cuisine étaient proches de zéro. Par contre, manger… Ça, je savais faire. Ce qui ne m’empêchait pas d’oublier de me nourrir quand j’étais trop absorbée par quelque chose. A une époque - époque qu’on appelera “avant la fin des haricots” - il me suffisait de quelques clics sur une application pour que la nourriture arrive directement sur le pas de ma porte. Le bonheur. Mais ce temps était révolu. Je devais me conformer aux horaires du restaurant de la Tanière. Au menu choisi par le chef. Et je devais aller vers la nourriture, plutôt que d’attendre qu’elle vienne à moi. Un scandale, si vous voulez mon avis, mais quelque chose me dit que le grand patron de la Tanière n’apprécierait pas ma suggestion d’un service de livraison 24/7.

Bref, tout ça pour dire que j’avais dû traîner mes guêtres jusqu’au restaurant de la Tanière qui, par chance, était encore ouvert. Hallelujah. J’avais proclamé le chef des lieux comme mon sauveur, alors que mon estomac criait famine, tout en m’installant près de l’amie d’Abby avec qui j’avais dansé sur le bar, il y a quelques temps. A part ça… Bah on ne se connaissait pas vraiment. Ma commande l’avait en tout cas inspirée, car elle envoya au diable sa demande raisonnable pour demander un peu de tout, elle aussi.

« C’est ça. Je suis Sasha. Celle qui a traîné tout le monde pour danser sur le comptoir, » ajoutai-je avec un grand sourire. On s’était amusées, et c’était le principal. Mon père avait-il trouvé ça drôle en l’apprenant ? Probablement pas. Mais je m’en moquais un peu - voire totalement. Après le tremblement de terre et le raz-de-marée - et l’apocalypse générale - nous avions tous besoin de nous amuser et nous n’avions fait de mal à personne.

Mon sourire s’agrandit lorsque le cuistot vint déposer devant nous nos assiettes, avant de s’installer lui-même au comptoir. Je piochais sans tarder dans mon assiette, avant de reprendre la parole. « Attends, réponds pas, » interrompis-je, lorsque Naomi demanda le prénom de celui qui nous faisait le plaisir de remplir nos estomacs chaque jours. « T’es… Matthew Blackwood. Tu nous nourris, alors dans mon monde, ça te place à peu près au niveau d’une rockstar. » La nourriture se faisait rare de nos jours, encore plus lorsqu’elle était bonne, et j’avais toujours trouvé qu’il était primordial de se mettre dans la poche les gens capables de vous régaler. Pourquoi pensez-vous que j’aimais autant ma famille d’accueil, après tout ? Ils tenaient un restaurant, il ne m’en fallait pas plus.

S’installant au comptoir, elle demande alors une portion simple pour ne pas paraître déraisonnable. Mais quand elle l’entend la jeune femme à ses côtés demander un peu des deux, elle change alors sa commande afin d’avoir un peu de chaque également. Au moins elle ne sera pas la seule gourmande sur le lieu. Elle apprend alors que la jeune femme est également une amie d’Abby et qu’elle se nomme Sasha.

- Enchantée de te rencontrer Sasha. Effectivement je m’en souviens très bien. C’était une soirée très sympa d’ailleurs.

Elle avait pas mal bu ce soir-là, profitant de l’ambiance pour essayer d’oublier un peu cette atmosphère apocalyptique le temps d’un instant. Elle en avait bien profité d’ailleurs, ayant rejoint les filles pour danser sur le comptoir également, faisant des danses collés-serrés avec sa meilleure amie. Elle avait même dansé avec son voisin de chambre, qui avait semblé un peu gêné d’ailleurs, sans qu’elle en comprenne trop la raison. Peut-être que cela l’avait embêté de danser avec elle ?

Le super chef cuistot réapparaît avec les assiettes et elle lui offre un sourire avant de le remercier, commençant à manger un pendant que c’est encore chaud. Ne sachant pas comment s’appelle son sauveur qui accepte de les nourrir malgré l’heure tardive, elle lui demande alors son prénom, mais c’est la jeune femme à ses côtés qui prend la parole et lui donne alors son identité.

- Très bien Matthew Blackwood. Je ne devrais pas oublier le nom de notre sauveur pour la soirée, ni pour les autres jours d’ailleurs.

La nourriture c’est sacré et Naomi est une gourmande à n’en pas douter. Même si on peut se demander où elle stocke tout cela après.

- On leur dira à ta famille que tu es fantastique et que tu cuisines à merveilles. Ils sont à la Tanière ?

Un bon repas et une bonne compagnie, il n’y avait rien de mieux pour clôturer cette journée de dur labeur. Je n’avais jamais vraiment eu l’occasion de discuter avec le cuistot, mais j’avais déjà croisé Naomi et je n’avais pas assez bu ce jour-là pour l’avoir oubliée. Le fait que je m’étais retrouvée debout sur le comptoir n’avait en effet rien à voir avec mon taux d’alcoolémie. Naomi avait raison : ça avait été une bonne soirée. je n’étais pas du genre à laisser ce monde de fous me miner le moral, mais ça faisait du bien d’oublier que tout se cassait la gueule, de temps en temps. A peine mon assiette devant moi, j’avais commencé à taper dedans à grands coups de fourchette. Mon estomac avait tardé à me rappeler à l’ordre, trop concentrée que j’étais sur mon dernier projet, mais maintenant que j’avais sorti le nez de ma machine à coudre, il ne comptait plus me lâcher avant d’avoir été rempli. J’ignorais la situation dans les autres camps mais nous étions relativement chanceux à la Tanière : malgré les moyens restreints dont ils disposaient, nos cuistot arrivaient toujours à nous régaler. Face à nos compliments, le cuisinier nous fit promettre de passer le mot à sa famille, s’il venait à les retrouver. Des familles éclatées, décimées, des proches dont on n’aurait plus jamais de nouvelles… tel était le quotidien de tous les survivants.

« Je n’y manquerai pas. Et puis je suis une experte. Je suis une catastrophe en cuisine mais ma mère et mon frère tenaient un restaurant à Sacramento alors les bons petits plats, ça me connaît. »

La mention de la famille de Matt m’avait rappelé à la mienne, que j’avais laissée à l’autre bout du pays. Ils n’étaient que ma famille d’adoption, mais j’avais depuis longtemps arrêté de faire cette distinction. Les Wright étaient ma famille, point. Je ne les reverrais probablement jamais, et c’est quelque chose auquel j’essayais d’éviter de trop penser, préférant me bercer d’illusion. Les chances qu’on vienne me prouver que j’avais tort de me persuader qu’ils allaient bien étaient minces, après tout. Optimiste, je préférais voir le positif : j’avais mon père et c’était déjà une chance, comparé à tous ces gens qui avaient tout perdu. M’extirpant de mes pensées, je piochais à nouveau dans mon assiette.

« Je devrais te faire un tablier avec “Chef-Fantastique” écrit dessus, au cas où on ne serait pas là pour leur dire quand tu les retrouveras. » Quand, pas si. Il fallait bien garder un peu d’espoir, après tout.