Panse mes blessures ft Aiden

«Panse mes blessures »

C'était … Amusant, que de se rendre compte que, ma foi, il avait fallu attendre l'apocalypse pour qu'Aiden puisse trouver une raison de vivre. Une raison de se lever le matin, d'arpenter le monde, quotidiennement et se coucher sans avoir la boule au ventre. Jusqu'ici, se battre ne fut qu'un moyen de survivre, rien de plus. D'abord à la rue, puis, pour subvenir à ses besoins, sans jamais réellement profiter de sa vie. Le destin n'avait jamais vraiment voulu lui offrir la chance de croiser une femme qui pourrait réellement partager un bout de chemin avec lui. Bien entendu, de par sa notoriété et de sa richesse présumée en tant que combattant professionnel, quelques vautours lui tournèrent autour, se montrant intéressés, mais de la pire des manières. Aiden n'était pas le plus malin des hommes, mais, que ses femmes, que l'on ne voyait qu'à la télé, lui trouvent soudainement du charme et toutes les qualités du monde … Il ne fallait pas être un grand enquêteur pour en comprendre la raison. Après tout, le jeune homme ne fut jamais rien d'autre qu'une personne des plus banales, en dehors de cette capacité à se battre, cette possibilité de massacrer des gens à mains nues. Était-ce réellement une qualité, que de savoir faire ça ? Dans le Nouveau Monde, ça l'était, mais avant ça … Pas spécialement. Il n'eut jamais de grandes qualités, ne fut jamais particulièrement malin, ou instruit. Drôle, peut-être, pas méchant aussi, mais pas bien charmant ou charmeur, alors, oui, ce genre de femme … Aucune chance pour qu'elles s'intéressent à lui.

Ainsi, sa vie ne s'articula qu'autour sa pratique martiale, à défaut de quoi que ce soit d'autres. Jamais il n'aurait cru que tout cela puisse être utile, un jour. Réellement utile, j'entends. Remporter des combats, c'était quelque chose. Se sortir de la merde en Afrique du Sud, c'était bien, mais pouvoir transmettre … Pouvoir enseigner et aider les autres à survivre, à se sortir de la merde … Oh, ça c'était vraiment bien. Utile, gratifiant, c'était presque comme … Comment dire ? Se sentir vivant, pour la première fois ? Peut-être ? Quelque chose comme ça. Mais, après tout, pour les gens comme lui, le monde moderne n'était pas adapté, par contre, pour l'apocalypse, des gens comme lui avaient de nombreuses cartes en main pour faire quelque chose, pour être utiles et vivants.

Même s'il sortait de temps à autre, Aiden passait le plus clair de son temps dans la sale qu'on lui avait préparée. Lui-même s'entraînait en permanence, pour ne pas perdre la main, déjà, mais aussi … Pour ne pas perdre l’œil. Il se faisait vieux et, malgré l'expérience, ses réflexes s'amenuisaient avec le temps, comme sa forme physique. Son angle mort finirait par être de plus en plus problématique et, l'étranger devait s'entraîner régulièrement pour ne pas perdre cet instinct qui le gardait en vie. Bien entendu, quiconque venait à comprendre que cet homme-là avait un œil inutile, essaierait de forcer de ce côté-là. Bien entendu, Aiden le savait et, avait fini par développer une espèce de sixième sens qui lui permettait de pallier à ce souci, tout en tournant régulièrement la tête de droite à gauche pour avoir le maximum d'information, mais … Un jour ou l'autre, cela ne suffirait pas et il se ferait tuer, lamentablement.

Ce jour-là, comme à son habitude, l'ancien combattant avait passé sa matinée à s'occuper de l'entraînement, d'un petit jeune, ce jour-là, tout juste dans la vingtaine. Vif, adroit, assidu et à l'écoute, il n'était pas de ceux pensant qu'un borgne n'avait rien à leur apprendre. À ceux-là, notre ami avait tendance à leur montrer, à sa manière, qu'il pouvait leur apprendre des choses. Après tout, si en un contre un, ils n'étaient pas capables d'avoir le dessus d'un bon à rien à qui il manquait un œil, qu'est-ce que cela faisait d'eux ? Le jeunot avait des bases similaires aux siennes, le grappling. Lui venait plutôt du Jiu-Jitsu brésilien, mais, l’idéologie restait similaire et, de fait, le borgne savait quoi corriger chez lui, quoi lui enseigner pour le rendre plus complet. Comment attaquer debout, comment se défendre et surtout, comment se servir de ce qu'il connaissait dans le monde réel. Après tout, sur un tatami, c'était facile, encadré dans de bonnes conditions, mais à l'extérieur, avec la peur, la colère, l'adrénaline, il fallait savoir comment réagir, et ça, de simples mots ne suffisaient pas pour le faire intégrer.

Après avoir passé quelques heures à se taper dessus, le blondinet mit fin à la séance, commençant à fatiguer, mais surtout, à être affamé. Son comparse était encore jeune et avait de l'énergie à revendre, ce n'était plus tout à fait son cas et, son ventre commençant à hurler tel un ogre à l'agonie, sans doute était-il temps d'aller prendre un peu de quoi se remplir le bidou. L'idée était simple, récupérer à manger, rentrer dans sa chambre, se laver, manger là-bas et faire une bonne sieste avant de retourner à l'entraînement. Arrivant joyeusement non loin de la cantine, son sac sur le dos, Aiden entendit un bruit de fracas résonner, non loin. Quelqu'un devait être en train de manger, aussi. Une fois sur place, il eut la délicieuse surprise de découvrir … Naomi. Une jeune femme, voisine de chambre à la beauté irréelle. Le genre de femme que l'on suivait, dans l'Ancien Monde, sur instagram, s'émerveillant sur chacune de ses photos, en se demandant comment une femme pouvait être si belle, se demandant même si elle était réelle. Outre son visage merveilleux, la belle avait une silhouette capable de rendre jalouses de nombreuses femmes, mais sa plus grande arme restait son sourire. Même en parlant plusieurs langues, Aiden n'avait pas le moindre mot pour le décrire et … À peine leurs regards se croisèrent que cette arme lui fut lancée en pleine figure, le faisant sourire, de la plus idiote des manières, tandis que son cœur fit un sacré bond.

Tant fut-il ébahi qu'Aiden ne remarqua pas le sang qui coulait le long de sa main, se contentant de répondre idiotement à ce qu'elle venait de lui dire. « Oh, je sors de quelques heures d'entraînement je ... » Un long soupir. « Je suis affamé. » Un rire idiot avant de finalement se rendre compte de la situation. « Oh ... ». Tout en fronçant les sourcils, le petit vieux s'avança vers elle pour s'accroupir face à elle et se laisser tenter par lui prendre la main. Chose qui le fit très légèrement rougir, tandis que son cœur fit un nouveau bond. « Va falloir soigner ça. Mais vous êtes chanceuse, j'ai de quoi faire dans mon sac … Vous avez les mains toutes douces. » Un léger sourire, idiot, avant de soupirer longuement, dépité. « Désolé. » Accompagné d'un rire moqueur. Pourquoi avoir dit ça ? Devenait-il encore plus idiot en sa compagnie ? Possible. Son sac fut mis à terre avant de dégainer une petite trousse de secours. De la trousse fut dégainée une mignonnette d'alcool qu'il ouvra. « Ça … Va piquer. » Qu'il ponctua d'un froncement de nez, avant de verser dessus, pour finalement éponger le tout à l'aide d'un gaze. Une autre fut posée sur la blessure avant d'entourer la main d'une bande qu'il vint sceller avec du scotch marron épais, n'ayant rien d'autre sous la main. « Et voilà, comme neuve. » Un petit rire idiot. « Faudra sûrement en refaire pendant quelques jours, mais rien de bien méchant. Vos élèves vont sûrement vous poser tout un tas de questions par contre. » Ces petits chanceux. Lui, s'il avait eu une prof comme ça, il y serait allé bien volontiers, à l'école.

«Panse mes blessures »

Il était vrai que tous deux ne s'étaient que très peu adressés la parole, en fin de compte. Ils avaient beau vivre l'un face à l'autre, les échanges s'étaient principalement tenus aux politesses habituelles. Naomi était une femme d'une beauté renversante et, aller lui adresser la parole suffirait à donner des palpitations à n'importe qui. Lui, de toute façon, n'avait jamais été particulièrement doué dans le domaine, se contentant de vivre sa vie en laissant couler les jours et les événements, se contentant de ce que le destin voulait bien lui offrir. Au début, la belle était en compagnie d'un homme, alors, se montrer trop ouvert, trop chaleureux, peut-être que cela aurait pu causer des tensions inutiles. Après tout, rappelons-le, elle était d'une rare beauté. Nombreux devaient être ceux, celles aussi d'ailleurs, à espérer quelque chose. Ainsi, son compagnon devait certainement être sur la défensive, peut-être même un peu paranoïaque, autant éviter les ennuis. Quand celui-ci finit par perdre la vie, l'étranger n'aurait jamais su quoi dire, quoi faire. De toute façon, que pouvait-on dire dans ces moments-là ? Il n'y avait que la solitude et le temps pour aider à panser ses maux. Du moins, c'était ce que lui avait vécu, avait ressenti. Certes, ce n'était pas la même perte mais, voir sa mère morte devant lui avait arraché une partie de son âme, bien plus que la possibilité de tuer son paternel, de ses propres mains. Cette rage qui était en lui, ne l'avait jamais vraiment quitté et, la chance semblait être de son côté, capable d'enchaîner les combats clandestins pour extérioriser tout cela. Elle ? Elle ne semblait pas avoir ce besoin-là, alors, il se contenta de petits cadeaux, espérant que cela puisse aider. Que cela puisse la soulager, ne serait-ce qu'un instant, ou lui offrir un petit sourire. Ce n'était pas pour l'admirer, non, mais simplement pour que son cœur meurtri puisse se réchauffer, brièvement. Des chocolats, biscuits, ou même des bouteilles, furent parfois déposés devant sa porte, sans un mot, sans aucun sous-entendu. Peu importait qui les avaient déposés.

Alors, se retrouver face à face, à devoir réellement communiquer pour la première fois lui sembla … Étrange, au mieux. Des banalités, niaises, comme deux inconnus, évoquant la faim, l'heure de manger et ce genre de choses échangées entre deux personnes âgées. « Je ... » Un petit reniflement. « Je pense qu'il faut quand même un peu se rationner, on ne sait jamais comment sera la futur, surtout … Surtout après la fin du monde. » Un léger sourire, qui ne savait pas vraiment où se positionner. La faim, Aiden l'avait connue, de très près, dès son plus jeune âge. Il a longtemps vécu dans la pauvreté, avant d'être même dans la rue. Passer plusieurs jours sans manger était presque devenu banal, tout comme se battre pour les quelques miettes qu'on lui offrait. Ainsi, se rationner n'était pas d'une grande difficulté pour lui. Bientôt, notre ami joua à l'infirmier et se laissa aller à un commentaire idiot, malvenu et presque déplacé, qui le mit rapidement dans l'embarras. Malgré tout, son interlocutrice sembla s'en amuser, le remerciant, tout en voulant le rassurer, le qualifiant même de sauveur, ce qui le détendit et le fit rire. « Je suis juste là au bon moment, rien de plus je ... » Une légère grimace. « Je pense qu'il faut toujours se préparer au pire, de quoi se soigner est important. Je … Les médicaments se font de plus en plus rares et, l'idée qu'ils finissent par disparaître totalement n'est pas à exclure, autant éviter les infections, quelles qu'elles soient. Un bandage et de quoi désinfecter, on en trouvera toujours. » Qu'il ponctua d'un léger sourire, sans vraiment oser la regarder dans les yeux.

Le travail enfin terminé, Aiden y alla de son petit commentaire, ce qui amusa de nouveau la jeune femme, avant de lui proposer de manger ensemble, prétexant une éventuelle prochaine blessure qu'il pourrait sauver. L'idée lui tira un petit rire léger. « J'espère que vous … Heu ... » Un reniflement féroce tout en regardant le plafond. « On pourrait peut-être se tutoyer, pour commencer, non ? » Un petit sourire timide, avant de reprendre. « Mais … Oui, avec plaisir, je comptais retourner manger dans ma chambre, autant être accompagné, ça fera pas de mal. » Il récupéra un peu de viande séchée et du riz, froid, avant de les poser sur une table vide. « Je pensais que tu avais déjà fini de manger, en fait. Faut pas que … Enfin, que tu restes … Enfin, que tu te sentes forcée de rester hein ? »

«Panse mes blessures »

Même s'il ne la connaissait pas vraiment, Naomi avait toujours semblé à Aiden être une personne particulièrement douce et bienveillante. D'une nature profondément bonne, patiente, délicate et peut-être même altruiste. Sans doutes … Sans doute était-ce dû à un certain effet de halo que son charme, son sourire et son regard envoûtant dégageait, peut-être … Mais, malgré tout, il y avait cette chaleur qui émanait d'elle, ce qui ne pouvait la rendre que plus charmante encore. Si tant est que la chose puisse être possible. Il n'y avait qu'à voir comment elle était avec les enfants à qui elle enseignait pour se rendre compte de cette personnalité et de cet amour pour la chose et pour les gens. Le genre de professeur qui aurait certainement donné l'envie à notre homme d'y aller, en classe. Je ne parle pas là du fait qu'il aurait allègrement pu bavouiller sur elle pendant tout le cours, non, mais bien de cet entrain qu'elle mettait dans ce qu'elle faisait et de cette bonté. Bonté qui avait fait cruellement défaut à l'étranger lors de son enfance. Lui qui avait vécu dans la violence, la peur, la faim, la rage et le froid. Peut-être que, une si bonne personne aurait pu changer la trajectoire de sa vie. Peut-être, oui. Mais au final, sa vie, Aiden ne la regrettait pas tant que ça, il avait fait de grandes choses, l'espace d'un instant il était devenu quelqu'un, avant de tout perdre, bêtement et inutilement. Ses pêchés avaient été payées et, désormais, son histoire pouvait aider les gens. Il y avait pire, comme trajectoire.

Cette douceur perceptible de loin, l'ancien combattant put la voir, de près, de bien trop près. Sa façon de parler, de le remercier, d'insister sur l'aide qu'il avait pu apporter et surtout, son sourire. Oh, son sourire. La belle n'était pas avare sur ça, pourtant, c'était une arme redoutable qui le frappa violemment au cœur, le faisant s'emballer comme rarement, tandis que ses joues devinrent rouge, subrepticement, le faisant sourire comme un idiot. Comme un ado idiot, pour être plus précis. Ce n'était pas une chose qui semblait déranger son interlocutrice ou plutôt … Peut-être n'avait-elle pas remarqué ? Ou encore, peut-être, au contraire, avait-elle suffisamment l'habitude de faire fondre l’esprit de ceux à qui elle parlait que la chose avait fini par lui paraître anodine ? Oui, cela devait être ça, ça ne pouvait qu'être ça, d'ailleurs.

Un nouveau sourire, accompagné de remerciement pour son aide minuscule. La chose le fit doucement sourire, bêtement. « C'est tout normal. » Le tout avec un petit sourire presque fier, pour finalement remballer son matériel. La proposition de tutoiement fut rapidement acceptée, ce qui lui tira un petit sourire, avant que cela ne tourne autour d'un repas en tête à tête, plutôt qu'un solitaire dans sa chambre. « Oh je … Non … Non, c'est bien comme idée et puis … Oui ... » Un air gêné, un sourire en coin, le regard fuyant. « On a … On a pas trop discuté, oui. » Une petite grimace avant d'essayer de la regarder dans les yeux, difficilement. « Je … C'est que ... » Une main vint frotter nerveusement la nuque tandis qu'un long soupir fut expulsé. « Après … Après … Ça ... » Une nouvelle grimace, plus proche de la moue désolé et triste qu'autre chose. « Je … Je sais pas, je me disais que je pouvais essayer de dire quelque chose mais … » Un long soupir. « Je pense pas qu'il y ait grand chose à dire et, peut-être que … Je sais pas, ça aurait pu faire … Profiteur ? » Une petite moue gênée. « J'me dis … Que le gars seul et paumé approche la charmante petite professeur qui se retrouve seule après tout ça c'est … Enfin, je sais pas, bizarre ? » Un petit rire. « Donc, oui, on peut manger ensemble sans soucis, ça me fera plaisir. Et je pourrai certainement faire quelques jaloux si on nous voit. » Un rire gras, mais rapidement écarté par un long soupir. « Vu que je balance des conneries comme ça, ça aurait forcément semblé bizarre rapidement je … Désolé. »