Gravé dans les mémoires

- Sheppard ! Combien de fois faudra t’il vous le répéter pour que vous compreniez enfin ?

Les deux responsables du camp de la journée était assis à leur table et commeçaient visiblement à perdre patience. Sur la table devant eux étaient étalées toutes sortes de documents. Les seuls que Nolan reconnaissait était des plans de la région. Diverses croix rouges, bleues, vertes et noires étaient apposées à quelques endroits. On pouvait facilement deviner que les bâtiments marqués en vert près du refuge étaient ceux qui avait déjà été visités et probablement vidés. Les entreprises étant totalement à l’arrêt, le seul moyen de trouver de la nourriture, des médicaments, du matériel était la fouille de bâtiments, de maisons, de hangars…
Les autres croix rouges représentaient la colline et ses troupes militaires. Ainsi que quelques avant-postes probablement. Les bleues à priori n’étaient autre que la tanière. Nolan ne connaissait pas leurs positions exactes, juste une vague connaissance des lieux. Il n’était jamais allé faire du troc dans leur camp directement. En revanche les croix noires ne lui disaient rien. Que pouvait elle représenter ? Des camps de bandits itinérants ? Des lieux importants à visiter ? Des laboratoires secrets qui les sortirait de leur misères et viendrait rendre la vie aux infectés et aux morts ? La simple pensée d’une fin utopique à cette époque de merde fit sourire Nolan. Effectivement, pour sourire à ça, il fallait déjà avoir un sacré recul.

- Vous ne sortirez pas Sheppard. C’est hors de question ! Le froid commence à tomber, la météo est totalement déréglé depuis cette satané pluie. Et on nous signale de plus en plus de rodeurs, alors on ne vous donnera pas une autorisation de sortie pour aller voir une putain de tombe !

L’ingénieur perdit son sourire. Une putain de tombe ? Juste une putain de tombe ? Espèce de connard prétentieux. On a pas tous la chance d’être gradé et d’avoir eu notre famille sauvée par le gouvernement le jour de la catastrophe ! Nolan ne pouvait pas laisser tomber. Il n’avait pas été sur la tombe de Lily depuis plus de 12 semaines. Ce n’était pas une envie d’aller sur sa tombe, c’était un besoin.

- Je n’ai pas été sur la dépouille de ma femme depuis 3 mois Monsieur, car j’ai été occupé à renforcer la sécurité, a créer des explosif et des armes chimiques pour la défense du camp. Alors je me fiche pas mal qu’il fasse froid, je me fiche pas mal qu’il y ait des rodeurs… J’irais voir cette putain de tombe.

- Sheppard !

Le responsable s’était levé de sa chaise, faisant tomber un des plans sur le sol. La tension était palpable alors que les deux hommes se fixaient dans les yeux. Sa moustache grisonnante ne bougeait pas d’un poil jusqu’à ce qu’il pousse un soupir, tentant de détendre un peu la situation.

- Ingénieur Sheppard, essayez de comprendre justement que nous aurions du mal à se passer de vous. Nous ne pouvons pas prendre le risque de vous laisser partir, vu vos aptitudes militaires qui, soyons honnêtes, laissent un peu à désirer. Alors à moins qu’un soldat, ou qu’un membre de ce camp ne se porte volontaire pour vous accompagner, vous ne quitterez pas cette base.

J’ai passé ma matinée à errer comme une âme en peine. Je n’ai pas trouvé d’occupation assez divertissante pour que cela vaille le coup, et je n’ai aucune envie de me reposer. Je tente de m’occuper en réalité, en tournant un peu partout, en écoutant des bribes de conversation qui me viennent aux oreilles. Certaines ne font pas du tout intéressante. Comme par exemple celle du couple près de la cafétéria, qui se dispute pour savoir lequel des deux a raison. Ou encore celle d’un malade arrivant a l’infirmerie, parce que sa toux l’empêche de dormir. Il est vrai que parfois, au détour de ses conversations, j’ai encore l’impression de vivre dans un monde où la pluie n’a pas tué ou transformé des millions de personnes, tant elles sont futiles. Et pourtant c’est ce qui je pense alimente l’espoir d’une amélioration dans ce monde. Mais quand je finis par regarder autour de moi, et que je vois des infrastructures abîmées, la vétusté des équipements, le peu de ressources que l’on dispose, je me rappelle ce qui est arrivé au monde, à mes proches. Que l’on vit à présent dans un monde désolé, dans une ville morte.

Cependant , une conversation vient d’attirer mon attention alors que je mange une pomme en marchant. Des éclats de voix, de la colère. Alors je me rapproche de la porte, ma curiosité prend évidemment le dessus, et puis, il faut bien s’occuper non ? Je tends l’oreille, en mangeant mon fruit. De ce que je comprends, un homme souhaiterait sortir du camp. Mais il est trop précieux pour être lâché dans la nature. J’écoute la suite de la conversation, mais un garde passe par là alors je feins d’être seulement appuyée au mur en mangeant mon fruit tranquillement.  « Bah quoi qu’est ce qu’il y a ? C’est calme ici. Aller, trace ta route. » Évidemment rien ne sort de mes lèvres c’est seulement dans ma tête.

Je colle de nouveau l’oreille contre la porte lorsque le garde est passé et je peux de nouveau entendre la fin de la conversation. Il semble vouloir aller voir la tombe de quelqu’un mais je n’ai pas entendu qui. J’oublie parfois que l’on est beaucoup à avoir perdu un proche. Je trouve ça triste qu’on l’en empêche. L’un des dirigeants semble essayer un compromis. S’il trouve quelqu’un pour l’accompagner il pourra sortir. Et si j’avais l’occasion d’aller le recueillir sur la tombe de mon frère j’aimerai que l’on m’aide.

J’entre alors dans la salle en croquant dans ma pomme, et je me rapproche de la table.  « Je vais l’accompagner. Parce que vous êtes vraiment des enfoirés. Ouais c’est l’apocalypse, ouais y’a des rôdeurs blablabla. » Je fais même le signe du blabla avec ma main libre. Puis je dévisage le dirigeant face à moi. Comme s’il pouvait m’impressionner.  « Vous devriez faire preuve d’un peu d’humanité, je crois qu’il en manque assez en ce moment. »

Je soupire légèrement en croquant ma pomme puis je jette le trognon dans la poubelle après avoir récupérer les pépins. Peut être que je le comprends que trop bien. Mon frère est mort et son corps est à des milliers de kilomètres de moi. Peut être même que son corps est encore sur ce trottoir où il m’a poussé à l’abandonner. Et même si je peux lui rendre hommage partout, j’aurais aimé pouvoir faire les choses dans les règles. Je respire profondément avant de me tourner vers la pièce d’où je viens et je lâche.  « Aller Sheppard, ramène toi. »

La tension devenait intense dans le bureau. Les dirigeants fixaient l’ingénieur avec attention , attendant sa réponse, ou plutôt son acceptation d’abandonner sa mission suicide. Ne pas aller voir Lily lui semblait impossible. Il avait remarqué au cours des derniers jours qu’un soldat, un certain Melvin. Si ces calculs étaient bons, et vu sa fréquence de tabac, il n’aurait bientôt plus de cigarettes à se mettre sous la dent. Peut être qu’un arrangement pourrait être envisagé…

Il allait baisser les yeux et abandonner quand une nouvelle paire de bottines se fit entendre dans la pièce. Une voix féminine mais rocailleuse entra dans la conversation. Une jeune femme brune proposa d’accompagner Nolan dans les terres autour du camp, non sans insulter au passage les dirigeants du camp qui levaient les yeux au ciel en voyant qui venait d’entrer dans le bureau. Enfin dans l’ancien bureau du manager de l’équipe de Malden du stade.

- Oh Sullivan ! Evidemment ! Vous ne perdez jamais une occasion n’est ce pas ? - Elle répondit brièvement qu’un peu d’humanité ne leur ferait pas de mal – Soit ! je dois reconnaitre, même si ça me fait du mal, que Sheppard est probablement en sécurité avec vous. Laissez les sortir.

Mais qui était cette fille , venu au secours de Nolan ? Il l’avait peut être déjà croisé, mais autant il n’avait pas la mémoire des noms, autant il était physionomiste. En tout cas, elle semblait être connue du dirigeant moustachu, et pas très appréciée. On pouvait sentir que les règlements n’étaient pas pour elle. Et en même temps, à force de vivre dans un monde qui part en vrille, ou étaient les limites des règles à suivre ? Il ne fallait ni être trop gentil, ni être trop méchant, au risque de finir seul, ou mort.

Elle sortit de la pièce en appelant Sheppard. Nolan attrapa alors son sac à dos, contenant un peu d’eau, sa machette et son arme, et avec un bref remerciement d’un signe de tête de l’autre coté de la table, il quitta la pièce. Sans un mot, il suivit la jeune fille jusqu’à la porte. Le soldat ordonna l’ouverture. Quelques minutes plus tard, ils étaient dehors, seuls, livré à eux même. Finalement c’était rassurant de savoir qu’il n’était pas entièrement seul.


- C’est par là – indiqua l’ingénieur en montrant le sud-est. - Ce n’est qu’à une demi-heure de route.


D’ici on apercevait à peine le haut de l’église de Everett. A chaque fois qu’il reprenait cette route, c’était tous ces souvenirs de ces derniers mois qui lui revenait en tête. Toute la route qui l’avait mené ici lui et sa fille.

- Sullivan c’est ça ? Pourquoi tu m’as aidé ? Pas grand monde se serait porter volontaire pour une mission de ce genre