Break down and cry (( ft. Eva ))

Elle n’avait pu fermer l’oeil de la nuit. C’est donc un peu avant le lever du soleil que Mya, sanglotant silencieusement, avait trouvé le sommeil. Un sommeil agité. Un sommeil de courte durée. Les mots d’Oliver tournent dans sa tête, elle n’arrive pas à s’en départir. Quitter. Aller retrouver Samuel. Elle peut comprendre les motivations de son frère, mais refuse de croire qu’il soit réellement capable de partir. Elle avait bien tenté de le retenir, mais sans succès. Et même si elle voulait être en colère, elle n’arrivait pas à en vouloir à Oliver. Pas totalement. Mais une autre nuit à chasser le sommeil, à tenter de s'apaiser avec la respiration régulière de sa soeur jumelle endormie. Sans succès.

Ses pensées n’ont d’écho que les catastrophes qui menacent dans l’ombre. Elle a toujours Eva. Elle aura toujours Eva. Mais de perdre de nouveau Oliver - alors qu’ils sont toujours sans nouvelles d’Aiden et de leur aînée - est un coup auquel elle ne s’attendait pas. Un coup dans le coeur. Elle avait l’impression de perdre ses repères. Elle avait encore la meilleure partie d’elle-même, qu’elle retrouvait en Eva, mais Oliver avait toujours été un point de repère pour la benjamine. Elle se sentait complètement perdue. Alors qu’elle se redresse sur son lit de camp, elle trouve la pièce vide. Sa jumelle a dû se lever et quitter pendant le peu de sommeil qu’elle avait réussi à dérober au tourbillon de ses pensées. À la cacophonie de ses peurs. Comme une automate, elle se lève et attache rapidement ses cheveux caramels, dont la couleur s’est ternie par la poussière qui y collait depuis qu’elle n’y accordait plus d’attention. Elle avait autre chose à faire dans une telle situation d’apocalypse. Elle avance comme une automate jusqu’à la cuisine du camp et se prend uen ration, mais elle ne fait que regarder son déjeuner, incapable de prendre une bouchée. Elle finit toutefois par donner sa portion à un adolescent en pleine poussée de croissance. Elle ne la mangera pas, le pauvre pourrait bien bénéficier d’un petit extra. La jeune femme se souvenait bien de ses frères, qui vidaient systématiquement le réfrigérateur, au même âge. Réalité ou souvenirs d’une enfant qui s’était amplifié avec le temps, elle ne savait pas, mais elle préférait s’attacher à ces souvenirs.

Elle avait quitté la pièce dans le but de se mettre à la recherche de sa soeur. Après avoir fait un tour rapide des lieux communs, Mya retourna vers la chambre qu’elle partageait avec Eva. Elle y trouva d’ailleurs celle qu’elle cherchait.

- Eva ?

Sa voix était un souffle. Elle était fatiguée. Émotive. Et n’avait aucune envie de lui annoncer cette nouvelle.

Je me lève aux petites heures du matin, depuis peu. Le ciel est encore sombre quand je sors courir, pour me défouler. C'est la seule chose que je peux faire, et j'imagine que c'est déjà mieux que de m'éclater la tête sur les murs. J'ai du mal à accepter la réalité, par rapport à mon petit frère - on ne va pas se mentir. Je préfère vachement ne pas penser à sa mort, et repousser cette atroce douleur qui gronde dans ma poitrine, depuis les aveux d'Oliver. Je questionne chacune de mes décisions - de nos décisions. Peut-être que les choses auraient pu être différentes, si j'avais été en mesure de faire de meilleurs choix. On ne le saura jamais, sûrement. Et si je laisse vraiment la noirceur et le froid envahir ce qui reste de mon âme, je ne reviendrai plus jamais à la surface, de toute façon. Je ne peux pas faire ça à Mya. La course est donc ma meilleure pote. Oh, certes, ce n'est pas nouveau. Mais c'est certainement un brin... excessif.

Enfin, c'est quand je retourne finalement à ma chambre que je peux me doucher rapidement, et à l'eau froide. J'ai le crâne embrouillé, et la flotte sur ma peau ne semble pas m'aider à retrouver un peu de sérénité. Les pensées se bousculent entre elles à une vitesse folle, là-dedans. Mon coeur refuse de croire qu'il ne sera plus jamais là. Et pourtant, mon esprit s'entête à vouloir faire son deuil au plus vite - pour avoir moins mal. Je soupire, terminant finalement de mettre des vêtements propres avant d'entendre Mya entrer. J'esquisse un sourire, dos à elle. Aiden me manque terriblement. Mais ma petite soeur est toujours là, elle. J'avale une gorgée d'eau, tandis que je me retourne pour l'observer, quand elle prononce mon nom.

Et je sais déjà que quelque chose cloche. Parfois, j'ai l'impression que l'atmosphère change, quand elle est triste. Je peux le sentir même sans qu'elle ne le dise. Je détaille ses gestes, ne la lâchant pas du regard alors que je dépose mon verre, hésitante. Je fronce un peu les sourcils - me demandant si je dois oser lui demander ce qui ne va pas. « Hey. » que je tente comme pour tâter le terrain. Je m'approche de la plus jeune Blackwood, posant brièvement le bout de mes doigts à son bras, en guise de bonjour.

« Tu sais où est Oliver? J'ai un truc à lui demander et j'arrive pas à le trouver, ce matin. » Je tente la normalité, oui. De faire la conversation. De ne pas lui mettre trop de pression, si elle n'a pas envie de parler.  

Mais je réalise bien assez vite que la situation est critique, quand je croise ses billes. On dirait que la simple mention de notre frère ne passe pas. L'émotion sur ses traits m'inquiète aussitôt, et je penche la tête en la regardant. J'ai si mal pour elle quand elle imprime cette détresse à son visage. « Mya, je - » Je viens la serrer dans mes bras, lui offrant cette douceur dont seule ma jumelle est témoin, la plupart du temps. « Qu'est-ce qui se passe, enfin? Qu'est-ce qui ne va pas? »

Comment lui dire ? Comment lui annoncer le risque qu’Oliver avait décidé de prendre ? Mya aurait dû être en colère. Elle savait qu’une partie d’elle aurait dû en vouloir à Oliver de lui avoir laissé le fardeau d’annoncer cette nouvelle. Mais elle en était incapable. Parce qu’au fond d’elle, elle savait qu’elle en comprenait les raison. Malgré elle, elle en comprenait les raisons. Et elle savait aussi que la décision était déjà assez difficile pour Oliver, si elle pouvait lui retirer ce poids. Il ne s’agissait pas, après tout, de la première mauvaise nouvelle à laquelle la famille Blackwood faisait face cette semaine. Si Mya pouvait retirer ce fardeau d’annonce des épaules de son frère, elle le ferait avec plaisir. Elle ferait tout pour cette famille.

Eva était déjà partie quand Mya s’était finalement réveillée. Elle avait déjà donné une indisponibilité pour enseigner pour la journée – s’était assurée d’avoir une journée de congé quand Oliver était venu lui demander de l’accompagner pour regarder les étoiles – même si elle ne savait pas au moment de cette demande ce qui l’attendait. On le lui avait accordé et quel qu’un d’autre allait prendre les enfants aujourd’hui. C’était mieux ainsi. Elle n’aurait pas été en mesure de leur enseigner quoi que ce soit dans cet été. Eva était déjà partie quand Mya s’était finalement réveillée. Sans doute pour aller courir comme elle en avait l’habitude. C’était rassurante pour la musicienne de savoir que sa sœur avait trouvé une échappatoire mentale à toute cette situation. Mais elle s’inquiétait tout de même pour celle-ci.

En revenant dans la chambre après le petit-déjeuner qu’elle n’avait pas pu avaler, la gorge trop serrée par l’émotion. La peine lui retournant l’estomac. Mya fut soulagée de constater la présence de sa jumelle. Déjà, Mya sent que la tristesse de sa sœur n’est qu’un echo à la sienne. Si seulement je n’avais pas à lui dire… Elle se sent coupable d’être celle qui ajoutera un nouveau poids sur les épaules de celle-ci. La gorge nouée, elle n’arrive pas à répondre à la salutation de sa sœur. Le contact des doigts d’Eva sur sa peau est rassurant. Elle se sent en sécurité avec sa sœur.

Mais la question qui suit est une décharge. Elle ne sait pas comment lui répondre, comment lui avouer. Alors elle tremble, Mya, elle tremble devant la peur. La peur de la réaction de sa sœur qui avait toujours été plus impulsive qu’elle. La peur que malgré sa promesse, Oliver ne revienne pas.  Elle savait, au ton employé par sa sœur, à la lueur qu’elle voyait dans son regard, que cette dernière avait tenté de changer le sujet. D’alléger la situation. Intention louable, Mya le savait, mais elle regrettait maintenant la question. Celle qui créait un point dans son cœur.

« Oliver… »

Sa voix se casse. Il avait promis de revenir. Il avait promis qu’il serait de retour en un seul morceau. En santé. Elle avait décidé de le croire, car elle savait qu’elle ne pouvait en faire autrement. Ce n’était pas la première fois qu’il lui faisait cette promesse. Tous les déploiements qu’avaient effectué Oliver depuis qu’il s’était enrôlé dans l’armée avaient été accompagnés de cette même promesse. Et à chaque fois qu’il avait promis, il avait tenu cette promesse. Certes, le monde était devenu bien plus dangereux, mais elle avait confiance. Il reviendrait. Alors retenant ses larmes, elle posa ses prunelles dans celle identiques de sa sœur jumelle.

Eva la prend dans ses bras. Douceur nécessaire à laquelle Mya répond instantanément, serrant également sa sœur contre elle. L’odeur des cheveux fraîchement lavés à quelque chose de rassurant et l’humidité encore présente camouffle légèrement ces larmes qu’elle laisse échapper. Elle a peur. Elle a confiance en Oliver, mais le danger guette et c’est ce qui la terrorise. Mais la présence de sa sœur à cette particularité de faire taire les cris dans sa tête. Le tourbillon de ses pensées qui s’amenuise. Les émotions, qui sont souvent plus forte qu’elles, prennent maintenant une place moins importante. Eva, c’est son ancrage. Son phare. Son étoile du nord. Alors elle soupire, essuyant ses larmes du revers de la main alors qu’elle se libère de l’étreinte réconfortante de sa sœur. Elle rassemble son courage et lève de nouveau les yeux vers l’émeraude de ceux de sa jumelle.

« Oliver est… Parti…»

Sa voix tremble. Mais elle sait qu’elle doit en dire plus. Qu’elle doit expliquer. Alors Mya attrape les mains de sa sœur et l’attire vers un des lits de la chambre pour qu’elles puissent s’asseoir. Discuter tranquillement.

« Il a quitté ce matin pour aller retrouver Sam… Il va revenir ne t’en fais pas. Mais je crois que c’était… nécessaire ? pour lui. »

Elle secoue la tête négativement. Non ce ne sont pas les bons mots. Mais elle a du mal à remettre ses idées en place. Ce qui ne lui ressemble pas d’ailleurs, elle a toujours eu ce talent pour entrer en contact avec les gens. Mais avec Eva c'était différent. Sa soeur était tout pour elle, donc l'idée de la décevoir était encore plus étouffante. Elle lui sourit gentiment et replaça l'une des mèche de cheveux d'Eva dernière l'oreille de celle-ci, dans un geste affectueux. À la suite de quoi elle lui offre un sourire navré, reflet de sa propre peine. Compréhension.

La voir trembler n'a qu'un seul et unique effet sur moi; je suis dans tous mes états. Déjà, de constater qu'elle est ici au lieu d'être au boulot - quelque chose cloche définitivement. Je n'aime pas ce qui flotte dans l'air, et encore moins cette façon qu'elle a de me regarder, cette incapacité qui la paralyse et que je sais trop bien reconnaître. J'ai une soudaine envie de gerber, tellement je me déteste de ne pas savoir la réconforter, là, tout de suite. Son absence de réponse ne peut que me rendre de plus en plus anxieuse, le pire. Elle prononce le nom de notre grand frère, du bout des lèvres, mais c'est quand je la serre contre moi que je capte vraiment que ma jumelle est en train de s'étouffer dans le bordel de son propre crâne. Je le sais, parce que je fais pareil.

Je l'observe en silence, quand je la libère de mes bras, les billes rivées sur ses larmes. Une rage froide s'empare de mon âme - comme à chaque fois que je la vois souffrir. Je ravale ma salive, baissant les cils un instant. Mais je fronce plutôt les sourcils quand elle m'annonce enfin ce qui la perturbe autant. Sauf que je ne suis pas certaine de comprendre. Oliver s'entête à courir après Sam, sérieusement? Il laisse Mya dans sa propre merde? Ne sait-il pas à quel point elle a besoin de lui? Il ose ne pas choisir son propre sang? Aiden ne prendrait jamais une telle décision.

« Je - qu'est-ce que, quoi? » Je cligne des yeux plusieurs fois, secouant même la tête tant l'information n'ose pas se rendre à ma cervelle. J'ai l'impression de ne plus rien entendre autour, enveloppée dans ma petite bulle de confusion, tandis que Mya m'amène poser les fesses sur le lit. Je fixe le vide, comprenant lentement mais sûrement les conséquences de cette annonce - sans pour autant en comprendre les raisons. N'est-il pas conscient des risques? C'est ce qu'il me répète à chaque fois que nous sommes dehors, après tout. La main de ma jumelle dans mes mèches me ramènent dans le présent, même si ses mots ne peuvent que me frustrer encore plus. Oh, je sais bien qu'elle ne tente pas de justifier les actions d'Oliver, mais c'est plus fort que moi.

« Nécessaire? NÉCESSAIRE? » Jamais je n'oserais crier sur ma petite soeur, mais le son de ma voix est certes plus sec et claquant qu'à l'habitude. Je me relève d'un seul coup, les larmes aux yeux, brièvement. Mais je passe la main sur mes traits, puis dans mes cheveux, avant de soupirer pour reprendre le contrôle. « Quel putain d'imbécile. » que je rumine en fermant les yeux. Quand je les ouvre à nouveau, c'est pour scruter Mya. Je me mord la lèvre, réalisant facilement qu'elle a besoin de mon soutien - pas de ma colère. Même si je suis prête à brûler tout autour de moi, en ce moment. Je retourne donc sur le lit, à côté d'elle, posant doucement mes doigts à sa joue en tentant de lui sourire à mon tour. Ce n'est pas le sourire le plus éloquent de toute l'histoire de l'humanité - je sais qu'elle saura voir à travers - mais c'est l'intention qui compte, non?

« Tu - t'as plus de détails? Qu'est-ce qu'il a dit, exactement? » que je demande ensuite, faisant un effort surhumain pour rester calme - pour elle. Seulement pour elle. Je panique intérieurement, soupirant dans une tentative que je sais vouée à l'échec pour ne pas l'alarmer. Je suis parfaitement consciente que je ne fais qu'alimenter ses craintes et ses doutes, parce qu'elle me connaît par coeur - même sans que je dise le moindre mot. Évidemment que je suis morte de trouille. Je ne cesse de me demander comment Oliver peut-il faire une telle chose à ma copie - mais plus la réalité de la nouvelle me frappe, et plus j'ai la sale impression d'être abandonnée à mon sort aussi. Comme si la poursuite de Sam devenait soudainement plus importante que notre famille. Quelle absurdité.

Mais je n'ai pas le choix de réconforter ma petite soeur. Puisque de toute évidence, Oliver m'en laisse la responsabilité, de par ses choix. Et si j'ai moi-même un trou dans la poitrine, je me préoccupe beaucoup plus de celui qui creuse le coeur de Mya.

« Il va rentrer, okay? Il rentre toujours. » Il va rentrer, oui - et je vais moi-même lui trancher la gorge.

Les mots avaient finalement franchi ses lèvres. Parce qu’elle ne pouvait pas lui mentir. Parce qu’elle ne pouvait pas le lui cacher. Eva aurait lu en elle comme dans un livre ouvert même si elle avait tenté de lui faire croire que tout allait bien. Elle aurait continué de poser des questions jusqu’à obtenir la vérité. Car Mya était ainsi, elle avait besoin de sa soeur, et elle ne pouvait rien lui cacher. Parce que le jour où elles allaient se mentir, elles allaient se perdre. Ou du moins, c’est ce que la benjamine croyait. Elle avait pleuré, avait tenté de faire taire toutes ses pensées, mais sans espoir. Elle se noyait. Elle se perdait dans le chaos de la peur et des questionnements. Elle sombrait, tranquillement, dans les idées qui la paralysaient. La présence d’Eva estompait un peu cette confusion, cette réaction, comme une bouffée d’air avant de replonger sous l’eau. Cette bouffée d’air qui te permet de tenir un peu plus longtemps.

Elle tremble. Elle a peur. Mais elle ne sait plus si elle craint plus pour la sécurité de leur frère, seul dehors, ou la réaction de sa soeur, qu’elle devine être plus explosive que celle qu’avait eu la musicienne la veille au soir. Elle se mord la lèvre, honteuse de ne pas lui en avoir parlé plus tôt.

Elle ne peut plus s'appuyer sur Eva. Plus maintenant, plus dans ce contexte. Eva n’est pas une bouée de sauvetage - et Mya ne l’a jamais volontairement prit comme tel - Mya sait bien que sa soeur à ses propres démons. Elle ne peut être celle qui la fera couler. Pas ainsi.  Tout en laissant échapper un sanglot étouffé, Mya tente de se montrer forte, de ne pas laisser la peur - de perdre Oliver, de la colère possible d’Eva, de perdre sa soeur par cette colère - prendre le dessus. Et elle lui dit tout… Ou presque.

L’incrédulité d’Eva est le reflet même de l’acceptation de Mya. D’un autre côté, la benjamine à eu la nuit pour retourner la situation dans tous les sens et se faire à l’idée qu’elle ne pouvait rien y changer. Mya voit que ses paroles ont été blessantes, mais elle se devait d’être honnête, de faire passer le message comme elle avait dit qu’elle le ferait. Elle sait que les mots qui franchissent la barrière des lippes de sa soeur de sont qu’un surplus d’émotions. La musicienne regarde sa soeur énervée. « Tu ne penses pas ça… » Oliver prenait des drôles de décisions, certes, mais imbécile, surtout pas. Eva revient prendre place près d’elle et Mya accepte cette présence. Rassurante. Réconfortante. Après tout, ça avait toujours été elles deux contre le reste du monde. Elle lit facilement les émotions de sa soeur à cet instant, et à un sourire de colère, Mya ne peut que répondre avec un sourire de tristesse. Elles essaient. Mais elles savent.

Mya lève les yeux au ciel, comme si en cette matinée, comme si à travers le plafond étanche de leur chambre, elle pouvait voir les étoiles. Elle ne voit rien, mais elle devine leur présence. Les yeux toujours au ciel dans ce geste habituel, elle prend une grande inspiration. « Il a reçu une lettre si j’ai bien compris. Une lettre de Sam. Tu sais qu’il ne pouvait pas s’empêcher d'y aller, c’est son meilleur ami. » Ami ? Plus qu’ami ? Mya s’était déjà posé la question, mais n’avait pas demandé. Je ferais la même chose pour toi. Elle tourne les yeux vers Eva, espérant que son regard lui ferait comprendre que c’était pour le mieux. Même si elle n’y croyait pas vraiment.

La voix de sa jumelle émane toujours de colère. Une colère que la benjamine ressent également, sans qu’elle ne comprenne pourquoi. Un nouveau soupir. « Dans de telles conditions… » Dans l’apocalypse. Dans le drame. Alors qu’une seule goutte d’eau peut causer la mort. « C'est comme une expédition, non ? Et puis, Sam était ici il n’y a pas si longtemps, il ne doit pas être bien loin, non ? » Elle offre un sourire qui se veut rassurant. Elle ne sait plus qui des deux tente de rassurer l’autre à cet instant. Mais la colère palpable, les non-dits, c’est trop pour elle. « Tu sais Eva, t’as pas besoin de te montrer forte pour moi… » Parce que toute cette colère accumulée depuis le début de la conversation lui faisait peur. Peur de ce qui allait arriver quand tout allait éclater.

Oh, bien sûr que je le pense. Si Ollie est un militaire rusé, il semble aussi prendre des décisions irréfléchies - voir même stupides. Je sais qui il est, et je sais ce dont il est capable - mais son départ ne fait toujours aucun sens à mes yeux. Je sais que Sam compte énormément pour lui, sauf qu'il doit me manquer tout un tas d'informations pour réellement capter ses justifications. Lui qui est typiquement assez rigide, surtout quand il est question des procédures en vigueur - une escapade du genre ne lui ressemble tout simplement pas. Enfin, peut-être est-ce seulement ce que j'ai envie de croire, pour que son départ fasse un peu moins mal. Rien de plus facile que de nier la réalité des choses, non?

Je vois Mya lever les yeux vers le plafond - et je pense que ça pourrait presque me tuer sur place. Je sais trop bien ce qu'elle tente de faire, en cherchant les étoiles. Je l'écoute parler de cette fameuse lettre, tandis qu'elle tente encore et toujours de disculper les actions de notre frère. Je ne sais pas vraiment ce que je dois lui répondre, d'ailleurs. Encore une fois, je veux bien que Sam puisse être son meilleur ami, une personne qui compte plus que tout à ses yeux - mais je ne peux m'empêcher de penser qu'Oliver aurait pu réfléchir à une solution plus intelligente, ne serait-ce qu'avec un peu de recul, de temps, et de soutien de la part de ses deux soeurs. « J'imagine que personne n'aurait pu le convaincre de rester, oui. » que je lâche en m'accrochant toujours à cette haine qui ne semble pas quitter mon âme. Certes, je ne peux pas non plus prétendre qu'il est la seule tête de pioche de la famille, mais là n'est pas la question.

« Je pourrais faire brûler le monde entier pour toi, Mya, mais je - » Je soupire, forcée d'admettre qu'elle marque un point en admettant qu'elle ferait la même chose pour nous. Même si Sam n'est pas la famille d'Ollie. « Tu as probablement raison, enfin. » que je tente d'avouer à moitié, bien malgré moi.

« Oh, tu sais bien qu'il sait se débrouiller, dehors. » que je précise tout de suite, quand elle parle des conditions difficiles, à l'extérieur. « Comme une expédition, voilà. Tu sais aussi à quel point il est agaçant, avec ses règles de sécurité, et tout ce qui vient avec. » C'est la vérité, le pire. Et j'espère que c'est suffisant pour rassurer la plus jeune Blackwood, même si je sais que rien ne pourra tout à fait effacer nos doutes. Un sourire s'imprime sur mes traits, n'empêche, quand je vois le sien. Je fais de mon mieux pour me détendre - parce que de toute évidence, je suis bien impuissante, sur le coup. Oliver est déjà loin. C'est plutôt ce que ma petite soeur affirme ensuite qui me fait lever la tête vers elle, plantant mes yeux dans les siens, identiques.

Me montrer forte? J'ai l'impression de faire tout le contraire, là, tout de suite. Si j'étais si forte que ça, je pourrais l'épauler sans m'enflammer à chaque fois. Et puis, ce n'est pas une corvée que d'être présente pour elle - loin de là. Je veux qu'elle puisse partager ce qui lui embrouille le crâne. Toujours. Et sans filtre. « Qu'est-ce que tu racontes, là? » que je demande en riant un brin nerveusement, venant jouer avec ses mèches, un instant.

« Je n'ai pas besoin d'être forte pour toi, sombre idiote. Tu es déjà forte sans moi. » J'aime bien la taquiner, surtout quand il est question d'un sujet plus délicat - ce n'est rien de nouveau. « Et puis, je ne tente pas de te montrer quoi que ce soit. Je suis... frustrée, c'est tout. » que j'ajoute doucement, ne m'expliquant pas nécessairement pourquoi cette colère m'habite toujours si vite, et avec autant de violence. Je croise les jambes en tailleur, m'installant un peu plus confortablement en venant jouer avec les draps, entre mes doigts. Il faut vraiment que j'apprenne à me calmer, je crois que je fais peur à ma propre jumelle.

Je fronce les sourcils, pourtant, me demandant si c'est vraiment ce qui est à l'origine de son commentaire. « Il y a quelque chose que tu ne me dis pas, Mya? »

Le silence de sa soeur parle encore plus que les mots. Elle comprend, elle ressent. Et Mya se sent prise au dépourvu alors qu’elle comprend dans ce silence qu’elle s’est trompée sur les paroles de sa soeur. Qu’elle pense les reproches qu’elle adresse à leur aîné. Et Mya se sent briser un peu plus alors qu’elle comprend que certaines tensions sont présentes entre eux. Assez pour les briser ? Elle en doute, mais la crainte germe doucement. Mais elle refuse catégoriquement de se ranger du point de vue de sa soeur.

Le regard tourné vers le plafond, vers le ciel qu’elle devine bien loin derrière le voile trouble de leur monde. Et elle explique ce qu’elle a entendu, les informations qu’elle a reçues. Comme si les étoiles, même invisibles, lui donnaient la force d’exprimer ces mots. Les souvenirs de sa discussion avec Oliver se mêlent à la réalité, alors qu’elle revoit les constellations qu’ils se sont amusés à identifier la vieille au soir. Et elle espère Mya, alors que son coeur se serre un peu plus, qu’il lui reviendra comme il l’avait promis. Elle espère. Mais pour le moment, elle a Eva. Elle ne peut pas perdre Eva. Et la musicienne échappe un léger rire. Ce petit son trahissant à nervosité, sa peur et sa tristesse. Mais elle ne peut que rire à cette remarque de la part de sa jumelle. Et un sourire en coin sur les lèvres, elle acquiesce. « En effet… Je ne pense pas qu’on aurait pu le retenir ». Elle avait prononcé ses mots dans un soupir. Parce qu’elle y croit. Parce qu’elle comprend, dans un sens, la décision d’Oliver.

Elle sourit tristement à sa soeur alors que celle-ci admet pouvoir faire brûler le monde. L’interruption des paroles d’Eva lui indique qu’elle a bel et bien marqué un point. Et une larme coule lentement, silencieusement sur sa joue. Elle ne veut pas avoir cette conversation, elle ne veut pas penser qu’elle pourrait les perdre un jour. Et le fait que sa soeur lui concède ce point ne fait qu’accentuer cette peur.  

Finalement, elle éclate d'un rire franc. Un qu’elle ne peut retenir. « Je ne suis pas assez sortie pour savoir à quel point il est casse-pieds ! Mais j’imagine que tu ne te gènes pas pour enfreindre ces règles, non ? » Mya offre à sa soeur un sourire malicieux. Elle la connaît assez pour savoir que le côté intrépide de sa moitiée ne doit que faire tourner Oliver en bourrique à chaque expédition. « Mais tu as sans doute raison.. » C’est à son tour de concéder un point. Oliver est prudent, il n’y a aucune raison qu’il ne revienne pas. Eva à raison. Et alors que sa soeur lui sourit en retour, Mya se sent légèrement apaisée. L’espace d’une seconde.

Et elle dit ce qu’elle a sur le coeur. Cette tension palpable. Cette colère. Ce regret. Trop d’émotions tournent dans la pièce, s’alternent dans l’esprit de l'une comme l’autre. Et l’accumulation lui fait peur. Mya soutient le regard de sa jumelle, alors qu’elle n’a pas l’habitude de lui tenir tête. Mais il faut qu’Eva comprenne. Au commentaire de l’aviatrice, la plus jeune des deux secoue négativement la tête. Puis elle fait un signe en direction d’Eva, comme pour présenter un plat qu’elle aurait eu dans les main, mais qui sont vides. « Voilà ! C’est exactement ce que je veux dire. »  L’instant d’après, ses mains retombent sur ses genoux alors qu’elle détourne le regard vers le mur à sa gauche. Elle sent que sa soeur agrippe les draps, signe de nervosité qu’elle ne connaît que trop bien. Peut-elle vraiment continuer sur cette lancée? Mais Eva relance la conversation et Mya sait qu’elle n’a plus le choix.

« Et toi ? Il y a quelque chose que tu ne me dis pas ? » La voix qui brise légèrement. Elle se tourne de nouveau pour poser un regard humide en direction de sa jumelle. Mya se maudit intérieurement, refusant de pleurer. « Parce que justement, t’es frustrée. T’es frustrée et tu tentes de le refouler. De ne pas m’en parler. C’est toujours comme ça. T'asp as à refouler ta colère parce que je suis là tu sais, à te montrer forte ou je sais pas quoi. Pourquoi tu refuses de… » Elle s'interrompt, réalisant alors la portée de ces propos. Qu’est-ce que tu me caches ? Pourquoi tu refoules autant ce que tu ressens ? Mais les mots ont été dits et il est peut-être trop tard pour sauver la situation. Parce la véritable question, elle ne voulait pas la poser.

Pourquoi j'ai peur que tu ne me fasses pas confiance ?

« Moi? Ne pas adhérer aux règles en vigueur? Je ne vois vraiment pas de quoi tu veux parler. » que je lâche avant de pouffer de rire, les yeux toujours collés sur ma moitié. C'est si bon, de rire avec elle - j'ai l'impression de reprendre vie. De revenir à zéro, dans le bon sens du terme. Avant toute la merde. Avant toutes les tragédies et les cicatrices qui viennent avec. Enfin. Mya semble rassurée de ce que j'avance, à propos de la sécurité d'Ollie. C'est déjà ça, même si je me doute que ses craintes ne vont pas disparaître du jour au lendemain.

Nos éclats de rire ne tardent pas à laisser place au silence, n'empêche. À la frustration, même. Je crois que c'est peut-être la première fois que je peux sentir une tension aussi palpable entre nous deux - et je n'aime pas du tout le sentiment de panique qui cercle ma gorge quand je réalise la chose. J'étouffe, rien de moins. Je n'ai pas la force de gérer le tourbillon qui s'empare de ma tête. Je savais que quelque chose n'allait pas; je l'ai su dès qu'elle a osé me défier du regard. Comme si quelque chose la poussait à s'inquiéter à outrance, s'inquiéter jusqu'à ne plus pouvoir faire marche arrière.

Elle s'énerve, rien de moins. Mes billes détaillent ses mains vides qui s'avancent vers moi, et je ne comprend pas tout à fait ce qu'elle tente de prouver. Mes paroles, cette fois, ne sont pas suffisantes. J'ai l'impression qu'elle voit clair dans mon jeu. Comme si mes efforts constants n'étaient plus assez persuasifs pour chasser le doute dans ses prunelles. Je me redresse sur le lit, quand elle me renvoie la question que j'ai moi-même posé, l'instant d'avant. Ce que je n'ose pas dire, hein? J'ouvre la bouche pour parler, mais je suis incapable de lui mentir. Incapable de lui dire que je ne cache rien, que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Alors je la ferme, me contentant de la regarder comme une putain d'imbécile.

Mon regard est rivé sur elle quand elle continue, déstabilisée autant par les larmes qui veulent perler à ses yeux que par ses propos. Mya, qui d'ordinaire ne prononce pas un mot plus haut que l'autre, s'entête à me dire mes quatre vérités, de toute évidence. Je m'agite un peu dans mon coin, secouant parfois la tête sans vraiment le vouloir tant j'ai du mal à capter ce qu'elle me reproche. « Mais bien sûr que je refoule - si je ne réprime pas, si je ne fais pas l'effort de balayer certaines choses du revers de la main, j'explose. Et quand j'explose, on me reproche mes excès de colère et mes états d'âmes trop volatiles. Je ne gagne jamais. » Damned if I do, damned if I don't. Je me relève, cette fois, trop dérangée par ses paroles pour que je tolère de rester assise. « Ça n'a rien à voir avec toi, Mya, c'est - c'est moi, je - » Je soupire, croisant les bras sur ma poitrine quelques secondes, marchant distraitement dans la pièce avant de revenir vers ma petite soeur, dépitée.

« Je fais des efforts, okay? Je ne suis pas douée pour - pour parler. Je ne suis pas toi. » Je ne sais pas pourquoi ça me fait aussi mal de le dire. Nouveau soupir. Je viens me poser à genoux, près du lit où elle est installée. Je prends sa main dans la mienne, ne sachant plus si j'ai le courage de lui dire ce que je veux lui dire. « La vérité c'est que j'ai envie de tout péter, la plupart du temps. Un rien me fait délirer - j'essaie simplement de me réguler, je sais pas. Je pensais peut-être mieux gérer cette vie là, mais non. Je n'en parle pas vraiment, certes - mais à quoi bon? Pourquoi diable est-ce que je voudrais t'empoisonner avec mes idées? Je veux juste que tu puisses être heureuse. Et en sécurité. » Je baisse la tête, épuisée par mon discours à la con.

« Et pour le reste, je - » Putain, qu'est-ce que j'ai envie de me défiler. « Je ne suis pas prête à parler du reste, okay? Tu es la personne la plus importante de ma vie, Mya. Mais j'ai besoin de temps. Tu veux bien me donner du temps? »