La politesse c'est comme la reine d'Angleterre: seulement pour les anglais et deja mort et enterré

« Putain de bordel de mes deux ! »

Je grogne. Il faut dire qu’escalader le mur le moins praticable pour sortir de la tanière, avec tout mon matos n’était pas une promenade de santé. Ca semblait une bonne idée quand j’étais en bas, misant sur le fait que personne ne surveillait jamais ici, sauf qu’en fait, c’était peut être pas celle du siècle. Oui, je sais, No a dit que je devais rester dans le camp, mais il a dit aussi pas mal de conneries si on y pense bien, genre je suis une morveuse pas prête, alors, suis-je obligée d’écouter tout ce qu’il dit ? C’est pas la peine de répondre a la question, déjà, parce que c’est pas une vraie, ensuite, je ne vous écouterais pas plus vous que le reste du monde. Je me laisse glissé par terre et prends le temps de faire un courtois doigt d’honneur a pauvre mur qui n’en demandait surement pas tant.

« Celui qui pense me faire rester a l’intérieur est pas encore né ! »

Oui, je parle toute seule. Déformation d’être restée des mois à vivre seule avec des transformés. Campée sur mes deux pieds au sol, enfin du bon côté du mur, avec mon ciré, mes bottes et ma crosse, je respire le grand air comme s’il était diffèrent maintenant que je suis dehors. J’ai une sensation d’être une grosse rebelle alors que, si on y pense bien, je fais juste une petite promenade sans conséquence. Et puis merde, c’est quand même mon droit de sortir non ? No le fait bien sans moi, alors pourquoi je pourrais pas moi ? Ce sont les directives qui sont débiles pas ce que je fais !! Sans compter toutes ces personnes qui relaient les 10 commandements de « Saint Noah je pars sans toi » comme si c’était le prophète de la sainte église de la tanière.

J’ajuste mon sac, trépignant presque de ma destination. Je compte bien profiter de l’occasion pour montrer a tous que je suis plus que capable de gérer des sorties de récupérations. Je commence a avancer d’un bon pas avant d’aviser qu’il y a une vieille qui est là. Et elle me regarde en plus, elle veut quoi ? Ma photo ? Si pendant un moment j’ai peur de tomber sur une suivante de No et que je suis en train de chercher une excuse pourrie, je percute vite qu’elle ne me dit absolument rien. c’est juste une inconnue, aucun risque qu’elle me balance. C’est donc avec toute ma délicatesse naturelle que je l’aborde, pressée de l’expédier :

« Hey toi ? Tu glandes quoi ici ? SI tu veux aller au marché, l’entrée c’est par là ! »

C’est pas le tout, mais j’ai pas que ca a faire pour ma journée de fugue. Bon elle se bouge la mamie ?!

De retour d’exploration, je n’avais qu’une hâte : me débarrasser de mon binôme. Plus ennuyant c’était le soleil. Une journée de plus passée avec lui et j’étais bonne pour me jeter d’un toit. Alors en arrivant non loin de l’entrée du camp, je décide de lui faire faux bond, prétextant vouloir profiter encore un peu de la liberté avant de rentrer. Les abords du camp sont plutôt bien sécurisés alors il n’a pas bronché. Même si ça avait été le cas, il aurait eu la même réponse en face. J’emprunte donc une ruelle différente, me débarrassant ainsi de l’épine plantée à mon pied depuis des heures déjà. Je passe devant plusieurs logements déserts avant d’arriver à la bordure est du camp. Je remonte le chemin qui la longe d’un pas lent. J’en profite pour sortir de ma poche ma trouvaille du jour : un vieux paquet de cigarettes. Il n’y en a plus que trois à l’intérieur, mais c’est toujours mieux que rien. Je pourrais les troquer, certains sont prêts à payer cher pour ce genre de choses, mais pour une fois, je décide d’en profiter. En quête de ce plaisir instantané, je sors le briquet de mon sac pour l’allumer. Des mois que je ne m’étais pas intoxiquée les poumons avec ce genre de poison. Pourtant, aussi mauvais que ce soit, ça me fait un bien fou. J’en savoure chaque bouffée jusqu’à ce que le tabac se consume.

Alors que j’approche des dernières taffes, je perçois du bruit puis du mouvement. Les rues sont vides, hormis un petit singe, perché en haut du mur, qui tente discrètement de s’échapper de l’enceinte. Que des intrus s’essaient à entrer par ce chemin, ça ne m’étonnerait pas, mais qu’on essaie d’en sortir, c’est la première fois que je le vois. Epaulée à un lampadaire de la rue, je me mets alors à observer son passage d’obstacle, avec un amusement certain. La fumée s’évapore entre mes lèvres, tandis qu’elles s’étirent dans un sourire. Des gens font encore le mur de nos jours ? Je comprends bien vite qu’il s’agit là d’une ado. Il n’y a qu’eux pour essayer de sortir en douce plutôt que par la grande porte. Papa ou maman a dû dire “les sorties c’est pour les grands” mais comme tout ado qui se respecte, il fera toujours l’inverse de ce qu’on lui dit. Braver l’interdit, c’était ma spécialité à son âge, alors j’ai tout à coup l’impression de me voir, plus jeune. A la seule différence qu’à mon époque, le monde ne regorgeait pas des mêmes monstres.

Elle ne m’a pas remarquée, du moins, pas avant que ses pieds ne touchent le sol et qu'elle ne me fasse face. Je tire ma dernière latte avant de jeter mon mégot au sol, et l’écraser sous ma chaussure. Sa remarque me fait sourire. « La sortie c’est aussi par là. Mais j’imagine que ça tu le sais aussi. » Je ne suis pas là depuis assez longtemps pour connaître toutes les têtes et encore moins tous les noms qui peuplent la Tanière. Malgré tout, j’ai déjà dû la croiser quelque part, au détour d’un couloir, sans y prêter attention. « Je te retourne la même question, tu glandes quoi à escalader le mur pour sortir en douce ? T'as un date ou une partie de hockey sur glace peut-être ? » Je me doute que ce n'est surement rien de tout ça, mais je la trouve bien légère pour une sortie en extérieur aussi risquée.