After the wind, a goddamn hurricane

Vent glacial, ciel partiellement ouvert sur une lumière aussi pâle que diffuse qui serait aveuglante s’il avait eu le malheur de neiger. Ce début décembre avait été clément pour l’instant, mais de là à plonger Darius dans l’atmosphère de Noël… Les jours se succédaient sur le calendrier et perdaient leur signification des temps jadis, pulvérisés par l’ère nouvelle et terrifiante où seule comptait la subsistance jusqu’à demain, ou par chance, jusqu’à la fin de la semaine. Perché au sommet du Nid d’aigle – ainsi qu’il avait renommé la tour de contrôle – dégagé de son abri en cas de pluie, Darius dominait les activités de l’aéroport et observait loin vers l’ouest, vision dégagée sur le pont effondré qui menait à la Tanière. Étalé de tout son long sur un semblant de couverture qui n’améliorait en rien le confort précaire, bétonné et glacé du sol, armé de jumelles longue distance, il surveillait en réalité les abords du centre-ville de l’autre côté de la rivière. A cet instant, le vieux ronchon aurait tué pour une clope et une thermos de café.

Sauf qu’il n’était pas là pour se plaindre ; il avait donné rendez-vous à Raffaela pour poursuivre sa formation certes sommaire. L’ancien officier analyste avait rapidement compris qu’il ne la transformerait pas en tireuse d’élite pas plus qu’en combattante experte et, de toute manière, cela n’avait jamais été son intention. La dame, avec son grandiloquent caractère, possédait d’autres qualités à affûter pour le terrain qui serait bientôt le sien : la Colline. L’envoyer là-bas était un pari dangereux, tant pour la scientifique que pour la Tanière. Autant ne rien laisser au hasard et lui donner des clés solides pour son infiltration. Darius avait été immédiatement bluffé par la mémoire de Raffaela ; c’était là un atout capital, à condition de savoir quoi examiner. Pour cette fin d’après-midi, en lui proposant d’être son spotter – son binôme d’observation –, ce drôle de petit génie aurait son content de détails à décortiquer.

Aquilon, alors couchée en sphinx et tête posée sur ses pattes, agita une oreille. Quelqu’un s’en venait dans la salle de contrôle, juste en-dessous d’eux. On y avait aménagé une échelle pour accéder plus facilement à l’extérieur encore occupé par tous les outils de mesure et de communication propres à une tour d’aéroport. Darius se mordilla la lèvre, amusé par l’ascension de la femme avec ses inséparables talons aiguilles. Cela n’avait pas été gagné d’avance, mais le texan avait trouvé des raisons de l’apprécier. A vouloir se rendre utile malgré ses grands airs de diva… Elle avait en fait tout pour que Darius ne résiste pas à l’envie de la taquiner. Mais puisqu’elle partirait bientôt pour la Colline – à son sens, une grande perte pour l’ambiance de la Tanière – Raffie pourrait aussi, si possible, lui rendre un service. Il se renfrogna dans sa barbe salée et tenta de chasser la pensée de son fils en renfonçant son chapeau bien sur son crâne.

Le chien soldat gronda doucement à l’approche de la scientifique. Darius grogna ses salutations en se redressant sur ses coudes endoloris et posa la paire de jumelles. « Howdy, Beauté. J’espère que t’as apporté le goûter. On va crécher là un moment, tu vas me détester. » Il ponctua d'un sourire aussi sardonique que ravageur. D’un geste, il invita Raffie à s’installer sur l’épais sac de couchage, bien plus confortable que n’importe quel poste d’observateur qu’il aurait conçu pour d’autres. Une attention discrète, pas grand-chose sans doute, mais savoir ménager les troupes et les sensibilités de chacun, au lieu de les traiter comme de la chair à canon, c’était ça aussi, rester humain et conserver ce qu’ils avaient de précieux. D’un sac à côté d’Aquilon, il sortit une paire de moufles élégantes et une chapka noire dégotée il y a longtemps au centre commercial. « Tiens, c’est cadeau. J’m’en voudrais si tu choppais des engelures. » Et à présent qu’elle était là, Darius abandonna le centre-ville pour se focaliser sur l’aire occupée par la Tanière. « On a une journée venteuse, c’est parfait. » Parfait pour choper la crève, oui ! Alors qu’il entamait les explications de ce qu’il comptait faire, le cow-boy assembla son fusil Barrett tel un automate organisé et expérimenté. « Avec les jumelles, regarde la manche à vent à côté de la piste, là-bas. Dis-moi ce que tu en déduis. » Il désigna le drapeau rayé orange et blanc qui claquait presque à l’horizontale. Il lui avait appris dernièrement à en estimer la vitesse des vents et leur direction. L’arme positionnée sur ses béquilles direction nord-nord-est, le Morton aligna plusieurs boites de munitions différentes. Avec l’aide de Raffie, il devrait pouvoir dégager la route vers l’hôpital au nord des rôdeurs aventureux.

Tu savais en acceptant cette mission que tu t’engageais dans quelque chose d’énorme. Ce que tu ne savais pas, c’est qu’on allait profiter des semaines avant ton départ pour t’enseigner tout et n’importe quoi pour te préparer à toutes les éventualités. Toi qui pensais tout savoir, tu détestais ce rôle d’élève, mais étrangement, tu ne t’en plaignais pas trop. Tu avais conscience de l’importance de devoir te défendre, ce que tu comprenais moins, c’était pourquoi tu devais te rendre dans cette tour de contrôle pour calculer le vent. Est-ce que ça pouvait vraiment te servir dans ta mission à venir ? Tu en doutais fortement, mais Darius avait l’air de le penser et surtout d’y tenir. Tu faisais ton effort. Malgré vos caractères respectifs vous aviez développé une certaine proximité à laquelle tu tenais. Et qui, bien sûr, pourrait toujours t’être utile dans un futur plus ou moins loin.

Cet après-midi là, tu avais un rendez-vous qui ne t’enchantait guère, mais essentiel. Aux pieds de l’échelle, un profond soupir s’échappa de tes lèvres. Il était sérieux, lui ? Il ne t’avait pas prévenu de ce petit détail technique. Il s’attendait vraiment à ce que tu grimpes cette échelle ? Toi ? Raffaela Mariani ? Tu pris un moment avant de te décider et à te lancer dans ton ascension. Tu n’avais pas les chaussures adaptées, mais ça, c’était une classique avec toi. Tu préférais tes talons hauts aux autres chaussures ce qui te mettaient parfois dans des situations délicates…

C’est avec un air grognon sur le visage que tu atteins finalement le haut de la tour d’observation. Tu jetas à peine un coup d’œil au chien avant d’avancer pour profiter, au moins, de la vue en hauteur. « Je te déteste déjà. Tu me n’avais pas dit qu’il y aurait une échelle à monter. Une échelle ? Tu réalises ? Tu iras te chercher ton goûter tout seul. J’ai déjà trop donné. » Comme souvent, ton ton n’avait rien d’agréable. On pouvait sentir à des kilomètres à la ronde que tu étais contrariée. Et ton air ne s’améliora pas lorsque Darius te désigna un sac de couchage où il avait espoir de te voir t’installer. Tu plissas du nez avant de soupirer de nouveau. Tu notais l’effort au niveau des coussins. Tu n’aurais pas la sensation d’être assise à même le sol. C’est finalement un sourire qui se dessina sur tes lèvres à la vue des moufles, mais surtout du chapeau. Là, tu voyais réellement l’effort. C’était beau, c’était élégant et c’était propre… Presque neuf. « Ça, ça me plait davantage. » C’était ta façon de le remercier tandis que tu attrapais tes nouveaux vêtements. Tu enfilas le chapeau en premier, mais tu laissas tes mains dégagées pour le moment.

Maintenant, Darius entra dans le vif du sujet et le plus honnêtement du monde, tu le questionnas : « Pourquoi je suis là Darius ? Je m’en vais jouer les scientifiques pour la Coline, en quoi connaître le sens ou la force du vent va m’aider ? » Tu ne voulais pas dénigrer son travail, mais c’était un peu ta façon de le faire. Néanmoins, ça ne t’empêcha pas de te saisir des jumelles et de les positionner non loin de ton visage. Bien sûr, sans les faire touche à ton nez. Tu ne leur faisais pas confiance. Tu n’avais pas la meilleure des vues, mais en même temps, tu ne prenais encore l’exercice totalement au sérieux. Sauf que ça ne t’empêchait pas de te souvenir des cours que tu avais reçu. « J’en déduis que la manche est pratiquement à l’horizontale, mais pas totalement. La force du vent est plus haute que 36km, mais plus basse que 45km. Peut-être un entre deux ? 40km ? » Tu fis redescendre les jumelles pour observer Darius. La théorie, tu pouvais lui citer mot par mot, mais en pratique, ce n’était pas toujours simple pour toi. Ton regard se posa sur l’arme ainsi que sur sa direction, tu supposais qu’il avait fait l’exercice avant de te demander ton avis. « En direction sud-sud-ouest ? » L’idée de te tromper t’enchantait guère, mais on était totalement à l’opposé de ton domaine de prédilection. « Je ne peux pas tirer à la place ? Ça a l’air plus amusant. » Oh Raffie… Toi et ton besoin de t’amuser constamment. Ce n’était sûrement pas la meilleure des idées de te mettre derrière cette arme, surtout pour vos munitions, mais l’idée te semblait plus attrayantes que d’observer cette manche en continu.

@Darius A. Morton

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@Raffaela Mariani

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A peine arrivée que la reine des râleuses le noyait déjà d’un flot de reproches excentriques et, considérant le monde apocalyptique qui était devenu le leur, à côté de ses pompes à hauts talons. Qu’à cela ne tienne, Darius eut toutes les difficultés du monde à garder son sérieux ; son sourire narquois s’agrandissait à mesure qu’elle ronchonnait, jusqu’à exprimer en silence mais chaleureusement tout le bien qu’il pensait de ses manières. Eh oui, une échelle ! Il fallait bien l’asticoter un peu, ce serait dommage qu’elle perde la main. « J’étais curieux de savoir comment tu réagissais face à l’imprévu. », susurra-t-il en ravalant un ricanement avant de lancer un regard désolé vers le chien : « Désolé Aquilon. T’as entendu la dame : pas de goûter. » La pauvre bête émit un triste gémissement en reposant sa tête sur ses pattes. Encore un peu, et son crime de lèse-majesté aurait fait tourner les talons à Raffie ! (avait-elle seulement envisagé qu’il lui faudrait alors descendre l’échelle ?)

Presque pardonné grâce à son offrande, l’ancien officier garda le silence face aux questions légitimes de la scientifique. Que faisait-elle ici à se geler les mollets, en effet ? Elle se plia néanmoins à l’exercice proposé. Darius l’observa procéder sans commentaire, l’œil perçant mais les traits inexpressifs, dodelinant du chef à la réponse qu’il jugeait assez précise malgré la fraiche expérience de Raffaela. « Yep, 40 km/h, ça me convient. La direction aussi, bien joué. Ça veut dire qu’on est pratiquement contre le vent, avec un léger décalage vers la gauche. » Il ajusta le silencieux à l’extrémité de son arme. Pourquoi tout cela ? L’idée de laisser sa comparse s’aventurer dans les bourrasques du tir de précision laissa s’échapper un discret rire éraillé. « Je suis d’accord, cette manche à vent ne t’aidera pas à sauver le monde. Mais te savoir contre le vent si tu devais croiser des rôdeurs pendant ton voyage pourrait t’aider à te sauver toi. Ils ne sentiront pas ton parfum duty-free et t’entendront les ouspiller avec un léger temps de retard. » Il ne se moquait en fait qu’à moitié.

« Tu ne vas pas seulement jouer les scientifiques, mais aussi les observatrices. Si tu sais décrypter les indices, tu n’auras pas à poser de questions pour obtenir des réponses. Quelqu’un qui ne pose pas de questions n’est pas facile à suspecter. Regarde plus loin vers le grillage à gauche de la vieille piste. Au sommet, j’ai installé une autre manche. Même vitesse, même direction ? » A l’évidence non, surprenamment le vent aimait n’en faire qu’à sa tête à seulement 500 mètres de distance. Darius prit appui sur un coude, tourné vers Raffaela. Si elle avait l’œil perçant, elle pourrait trouver une troisième manche à air, plus improvisée cela dit, encore 500 mètres plus loin, en plein no man’s land, et avant les premiers bâtiments industriels qui peuplaient la route direction l’hôpital. « Peut-être que la Colline, puisqu’ils ne sont pas des amateurs, a aussi installé ce type de fanions près de leurs postes embusqués. Ça et d’autres moyens de surveillance… Avec ta mémoire de compète, t’arriveras à les placer sur une carte quand je te rendrai visite. »

Comme si l’un des responsables de la rébellion ayant eu lieu à la Colline serait le bienvenu là-bas. Ha. Ils trouveraient bien une façon de communiquer des rapports. « Sans parler d’une estimation de leurs stocks de munitions. » Les fabriquer soi-même, c’était bien, mais s’il devait approvisionner toute la Tanière, non seulement serait-il rapidement à court de matière première mais aussi de sommeil. Trouver un moyen d’en emprunter à la Colline ne serait que justice. Le cow-boy plaça un chargeur plein puis ajusta son arme et la lunette. « Dégotez-moi un rôdeur, milady. Je te montre une astuce et si t’es pas sage, peut-être que tu pourras faire joujou aussi. » Pas sage ? Ça ne devrait pas être bien compliqué pour Raffaela. Quant à Darius, il n’était pas connu pour avoir la langue qui fourche.

Est-ce qu’il pensait vraiment te faire culpabiliser via son clébard ? Il n’était pas tombé sur la bonne personne pour ça. Tu n’étais pas une grand fan des bêtes. Elles te laissaient complètement indifférentes. Peut-être que ça venait de ton boulot, tu avais dû faire de nombreux tests sur différents animaux et tu avais fini par développer une certaine indifférence à leur endroit. Tu te contentas de rouler les yeux et de faire un signe de la main en direction de ton ami. Comme pour lui dire laisser tomber le projet, il n’allait pas d’avoir comme cela.

Tu restais une bonne élève Raffie. Tu l’avais toujours été et ça avait souvent plu aux gens chargés de t’enseigner. Ils avaient cette impression d’être écoutés, de réellement transmettre leur savoir. Et toi, tu avais cette chance de l’apprendre sans trop avoir besoin de dépenser d’énergie. Sans ça, tu ne porterais sûrement pas le même intérêt aux gens autour de toi. Néanmoins, ça ne t’empêchait pas de poser de questions, de valider l’intérêt derrière un enseignement que tu recevais. « Tu crois sincèrement que si je croise des rodeurs, je vais prendre le temps d’étudier le sens du vent avant de fuir ? » Bien sûr que non, tu n’aurais pas une seconde à perdre dans une telle situation. « Si tu en trouves du parfum avant que je parte, pense à moi. Ma réserve descend trop rapidement. » Ce n’était pas nouveau, tu n’avais pas les priorités au bon endroit. Il te parlait de sauver ta peau, toi, tu voulais le faire en sentant bon.

« Bien. Tout ce que je peux voir, je pourrai te le décrire dans les moindres détails. Tout. » Il te suffirait de fermer les yeux quelques secondes, de visualiser et de te concentrer sur les informations désirées. Un jeu d’enfant pour toi. « Je pourrai te dessiner ta carte aussi, mais… À toi, qu’est-ce que ça te donne de savoir où ils calculent le vent ? » Tu voulais bien te rendre utile, bien sûr, mais tu aimais toujours le faire en connaissance de cause. Entre temps, tu avais remis les jumelles au niveau de tes yeux pour observer au loin. Tu fronças légèrement les sourcils. « Le vent est plus fort par là-bas. Pas énormément, mais il y a 2-3km/h de différence j’ai l’impression. » Tu n’aimais pas particulièrement être approximative, mais tu étais encore au début de ton apprentissage. « La direction n’est pas la même. Il souffle vers l’ouest. » Tu continuas d’observer, toujours en évitant un contact entre ton visage et les jumelles. « T’as une autre manche ailleurs ? » Tu sentais venir un nouveau calcul, mais tu n’arrivais pas à le distinguer pour le moment. Ce n’était pas faute d’essayer, mais tu ne savais pas où chercher.

Un sourire naquit sur tes lèvres à sa phrase et tu détournas la tête pour l’observer. « Étonnant, tu ne veux pas que je sois sage ? Tu es sûr ? » Il y avait une certaine provocation dans ta voix. Toi qui aurais pu te prêter à l’exercice sans rien dire, tu avais également envie de t’amuser un peu. Tu voulais faire « joujou ». « Et si je te dis non ? Si je te dis de te débrouiller par toi-même pour trouver ton rôdeur ? C’est ton boulot après tout, pas le mien. » Tu pinças tes lèvres ensemble. Tu étais ici pour apprendre, mais pourtant tu ne faisais pas plus d’efforts que nécessaire. Pour toi, tu allais rester enfermer dans ton laboratoire, tu n’avais pas d’intérêt à savoir repérer une bestiole morte-vivante. « Apprends-moi à tirer. Regarder l’horizon à la recherche d’un truc mort, tout le monde sait faire. » Voilà, tu voulais faire quelque chose qui allait vraiment te servir.

@Darius A. Morton