have you seen my dad? (soren)

« Vous avez vu mon père ? Soren Lunde ? » Toujours la même réponse. Non. Des hochements de tête négatifs. C’était à croire que mon père avait été effacé des mémoires de tous les habitants de la Tanière :  pas une seule personne ne semblait avoir la moindre idée de qui je parlais. C’est ce qui arrive quand on a un père dont le niveau de sociabilité, sur une échelle de un à dix, se situait à peu près à moins douze. « Vous savez, le gars pas aimable qui apprend aux gens comment se taper dessus ? Non ? Toujours pas ? Ugh ! » Je savais qu’après les évènements de ces derniers jours, les gens avaient autre chose à faire que de répondre à mon avis de recherche. L’état de l’aéroport parlait de lui-même, tout comme les visages décomposés des uns et des autres. Il y avait eu des blessés, des morts… mais pour être tout à fait honnête, moi tout ce qui me préoccupait, c’était de m’assurer que mon père ne faisait pas partie de ceux à qui on avait irrémédiablement dû mettre une balle dans la tête avant qu’ils ne devienne un de ces rôdeurs décharnés. les autres… J’y penserai plus tard.

J’avais eu de la chance, dans tout ça. Quelques jours plus tôt, j’avais rejoint un convoi de marchands de la Tanière qui devait se rendre au Refuge pour vendre et troquer. A nous tous, nous avions un assortiment assez éclectique, et j’avais bon espoir que mes créations me permettent de revenir avec quelques petites choses utiles. Après une demi-journée de marche, dans la bonne humeur générale, nous avions passé la nuit à l’abri dans un immeuble non loin du stade, histoire d’être à l’abri, et nous arrivions tout juste sur les lieux du marché lorsque le sol s’était mis à trembler. Franchement, si ça n’avait tenu qu’à moi, je ne me serais pas attardée sur les lieux. A chacun ses problèmes après tout, inutile d’aller mettre son nez dans ceux des autres - à part quand c’est drôle, évidemment. Mais j’étais entourée de quelques âmes charitables qui avaient voulu aller prêter main forte aux habitants du refuge. Tout ce que je voulais, moi, c’était rentrer m’assurer que mon père allait bien, mais rentrer seule n’aurait pas été très raisonnable alors… J’avais attendu. J’avais aidé un peu, aussi, mais pas trop. Je n’étais pas là pour ça, et je n’étais pas nécessairement la personne la plus utile dans ce genre de situation. Loin de moi l’envie de jouer les wonder-woman, ce qui m’intéressait, c’était de rentrer à la maison et de préférence, pas en pièces détachées. J’avais hérité de quelques égratignures mais être à l’extérieur nous avais sauvé de l’effondrement de l’enceinte et des gradins du stade. Du sang tâchait mes vêtements, j’allais d’ailleurs avoir un mal fou à les détacher, mais ce n’était pas le mien.

Une secousse, une deuxième, des rôdeurs un peu partout, on avait fini avec quelques blessés qui, évidemment, avaient ralenti notre trajet du retour. La patience n’étant pas mon point fort, j’avais été beaucoup moins agréable sur le chemin du retour que je ne l’avais été à l’aller, encore moins quand il s’était avéré évident qu’il s’était passé quelque chose de pire qu’un tremblement de terre à la Tanière. Alors que nous approchions de la côte sur laquelle se situait notre camp, les environs nous apparurent de plus en plus dévastés. Des arbres couchés, des débris partout, les bâtiments déjà en piteux état à cause du manque d’entretien général en avaient eu aussi pris un sacré coup. Tout était trempé, et quelques explorateurs en quête de matériel pour réparer ce qui avait été détruit nous avaient vite confirmé ce que je craignais déjà.

A peine l’aéroport était-il entré dans ma ligne de mire que je m’étais mise à courir, délaissant mes compagnons de voyage. J’avais dû faire plus de cardio à cet instant que dans la totalité du mois écoulé. C’était donc essoufflée et le coeur battant à tout rompre que j’avais pénétré dans l’aéroport, l’angoisse me serrant l’estomac. Il n’était pas dans sa chambre. La salle d’entrainement peut-être ? La taverne ? En train d’aider je ne sais trop qui à faire je ne sais trop quoi ? Aucune idée. Sans plan particulier, j’arpentais l’aéroport à la recherche de la silhouette familière de mon père, le nœud que j’avais dans le ventre se serrant un peu plus à chaque minute qui passait. « Vous avez pas vu mon père ? Soren ?... Bon sang, il est où… » Est-ce que je commençais à paniquer ? Totalement. Je savais que mon père était un grand garçon, mais même les grands garçons peuvent se faire emporter par un tsunami.

J’ai eu de la chance, clairement, je ne saurais pas dire autrement. Pourquoi ? Parce que j’ai dormi un peu plus que ce que je suis capable les autres jours. Quand le premier tremblement de terre a eu lieu je me rendais à la salle d’entraînement. J’ai vu l’un des chefs de la Tanière et j’ai décidé de le suivre quand j’ai vu l’eau en bas de l’aéroport. Évidemment je ne me suis arrêté pour personne, à part une jeune femme dans les escaliers qui est tombée devant moi. Ce qui m’a rassuré, c’est de me dire que Sasha n’est pas ici, même si je suis foutrement inquiet car qui sait ce qui s’est passé là où elle se trouve. À la deuxième secousse, une partie du toit s’est effondré. Par chance, à part une coupure au front et un doigt cassé rien de grave. J’espère également que Sasha va bien.

Au moins je n’ai pas le temps de penser à tout ça, pas pour le moment. Je vais rapidement aider, après un bandage au doigt de fortune. Je vais aider à sortir les personnes des décombres, amener d’autres à l’infirmerie. Même si je suis asocial, je ne suis pas insensible, loin de là. Les garçons encore en forme, commencent à solidifier le toit, et évidemment je vais les aider. J’écoute attentivement les directives, car même si je suis bricoleur, pour le coup là, je ne m’y connais pas vraiment. Le matériel qui a été récupéré depuis la catastrophe est assez utile finalement. J’ai chaud, je suis crevé, douloureux, mais on travaille d’arrache pied pour que tout soit sécurisé. On nous dit forcément que le couloir sera condamné durant les réparations, et personne ne rechigne. Ça nous paraît assez logique à tous je pense.

On y passe une bonne partie de la journée. J’ai missionné un adolescent de me dire si ma fille revenait au camp mais ce n’est pas le cas. Je suis inquiet. Pour ne pas dire mort de trouille au fond de moi. Et si, par le plus grand des malheurs il lui était arrivé quelque chose ? Je savais que je n’aurais pas dû la laisser partir, même si je n’avais aucune envie de l’étouffer. Mais qui pourrait m’en vouloir après autant d’années passées loin d’elle ?

On finit de bien consolider les cales, et on regarde le travail accompli. J’ai mal au doigt, alors je me décide à faire un détour à l’infirmerie. On me remet le doit en place, on me le strappe, et en même temps on me suture rapidement la plaie au front. Je suis patient. Je repars avec une dose d’anti douleurs pour mon doigt, mais je n’en veux pas plus. Je supporterai, et au pire je tenterai le froid. Je sors de l’infirmerie et je décide comme beaucoup dans la journée d’aller voir les dégâts à l’extérieur. La salle d’entraînement est sur pieds, ce qui signifie que le travail reprendra bientôt pour moi. J’entends soudain mon nom, et une voix que je connais bien trop. Pourtant je ne perçois pas la propriétaire dans la foule. Elle aussi, pourquoi elle est petite. Je finis par repérer une touffe blonde. Ce peut-il être la sienne ?  « Sasha ? » J’accueille une tornade blonde dans mes bras, et je la serre avec toute la force qu’il me reste contre moi. Je murmure tout bas.  « Je suis là, ça va aller. »

De prime abord, on pouvait vite s'imaginer que rien ne m'inquiétait. Il est vrai que je n'avais pas toujours l'air d'être la personne la plus préoccupée par l'apocalypse que nous vivions tous. Ma philosophie ? A quoi bon s'arracher les cheveux pour quelque chose que, de toute façon, nous ne pouvions pas changer ? Autant vivre avec. Malgré tout, derrière mes airs de blonde écervelée, j'étais loin de sous-estimer la gravité des choses. La pluie, les rôdeurs, la rareté de certains matériaux et autres vivres... et maintenant, un tsunami. Dans un monde où l'eau était notre pire ennemi, il était difficile d'imaginer une catastrophe naturelle pire que celle-là. L'eau, ce liquide pourtant indispensable à la vie, était doté d'une force impitoyable quand elle décidait de tout dévaster sur son passage. Un raz-de-marée était déjà bien assez dangereux en lui-même, si on plus on y ajoutait le virus, les risques étaient décuplés. Survivre à la vague n'était plus suffisant : il fallait y parvenir sans se faire mouiller.

Le soulagement d'avoir été assez loin pour échapper à cette vague dévastatrice ne m'avait même pas traversé l'esprit. Alors que j'arpentais l'aéroport, l'estomac noué par la panique, seule la terreur à l'idée que mon père n'ait pas survécu occupait mon esprit. Si j'avais appris à guérir de ces années sans lui, et si j'étais loin d'être une enfant à présent, la gamine de douze ans à qui on avait arraché sa seule figure parentale était toujours là, tapie dans l'ombre. Ni les employés des services sociaux, ni les agents de police n'avaient pu stopper la petite tête blonde qui s'était précipitée vers son père quand il était sorti de la cellule où il était retenu en garde-à-vue pour être transféré vers la prison où il serait placé en détention. Alors que je le cherchais partout, la violence du moment où on m'avait forcée à le lâcher pour m'envoyer vivre dans une famille d'inconnus me revenait en tête, comme si c'était arrivé la veille.

Je ne pouvais pas le perdre. Pas encore.

Petite comme j’étais, il n’était pas facile de repérer qui que ce soit dans la foule qui s’affairait encore et la peur ne m’aidait pas à garder les idées claires. Après ces quelques minutes qui m’avaient parues une éternité, j’entendis enfin sa voix familière appeler mon nom. Tournant la tête dans sa direction, je repérai enfin mon père et sans perdre une seconde ni même me préoccuper de savoir qui je pourrais bousculer en cours de route, j’allais me précipiter dans ses bras. « J’ai eu tellement peur… » admis-je, blottie dans ses bras. Il me serrait peut-être un peu trop fort, mais ça m’étais parfaitement égal, d’autant que je faisais la même chose. Bon, nous n’avions pas tout à fait la même force, c’est vrai, mais peu importait. Fermant les yeux un instant, je laissai le soulagement s’emparer de moi et faire taire peu à peu la panique. « On nous a dit qu’il y avait eu un ras-de-marée, et je te trouvais nulle part, j’ai cru que… » Je n’osais même pas mettre des mots sur toutes les versions de sa potentielle mort qui m’avaient traversé l’esprit, et ça n’avait plus d’importance. Il était là. On inspire, et on expire. Je répétais cette manœuvre plusieurs fois, jusqu’à calmer un peu mes nerfs, avant de le lâcher pour le regarder. « Tu vas bien, hein ? Rien de grave ? » demandai-je, levant la main vers sa plaie au front, déjà suturée, avant de me raviser de peur de lui faire mal. J’étais moi-même dans un état lamentable, mais il y avait eu plus de peur que de mal, en ce qui me concernait. Quelques égratignures, notamment aux mains, récoltées quand j’avais chuté. J’avais aussi heurté mon genou mais n’avait récolté rien d’assez grave pour m’empêcher de faire la route jusqu’à la Tanière et si du sang tâchait mes vêtements poussiéreux, ce n’était majoritairement pas le mien.

Ce qu’il y a de plus précieux dans ma vie c’est elle. C’est Sasha. Alors mes premières pensées, elles vont toujours en sa direction. Et cette situation là n’y a pas fait exception. Je ne dirais pas qu’elle est irréfléchie mais je sais qu’elle n’a pas tendance à réfléchir avant d’agir, un défaut qu’elle a obtenu à la loterie de la génétique. Et ne sachant pas où elle se trouve, ça me rend un peu fou de ne pas savoir si elle va bien. Encore moins de ne pouvoir partir à sa recherche mais s’il y a une chose qui n’est pas idiote c’est bien celle d’arriver à la tentation de me lancer à dans un périple, sans même savoir vraiment où elle se trouve actuellement. Mais cela me met sur les nerfs, et je crois que toutes les personnes ayant croisés ma route dans les dernières heures ont senti ou subi ma mauvaise humeur.

M’occuper l’esprit a été le meilleur moyen de ne pas devenir fou et de ne pas partir d’ici, alors j’ai mis ma sociabilité merdique de côté et j’ai aidé, surtout aux soins et aux travaux de réparations. Je suis assez bricoleur alors je suis plus à l’aise dans le second mais je vais là où l’aide est nécessaire. L’effort physique et l’occupation mentale me défoulent aussi en plus de m’empêcher de penser à ma fille et à ce qui a pu lui arriver.

L’idée de ne plus la voir à nouveau, cette idée là, je la garde cloisonnée dans mon esprit, et même si elle menace de sortir toutes les deux minutes je tiens bon. Parce que si elle vient à s’immiscer dans mon esprit, elle envahira chacune des cellules de mon corps et je ne peux pas la laisser faire.

On est nombreux dans les couloirs pour s’assurer de la stabilité des murs et renforcer le plafond. Mais également pour soigner les gens, qui n’ont pas le besoin immédiat d’être à l’infirmerie déjà surpeuplée des blessés les plus graves. C’est un peu une vision de désolation que l’on peut observer. Je me demande à quoi ressemble les autres camps et si eux aussi ont eu leur lot de morts et de blessés ainsi que d’infrastructures abîmées. Je grimace légèrement à cette pensée. Je suis asocial mais cela ne m’empêche pas d’être humain et de compatir pour ce genre de choses. J’entends soudain mon prénom, plutôt de façon lointaine, et je regarde autour de moi. Jusqu’à ce que j’aperçois cette petite blonde au loin.

Je la serre dans mes bras en la soulevant du sol et je me fiche de l’écraser de mes bras.  « Tout va bien. » Je la garde dans mes bras en remontant une main jusqu’à son crâne. Je la berce légèrement en embrassant sa tempe.  « C’est pas une petite vague qui allait me faire peur va. Même si d’avoir dormi quelques minutes de plus m’a sûrement sauvé la vie. » Je ris légèrement, parce qu’en pensant à mon sommeil chaotique qu’elle connaît bien, elle peut comprendre le ridicule de la situation. Je la repose doucement au sol, après quelques minutes, et je viens poser ma main sur sa joue que je caresse doucement. Je la regarde lorsqu’elle rouvre les yeux et je lui souris, pour la rassurer, alors que je hoche la tête à sa question.  « Je vais bien à part la coupure et quelques hématomes. » Je sais aussi qu’elle va bien, parce qu’elle aurait sûrement couiné quand je l’ai serré contre moi. Je viens embrasser son front, un sourire aux lèvres puis je prends ses mains pour en regarder l’état, que je juge acceptable.  « Toi aussi tu vas bien ? » Et cette question, inclut également son état mental, car je sais que tout cela peut être traumatisant. Surtout quand je vois le sang séché sur ses vêtements, bien trop en surface pour être le sien, à part peut être le genou.

La problème avec mon imagination, c’est qu’entre le moment où j’avais appris pour le tsunami, et celui où j’avais enfin posé le regard sur mon père, j’avais eu le temps de me faire tous les scénarios possibles. Et ça, c’était en plus de ceux qui m’avaient déjà traversé l’esprit sur le chemin du retour, avant même que je ne découvre le paysage détrempé des environs de la Tanière. Alors même si mon père me serrait si fort qu’il allait finir par le couper le souffle, ça m’était égal. Cette sensation m’ancrait dans une réalité où il allait bien, et non dans les angoisses qui avaient tendance à surgir dès que la possibilité de le perdre se profilait. Dès que la gamine de douze ans qui n’avait jamais vraiment guérit d’une séparation violente avec sa seule famille refaisait surface.

Il allait bien. On allait bien tous les deux. Je pouvais respirer, ou en tout cas je pourrai le faire dès qu’il arrêterait de me serrer aussi fort.

Malgré sa plaisanterie, je savais que lui aussi avait eu peur. Il ignorait où j’étais quand le sol avait tremblé. J’aurais pu tout aussi bien me retrouver ensevelie sous des décombres. Nous avions eu la chance de ne pas risquer grand-chose, encore sur le chemin vers le Refuge quand le tremblement de terre avait eu lieu. Quant à mon père, c’est une panne de réveil qui l’avait sauvé. Qui aurait cru que ses nuits perturbées seraient un jour son salut ? Nous avions tous les deux eu de la chance sur le timing et la chance ne nous avait pas vraiment souri très souvent. De nouveau les deux pieds sur terre, mon père me rassura quand à son état. Pas de casse. Quelques bleus s’ajoutaient à sa plaie au front, mais la liste des bobos s’arrêtait là. Connaissant bien mon père, je ne remis pas sa parole en question. Si, comme tout le monde, on ne se racontait pas chacun des détails de nos vies respectives - pour le bien de l’un comme de l’autre - nous n’avions jamais eu pour habitude de nous mentir. Mon père ne m’avait jamais rien caché de ses activités avant que je ne vienne au monde, ni de celles de la femme qui m’avait mise au monde, ou des circonstances de ma naissance. Ces vérités n’avaient pas toujours été faciles à gérer, mais ça valait mieux que de se bercer de mensonges.


A son affirmation, je me contentais donc d’acquiescer d’un signe de la tête, rassurée de savoir qu’il n’y avait pas de raison de m’inquiéter davantage. Pendant ce temps, ce fut à mon père d’inspecter mon état. Je m’en étais bien sortie. Les égratignures à mes mains n’étaient pas importantes et si celle à mon genou avaient saigné un peu, ce n’était rien de très grave. Maladroite que j’étais, j’en avais vu d’autres. « Ca va. Enfin, ça va mieux, maintenant que je t’ai retrouvé… » admis-je, car on ne peut pas dire que les minutes qui avaient précédé aient été les meilleures de ma vie. « On n’avait pas encore atteint le Refuge quand le sol s’est mis à trembler. Une partie de l’enceinte s’est écroulée, mais on était assez loin, on ne risquait pas grand-chose. » Et puis, ayant grandi en Californie, je n’en étais pas à mon premier tremblement de terre. Ce n’était jamais une partie de plaisir, mais ce n’était pas une sensation qui m’était totalement étrangère. « Les autres ont voulu rester pour aider, sinon on serait rentrés plus tôt. » Baissant les yeux, je regardais mes vêtements tâchés de sang. J’avais participé, tant qu’à être là, mais ça n’avait pas vraiment été ma préoccupation principale. « Ca m’a laissé plein de temps pour m’imaginer toutes les façons dont tu pouvais être mort, c’était sympa,  » confiai-je, tentant vainement de noyer cette confession sous un peu d’ironie. Ces pensées n’avaient rien eu de sympa. Morbides. Terrifiantes. Angoissantes. « J’en ai vu d’autres. Je m’en remettrai, » ajoutai-je, lui adressant un petit sourire. Mon journal en entendrait parler, c’était certain, et cette journée finirait enfouie avec toutes les autres, au fin fond des pages de ce carnet que je planquais sous mon matelas.

Je sais qu’elle a dû s’imaginer milles scénarios dans sa petite tête blonde, tout comme j’en ai imaginé des milliers moi aussi. Je la serre dans mes bras en la décollant du sol, et je la garde fermement contre moi. Je déteste quand elle s’éloigne du camp ou de moi, mais je me fais violence pour la laisser vivre et pour la laisser profiter même si c’est très dur. Je frotte doucement son dos, en fermant les yeux l’espace d’un instant. Elle va bien, elle est en vie, et j’apaise mon cœur et mon angoisse en me répétant ces mots dans ma tête.

Elle va bien, elle est en vie. Nous sommes tous les deux en vie. C’est ce qui compte. S’il devait lui arriver quelque chose je crois que j’en perdrais les pédales.

Déjà là, je n’en avais pas été loin. Autant je me fichais un peu de ce qu’il pouvait m’arriver, autant de ne pas savoir où elle était ni même si elle allait bien avait bien failli par me rendre fou. Je m’estime malgré tout chanceux, car si je m’étais levé plus tôt, j’aurais sûrement été dans un autre état. Et je n’aurais pas pu la serrer dans mes bras comme je le fais actuellement. J’embrasse sa joue, à plusieurs reprises puis je la dépose sur le sol. Je l’ai bien assez étouffé pour le moment. Je n’ai presque rien eu, si ce n’est le morceau de béton qui m’a écorché le front. J’ai aussi des courbatures mais rien qui nécessite de l’alarmer. Je n’ai aucun intérêt à lui mentir comme je vais bien. C’est d’ailleurs quelque chose que je n’ai jamais vraiment fait. Elle sait à peu près tout ce qu’elle doit savoir, même sur sa mère, sur ce que je faisais avant. Avec mon emprisonnement, je voulais qu’elle est toutes les cartes en main pour se construire même si ça devait compliquer les choses.

Je l’inspecte à mon tour, et je ne perds pas de temps. Je sais que la plupart du sang n’est pas le sien, car je n’aurais jamais pu la serrer ainsi dans mes bras. Je glisse ma main sur son visage et je dégage ses mèches de cheveux avec douceur. Je viens embrasser son front et je murmure.  « Je suis heureux que tu ailles bien. » Je peux véritablement souffler mon soulagement. Je me tais pour l’écouter me raconter ce qui s’est passé de son côté. Je songe à Aaron, au Refuge lorsqu’elle m’explique ce qui est arrivé là bas. J’espère au fond de moi qu’il va bien, car je n’aurais pas le temps de m’y rendre pendant un moment avec la reconstruction ici.  « Tu as bien fait de rester là bas.. les eaux ont refluées assez tard ici.. » Je viens doucement glisser mes mains sur son visage lorsqu’elle le baisse, et je le lui relève avec douceur en caressant ses joues.  « Je suis fier de toi, que tu aies apporté ton aide là bas. Et me concernant tu sais que je suis solide et que je me laisse pas facilement avoir.

Je vois bien que cela la travaille, et je glisse mes bras autour de ses épaules pour la serrer dans mes bras.  « Et même s’il doit m’arriver quoi que ce soit, la priorité c’est que toi tu sois en sécurité. Tu dois d’abord penser à ta propre vie tu te souviens ? » S’il y a quelque chose que je lui ai appris à faire c’est de penser à elle et sa sécurité avant toute chose. Il n’est pas question qu’il lui arrive quoi que ce soit parce qu’elle a peur pour moi. Je ne me le pardonnerai jamais. Lorsqu’elle reprend la parole, je hoche légèrement la tête. Elle en a vu d’autres, c’est sûr, mais c’est trop cynique pour lui correspondre. J’embrasse son front avant de dire.  « Aller viens, on va évacuer la journée en faisant du combat. Ensuite on méritera notre douche et un bon repas. »

Cher journal, aujourd’hui j’ai ajouté cinquantes nouveaux scénarios à la liste des manières dont je pourrais perdre mon père. je m’y voyais déjà, moi et ce bon vieux carnet où j’avais pris l’habitude de coucher mes pensées depuis mon adolescence. J’avais eu de quoi en remplir, et l’apocalypse en cours s’assurait que je ne manquerais jamais de contenu. Un tremblement de terre et un tsunami sur la côte Est des Etats Unis. Ce monde était véritablement détraqué. En même temps, vu la manière dont les Hommes avaient malmené cette bonne vieille planète, je suppose que ce n’était qu’un juste retour de karma…

L’heure n’était toutefois pas à la philosophie de comptoir. J’aurais tout le temps de débattre avec moi-même sur ces questions existentielles une fois de retour dans ma chambre, en tête-à-tête avec mon journal. C’était à ça qu’il servait, après tout. Faire de l’ordre dans ma tête et mes émotions, du mieux que je le pouvais. Beaucoup de responsabilités pour quelques simples feuilles de papier reliées. Apparemment, l’eau avait mis un moment à retrouver sa place dans l’océan. Je n’avais pas encore pris le temps d’en faire l’inventaire, mais les dégâts devaient être considérables - matériels, et humains. Mon inquiétude concernant mon père avait tout occulté et je n’avais pas vraiment pris le temps de m’inquiéter pour qui ou quoi que ce soit d’autre. Encore maintenant, l’ampleur des potentiels dégâts était trop pour ma petite tête. « J’ai pas eu trop le choix, j’allais pas faire la route toute seule, » répondis-je avec un haussement d’épaules lorsqu’il me félicita d’avoir aidé au Refuge. Je n’y avais pas franchement fait grand-chose. Mes points forts n’étaient ni de gérer les blessés, ni de combattre les rôdeurs. J’avais fait ce qu’on m’avait demandé, en attendant qu’on puisse mettre les voiles.

Lorsque mon père me rappela que j’étais censée m’inquiéter pour moi et pas lui, je ne pu m’empêcher de lever les yeux au ciel, alors qu’il passait un bras autour de mes épaules. Comme si c’était aussi simple que ça. J’avais passé la moitié de ma vie à m’inquiéter pour lui, arrivée là, c’était devenu mon réglage par défaut. « Je suis douée pour faire plusieurs choses à la fois tu sais, je peux m’inquiéter pour toi ET pour moi en même temps, » répliquai-je, préférant plaisanter que rentrer dans le cercle vicieux de la déprime en pensant au fait que ce monde de cinglé pourrait m’arracher mon père à tout moment. Encore. Comme si on ne m’en avait pas déjà assez privée. « Et puis je m’inquiétais surtout pour mon héritage, tu sais. Je sais même pas où t’as foutu ton testament, » ajoutai-je, m’enterrant toujours plus sous un amas de bêtises, pour fuir la vérité que ses paroles rappelaient avec zéro subtilité. C'était bien connu, les testaments étaient main courante, de nos jours. Une véritable fortune m'attendait.

A en croire mon père, c'était un entraînement qui m'attendait, plutôt qu'un héritage. « Alors oui, mais non, » protestai-je. Déjà que je ne m'entraînais pas toujours de gaieté de coeur, là, j'avais envie de tout, sauf de ça. « Je veux une douche, et à manger. Je t'aide à remettre de l'ordre dans la salle d'entraînement si ça te fait plaisir, mais APRES la douche. » J'étais couverte de sang et de poussière, et nous n'avions pas vraiment pris le temps de nous restaurer. Partant du principe que nous pourrions trouver de quoi manger sur le marché du refuge, nous n'avions prévu de quoi nous restaurer qu'en quantité limitée.

Je sais que notre passé a laissé des marques, autant chez elle que chez moi. Quel enfant de 12 ans voyant son père faire ce que j’ai fais sous ses yeux n’aurait pas de traumatisme sans parler de l’arrestation. Jeu toujours regretté au fond de moi la façon dont je m’y suis pris pour régler le problème, mais je n’ai jamais regretté d’avoir ôté cette vie. Menacer ma fille, me menacer à travers elle, jamais je n’aurais pu laisser passer ça. Même si c’était entièrement ma faute. J’ai été honnête avec Sasha quand je l’ai jugée en âge de véritablement comprendre, elle avait 15 ans si mes souvenirs sont bons. Dans une lettre. J’ai pu tout lui explique, le pourquoi du comment de la chose afin qu’elle puisse se reconstruire loin de moi.

Quand j’ai retrouvé la fille à ma sortie de prison, je me suis juré de rattraper toutes les années qui nous avaient séparé l’un de l’autre, tout en continuant mon rôle de père en la protégeant. Mais une nouvelle chose arriva, indépendamment de notre famille cette fois, et quelque part je ne saurais dire si la vie nous avait accordé le droit d’être heureux après tant d’années, d’avoir été ensemble ce jour là. Alors quand le séisme a frappé la ville la première chose à laquelle j’ai pensé évidemment, c’est à ma fille. Loin de moi. J’ai du lutter contre moi même de très longues minutes pour ne pas partir à sa recherche. Mais je savais que c’était chercher une aiguille dans une botte de foin et surtout trop dangereux. Attendre. C’était le mieux à faire mais ça m’a coûté. Par chance pour moi et malchance pour les autres, j’ai eu de quoi m’occuper. Et visiblement elle aussi, ce qui lui a évité un départ précipité. Je souris légèrement lorsqu’elle dit qu’elle n’aurait pas pu faire la route seule.  « Tu aurais pu, si tu t’entraînais comme je te le rabâche… » Je suis taquin mais au fond c’est un sujet sérieux pour moi. Je sais que ce n’est pas pour elle, mais je ne le fais pas pour l’embêter.

Je sais aussi qu’elle passe son temps à s’inquiéter pour moi et non pour elle. C’est aussi un sujet de discorde entre nous. Je glisse mon bras autour de ses épaules et je la regarde.  « Pas quand tu es en danger Sasha. Tu ne peux pas avoir de bons réflexes si tu n’es pas totalement concentrée sur ta survie. Tu ne peux rien faire pour ceux qui sont pas là mais tu peux te sauver toi. » Je frotte doucement son bras parce que je sais que c’est un sujet qu’elle n’aime pas aborder mais il est important à mes yeux qu’elle comprenne au moins ça. Lorsqu’elle poursuit sur don héritage, je lève les yeux au ciel un peu amusé. Je lâche un rire avant de répondre à ses mots.  « Une salle d’entraînement et des chemises de bûcherons. » Je le regarde avec amusement avant de marcher tranquillement à ses côtés.

D’ailleurs je lui propose un entraînement. Je ris légèrement d’ailleurs quand elle proteste, comme je me doutais.  « Le mieux est de ranger avant quand même. Parce que tu risques de transpirer et de sentir ensuite toute la nuit. » Je marche vers l’intérieur du bâtiment, en l’ayant toujours contre moi. Se restaurer me semble une bonne idée, alors direction la Taverne.  « En plus pour les douches je crains que tu fasses face à une pénurie d’eau chaude en y allant maintenant. » Beaucoup de gens sont passés par les douches sans parler de l’eau utilisée à l’infirmerie pour soigner et nettoyer les blessés ainsi que le matériel.

Je n’étais pas taillée pour la survie. Certains n’avaient pas attendu la fin du monde pour apprendre à se défendre, et si je savais me contenter de peu malgré mes allures de jolie barbie, je n’avais pas grand chose en commun avec Rambo. Mon père se tuait à essayer de m’apprendre à me battre pour survivre dans ce nouveau monde mais têtue, je préférais faire tout… sauf m’entraîner. J’étais moins une catastrophe ambulante que je ne l’étais au moment de la première pluie, parce qu’il en m’avait pas laissé le choix, mais ma stratégie s’apparentait plutôt à celle de l'opossum : ne pas bouger, faire la morte en attendant que le danger disparaisse, que le prédateur trouver une proie plus appétissante à se mettre sous la dent. Malheureusement, cette technique n’était pas applicable à toutes les situations.

La remarque de mon père, lorsque je lui avais fait remarquer que j’aurais préféré rentrer que de m’attarder au Refuge mais n’avais pas voulu tenter cette aventure en solitaire ne fut donc pas une surprise. Je l’avais vue venir à quinze kilomètres, et il n’obtint en retour qu’une grimace. La violence, ça n’avait jamais été mon truc, et ça l’était encore moins depuis ce jour où je l’avais vu tuer un homme sous mes yeux, pour me protéger. le genre d’évènement qui a le don de vous marquer à vie, et de laisser des traces. Pas autant que la brutalité de notre séparation, qui m’avait au final beaucoup plus traumatisée, mais assez pour ne pas être friande d’armes, de sang, et autres joyeusetés. La seule sensation d’une arme à feu entre mes mains me mettait extrêmement mal à l’aise. J’avais appris à m’en servir,  j’en emportais avec moi lorsque je devais quitter le camp, mais je préférais ne pas avoir à les utiliser si je pouvais l’éviter. Inutile, toutefois, de se lancer dans ce débat, dans lequel nous finissions toujours pas tourner en rond.

Il en allait de même pour cet éternel conseil de mon père : penser à moi d’abord. Ma survie. Ma sécurité, et non la sienne. Si je ne faisais aucun effort pour ce qui était des entraînements, je ne pouvais pas faire grand chose pour mon inquiétude constante pour mon père. « Tu sais bien que c’est plus fort que moi.. Après toutes ces années à m’inquiéter pour toi… c’est devenu mon réglage par défaut. » avouai-je en baissant la tête. je savais qu’il culpabilisait pour les années de séparation que sa peine de prison nous avaient infligées. Loin de moi l’envie d’en rajouter une couche, mais c’était un fait : il n’y avait pas eu un jour où je ne m’étais pas fait du souci pour lui. Encore aujourd’hui, je n’avais pas besoin d’un tremblement de terre ou d’un tsunami pour refaire naître cette vieille angoisse. On se connaissait bien, elle et moi. Elle couvrait un nombre incalculable de pages de mes journaux. « Je peux pas te perdre encore. Et puis franchement, il est pourri ton héritage, ça vaut même pas le coup. Tes chemise, ok, mais la salle d’entraînement ? Non merci. » j’aurais de quoi m’en faire un sacré atelier, cela dit…

Si m’entraîner après mon périple et toutes les émotions de la journée était exclu, je n’étais pas contre prêter main forte à mon père pour remettre en état son lieu de travail. Ma seule condition, c’était de manger un morceau avant, et de me débarrasser de mes vêtements couverts de sang. S’il ne fit pas le difficile pour ce qui était de me nourrir, il fit preuve d’une logique quasi imparable pour me dissuader à aller me doucher. La sueur… Je pouvais toujours me laver à nouveau. Une douche froide par contre ? Non, merci. Pas si je pouvais l’éviter. « Okay… » soupirai-je. « mais tu me laisses quand même le temps de me changer. J’ai pas besoin de repasser par ma chambre, j’ai ce qu’il faut ici, » lui rappelai-je, désignant le sac à dos qui m’avait accompagnée dans mon périple. « Mais quelque chose me dit que tu seras plus gêné que moi si je commençais à me changer au milieu de la Taverne, » hasardai-je, un air malicieux sur le visage. Tout en parlant, j’avais déjà commencé à bifurquer vers les toilettes les plus proches, me dégageant du bras qu’il avait passé par-dessus mes épaules. « J’en ai pour deux minutes, Captain Lunde ! » lançai-je accompagnant mes paroles d’un salut militaire qui n’avait probablement rien de règlementaire, tout en me dirigeant en marche arrière vers les toilettes,  manquant au passage de finir par terre après avoir bousculé quelqu’un.

Deux minutes top chrono ? Aucune idée. Mais il ne me fallu pas bien longtemps pour quitter les toilettes avec des vêtements propres. Vu l’état de ceux avec lesquels j’étais rentrée, ils avaient filé droit à la poubelle - même moi, je ne pouvais plus rien pour eux. Comme si de rien n’étais, je replaçais le bras de mon père au-dessus de mes épaules. « C’est bon, je suis prête à me faire exploiter, » lançai-je, tout en reprenant notre route vers la Traverse. Vu les évènements récents, le repas serait probablement d’une grande simplicité, mais tant que je n’avais pas à bosser l’estomac vide, ça m’allait !

J’aime l’idée qu’elle pense à sa survie parce qu’elle n’aime pas la violence, cela lui a permis d’être hors de danger. Je récolte une grimace quand je le lui fais remarquer et je lève les yeux au ciel. Elle a pensé à elle en premier et j’en suis content. Parce que je n’aime pas qu’elle pense à moi, avant de penser à elle. Elle n’a pas à s’inquiéter, c’est moi le parent. Je ne suis pas un bon parent mais c’est ma place, et non la sienne. Je la regarde avant de venir glisser ses cheveux derrière son oreille et je soupire un peu.  « Je sais. Je sais bien Sasha. Mais il va falloir le changer ton réglage par défaut. Je m’en veux, je sais que ce que j’ai fais a traumatisé l’enfant que tu étais, et que j’ai bousillé une grande partie de ta vie, mais même si on ne vécu une apocalypse, je veux que tu essaies, quand tu es en sécurité toi, de vivre ta vie. »

Je n’aime pas la voir triste, et voir qu’elle se sent coupable. Elle n’a rien fait de mal, c’est moi qui ait détruit nos vies. Je l’attrape dans mes bras pour la serrer contre moi et j’embrasse son front et son crâne à plusieurs reprises.  « Il va en falloir de la force pour venir m’arracher à toi à présent. Je suis désolé pour de ne pas avoir été là pour te regarder grandir mais sache que je suis très fier de ce que tu es devenu. Je t’aime Sasha. Je viens doucement caresser ses joues, avec douceur avant d’ajouter.  « Et même si tu n’aimes pas ça, je veux que tu t’entraînes à te défendre. En plus tu pourrais avoir à me défendre un jour. Ou même un jour ta propre famille.. je sais que ça arrivera à un jour, parce que même si je te vois encore mon bébé je sais que tu es une femme maintenant. » Je souris légèrement en déposant mes lèvres sur son front.  « Et ça fait mal de me dire ça. Ça fait de moi un vieux. »

Je souris légèrement en lui proposant un entraînement qu’elle refuse et je rigole. Tiens donc, suis-je vraiment étonné. Elle accepte néanmoins d’aider alors ça me fait sourire. Je souris légèrement lorsqu’elle dit qu’elle a de quoi se changer sur elle. Ça non plus ça ne m’étonne pas.  « Même à l’école primaire tu prenais une deuxième tenue. Tu étais infernale. » Je lève les yeux au ciel en secouant la tête lorsqu’elle parle de se changer au milieu de la Tanière.  « Je reformule : tu es infernale ! » Je la relâche en lui faisant signe de s’en aller et je secoue la tête avec un sourire amusé. Je lève les yeux lorsqu’elle m’appelle capitaine Lunde et je soupire.  « Je préfère papa c’est mieux. »

Je suis appuyé contre le mur en patientant du retour de Sasha. Je suis content de la retrouver et soulagé qu’elle n’ait rien alors je peux enfin me détendre. Je respire profondément en regardant la vie autour de moi, comme si j’étais dans une autre dimension ou que j’observais derrière un mur de verre. Je me sens plus léger. Lorsqu’elle revient, je me décolle du mur et je souris quand elle repasse mon bras autour de ses épaules. Je la serre contre moi en embrassant sa tempe.  « Allons remplir ta pense, j’ai pas envie de t’entendre râler toute la soirée. » Je prends son sac sur mon épaule, et je nous entraîne en direction de la taverne. La nuit allait être longue pour moi, mais je sais que je ne pousserai pas Sasha à rester tard si elle ne le voulait pas.  « J’ai ma chemise préférée à te faire réparer. »

Au remarques de mon père sur les conséquences de ses erreurs passées, je levais les yeux au ciel. Est-ce que ça avait été une partie de plaisir ? Pas vraiment. Être témoin d’un acte aussi violent, et le traumatisme de cette séparation forcée de ma seule famille ? Ca marquerait n’importe quel gamine de douze ans, on ne va pas non plus se mentir mais compte tenu des circonstances, j’estimais n’avoir pas trop mal tourné. Sans tout ça, tout aurait été différent et moi aussi. Peut être que je n’aurais pas survécu à cette apocalypse. Peut-être que je n’aurais pas ce talent pour toujours chercher le bon côté des choses, même quand tout semble sombre. J’avais appris à relativiser. A me réjouir des petites choses, même quand tout le reste laissait à désirer. « T’as rien bousillé du tout, Papa, arrête avec ça. Je vais pas te dire que c’était rigolo tous les jours, mais au bout du compte, j’ai eu de la chance. Tu sais très bien que je ne t’en ai jamais voulu, et puis on est ensemble maintenant, c’est le plus important. » J’aurais pu être baladée de famille d’accueil en foyers toute mon adolescence, sans jamais trouver ma place, me retrouver seule face à tout ça, mais le destin m’avait fait croiser la route d’une famille qui, sans jamais remplacer mon père, m’avait accueillie à bras ouverts, et auprès de qui j’avais pu me construire et m’épanouir. La pluie aurait aussi pu nous séparer de manière permanente, chacun à un bout du pays. Je choisissais donc de voir le bon côté des choses, même si le mauvais continuait de me travailler parfois. « Mais avec tout le temps qu’on a perdu, plus les intérêts… tu me dois encore au moins vingt ans. » Parce que rester sérieuse deux secondes, c’était trop demander. Parce que repenser à tout ça, ce n’était jamais simple. Parce que j’en avais déjà bien trop parlé durant mes nombreuses sessions chez le psy. Si lui vivait toujours avec cette culpabilité, je ne lui en avais pour ma part jamais voulu.

Je manquais de m’étouffer lorsqu’il mentionna qu’un jour, je pourrais avoir à défendre ma propre famille. « Wow, tu t’emballes là, papa. Crois-moi, t’es pas prêt d’être grand-père. C’était pas dans mes plans avant que le monde parte en cacahuète, et ça l’est encore moins maintenant. » Mon histoire d’amour la plus sérieuse avait été pour le moins chaotique et si j’avais aimé Liam de tout mon cœur, nous n’étions ni l’un ni l’autre prêts à être parents. Pas dans l’immédiat, en tout cas, et ça l’était encore moins maintenant, dans ce monde qui ne ressemblait plus à rien. Vous m’imaginez, fuir les zombies avec un nourrisson coincé dans un porte-bébé ? Non, franchement, je tenais déjà bien assez difficilement sur mes canes avec mon seul poids à porter, n’allons pas y ajouter un fardeau supplémentaire, ça ne serait pas juste pour ce pauvre bébé qui n’avait rien demandé. « Mais promis, j’essaierai de faire un effort sur les entraînements. » Il y avait de la marge pour les efforts, sachant que pour l’instant je fuyais à la première occasion, je ne pouvais que faire mieux.

Sur ces belles promesses, j’étais allée me changer sous les moqueries de mon père. Oui, j’avais prévu un change. Je partais deux jours, je n’étais pas une sauvage, j’avais prévu de quoi me changer. On ne sait jamais. J’avais bien fait, la preuve. Au moins, je n’aurais pas à me balader toute la journée avec des vêtements couverts de sang. Vêtements propres sur le dos, nous avions pris la route de la Taverne. Je gratifiai mon père d’une grimace lorsqu’il affirma que je râlerais toute la soirée si j’avais le ventre vide. Il avait raison, mais ce n’était pas la peine de le dire. Sans grande surprise, le menu du jour se composait de sandwichs réalisés avec les moyens du bord, « Ca c’est dans mes cordes. Tu me la passera tout à l’heure, j’essaierai de te faire ça demain. » Ou le soir-même, quand le contre-coup de cette journée bien animée m’empêcherait de dormir ? Peut-être.

L’avantage des sandwich, c’est que nous pouvions repartir avec pour les manger en chemin, ce qui nous évita de perdre du temps au réfectoire. Si mon père était déjà passé par là pour constater les dégâts, ce n’était pas mon cas et ma conclusion ne se fit pas attendre : « Un entraînement aurait peut-être été moins fatigant, finalement… » constatai-je, balayant les lieux du regard avec un soupire. Quand faut y aller…