Bitter winds (feat. Sam)

Je regrette tellement cette stupide chute. Mon retour chaotique au refuge est encore bien frais dans ma mémoire - avec tous les détails qui viennent avec, malheureusement. Et la douleur qui m'empêche de dormir est de plus en plus impossible à faire taire. Les points de sutures ne peuvent que trop tirer sur ma peau fragile - sans compter le magnifique arc-en-ciel de couleur qui trône à mes côtes. Cet hématome à la con me fait grogner dès que je change de position. Même immobile, je peux sentir cette douleur lancinante à chaque putain de pulsation dans mes veines. Oh, j'aime croire que je tolère plutôt bien la douleur. Je n'avais pas le choix d'encaisser, jadis. Sauf que cette nuit, je peine à ne pas me fracasser la tête contre les murs, dans un ultime effort de diversion. Le pire dans tout ça, c'est que je sais très bien que je ne trouverai rien ici pour me soulager - ne serait-ce que l'espace d'un moment.

Je me lève, passe sous une douche congelée dans l'espoir d'endormir le mal, de geler tout ce qui brûle trop fort. Je retourne ensuite à mon lit sur la pointe des pieds, pour ne pas réveiller ma jumelle. Et je me retrouve dans la même situation qu'avant, grimaçant à nouveau comme une imbécile. Je me demande même si la plaie n'est pas infectée, pendant une minute. On ne va pas se mentir, le sol sur lequel j'ai dû me traîner pour fuir les infectés regorge probablement d'un tas de choses qui peuvent nuire à la guérison d'un trou béant dans ma peau, non? Je soupire, fermant les yeux sans dormir, décidant donc qu'aux petites heures du matin, je prendrai moi-même la situation en main.

Il me faut peu de temps pour m'éclipser, d'ailleurs - mon sac à dos étant toujours prêt pour une urgence inopinée. Je change mon pansement du mieux que je le peux; ce n'est pas spécialement facile, ni beau à voir. Mais tant pis. Quand la morsure du froid s'empare de mon corps, une fois dehors, je tente de me convaincre que c'est pour le mieux. Que je suis temporairement libérée de ce mal constant, là, tout de suite. Je ne sais pas si l'échange est vraiment gagnant, mais là n'est pas la question. Je me concentre sur mon trajet, priant pour que je puisse rentrer avant qu'Oliver ne remarque mon absence, et avant que Mya ne trouve ma lettre. J'ai bien le droit de rêver, après tout.

J'arrive bientôt à la base militaire, de toute façon. Mon frère pourrait si facilement se fondre dans la masse, ici. Il me dirait certainement que mon plan est risqué, aussi. Mais ce n'est pas comme si j'avais beaucoup de choix - et la souffrance est une puissante motivation, dans la vie. N'empêche, je suis sur mes gardes. Je ne suis pas sourde aux rumeurs qui détruisent la réputation de la Colline. Sauf que je suis parfaitement consciente que les ressources médicales sont ici, que je le veuille ou non. Il ne reste plus qu'à espérer que je ne vais pas me faire fusiller sur le champ.

Je passe quelques vieux points de contrôle - non sans un frisson désagréable quand je replonge dans les moments de panique d'après la première pluie. Mais je ne m'arrête pas de marcher, portant parfois la main à ma blessure - comme si ça pouvait chasser le mal. On me lance des regards curieux, et je dois rapidement justifier ma présence ici. Je répète cette histoire qui trotte déjà dans ma tête depuis un moment, en guise d'excuse, et je suis un brin surprise de constater que l'endroit est relativement vide.

Mes billes se posent partout à la fois, à la recherche de ce qui pourrait ressembler à des provisions médicales. Mes pas feutrés me mènent dans un coin du rez-de-chaussé, et si je note des escaliers qui semble descendre vers l'inconnu, je n'ose pas m'aventurer plus loin. J'erre plutôt entre les étagères de métal quand un bruit attire mon attention, et je sursaute. Je fais tomber des instruments dans la hâte, et je jure silencieusement. Je roule les yeux au ciel, exaspérée par mes propres gestes, et j'ai le réflexe de me cacher - pas très bien, certes. J'espère seulement que je ne suis pas déjà dans la merde.

Je ne sais pas ce que je regrette le plus en cet instant. D’avoir commencé à cogiter avant de dormir ou d’être sorti de mon lit, ce qui a réveillé pas mal de douleurs dans mon corps. Se faire passer à tabac pour avoir ouvert la bouche et défier l’autorité n’apporte rien de bon en général. Mais c’est moi, c’est mon caractère d’être comme ça et malheureusement ici, c’est plutôt courant que je me fasse tabasser. Mais l’avantage c’est qu’au moins je peux me balader tranquillement dans les couloirs, vu que l’extérieur du bâtiment m’est interdit la nuit. J’ai commencé à cogiter en me couchant. Je repense à tout ce qui s’est passé dernièrement. Et ce n’est pas bon. Je ne peux pas me permettre de ressentir quoi que ce soit, parce que ce qui m’aide à tenir, c’est justement d’être hermétique à tout ce qui peut me traverser l’esprit. Alors je me suis levé et je suis parti marcher.

J’erre dans les couloirs, il est tard ou plutôt tôt vu que minuit a déjà sonné depuis plusieurs heures. Et il n’y a que des gardes qui patrouillent. Je pars prendre une douche, je ne suis pas un des privilégiés et je n’ai le droit qu’aux douches froides mais ce n’est pas grave, j’ai l’habitude. Au moins je ne traîne pas trop. Je me rhabille de vêtements propres, et je mets le sale dans mon sac à dos. Je les laverai plus tard. Je sors des sanitaires communs et je me dirige vers l’infirmerie. De toute façon autant s’occuper comme on peut et je sais que travailler m’aidera à me consacrer à autre chose qu’à ce que j’ai dans la tête.

J’entends du bruit dans le couloir à l’entrée de l’infirmerie, et je me dirige vers là-bas. Je n’ai pas d’armes ici, alors c’est peut être dangereux, et surtout idiot de ma part de m’y avancer mais bon. Je me dirige vers les étagères et je me stoppe, en apercevant cette personne devant moi. Je m’approche d’elle, avant de la faire reculer des étagères.  « Eva ? Qu’est ce que tu fais là ? Tu veux avoir t’attirer des problèmes ? Entre Oliver et toi, je sais pas lequel est le pire ! » Je sais que ce n’est pas Mya, parce que c’est peut être la seule Blackwood raisonnable. Je soupire légèrement en regardant derrière nous puis dans le couloir.  « Amène-toi, tête sans cervelles. »

J’aperçois un garde dos à nous mais qui va venir dans ce couloir. Et s’il aperçoit une intruse de la Colline ici, elle finira comme moi si ce n’est pire. Je prends sa main et je l’entraîne avec moi, en lui faisant signe de se taire. On parvient à se faufiler dans un couloir juste à temps, et je l’amène jusqu’à ma chambre. Je la pousse à l’intérieur avant de dire.  « Qu’est ce que tu fais ici ? Tu veux finir comme moi ? Tu crois pas que ton frère est assez con pour se foutre en danger ? Il est déjà abruti comme pas possible alors évite lui ça. » Je secoue la tête en lui faisant signe de s’asseoir. Je regarde ce qu’elle a volé, et je soupire légèrement en y voyant du matériel médical.

Je plaque une main sur ma bouche, pour m'empêcher de crier de surprise. Je plisse les yeux, observant le type qui me force à reculer en tentant de me défendre, avant d'entendre mon prénom franchir ses lèvres. Je m'arrête, et je capte finalement.

« Sam?! » que je lâche en un souffle, tandis qu'il en profite déjà pour me casser les oreilles. Si je doute de ses traits, au départ, ses reproches ne peuvent que confirmer son identité. « Bien sûr, c'est ma passion dans la vie, m'attirer des problèmes. » Le sarcasme est évident, et je roule les yeux au ciel quand il compare ma stupidité à celle de mon grand frère.

Je lui lance un regard meurtrier, d'ailleurs, à sa remarque touchante sur ma cervelle. J'ai envie de lui crier dessus, mais le danger est trop près pour que je puisse me permettre le moindre son. Je pose les yeux sur sa main qui s'empare de la mienne, réalisant rapidement que je n'ai pas le choix de le suivre. J'ai du mal à maintenir le rythme, n'empêche, tellement il se faufile partout à la vitesse de la lumière. Et quand il me pousse dans ce qui doit être sa chambre, je grogne de douleur avant de m'insurger.

« Non mais ça va pas - » Il ne me laisse pas parler, pourtant.

« Ce que je fais ici? » que je répète en brandissant les comprimés qui sont toujours dans ma main. N'est-ce pas évident? Il sait pourtant que le partage des ressources est particulièrement injuste - surtout quand il est question de soins médicaux. « Tu veux bien m'épargner les reproches qui sont destinés à un autre Blackwood, je t'en prie? Je ne suis pas mon frère. » que j'ajoute en venant planter mon regard dans le sien, avant de finalement me poser sur le premier matelas que je croise.

Je ne sais pas exactement ce qui se passe entre eux, ce qui semble le rendre si acide, par rapport à Ollie. Mais si j'ai appris une chose de mon temps à New-York, c'est que cet enfoiré n'a aucun droit de me parler comme si je n'étais qu'un vulgaire tas de merde. Je tente de calmer ma respiration, mais j'imagine que je m'énerve pour rien. La douleur de ma blessure s'empare à nouveau de mon corps, de toute façon, et je comprend rapidement que quelque chose cloche. Je baisse les cils un instant, avant de soupirer en soulevant mes vêtements, pour exposer mes côtes.

Je fais de mon mieux pour ne pas gémir en soufflant quelques mots, le regard toujours sur lui. « Si tu veux critiquer ton meilleur pote, puis-je te suggérer de critiquer la qualité de son travail? » Non parce que ma plaie est partiellement ouverte à nouveau, cette même plaie qui me botte le cul depuis que je suis rentrée, après le blizzard. Et de toute évidence, il semble que les soins d'Oliver n'étaient pas suffisants pour vraiment me débarrasser de cette connerie une fois pour toute.

Je ne l’ai pas reconnu tout de suite en réalité. Et à son cri de surprise je lui fais signe de se taire. Je la regarde attentivement, en lui faisant déjà des reproches mais en même temps, elle se comporte aussi stupidement que pourrait le faire Oliver, mais au moins j’ai identifié la bonne jumelle.  « À force je vais croire que c’est un trait des Blackwood que d’être aussi stupide et téméraire ! » Je me fiche bien de la vexer, en réalité. Je sais ce que ça ferait à Oliver si elle aussi se retrouvait ici, et à quel point il serait capable de faire des choses plus stupides les unes que les autres.

Mais pour le moment on a pas le temps de parler, je dois la ramener à ma chambre le plus rapidement possible. Il ne faut pas qu’on la trouve dans ces couloirs. Je vais vite, et je me fiche de savoir si elle ne suit pas le rythme, il faut qu’on y arrive avant de se faire repérer. Je la pousse à l’intérieur, le temps de jeter un dernier coup d’œil dans le couloir puis je ferme derrière moi.

Je la coupe dans ses retranchements, avant de voir la boîte de pilules qu’elle tient dans la main. Ce qui signifie que quelqu’un est blessé. Elle ou peut être quelqu’un de sa famille. Je préfère rester calme. Je la regarde lorsqu’elle me demande de garder mes reproches pour le bon Blackwood. Je lâche un rire avant de dire.  « Pour le coup t’es aussi stupide que lui Eva. Tu veux finir enfermée ici sérieusement ? Et le voir se mettre en danger ? Déjà que l’autre fois j’ai mis du temps à le faire partir. » Je la laisse s’installer sur le matelas, alors que je me pose contre le mur en frottant mon front de mon index et de mon pouce.

Je la regarde respirer et je viens m’asseoir à ses côtés. Je la regarde alors plus calme, car je sens que quelque chose ne va pas. Je l’aide à soulever son tee shirt et je ne retiens pas ma grimace. C’est donc elle qui est blessée, ce qui me soulage un peu quelque part, mais surtout parce que je peux la soigner.

Je lève mon regard vers Eva lorsqu’elle me dit que je peux critiquer les soins de son frère et je ris légèrement.  « Tu aurais mieux fais de te faire aider par Hanaë ou même Mya. Mais c’est pas ses soins que j’ai envie de critiquer, c’est son obsession du contrôle et surtout qu’il soit incapable de faire sortir une émotion. Ça m’donne envie de le frapper. » Je me lève pour récupérer mon sac et je reviens à ses côtés. Je l’aide à s’allonger avant de sortir de quoi la soigner. Je mets des gants, afin de regarder sa plaie.

Ça ne semble pas infecté mais cela en est pas loin. Il a vraiment travaillé comme un débutant sur cette plaie. J’attrape une seringue et une petite fiole. C’est un antibiotique que je viens lui injecter en cutané. Je garde ça depuis l’hôpital, ce sont mes propres réserves.  « À quel moment tu couches avec quelqu’un qui te dit je t’aime et que tu redeviens une armoire à glace. » Je m’en fiche un peu en réalité de déballer la vérité de cette relation qui nous unit avec Oliver. Elle nous connaît, et je me dis que si quelqu’un peut arriver à le faire réagir c’est bien ses sœurs. Je retire les points qui lui ont été fait, afin d’en refaire des plus propres et surtout qui lui permettront de cicatriser plus vite. « Qu’il aille se faire foutre. » Je soupire, en m’équipant de ce dont j’ai besoin pour refermer sa plaie. Je commence à la suturer, aussi doucement que possible, même si je sais que ça fait mal.  « Ah oui, pardon. Tu dois rien comprendre je suis sur. Il a sûrement rien dis, le connaissant, il est aussi froid que l’Antarctique en plein hiver. J’ai couché avec ton frère. Je lui ai dis que je l’aimais, et la seule chose qu’il a fait, c’est continuer sa route. J’ai besoin de le critiquer un peu, parce que j’ai envie de le frapper. »

« Aussi stupide que lui? C'est chouette de voir toute l'estime que tu as pour ton meilleur pote. Je vais assurément lui transmettre tes bons mots. » que je lâche en me moquant de sa gueule. Oh, je devrais probablement la fermer, bien sûr. Surtout que la course vers sa chambre n'est pas des plus faciles, avec cette plaie à mes côtes. « Évidemment que je ne veux pas finir enfermée ici. Enfin - corrige-moi si je me trompe, mais toi-même tu ne sembles pas particulièrement disposé à partir. » que j'ajoute, penchant la tête sur le côté. Il peut bien décider de comprendre ce que je veux dire ou pas. C'est sa décision. Je ne suis pas ici pour lui faire la leçon - déjà que j'en sais trop peu, à propos de ses histoires avec mon frère. Mais je sais qu'Oliver était ici pour lui, et qu'il est rentré les mains vides. « Il est déjà très doué pour se mettre en danger tout seul, de toute façon. » que j'ajoute pour rouspéter.

Il se calme un brin, n'empêche, quand il s'installe à côté de moi, sur le lit. Je note sa façon de regarder la plaie, très peu rassurée. « Je n'étais pas la seule à rentrer d'expédition, ce jour-là. Tout le monde était plutôt occupé, à l'infirmerie. Et Mya - Mya n'était pas là. » Sauf qu'il se balance probablement de tout ça, et aborde plutôt un tout autre sujet. Oh, il ne parle que d'Oliver depuis le tout début, je ne devrais pas être surprise d'entendre la suite. Et il le traite maintenant de control freak incapable de toute émotion - rien de moins. Je viens hausser les sourcils, lui offrant enfin toute mon attention.

« Oh, faut pas non plus exagérer, hein. » que je précise tout de suite. Il faut être un Blackwood pour insulter un Blackwood, okay? Peut-être que je suis du même avis que lui, mais de là à comparer sa capacité émotionnelle à celle d'une armoire à glace? Enfin. Je grimace à l'injection, les épaules crispées, mais je m'étouffe immédiatement avec ma salive à ses aveux - lui donnant probablement bien du fil à retordre pour s'occuper de ma blessure. Je ne suis pas certaine de capter, mais les explications arrivent tout de suite.

Je lève les cils sur lui, renversée par ce qu'il ose me dire. Je m'accroche pourtant au matelas, parce que qu'entre ses opinions et ses insultes, Samuel semble oublier qu'il est en train de charcuter ma peau sans relâche. Je serre les dents, me concentrant toutefois sur lui et ses histoires, en tentant de contrôler ma respiration. C'est un échec, et si je n'arrive pas à me taire complètement, quand il bosse sur ma plaie - je tente au moins de ne pas bouger, cette fois. Et honnêtement, je ne trouve pas les mots pour répondre à ce qu'il me lance au visage, là, tout de suite. « Évidemment qu'il n'a rien dit. » que je marmonne pour moi-même. Avec qui pourrait-il discuter d'une telle chose, sincèrement?

« T'as envie de le frapper? ...Vraiment? » Je le regarde en soutenant son regard, lui signifiant sans mal que je ne crois pas un seul mot de ce qu'il affirme. Parce que la source de cette rage qui le paralyse n'est pas la haine - au contraire. Il est tellement amoureux de mon frère qu'il est aveugle aux circonstances autour, et du monde qui tourne avec lui. Je me redresse un peu, grimaçant en tentant toujours d'ignorer la douleur. J'en ai rien à foutre, sur le coup, qu'il finisse de s'occuper de moi ou pas. « Alors attends, laisse-moi seulement confirmer les détails de cette merveilleuse histoire. De toute évidence, t'es hors de toi à cause de son absence de réaction, et parce qu'il ose t'abandonner. Mais quand il a enfin le courage de revenir vers toi, quand il décide de jongler avec toutes les responsabilités qui pèsent sur ses épaules, une fois pour toutes - tu le laisses partir, c'est bien ça? » Je plisse un peu les billes.

« Je veux juste être certaine que j'ai bien compris. »

J’écoute la jeune femme et je souris légèrement. En réalité j’ai plus d’estime pour Oliver que pour n’importe quelle personne sur cette planète. Mais elle peut lui dire, de toute façon il sait déjà ce que je pense de ce côté là.  « Tu peux, vas y. » Je l’entraîne malgré tout jusqu’à ma chambre car si on l’attrape dans ce couloir, elle ne reverra pas la sortie, et ça il en est hors de question. Je grimace lorsqu’elle me jette ses mots , dans notre course. Si seulement elle savait. Je secoue la tête en arrivant à ma chambre.

Une fois qu’on est dans la chambre, je lui fais signe de me montrer sa blessure. Je m’installe à ses côtés et j’observe celle-ci avec une légère grimace. Je lève les yeux vers la jeune femme lorsqu’elle dit que Mya n’était pas là. Je suis surpris en réalité, et surtout relativement inquiet.  « Est-ce qu’elle… elle va bien ? » Je sais que Mya compte énormément pour Eva et aussi pour Oliver, et à vrai dire je l’aime beaucoup aussi. J’ai grandi à leur côté en réalité et je tiens à eux, même si je ne montre pas réellement ce que je peux ressentir. Je déteste ça en réalité. Mais j’envie à cet instant les Blackwood, parce qu’ils sont ensemble, même s’il manque le frère. Je n’ai aucune nouvelles de mes sœurs, et même si je n’en parle pas, au fond de moi je suis anéanti.

Néanmoins, j’en reviens à Oliver parce qu’en réalité, il est la seule personne qui me reste à l’heure actuelle et j’ai le cœur brisé par son manque de réaction. Je sais que je parle face à sa sœur et qu’elle pourrait me coller un coup de poing dans la tronche, pour insulter son frère mais j’ai trop besoin que ça sorte. Elle bouge et elle s’agite alors que je la soigne alors ce n’est pas évident et au moins ça me donne l’occasion de me concentrer et de ne pas imploser.

Je fais attention lorsqu’elle remue à ne pas rater la suture. Au moins je suis doué à ça, et ça aidera à sa cicatrisation, si elle ne fait pas la con derrière. Évidemment qu’il n’a rien dit. Il ne dit jamais rien; même pas à ses sœurs. Je fais signe à Eva de se rallonger quand elle se redresse. Je peux pas la soigner correctement si elle se redresse. Je la regarde lorsqu’elle me questionne.  « Évidemment que non. Enfin, j’ai envie de lui mettre des claques. » Je me recule en éloignant l’aiguille de sa peau pour éviter qu’elle ne se la plante et je soupire légèrement. Elle aurait pu me laisser finir de la soigner. Je me pose contre le mur et je l’écoute récapituler les choses. Je secoue la tête avant de soupirer.  « Si j’ai fini ici c’est pas par plaisir Eva. Et si je pars avant d’avoir l’autorisation, c’est lui que je mets en danger, sans parler de toi et de Mya. Il est venu pour me faire sortir d’ici. Je n’ai plus mes sœurs. Je ne sais pas si elles sont encore en vie et je ne le saurais peut être jamais. Je peux pas perdre Oliver ou risquer de vous perdre vous. Alors si je dois sortir ici que dans 10 ou 20 ans, ce sera le cas, et non pas au détriment de ceux que j’aime. »

Même si pour ça je dois finir seul. Je lui fais signe de se rallonger, et je respire profondément. Je vais finir de la soigner et l’aider à regagner l’extérieur de la Colline afin qu’elle puisse partir et rentrer avant la nuit.  « Aller, rallonge toi, que je finisse de te recoudre.. »

Il ne capte pas vraiment le sarcasme dans ma voix, de toute évidence, quand il me confirme que je peux tout raconter à Ollie. Enfin, il n'est probablement pas totalement attentif à mes histoires - je ne le blâme pas pour ça. Je me doute bien de ce que doit être la vie ici; la nervosité omniprésente, la vigilance étant de mise à chaque seconde de chaque minute. Je sais ce que c'est, même si lui ne sait rien de cet épisode de ma vie. Or, quand il demande si Mya va bien, je lève les cils sur lui - non sans un sourire aux lèvres. Je ne peux m'en empêcher, quand il est question de ma jumelle et de la chance que j'ai de la savoir en vie, dans ce monde de merde.

« Oui, t'inquiète pas. » que j'affirme rapidement, pour le rassurer. J'ai tendance à oublier qu'il faisait partie intégrante de la famille, avant cette séparation forcée. Et ma rage s'envole, quand je songe à tout ça.

Oh, la douleur qu'il m'inflige reste bien présente, pourtant. Il m'offre au moins une pause, quand je m'agite, tandis que l'image de Sam qui ose envoyer des claques à mon frère me fait presque pouffer de rire. « Bienvenue au club. » que je réplique en rigolant doucement. Après tout, il n'est ni le premier, ni le dernier à parfois vouloir lui en coller une. Ollie ne mérite rien de tel, évidemment - mais son comportement et ses décisions peuvent froisser quelques âmes sensibles, à l'occasion.

Et quand le médecin parle à nouveau, je n'arrive pas à lui répondre. Sam aborde son absence de choix, expose ses craintes et mentionne sa propre fratrie. Je le regarde en la fermant enfin, ne sachant pas ce que je dois dire - pire encore, ce que je dois penser. J'imagine que je n'ai jamais tout à fait vu les choses de cette façon. Et je n'ai surtout jamais entendu Sam verbaliser à quel point il semble tenir à nous - et pas seulement qu'au militaire. Je baisse les yeux, toujours silencieuse. Je regrette presque mes mots, sur le coup. Comme à chaque fois.

« Tu ne dois pas perdre espoir, pour tes soeurs. Je sais que ce n'est pas simple, mais si nous sommes en vie, elles peuvent définitivement l'être aussi. » Ça sonne cliché, sauf que c'est la vérité. Et j'ai besoin de lui insuffler un peu de courage, là, tout de suite. « Et puis, je - je ne peux pas croire qu'il n'existe aucune autre solution. » que je rumine ensuite, au sujet de cette prison de merde. Il semble accepter la situation si facilement - j'ai du mal à comprendre.

« Nous savons nous défendre. Et tu sais très bien que nous sommes tous prêts à prendre des risques. Surtout pour toi. » Je n'ai pas besoin de lui faire un dessin, si? Ces représailles dont il s'inquiète ne m'alarment pas du tout, moi. Peut-être suis-je trop naïve.

« Enfin, tu ne pouvais quand même pas penser qu'Ollie laisserait passer une telle chose. Vous êtes aussi entêtés l'un que l'autre. » que j'ajoute finalement - acceptant donc de me rallonger, quand il le demande, pour qu'il puisse finir le boulot. Je soupire un brin, regardant le plafond en me disant que toutes ces histoires sont particulièrement déprimantes.

« Je suis désolée que tu doives te faire chier à ce point, Sam. Je sais que mon frère n'est pas toujours... facile - » Aussi difficile que je peux l'être, oui. J'ai du mal à le reconnaître, mais je ressemble beaucoup à Oliver, quand il est question de gérer ce qui explose en dedans.

« J'aimerais vraiment pouvoir faire quelque chose. Aider. J'en sais rien. » Je suis particulièrement sincère - et je me doute qu'il le sait. Si je n'ai pas la douceur légendaire de ma soeur, je crois qu'il est au moins habitué à cette honnêteté un peu trop brusque qu'on me reproche trop souvent.