No one escape unscathed

Les doigts gantés effleurent le sol. Elle ne prend pas de risques. Le sol glisse sous ses doigts, plus sec que ce qu’elle aurait cru. Toujours accroupie, Murphy relève la tête vers la rivière un peu plus bas. Elle pousse un léger soupir avant de prendre un échantillon du sol, dans un bocal approprié, et de le ranger dans son sac. Elle ne peut se permettre de laisser un élément derrière elle. Et même si amasser de la terre lui semble un peu idiot, on ne sait jamais ce qu’elle pourrait y trouver. Elle se relève lentement et fouille dans son sac, tout en faisant quelques pas vers la rivière. Elle sait que cela ne lui attirera pas la sympathie de l’homme qui est avec elle sur cette sortie. Murphy se doute même qu’il doit pester intérieurement de la voir ainsi s’approcher de l’eau. Mais si elle ne le fait pas, qui le fera ? Et l’eau reste la meilleure source pour comprendre le comportement de ce virus, puisqu’elle est ce qui le propage le plus rapidement. La rouquine est extrêmement méticuleuse, alors qu’elle approche sa fiole de la rivière, tentant d’empêcher sa main gantée d’entrer en contact avec l’eau. Un instant. Puis un autre. Elle se relève de nouveau et s’éloigne de quelques pas avant de placer la fiole (bien fermée hermétiquement) dans un sac qu’elle referme tout aussi soigneusement. Elle ne peut se permettre de voir le précieux liquide couler. Mais ce n’est pas exactement ce qu’elle espérait récolter lors de cette sortie. Elle avait rôdé quelques heures, appréciant le silence que gardait son compagnon de route, récupérant ça et là quelques échantillons qui auraient pu lui être utiles. Mais rien de bien satisfaisant.

Elle poussa un nouveau soupir, tout en rebroussant chemin pour revenir à la hauteur de son compagnon de route. « Les animaux doivent aussi transporter des particules qui ont mutées… Dis moi si tu vois quelque chose, tu veux bien ? » Elle dépassa alors l’endroit où son compagnon de route était resté planté et repris sa marche vers les anciens quartiers résidentiels. Murphy savait qu’elle aurait sans doute du mieux formuler sa demande, mais elle était concentrée sur sa mission et adjoint du chef du camp ou non, Eddison Clark ne l’intimidait pas réellement. Du moins, pas dans le contexte de recherches dans lequel il l’avait accompagnée. Elle tentait de restée concentrée sur les besoins du laboratoire pour les prochaines expériences, mais il fallait l’avouer, Murphy était plutôt soulagée de savoir que Clark était avec elle. On ne savait jamais sur quoi ils pouvaient tomber.

Elle avançait en silence. Le bruit de ses pas en écho à celui que créait Eddison en marchant derrière elle. Murphy s’arrêta de nouveau et attrapa quelques plumes de colvert qu’un canard effrayé avait perdues. Au moins, elle ne rentrerait pas les mains vides. « Tu sais… Je comprends qu’on ait fermé l’aile médicale. Mais le meilleur moyen de comprendre tous les stades de développement du virus aurait quand même été de prendre les échantillons à même un infecté. » Ou sur un rôdeur pourquoi pas ? Le plus pratique serait définitivement d’avoir un rôdeur en captivité. Et aussi ignoble la pensée pouvait-elle être, Murphy savait que c’était le meilleur moyen de trouver un remède. Mais le danger était trop grand. Surtout après l’éclosion massive qui s’était produite à l’époque de l’aile médicale. Elle en gardait encore des souvenirs. Elle secoua négativement la tête, espérant que le militaire comprenne à ce geste qu’elle trouvait sa propre idée complètement ridicule, puis elle se remit en route. Les mèches rousses s’étaient échappées du chignon décoiffé qu’elle s’était fait pour rapidement retirer ses cheveux de son visage. Clairement, elle devait avoir l'air d’avoir couru pour sa survie. Ou alors de n'avoir pas dormi depuis plusieurs jours. Dans tous les dans, Murphy savait qu’elle n’était pas à son meilleur. En même temps, elle avait pensé avoir fait une avancée intéressante dans les derniers jours et n’avait donc que peu dormi pour garder un œil sur son travail. Mais voilà maintenant quelques heures qu’ils étaient sortis, Clark et elle, et la rouquine se doutait bien qu’il allait bientôt lui annoncer qu’il était temps de rentrer. Elle leva les yeux au ciel, ce n’était pas plus mal de rentrer bientôt, le ciel menaçait de se couvrir. Elle qui avait pourtant fait attention à choisir une journée que le météorologiste de la Colline avait assurée être ensoleillée. Un craquement retentit sur leur gauche alors qu'ils approchaient de la lisière du boisé qui avait autrefois servi de piste de course pour rejoindre le quartier résidentiel. Murphy sursauta. Décidément, la situation la rendit nerveuse. Elle tentait de se convaincre que ce n’était rien de grave quand plusieurs autres bruits secs se firent entendre. Murphy recula instinctivement pour se rapprocher d’Eddison. « Tu penses qu’on a affaire à quoi ? ». Elle espérait profondément qu’il lui dise qu’il ne s’agissait que d’un animal. Des survivants, ça ne lui disait rien de bon, les gens étant de plus en plus agressifs dernièrement. L’idée de croiser un rôdeur ou un brûleur ne lui plaisait pas vraiment non plus, mais pourrait être utile pour ses recherches. Tendue, Murphy lança un regard empli d’interrogation à son compagnon, avant de se remettre en route, espérant qu’il ne s’agissait que des bruits naturels de la forêt.

Avant que l’on vienne le déranger, CJ était profondément impliqué dans les opérations internes de la colline. En tant que chef-adjoint, sa journée commençait souvent par une réunion stratégique avec le leader, où des décisions cruciales étaient prises pour la sécurité et la survie de la communauté. Il était constamment en mouvement, supervisant les patrouilles, coordonnant les ressources et s'assurant que chaque aspect de la colline était prêt à faire face aux menaces extérieures. Entre les responsabilités liées à sa position de chef-adjoint, CJ consacrait du temps à l'entraînement des nouvelles recrues, partageant son expérience militaire et les principes de discipline qu'il considérait essentiels. Il intervenait parfois dans les conflits internes, agissant en médiateur pour maintenir la stabilité au sein du camp. Son quotidien était également marqué par des moments de réflexion solitaire. En retrouvant la quiétude de son quartier, il se remémorait souvent les épreuves qu'il avait traversées et réfléchissait à la manière dont son passé influençait sa manière de diriger la colline. Dans ces moments de recul, le poids de la responsabilité et les souvenirs sombres de son passé se mêlaient.

CJ, avec sa réputation d'explorateur aguerri, assuma la mission cruciale d'accompagner Murphy à l'extérieur pour collecter des échantillons. Sa discipline militaire et son expérience des environnements hostiles on fait de lui un choix évident pour assurer la sécurité de la scientifique. Avant le départ, le militaire coordonna méticuleusement les détails de la mission à la rouquine. Ils établissaient des itinéraires sécurisés, discutaient des protocoles de sécurité, et planifiaient des signaux de communication en cas de danger. La protection de Murphy était la priorité, et CJ veillerait à ce que l'expédition se déroule sans heurts. Enfin, c’est ce qu'il croyait.

Les paroles de Murphy flottèrent dans l'air. Cependant, CJ ne répondit pas. Trop concentré sur les alentours, son esprit demeurait focalisé sur la sécurité de l'expédition. Les subtilités de la génétique mutée des animaux n'étaient pas son domaine de prédilection. Pour lui, la priorité était de déceler tout danger imminent, de surveiller les mouvements des rôdeurs ou survivants qui pouvaient représenter une menace pour leur expédition et le ciel qui semblait pour le moment dégagé.

CJ, toujours aussi taciturne, écouta une nouvelle fois les paroles de Murphy avec une patience apparente, prêt à lui répondre. Cependant, son regard aiguisé ne manqua pas de remarquer le geste subtil de la femme, un signe énigmatique qui laissait entendre qu'elle souhaitait qu'il oublie ce qu'elle venait de dire. Un froncement de sourcils imperceptible trahit la surprise de CJ face à ce geste. Sa réaction initiale, teintée de sarcasme et d'irritation, sembla soudainement suspendue dans l'air. Une lueur de perplexité traversa son regard alors qu'il assimilait le signal de Murphy. Cependant, la discipline et le pragmatisme qui caractérisaient CJ reprirent rapidement le dessus. Il acquiesça légèrement, un signe subtil indiquant qu'il comprenait le message de la chercheuse. Bien que ses pensées puissent être agitées, son visage demeura imperturbable, cachant toute émotion qui aurait pu trahir son ressenti. La décision de fermer cette section avait été l'une des nombreuses épreuves qu'il avait traversées pour assurer la survie de la colline. Son engagement envers la sécurité de la communauté avait souvent exigé des choix difficiles, des choix qu'il avait acceptés, même s'ils étaient parfois douloureux pour les autres. Des familles avaient été brisées ce jour-là, mais il ne regrettait pas son geste et le referait sans problème.

Alors qu'ils avançaient à la lisière du boisé, plusieurs bruits secs se firent entendre, des bruits de pas qui semblaient se diriger vers eux. Son regard croisa brièvement celui de Murphy, et pour une rare fois, il décida de briser le silence qui le caractérisait habituellement. D'une voix ferme mais discrète, il donna l'ordre à Murphy de se cacher derrière une petite bâtisse. "Cache-toi là-bas," articula-t-il, indiquant du menton l'endroit qu'il jugeait sûr. Son regard exprimait l'urgence et la nécessité de l'obéissance immédiate. Deux silhouettes émergeaient des ombres, des survivants déterminés, mais dont l'intention n'était pas claire. CJ, lourdement armé, son M4 fermement entre les mains, ne laissait aucune place à la pitié dans ses yeux déterminés. Les regards se croisèrent, une tension électrique flottant dans l'air. CJ, n'était pas du genre à reculer face à une menace. Son expression demeurait impassible, mais son M4 était prêt à cracher le feu au moindre signe d'hostilité.

"Restez là." déclara-t-il d'une voix calme mais autoritaire, fixant les intrus avec une intensité qui dissuadait toute idée d'agression, mais l’être humain était devenu idiot. Un éclair de mouvement furtif, et l'un des survivants fondit sur CJ avec une détermination audacieuse. Cependant, le soldat aguerri avait anticipé cette éventualité. D'un mouvement vif, il réagit avec une agilité impressionnante. Son M4 pivota, et en un éclair, le canon de l'arme pointa vers son assaillant. Sans la moindre hésitation, un coup retentit, déchirant le silence. L'intrus, pris par surprise, s'effondra au sol dans un gémissement de douleur, sa tentative d'attaque anéantie. "Enfoiré !" CJ demeura impassible, son regard fixé sur l'intrus au sol. La lueur froide de son regard exprimait la clarté implacable de sa décision.

Dans un geste rapide, l'autre individu dégaina une arme, cherchant à répondre à la violence avec la violence. CJ, habitué à faire face à des situations périlleuses, réagit instinctivement. D'un mouvement fluide, il tira son Glock de son étui. Le son sec d'un coup de feu retentit. La précision habituelle du militaire ne faillit pas. La balle trouva sa cible, et l'intrus, son arme toujours à la main, s'effondra au sol. Le regard déterminé de CJ ne laissait aucune place à la pitié, la confrontation s'était conclue avec une brutalité inévitable. L'homme à terre, gravement blessé et suppliant, implora la clémence du soldat dans un murmure désespéré. Cependant, le regard imperturbable du chef-adjoint de la colline demeura inchangé, le poids des décisions difficiles pesant sur ses épaules.

CJ, confronté à la réalité brutale de ce monde où la clémence pouvait être synonyme de vulnérabilité, prit une décision résolue. Sans un mot, il leva son arme une dernière fois, mettant fin à la souffrance de l'homme agonisant. Le coup de feu retentit, laissant derrière lui le silence. Cette action, bien que dénuée de compassion apparente, reflétait la réalité impitoyable à laquelle CJ avait dû s'adapter pour protéger la colline. Le regard de l’homme ne montrait ni triomphe ni remords, seulement la détermination résolue de quelqu'un prêt à faire les choix difficiles pour assurer la survie dans un monde où la clémence était souvent un luxe inaccessible.

Après avoir mis fin à la menace, CJ rangea son arme avec la même efficacité qu'il l'avait sortie. Son regard scrutateur balaya l'environnement, s'assurant que la zone était sécurisée. Une fois convaincu du calme retrouvé, il se pencha vers les corps des intrus, une lueur pragmatique dans les yeux. Les gestes de fouille furent méthodiques, révélant l'habitude forgée par la nécessité de trouver des ressources dans un monde où la survie dépendait de chaque objet utile. Les poches furent inspectées, les armes récupérées, et tout ce qui pouvait être utile fut méthodiquement rassemblé. CJ, bien qu'implacable dans son devoir de protection, était aussi un pragmatique. Chaque objet récupéré des corps des intrus représentait une ressource potentiellement vitale pour la colline. Sa discipline militaire et son expérience des réalités du monde de maintenant se reflétaient dans ses actions, des gestes qui étaient devenus presque une seconde nature dans sa quête constante de préserver la survie du camp.

Après avoir fouillé les corps des intrus, CJ se redressa et se tourna vers Murphy d'un regard sévère, empreint d'urgence. "On ne peut pas rester ici. Mes tirs pourraient avoir alerté des rôdeurs. On bouge,," déclara-t-il d'une voix ferme, mettant l'accent sur la nécessité de quitter rapidement la zone.

Elle était heureuse de sortir Murphy. Non pas qu’elle n’aimait pas la sécurité de la Colline, ou encore le temps passé à son travail. Ô non, elle adorait ces moments d’expérimentations, seule avec ses objectifs. Mais la pression qui venait avec l’idée de devoir fournir ce résultat qui lui échappait toujours commençait à peser lourd sur son moral. Sortir, prendre l’air, respirer la nature. C’était un conseil de son père qu’elle appliquait religieusement, à chaque fois qu’elle se sentait prise dans une impasse. De plus, cette sortie allait lui permettre d’avoir de bons échantillons, exactement ce dont elle aurait besoin pour poursuivre ses recherches. Cette sortie promettait d’être positive, mais bien entendu, rien dans cette vie ne permettait d’en être certains. Murphy était cependant heureuse que ce soit Eddison Clark qui avait été désigné pour l'accompagner. L'ancien militaire avait cette prudence rassurante, mais Murphy était également convaincue qu’il la laisserait prendre ce dont elle avait besoin sans tenter d’intervenir ou de poser trop de questions. Un respect mutuel des charges de travail de l’autre. Et surtout, pas besoin d’expliquer toutes les raisons derrière chacun de ses choix. La rouquine avait cette confiance de ne pas avoir besoin de justifier chacun de ses faits et gestes à l’homme qui était avec elle dans cette expédition.

Mais à force de marcher, de réfléchir, d’analyser. Les questions qui tourmentaient son esprit ne pouvaient trouver réponse. La liste des besoins qui défilait dans sa tête, elle tentait comme elle le pouvait de se souvenir de tout, de tout percevoir, de ne rien laisser s'échapper. Mais elle n’était pas une chasseuse, elle n’était pas une pisteuse, elle n’avait pas assez conscience de ses alentours pour pouvoir récupérer tout ce dont elle avait besoin seule. Et elle le savait. Elle avait donc demandé de l’aide à son compagnon d’expédition. L'absence de réponse de ce dernier lui tira un sourire satisfait, comme s’il s’agissait d'une confirmation silencieuse de ce la demande de la jeune femme. Elle savait qu’il l’écoutait. Nouvelle réflexion. Idée partagée, mais elle se trouvait idiote de même avoir pensé à cette situation. Encore plus d’avoir partager cette réflexion. L'acquiescement de l’homme lui confirma qu’il n’allait pas poursuivre le sujet. Murphy était là quand la décision avait été prise, elle en connaissait les raisons. Elle savait aussi que cette décision de fermer l’aile médicale n'avait pas été facile à prendre. Il faudrait qu’elle ait un argumentaire bien établi lorsqu’elle soulèverait le sujet de nouveau. Il ne fallait pas que ce soit fait à la légère comme elle venait de le faire.

Craquements.

Son regard affolé croisa celui de l’homme, imperturbable. Comprenant l’ordre qu’il lui donnait, elle hésita une seconde. La petite bâtisse qu’il avait désignée ne lui semblait pas être le meilleur endroit pour se mettre à couvert, mais elle obéit tout de même. Elle aurait aimé rester avec lui, mais elle savait qu’elle serait sans doute un poids mort, quelle que soit la situation dans laquelle ils s’étaient embourbés. Mais la curiosité était trop forte. Murphy était cachée, le mieux possible sous le couvert de l’endroit désigné, mais le son des pas, puis la voix de CJ qui intimait aux nouveaux arrivants de ne plus bouger. Il leur parlait. C’était donc d’autres survivants, car s’il s’agissait de rôdeurs, il n’aurait certainement pas pris la peine de les avertir, elle en était certaine. Curieuse de savoir de quoi il en retournait, Murphy posa la main sur le mur de la bâtisse et se pencha lentement pour jeter un oeil. Inattentive - ce qui ne lui ressemblait pas - le bruit de la mousse gorgée d’eau sous le poid de sa main la prit par surprise. Avec empressement, elle retira sa main, puis son gant, qu’elle laissa tomber au sol. « Merde... » Par chance, l’eau ne semblait pas avoir eu le temps de traverser le tissu pour toucher sa peau. Elle l'avait échappé de peu. Ce fut les coups de feu qui attirèrent de nouveau son attention sur l’altercation qui se déroulait tout près. Un peu paniquée, elle jeta un nouveau coup d’oeil et laissa échapper un soupir de soulagement en voyant que CJ était encore debout. Il était donc celui qui avait fait feu.

Elle vit, impassible, l’homme sortir une seconde arme, pour se débarrasser du second individu, qui avait eu la même idée. Murphy regarda en silence son compagnon d’expédition mettre fin aux jours de leur assaillant. Une fois celui-ci effondré sur le sol, elle sortit de sa cachette. Elle offrit un sourire désolé à l’homme, mais il n’y avait rien à dire. Elle ne pouvait se défendre correctement, sinon elle aurait sans doute tenté de faire feu elle aussi. C'était leur réalité à présent. Et ils en étaient tous deux conscients. Il n’y avait rien à dire. Les paroles n’effaceraient pas l’horreur de ces gestes. Elles n’effaceraient pas non plus la nécessité de ceux-ci. Elle laissa CJ fouiller les corps et avec un soupir décida de prendre un échantillon de peau sur l’un des deux. Ça pourrait permettre de tester des solutions sans perdre un autre patient. Ces choses que le monde dans lequel ils vivaient les obligeait à faire…

Elle hocha la tête à la remarque d’Eddison. Murphy n’avait que rarement vu ce regard chez l’homme, celui de l’urgence. C’était ce qu’elle considérait le plus près de la peur, dans ce qu’elle avait pu voir chez lui. Elle se mit en route, suivant l’homme et espérant qu’ils ne feraient pas face à une horde de rôdeurs.

Cependant, la menace fut toute autre. Le ciel se mit à gronder. Nerveuse, elle attrapa le bras du militaire pour l'empêcher d’avancer. Murphy leva les yeux au ciel. « Il faut s'éloigner oui… Mais on n’a pas le temps de rentrer. Une idée ? » Parce que les maisons autour d’eux étaient délabrées. Et si la pluie se mettait à tomber, Murphy avait cette impression que les toits ne seraient peut-être pas une assez bonne protection.

Eddison surveillait les environs avec une concentration intense, ne laissant rien échapper à son regard aiguisé. Pendant ce temps, la femme était penché pour prélever des échantillons, plongée dans ses tâches scientifiques. Alors qu'ils se préparaient à reprendre leur avancée, un grondement déchira soudain le silence du ciel. Sans même ciller, Eddison resta impassible, son entraînement militaire lui permettant de maintenir son calme en toutes circonstances. Cela ne servait à rien de paniquer.

Cependant, l'expression de Murphy trahit une urgence croissante. Elle avait attrapé le bras d'Eddison, ses yeux exprimant une anxiété palpable. Son geste brusque le fit réagir, et il se tourna vers elle.

"On doit s'éloigner un peu des corps, les bâtiments ne semblent pas en état, on perdrait trop de temps à trouver un toit et surtout les tirs ont dû réveiller les rôdeurs environnant."

La pression de la situation s'imposa à Eddison. Les bâtiments environnants semblaient peu disposés à les protéger de l'averse imminente. Une décision rapide s'imposait. Ses yeux balayèrent frénétiquement les alentours jusqu'à ce qu'ils se posent sur un camion sur la route non loin d'eux. L'habitacle semblait fermé, offrant un abri temporaire qui les mettrait à l'abri du déluge imminent.

"Là-bas"

Sans plus attendre, il se dirigea vers le véhicule, conscient que chaque seconde comptait dans cette course contre la tempête.

Attrapant fermement la poignée, Eddison fut surpris de constater que la porte était déjà ouverte. Un léger sourire traversa son visage, appréciant la chance qui leur évitait de perdre un temps précieux à déverrouiller la cabine. Pourtant, même si cela aurait été un jeu d'enfant pour lui, le vol de voiture n'était pas un secret pour Eddison. Dans sa jeunesse, il avait navigué dans les eaux troubles du monde de la délinquance, acquérant des compétences qui allaient au-delà des limites légales.

Le militaire se recula pour aider Murphy à monter dans l'habitacle et la suivit de près, la bousculant dans l'urgence car des gouttes venaient de tomber sur le haut de sa capuche. Refermant la porte d'un geste énergique, il se recula pour laisser la demoiselle se placer sur le siège passager. Le cliquetis de la pluie contre le toit métallique du camion résonnait dans l'habitacle, mais ils étaient en sécurité, du moins pour l'instant.

Eddison tira fermement sur les rideaux installés aux fenêtres, obscurcissant l'intérieur du camion pour les protéger des regards indiscrets des rôdeurs. La lumière du jour, filtrée à travers le tissu épais, créait une ambiance feutrée à l'intérieur.

Déposant son sac sur la banquette à l'arrière des sièges, Eddison se mit à organiser leur espace de refuge. Avec un soupir de soulagement, il retira sa capuche, veillant à ne pas entrer en contact avec les gouttes d'eau qui s'y étaient accumulées. Chaque geste était méticuleusement exécuté, la prudence étant de mise dans un monde où le moindre faux pas pouvait avoir des conséquences désastreuses.

"Bien, on va être bloqués ici pendant un moment. Tu n'as pas vraiment choisi le bon cavalier pour tuer le temps...." Eddison déclara d'un ton légèrement ironique, esquissant un sourire pour détendre l'atmosphère tendue qui régnait dans le camion.

Ce n'était un secret pour personne que le militaire n'était pas du genre bavard. Son attitude réservée et parfois froide pouvait être déconcertante pour certains. Pourtant, ceux qui prenaient le temps de le connaître découvraient un homme plus complexe qu'il n'y paraissait, capable de se montrer ouvert une fois qu'on avait réussi à percer sa carapace.

Il était de marbre. Elle l’observait, malgré l’urgence de la situation, et ne pouvait s’empêcher d’admirer cette passivité. Cette capacité à rester en contrôle en tout temps. Murphy avait elle aussi cette capacité, mais principalement dans le laboratoire, en terrain connu. Et puis, la vision des corps tombant au sol, même si le principe ne la dérangeait pas vraiment - elle avait conscience que c’était ces gens, ou Eddison et elle - l’avait malgré tout un peu ébranlée. Mais Eddison était de marbre. Imperturbable. Et elle ne pouvait que l’admirer pour cela. Lui qui avait sauvé leur peau. Alors qu’elle avait été inutile. Si elle ne savait pas se battre, elle savait pertinemment deviner quand le ciel allait déverser son venim. Et ils n’avaient pas le temps de retourner à la Colline, ils en étaient bien trop loin.

Les mots d’Eddison font écho à ce qu’elle pense silencieusement. Murphy se contente donc de hocher la tête à l’affirmative, confirmant au militaire qu’elle en était arrivée à la même conclusion. Sa main, maintenant découverte depuis qu’elle avait abandonné son gant, la démangeait encore. Triste tour de son esprit qui tentait de lui faire comprendre qu’elle était passée près du danger. Près. Mais elle n’avait pas mis la main dans l’eau non plus. Donc pourquoi cette impression fantôme ? Cette apocalypse jouait-elle autant avec son esprit. Et le regard qui parcours le paysage, elle ne voit pas, Murphy, une solution à leur problème.

Il trouve, bien plus vite qu’elle, une solution à laquelle elle n’aurait pas pensé. Un camion en bordure de la route. Murphy hésite une seconde, alors que les souvenirs de la vieille voiture de son père lui reviennent en tête. Celle bagnole usée, dont le caoutchouc qui couvrait les portes, servant d’isolant lors de la fermeture, étaient fendues par le temps. Tellement usés qu’ils n’étaient plus étanche et par jour de pluie, l’eau s’infiltrait à petites gouttes dans l’habitacle. Rien de bien grave, puisque l’intérieur de la porte était en plastique, mais assez pour dire qu’à ce jour, cette voiture serait sans doute un abri mensonger. Mais là m’était pas le temps de se poser des questions et balayant les souvenirs de son esprit, elle écoute Eddison et se dirige vers l’endroit indiqué.

La porte s’ouvre aisément et Eddison recule pour la laisser passer. Murphy esquisse un sourire en coin. Donc même en temps de catastrophe, l’homme est un gentlemen. Mais à peine eut-elle le temps de mettre un pied dans l’habitacle qu’elle sent le poids de Clark la bousculer. Petite, Murphy tombe sur le siège et arrive à se mouvoir pour le laisser passer rapidement. Si son côté avenant est disparu si rapidement, il doit bien y avoir une raison. Raison qui est confirmée quelques secondes plus tard, alors que le son de la pluie se heurtant à la carrosserie lui répond. Elle regarde Eddison retirer son sac et fermer les rideaux, avant de l'imiter et de retirer le sien pour le poser à ses pieds dans la cabine.

Murphy détache ses cheveux alors qu’Eddi prend la parole « Ne t’en fais pas… Pour être honnête, je ne suis sans doute pas la meilleure personne avec qui être coincé ici non plus… » Elle avait conscience de la réputation du militaire, celle de ne pas être une personne d'apparence chaleureuse. Mais ça ne gênait pas Murphy. Elle appréciait le silence. La rouquine leva les yeux sur le toit de l'habitacle, alors que la symphonie des gouttes d'eau sur la carrosserie s'intensifiait. « Tu crois vraiment que ça va tenir le coup ? Qu'on est à l'abri ? » Ce n'est pas la voiture de ton père, ne paniques pas.Lentement, Murphy se penche vers son sac et en sort le bocal d’eau qu’elle avait prit dans la rivière un peu plus tôt. Observant le liquide légèrement brunâtre en raison de la terre qui avait été soulevée par le courant, elle soupira. «  Dis, tu as été déployé souvent ? Avec l’armée ? » Elle se tourne vers lui, la curiosité peinte sur son visage.  

Eddison fouillait frénétiquement les moindres recoins de l'habitacle du camion, espérant dénicher un quelconque objet susceptible de rompre la monotonie de l’attente. Ses doigts effleurèrent un journal jauni, dévoilant les premiers signes de l'épidémie qui avait bouleversé le monde. D'un geste brusque, il le remit en place, refusant de s'encombrer de ce rappel funeste. Un soupir d'exaspération s'échappa de ses lèvres alors qu'il ajustait le siège pour trouver une position plus confortable, redoutant les crampes qui guettaient dans l'étroitesse de l'habitacle.

Les paupières closes, Eddison s'apprêtait enfin à savourer un moment de répit, laissant le bruit apaisant de la pluie tambouriner sur la carrosserie l'entourer. Mais à peine avait-il trouvé ce semblant de quiétude que la voix de Murphy, teintée d'inquiétude, troubla son calme naissant. Elle lui demanda, avec une candeur déconcertante, si l'abri dans lequel ils s'étaient réfugiés résisterait à l'assaut de la pluie battante. Eddison tourna la tête, un sourcil arqué d'incrédulité devant une telle interrogation. "Des joints, ça ne s'abîme pas aussi facilement," répliqua-t-il, désignant d'un geste le robuste modèle du véhicule. "Vu le soin apporté par son propriétaire, il est peu probable que nous soyons trempés. Nous sommes entre de bonnes mains, malgré les éléments déchaînés à l'extérieur. Alors détends toi Bowman. Relaxe."

Refermant les yeux, il se laissa une nouvelle fois bercer par la douce mélodie de la pluie, espérant trouver un refuge éphémère dans ses pensées. Cependant, la demoiselle semblait déterminée à engager la conversation, brisant ainsi le fragile cocon de silence dans lequel il s'était emmitouflé. Un soupir las s'échappa de ses lèvres.

Il se redressa lentement, ses yeux se posant sur le bocal que Murphy tenait entre ses mains. L'eau trouble à l'intérieur évoquait pour lui les lacs et rivières où il avait dû se fondre lors de ses missions passées. Un frisson imperceptible parcourut son échine à ce souvenir.

"J'ai été souvent déployé, oui," commença-t-il sobrement, cherchant à détourner l'attention de lui-même. Eddison n'était pas homme à épancher son passé, préférant le garder soigneusement verrouillé dans les méandres de sa mémoire. "Ça va vraiment t’aider pour ta recherche ?" interrogea-t-il en pointant du doigt le bocal, tentant de détourner l'attention de lui-même.

Un grondement sourd ébranla le silence, annonçant l'arrivée imminente d'une pluie battante. Les gouttes s'écrasaient maintenant avec force sur le toit du camion, noyant les sons et rendant toute conversation presque impossible.

"Putain, c'était moins une !" cria-t-il par-dessus le vacarme de la pluie, exprimant un mélange de soulagement et d'adrénaline après avoir échappé de justesse à l'averse.

Eddison tira légèrement sur le rideau devant lui, curieux d'observer le déluge qui s'abattait à l'extérieur. Le froid mordant et l'humidité s'insinuaient peu à peu à l'intérieur de l'habitacle. Un soupir s'échappa de ses lèvres alors qu'il se penchait sur le côté du siège, attrapant une couverture soigneusement pliée sur le couchage derrière eux. “Tient” il la tendit à Murphy, un geste empreint d'une rare générosité de sa part. Ce n'était pas un gentleman, loin de là, mais il reconnaissait la nécessité de partager ce maigre réconfort. Pour l'instant, il pouvait supporter le froid, ses souvenirs de l'armée lui rappelant des épreuves bien plus rudes que celle-ci.

Eddison croisa les bras fermement autour de son torse, cherchant à emprisonner la chaleur de son propre corps. Son souffle se cristallisait dans l'air froid de l'habitacle, tandis qu'il s'efforçait de trouver un semblant de confort dans cette tempête.

Murphy se cale un peu plus dans le siège passager. À côté d’elle, Eddison cherche frénétiquement l’habitacle, comme s’il espérait trouver quelque chose. Murphy étouffa un petit rire intérieurement, ne sachant pas trop comment interpréter cette réaction. Sa compagnie était-t’elle si désagréable qu’il se devait de faire autre chose. Elle ne pose pas la question, elle se moquait bien de la réponse, en réalité. Et elle observe l’extérieur, la pluie qui tombe vigoureusement. L’inquiétude qui prend alors le contrôle de ses pensées. Souvenirs irrationnels des défauts de la vieille voiture de son père. Ce véhicule était ici, non entretenu depuis on ne sait combien de temps. Elle partage alors ses pensées, sachant qu’elle ne devrait pas se montrer si irrationnelle, mais la vérité, c’est qu’elle travaille avec des bactéries, pas en ingénierie.

L’expression d’Eddison face à sa question lui fit presque regretter de l’avoir posé. Mais elle avait une crainte, et dans le domaine scientifique, le meilleur moyen de tout analyser était de partager les résultats. Ou, dans ce cas, les interrogations. Mais le militaire balaya rapidement la possibilité qu’elle évoquait, volant au secours de la réputation de la carrosserie. Murphy hocha la tête en signe d’acquiescement et détourna le regard pour le porter de nouveau vers l’extérieur. Elle regrettait d’avoir demandé, elle paraissait maintenant comme une idiote. Si Thomas avait pu comprendre les questions de se genre et avait si comment bien y répondre, la rouquine aurait dû se douter que ce n’était pas le cas de tout le monde.

Le soupir de l’homme lui fit regretter, une fois de plus, d’avoir prit la parole. Elle qui s’était souvent demandé comment le passé militaire de l’homme pouvait être utile à la Colline, elle comprenait à présent que jamais elle n’aurait réponse à cette question. L’homme avait mis fin à ce sujet de manière abrupte. Une simple réponse, aucune intention de développer sur le sujet. Elle avait senti cette réticence. Et Murphy n’allait pas insister, elle avait compris le message. Mais la curiosité si rapidement étouffée, elle ne retient pas le léger air de déception qui est venu peindre ses traits. La rouquine reporte son attention sur le bocal, tentant d’établit un plan pour le retour aux laboratoires. Si elle ne pouvait pas passer le temps avec des discussions, elle allait mettre ce temps à profit pour autre chose.  Elle haussa les épaules à la question d’Eddison, ne sachant pas trop quoi répondre. « En vérité… On est au pied du mur dans les recherches. » à quoi bon lui cacher, il était adjoint du chef de l’établissement, le second dans la liste des responsables, il était probablement déjà au courant de la situation. « Le virus est transmissible par l’eau. Un retour à la base ne me semble pas si incongru. » Comment dire qu’elle espérait, mais qu’après tant de cul de sac dans les recherches, elle préférait ne pas se prononcer sur les chances de succès de cette nouvelle approche.

La météo mit fin à cette conversation de manière abrupte. La pluie qui s’écrasait maintenant avec une fureur renouvelée la fit frissonner. Murphy ne voulait pas imaginer ce qui serait advenu d’eux si Eddison n’avait pas repéré le camion à temps. Aucune chance que quelqu’un ne survive à cette pluie. Murphy entendit difficilement les paroles de l’homme, et se contenta de sourire pour démontrer qu’elle partageait son avis. C’était moins une. ¸

« Merci. » Elle attrapa la couverture et la passa par-dessus ses épaules. Le froid s’estompa légèrement et elle était reconnaissante de cette pensée de la part de l’homme. Alors, elle rangea le bocal dans son sac et sorti un calepin de note avant de commencer à noter des idées en vrac. Tout ce qui ne lui passait pas la tête qu’elle pourrait tenter dans les prochaines expériences. Et de temps à autre, elle s’étirait pour jeter un coup d’œil à l’extérieur, tentant de voir si un animal avait choisi de braver les intempéries. À chaque fois, elle se calait de nouveau dans son siège pour reprendre les réflexions.

Le silence était roi. Brisé seulement par le bruit de la pluie sur le métal de la carrosserie. Après un moment, Murphy senti le froid et l’humidité lui mordre les os malgré la couverture. Elle se tourna donc de nouveau vers le pauvre Eddison, qui devait être frigorifié. « Ça va ? Tu tiens le coup ? » Elle retira alors la couverture de ses épaules pour la lui tendre, ne pouvant contenir un léger frisson.